
madcmoifelle de Vildac avec le jeune Sainville
s eft faite hier 5 comme voifin j’ai été ■ obligé de
m y trouver. T u connois M. de Vildac j il a
^kiuonomie finiftre dont je me fuis toujours^
• ta e* 1 obfervai hier au milieu de toutes ces
xetcsj bien loin de prendre part au bonheur de
fon gendre & de fa fille, il fembloit que la joie
•des autres fut un fardeau pour lui. Quand l'heure
de fe retirer fut venue , on m’a conduit dans
1 appartement qui eft au deflous de la grande j
Çommençois-je à m’endorfnir , que
j ai été réveillé par un bruit fourd audeflus de
ma tetç* J ai prêté l’oreille , 8c j’ai entendu quel-
qu’un qui traïnoit des chaînes , & qui defcen-
doit lentement quelques degrés. En même temps
une porte de ma chambre s’eft ouverte : le
bruit des chaînes a redoublé : celui qui les por-
toit s’eft avancé vers la cheminée 5 il a rapproche
quelques tifons à demi-éteints 3 & il a dit
d’une voix fépulchrale : « Ah ! qu’il y a long-
« temps que je ne me fuis chauffé >*! Je te l’avoue
, cher ami, j’étois effrayé. ’ J’ai faifî mon
.epée pour pouvoir me défendre j j’ ai entr’ ouvert
doucement mes rideaux. A la lueur que produi-
foient les tifons , j ’ ai apperçu un vieillard décharné
, 8e a moitié nud , une tête chauve , une
barbe blanche. Il approchoit fes mains tremblantes
des charbons. Cette vue m’a ému. Pendant que
je le confîdérois, le bois a produit de la flamme
: il a tourné les yeux du côté de la porte
par laquelle il étoit entré} il a fixé le plancher,
& s’eft livré à une douleur extraordinaire. Un -
înftant après s’ étant jeté à genoux il a frappé
la terre avec le front.. J’entendois qu’il difoit en
fanglotant: mon dieu! ô mon dieu !...... Dans ce
moment mes rideaux ont fait du bruit} il*s’eft
retourné avec effroi. « Y a-t-il quelqu’un ? a-t-il
dit} y a-t-il quelqu’ un dans ce lit ? —- Oui, lui
ai-jé répondu en ouvrant tout-à-fait mes rideaux.
Mais qui êtes-vous ? Ses pleurs l’ont empêché
de parler: il m’a fait figne de la. main que la
voix lui manqüoit-} enfin il s’éft calmé, ce Je fuis
k plus malheureux des hommes, m’a-t-il dit} je
ne devrois peut-être pas vous en dire davantage
} mais il y a tant d’années que je n’ ai vu
perfonne , que de plaifîr de parler à un de mes
femblables m’entraîne. Ne craignez rien, venez
vous affeoir auprès de cette cheminée} ayez pitié
de moi j vous adoucirez més maux en les
écoutant m. ; La frayeur que j’ avois eue, a fait
place à un mouvement de compaflion : je fuis allé
m’affeoir auprès de lu i} cette marque de confiance
l’a touché. Il a pris ma main, il l’ a mouillée
de larmes. « Homme généreux , m’a-t-il d it ,
commencez par fatisfaire ma euriofité }• dites-moi
pourquoi vous logez dans cet appartement qu’on
n’habite jamais : que veut dire le fracas des boîtes-
que j’ai entendu Ce matin-? que s’ëft-il paffé d’ex--j.
tsaprdinaire dans le château,*?;? Quand je lui ai ap4
pris le mariage de la fille de Vildac , il a étendu les; I
| bras vers le ciel. » Vildac a une fille ! elle eft
mariee!...... Grand dieu, faites qu’elle foit heureufe
! faites fur-tout qu’elle ignore le crime !
Apprenez enfin qui Je fu is ....... Vous parlez au
pere de Vildac.... ». Le cruel Vildac?... » Mais
ai-ie le droit de m’en plaindre ? Serok-ce à moi
a l’accufer ? >■ .
Quoi! me fuis-je écrié avec étonnement, Vildac
eft votre fils ? & ce monftre vous retient ici!
vous ne parlez à perfonne ? il vous a chargé de
Chaînes ?
Voilà,. m'a-t-il répondu, ce que peut produire
un vil intérêt.- Le coeur dur 8c farouche de
mon malheureux fils n’a jamais connu aucun fen-
riment. Infenfible à l’amitié, il s’eft rendu fourd
au cri de la nature, & c’eft pour s’emparer de
mes biens qu’il m’a chargé de fers.
Il etoit allé un jour chez un feigneur voilra
qui avoit perdu fon père: il le trouva entouré
de fes vaflaux, occupe à recevoir des rentes &
à vendre fes récoltes. Cette ,vue^fit un effet affreux
fur l’efprit de Vildac. La fôif de jouir de
fon patrimoine le dévoroit depuis long-temps: je
remarquâi, à. fon retour, qu’il' 'avoit. l ’air plus
fombre & plus rêveur qu’ à l ’ordinaire. Quinze
jours après, trois hommes mafqués m’enlevèrent
pendant la nuit} après m’avoir dépouillé de tout,
ils me conduifirent dans cette tour. J’ignore’comment
Vildac s’y eft pris pour répandre le bruit
de ma mort} mais j’ai compris, par |le bruit des
cloches & par quelques chants funèbres, qu’on
célébroit mon enterrement. L ’idée de cette cérémonie
m’a plongé dans une douleur profonde.
J’ai inutilement demandé, comme une grâce,
qu’il me fût permis_de parler à Vildac : ceux
qui m’apportent du pain, me regardent fans doute
comme un criminel condamné à périr dans cette
tour. Il y a environ vingt ans que j y fuis. Je
me fuis apperçu, ce matin, qu’en m-’apportant
a manger, on avoit mal»fermé ma porte. J’ai
attendu h nuit pour en profiter. Je ne cherche
pas à m’échapper , mais- la liberté de. faire quelques
pas de plus, eft quelque chofe pour un
prifonnîer.
-, N o n , me fuis-je écrié,, vous quitterez cette
indigne demeure} j e ciel m a deftiné à être votre
libérateur : fartons, tout eft endormi. Je ferai
votre défendeur , votre appui, votre guide. —
Ah ! rn a-t-il dit, après un moment de lilence,
ce genre de fqfitude a bien changé mes principes
8c mes- idées. Tout, n’ eft qu’opinion}; à
préfent que je fuis fait à ce que ma pofition a
de plus dur, pourquoi la quitterois-je .pour une
autre? Qu’iraije faire dans le monde? Le fort
en eft jeté, je mourrai dans cette tour. — Y
fongez - vous ? nous n’avons qu’un moment} la
nuit s’avance, ne perdons pas de temps, venez.
— Votre zèle me touche 5 mais j’ai fi peu de
jours â vivre que la liberté me tente peujrirai-
je, pour en jouir, déshonorer mon fils? - - Ç elt
lui qui s’eft déshonoré.— Eh! que m a fait fa
fille ? cette jeune innocente eft dans les bras de
fon époux, & j’irois les couvrir d’infamie? Ah!
plutôt que ne puis-je la voir, l’arrofer de mes
larmes, la ferrer' dans mes bras ! mais je m attendris
inutilement, je ne la verrai jamais. Adieu}
le jour va paroître, on pourroit nous entendre,
je vais rentrer dans ma prifon..... N o n , lur ai-
je dit en l ’arrêtant, je ne le fouffrirai pas^ : 1 ci-
clavage affoiblit votre ame.j c’eft à moi à vous
prêter du courage. Nous examinerons après s’il
fajat vous faire connoître} ..commençons par^ for-
tir. Je vous offre mon château, mon crédit,
ma fortune. On ignorera qui vous êtes ; on cachera,
s’il le faut, le crime de Vildac à toute
la terre. Que craignez - vous ? — Rien: je fuis
pénétré de reconnoiffance} je vous admire.......
Mais tout eft inutile} je ne | faurois vous fuivre.
— Eh bien ! choififfez : je vous laifife ici } je vais
au gouverneur de la province} je lui dirai qui
vous êtes} nous viendrons à main armée vous
arracher à la barbarie de votre fils. -- Gardez-
vous d’abufer de mon fecret} laiffez-moi mourir
ici: je fuis un monftre indigne du jour.....
Il eft un crime qu’il faut que j’expie , le plus
infâme, le plus horrible..... Tournez les yeux,
voyez ce fang dont il refte des traces fur le
plancher 8c fur les murailles. C e fang eft celui
de mon père, & c ’eft moi qui l’ai affafliné. J’ai
voulu, comme Vildac........ Ah ! je le vois encore
! il me tend fes bras enfanglantés !...... Il
veut m’arrêter....... Il tombe..... Oh ! image af- *
freufe ! oh ! défefpoir »!
En même temps le vieillard s’eft jeté à terre,
il s’ arrachoit les cheveux— Il étoit dans des
convulfions effrayantes} je voyois qui! n’ofoit
plus fe tourner vers moi} je aemeurois immobile.
Après quelques momens de filence nous
avons cru entendre du bruit : le jour commen-
çoit à paroître} il s’eft levé. Vous êtes pénétré
d’horreur, m’a-t-il dit : adieu, fuyez - moi, je
remonte dans ma tour , & c ’eft pour n’ en fortir
jamais. Je fuis reflé fans voix & fans mouvement:
tout me donnoit de la terreur dans ce château}
j ’en fuis forti aufli-tôt. ' Je me prépare à préfent
à aller habiter une autre de mes terres} je ne
faurois ni voir Vildac, ni demeurer ici. O mon
ami ! comment eft-il poffible que l’humanité pro-
duife des monftres & des forfaits pareils 1
Cette 'aventure eft arrivée en province vers
le commencement de ce fîêcle : avant que de
l’imprimer on a eu foin d’en déguifer les noms.
( La Morale en aëtion )
AVEUGLE. Quoique le doéteur Saunderfon,
mort il y a quelques années, eût été privé de
la vue dès fa tendre enfance,, cette privation
n'arrêta pas fes progrès dans les mathématiques}
ils furent fi flirprenàns qu’on lui donna la chaire
de profeffeur de cette fcience, dans l'uni ver-'
fité de Cambridge. Ses leçons étoient d’autant
plus claires, qu’il fuppofoit, fans doute , parler à
des aveugles }• il y joignoit un cours complet
d’optique.
Notre do&eur n'avoit befoin que de toucher
une fuite de médailles pour en connoître les faufi-
fes , 8c même celles, qui auroient pu. échapper à
la fagacité du plus habile connoifleur. On lut
préfentoit un inftrument de mathématique , & il
jugeoit de fon exactitude par la fimple impofition
des mains fur les divifions. Les moindres viciffi-
tudes de l’atmofphère^ l ’affeCtoient, 8c dans un
temps calme, il s’apperCevoit de la préfenee des ,
objets peu éloignés de lui.
Un jour qu’il affiftoit dans un jardin à des dé- '
monftrations-aftronomiques , il diftingua par l’im-
puîfîon de l’air fur fon vifage, le temps où le fo-
îeil étoit couvert de nuages : cependant Saunderfon
étoit non-feulement privé de la vu e , mais encore
de l’organe.
Il -y avoit à Maftricht un aveugle qui, chez le
rhingrave , jouoit au piquet avec des hommes de
qualité 5 mais quand c’étoit à lui à donner , ils ne
lui permettoient pas de toucher les’ cartes , parce
qu’au toucher il les connoiffoit parfaitement
1 bien.
U aveugle' né de Puifeaux en Gâtinois -, eftimoit
la proximité du feu au degré de la chaleur ; la
plénitude des vaiflTeauxau bruit que font en tombant
les liqueurs tranfvafées , & le voifinage des
corps , à l ’a&ion de l’air fur fon vifage. Il s’étoit
fait de fes bras des balances fort juftes & de
fes doigts des compas prefque infaillibles/Le poli
des corps n’avoit guère moins de nuances pour
lui que le fon de la voix. Il jugeoit de la beauté
par le toucher, & faifoit entrer dans ce jugement
la prononciation 8c le fon de la "voix. Il
adreffoit au bruit & à la voix très-fûrement. On
rapporte qu’il eut, dans fa jeuneffe , une ^querelle
avec un de fes frères, qui s’en trouva fort
mal. Impatienté des propos défagréables qu’il
effuyoit, il failît le premier i)bjct qui lui tomba
fous fa main, le lui lança , l’atteignit au milieu
du front, & l’étendit par terre. Cette aventure
& quelques autres le firent appeller devant le tribunal
au lieutenant de police de Paris, où il de-
meuroit pour lors. Les lignes extérieurs de la puif-
fance qui nous affeélent fi vivement, n’en impofent
point aux aveugles. Le nôtre comparut devant le
magiflrat, comme devant fon femblable ; les menaces
ne l’intimidèrent point. « Que me ferez-
» vous ? dit-il à M. Hérault. — Je vous jetterai
» dans un cul de baffe-foflfe, lui répondit le ma-
R 1 •