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L’hiftoire nous a confervé quelques traits
qui jullifient allez ce qu’on a die de M'orus- ,
qu'il manquoit dç* dignité dans les manières. Ces
mêmes traits prouvent encore que fa confiance
ordinaire,.ia douceur & fa gaîté, même ne l’a-
bandonnèrent pas un moment. Il facrifia fa vie à
fa probité & à fes fer;timens avec une indifférence
égale à celle qu’ il a\oit montrée dans toutes
les autres occalions. La veille du jour qui devoit
décider de fon fort, on vint à l'ordinaire pour le
rafer. « J'ai, dit-il, à Ion barbier, un grand différend
avec Je roi : il s’agit de favoir s’il aura
ma tête, 'ou fi elle me réitérai je n’y veux rien
faire qu'elle ne fpit bien à moi ».
Il répondit à celui qui lui vint dire que le roi
par un effet de fa clémence avoit modéré l'arrêt
de mort rendu contre lui, à la peine d’être feulement
décapité : « Je prie Dieu de préferver mes
amis d'une femblable clémence ».
Au pied dé l’ichaffaud où il devoit être exécuté
, il dit à un des afliftans : «« Aidez moi à
monter, je ne vous prierai pas de m’aider a def-
cendre ».
Lorfque fur le point d’ être décapité, il eut
mis la tête fur le billot pour recevoir le coup
mortel, il s’apperçut que fa barbe étoit engagée
fous fon menton , il la dégagea & dit à l'exécuteur;
« Ma barbé n'a pas commis de trahifon , il n'eft
pas jufte quelle foit coupée ».
M O TH E , ( Æntoine-Houdard de la) né le 17
janvier 1672, mort le décembre 17^1.
On définifloit la Motke, juftice, & juftefle.
Fontenelle connoiffoit bien le mérite perfonnel
de la Moche ; 8c les amis du premier fe fou-
vîennent de lui a-voir entendu dire plus d’ une
fo:s : « Un des plus beaux traits de ma vie ,
c’eft de n’avoir pas été jaloux de M. de la
Motke ».
C e dernier ayant dit un jour à Fontenelle qu’il
croyoit avoir pour amis tous les gens de lettres.
<c Si cela étoit vrai, lui répondit celui-ci, ceferoit
un terrible préjugé contre vous; mais vous leur
faites trop d’honneur, 8c vous ne vous en faitçs
pas affez ».
Il étoit dfofage autrefois de jouer feules à la
comédie Françoife les pièces nouvelles, 8c de
n’y joindre de petites pièces qu’après les huit ou
dix premières repréfentations, ce qui donnoit lieu
de croire que la pièce commençoit à tomber.
Pour prévenir ces jugemens quelquefois mal fondés,
de» la Motke fit jolier une petite pièce dès la
première. repréfentation de fon Romulus. Cet
exemple fut fuivi depuis par les auteurs qui fou-
haitoient tous que cet ufage fût établi; mais qui
ne vouioient point chacun en particulier com- 1
M O T .
mencer, dans la crainte de donner une mauvaife
idée de leur piècè dès la première jépréfen-
cation.
La Motke a prodigué dans fes fables l’efprit &
l’invention ; mais on y cheicheroit vainement le
naturel d’E fope, la pureté de Phèdre & la fim-
plicité fubüme de l'inimitable la Fontaine. On
rit beaucoup dans le temps de voir paraître
parmi fes a&euts de ces fables dont jugement,
dame'mém.oire & de moifelle imagination, avec leurs
titres de nobleffe, & de voir appeler un Cadran
un greffier folafre, une citrouille un pkémornène
potager 3 une haye le Suijfe d‘un jardin 3 &c.
Le difeours de la Motke fur Homère eft un
chef-d’oeuvre d’élégance , mais la manière dont
il a traité les anciens fouL.va contre lui leui's parti
fan s-. La fa vante madame Dacier l’ attiqua dans
fon livre des Caufes de la corruption du goût 3
ouvrage diété lui-même par le mauvais goût, la
prévention & l'animofité^Ce qu’il y eût de moins
choquant pour la Motke, e’ eft le reproche qu’on
lui fit d'ignorer le grec , 8r d'avoir comixilé des
opéra. Il fé juftifie dans fes Réflexions fur la critique
d'ignorer le grec, par 1a ra.fon qu'il a Cru
deyoir connoître Homère, d’après madame Dacî r.
A l’égard des opéra , il lui dit : « Qu'elle me palfe
ceux que j’ai faits, pour les traduirions qu’elle a
faites de Y Eunuque^ & de l’Aniphitrion, de quelques
comédies'd'auffi mauvais exemple & ..des
“•Odes d’Anacréon, qui ne refpïrent'qu’une volupté
dont la nature même n’eft pas d’accord,
&c. » Toute fa réponfè eft également pline de
fel, de fineffe & d’agrémens, mais d’ailleurs rrès-
fuperficielle ; ce qui a fait dire que l’ou\ rage de
monfieur de la Motke étoit d’une femme d’ef-
prit , 8c celui de madame Dacier d’un homme
‘(avant.
Les opéra de la Motke ont une forte d’uniformité
qui leur donne une reflemblance défagréable.
Cet auteur paroît néanmoins avoir faifi le caractère
& le goût de ce fpèétacle. Ses fcènes
font remplies de ces perifées agréables, de ces
jolis riens que l’on recherche dans ces fortes de
poèmes. Ses pièces tragiques font moins eftimées ;
font Inès de Caftro eut cependant le plus grand
fuccès.
On a dit que la Motke, fans avoir de fujet
&- de plan, a cherché à ralfembler dans une
pièce tout ce qui peut intérefler au théâtre, &
fa tragédie étant faite, il a chargé quelques amis
de lui trouver un trait d'hiftoire analogue ; on lui a
propofé Inès de Caftro.
La première fois qu’on repréfenta cette tragédie,
lorfque les enfans parurent for la fcène ,
le parterre en plaifanta beaucoup. Mademoifelle
Duclos, qui jouoit Inès, s'interrompit en difant
M U R
avec une forte d’indignation || « Ris donc, fot
parterre, à l’endroit le plus beau ». Elle reprit
fon couplet : les enfans furent applaudis, & la pièce
eut le plus grand fuccès.
Jamais pièce ne fe foutint fi long-temps, &
avec un égal empreflement de la part des fpec-
tateurs ; 8c jamais on ne vit s’élever contre l'auteur
une û grande foule de critiques. M. de la
Motke ie trouva un jour au café de Procope,
dans un cercle de jeunes étourdis qui ne le con-
jioiifoient point, & qui déchiroient fa tragédie.
Après avoir eu la patience de. les écouter une
demi-heure , & gardé Yincognito , il fe leva , & .
adrefiant la parole à quelqu’un de fes amis qu’il
apperçut dans le café : allons donc, lui dit-il, mon.-
fleur un te l, nous ennuyer a la foixante douzième
repréfentation de cette mauvaife pièce.
M. delà Motke difoît que le roman de Pfycké
par la Fontaine, eft un fujet propre à produire un
fpe&acle magnifique, où la terre, les deux &
les enfers peuvent offrir ce qu’ils ont de plus
varié; & que ce fujet eût pu feul lui faire inventer
l’opéra, ém .
Dans le temps delà difpute fur les anciens &
fur les modernes, on trouva écrits avec du chan-
bon fur la porte de l’académie; quatre vers,
qui font une parodie de ceux que fit .autrefois
Conseille, fur le cardinal de Richelieu.
La Motte & la Dacier , avec un zèle é g a l,
Se battent pour Homère, & n’y gagneront rien ;
L’une l’entend trop b ien , pour en dire du mal : ;.
L’autre l'entend trop peu pour en dire du bien.
Lorfque dans le cours de. la difpute fur Ho-ÿ
mère, M. de la Motke critiquoit quelque endroit
de cet auteur, madame Dacier lui répondoit
toujours avec enthoufiafme : Ah ! fi vous faviez.
le grec. Il me fcmble, dit à ce propos ingénieu-
fement M. de h Motke., entendre le héros de
Cervantes, qui, parce qu’il eft armé chevalier,
voit des enchanteurs où fon ecuyer ne voit que
des moutons.
Rouffeau difoit : les Odes de la Motke ref-
femblent beaucoup à des lettres- On diroitquelles
commencent , pour ainfi dire , toutes par le
monfieur 3 & qu’elles fini fient par le très-humble
ferviteur.
La Motke croyoit juftifier la dureté de plufieurs
de fes vers, en difant : «Un poète n’eft pas une
flûte' »,
M U R E T , ( Marc-Antoine) né en i y iû , mort
en iy§y.
Cet écrivain s’étoit acquis de bonne heure une
grande faciiité d'expreftîon, 8c un bon goût de
M U S 7 ° 3
latinité, par la le&ure aflidue des auteurs du fiècle
d’Augufte.
Muret réuflit même à faire prendre le change
au célèbre Scaliger, qui fe croyoit infaillible. Il
lui montra d«s vers latins de fa façon, comme
étant de Trabéa, ancien poète comique. Scaliger
le crut, & charmé de cette découverte, les cita
comme anciens dans la première édition de fori
commentaire fur Varron de re rèftzed-, F'errarius,
favant jéfuite’, allégua depuis un' de ces vers de
Muret, comme étant de Trabéa.
Scaliger ayant fu depuis cette fupercherie de
Muret3 ne lui pardonna jamais d’avoir été f i dupe.
Il eut même la cruauté de faire cette épigramme
fur un crime honteux , dont on avoit accüfé Muret
lorfqu’il profefloit à Touloufe :
Qui rigides flammas evaferat ante Tolofes,
Muretus fumos vendidit ille mihi.
Un confeiller du parlement de Touloufe, inf-
truit des pourfuites qu’on alloit faire contre Muret3
fut chez lui pour lui en donner avis; mais ne
l’ayant pas trouvé il lui écrivit ce vers :
Heu fuge crudéles ‘terras , fuge littus avarum l
Muret, fans autre explication , fortit du royaume,
ôc prit le chemin d’Italie, où il tomba malade
v dans une hôtellerie. Deux médecins vinrent faire
confultation fur fa maladie. Après avoir longtemps
difeouru de chofes 8c d'autres en latin ,
ne croyant pas que le malade l’entendit, la con»
verfation tomba enfin fur quelque nouveau remède
, dont on n’avoit point encore fait d’é-
. preuve, & l’un dit à l’autre : Faciamus experi-
mentum in corpore vili. Muret connoiflant le
. danger où il étoit, fe leva du lit auflitôt que les
médecins furent fortis de la chambre; & ayant
i continué fon chemin, fe trouva guéri de fon mal,
par la feule crainte du remède qui lui avoit été
préparé.
Muret retiré à Rome , s’acquit l’amitié du pape
8i des cardinaux. Il y enfeigna la philofophie &
la théologie. Neuf ans avant fa mort, il fut promu
aux ordres facrés & remplit ce faint miniftère avec
édification.
MUSIQUE. La mufique 3 dit Martinelli, fut
d’abord confacrée à chanter les louanges du très-
haut. Elle étoit fimple, mais majeftueufe. En
paffant fur le théâtre, elle devint plus travaillée ,
plus variée plus agréable, plus vive; on connut
davantage ce dont elle étoit capable. Elle retint
néanmoins, jufqu’au commencement de ce fiècle>
beaucoup de cette fimplicité naturelle; de ce ton
mâle & févère, qui caraéfcérifoit les chants d’ é-
gl'fe. Siface & Latilla,’ l’un & l’autre tofeans,