
Mitage avoit une mémoire fi prodigieufe, que
t >us les paffages d’auteurs, rapportés dans fes ouvrages
, lui venoient en écrivant. Lorfqü’on lui i
citoit- des vers qu’ il vouloit retenir, il fe les fai-
i'oit diéler, & les écrivoit lui-même 5 3c aprè s
les avoir lus, il chifonnoit le papier & le jctto it
au feu , en difant qu’il les avoic écrits pour les
apprendre plus facilement, & que les fachant
une fois , il n’avoit plus- que faire du papier*
C e favant s’étant trouvé chez madame de Rambouillet
avec p'ufieurs dames, il les entretint de
chofes fort agréables qu’ il avoit retenues de fes
lectures. Madame de Rambouillet qui s’ en apper
cevoit bien, lui dit : ‘‘ tout ce que vous dites,
monfieur, eft admirable ;■ mais dites-nous quel1-
que chofe de vous préfeat jment ».
Il eft l’auteur des Origines de la langue fran-
fo ife , ouvrage re mpli de fubtilités puériles &
d ’étymologies f jrcées. Il ét >ic au défefpoir d’avoir
vu naître le m >t brocanteur , & de mourir
fans en avoir pu découvrir l’origine.
Le cardinal de Retz . dit un jour à Ménage,
apprenez moi un peu à me connoître en vers ,
afin que je ptiiffe du m .dns juger de ceux qu’on
m’ apporte : mmfieur, lui répondit Ménage, ce
feroit une chofe trop longue à vous -apprendre ;
vous n’avez pas le temps de cela ; mais lorfqu’on
vous en lira, dites toujours que cela ne vaut
rien, vous ne vous tromperez guère.
Ménage content des douceurs à madame de
Sév:gné, lui diioit qu’il n’étoit point affez téméraire
pour rien prétendre, & qu’il fe contentoit
d ’être fon efclave & fon martyr. Eh bien ! lui
dit-cl e , vous ferez mon martyr, & moi je ferai
votre vierge*
Ménage auroit été de l’académie françoife fans
fa requête des di&’onnaires, qui ell: un ouvràge
en vers, & par lequel on difoit qu‘il s’en étoit
rendu digne j fur quoi M. de Montmort, maître
des requêtes , die : que c’étoit par cette rai-
fon qu’il falloit le condamner à en être , comme
011 condamne un homme qui a de'shonoré une
fille à l’époufer.
Lamonoie avoit fait des obfervations critiques
fur un ouvrage de Ménage, il s’exeufa de les
publier par l’épigramme fuivante.
Laiflons en paix monfieur Ménage,
C’étoit un trop bon perfonnage
Pour n’être pas de fes amis*
Souffrez qu’à fon tour il repofè,
Lui de qui les vers & la profe
Nous ont fi fouvent endormis.
MENDIANT. Un pauvre pourfuivoit un paf-
faut le long des trottoirs du pont neuf. C’étoit
un jour de fête. « Au nom de faint Pierre, dit
le mendiant, au nom de faint'Jofeph , au nom de
tous les faints ». Arrivé devant la ftatue d’Henri
IV; «au nom d’Henri IV ». L’-homme s'arrête:
tiens, voilà un louis d’or ».
MENSONGE. On demandoit à Ariftote ce
que gagnoient les menteurs à débiter leurs men-
fonges ? il répondit : ils ne leur revient autre chofe
que de n’être pas crus, même quand ils difent
la vérité.
Un homme alla voir un matin un chevalier de
fes amis, grand menteur; il le trouva encore
au lit, il le fit habiller & fortireat tous deux.
Us entrèrent dans un café, où il y avoit dix ou
douze perfonnes, qui parloient avec vivacité
d’une nouvelle de guerre qui fe répandoit dans
Paris. « Meffîeurs , s’écria le chevalier en fe mêlant
brufquement à leur convention , «c cette
nouvelle eft abfolument fauffe. Je viens du palais-
royal , où j’ai entendu dire à M. le duc d’Orléans,
que ce bruit étoit'fans fondement». Ces
paroles, prononcées d'un air impofant, fermèrent
la bouche aux nouvelliftes du café , qui le crurent
pieufement fur fa parole. Un moment après,
il fortic avec fon ami, qui lui dit quand ils furent
dans la rue : « Parbleu, notre ami, vous
| venez de leur en donner à garder de la bonne
façon: — non, lui répondit-il férieufement, je
ne leur ai dit que la vérité. — En voici d’une
autre, lut répliqua fon'ami , ne voudriez-vous
pas me perfuader à moi-même que vous avez été
ce matin au lever de M. le duc d’Orléans ? —
Ah ! s’écria le chevalier, en faifant un éclat de
rire , je vous demande pardon , mon ami. Comme
la mémoire nous trahit ! ce fut hier que j’allai au
palais royal.
Ç’eft un proverbe parmi les Perfans, que le
menfonge qui fauve , vaut mieux que la vérité qui
nuit. Un roi avoit ordonné la mort d’un efclave.
Ce malheureux, au défefpoir, accabla le prince
d’imprécations dans une langue étrangère. Le roi
demandant ce qu’il avoit dit, un courtifan d’un
caractère doux & humain répondit : Seigneur,
cet infortuné vient de dire : « le paradis eft pour
ceux qui répriment leur colère & qui pardonnent
aux hommes ». Le roi, touché de ces paroles,
fit grâce à l’efclave. Un autre courtifan , ennemi
du premier, dit alors .* il n’eft pas permis de
déguifer la vérité devant fon fouverain. Cet homme
vient d’outrager le roi. — « J’aime mieux , dit
le monarque , le menfonge qu’il m’a fait , que la
vérité que vous me dites ; car il avoit envie de
faire du bien, & vous du mal »; & i! le chafia-
de fa préfence.
Antîgonus étant en guerre avec Eumenès, fit
répandre dans le camp de fon ennemi des lettres
par lefquelles il excicoit les foldats à tuer ce prince
, & promettait une grande fomme d’argent a
l ’alTaffin. Eumenès en fut averti, & parcourant
les rangs de fon armée', il remercia .& loua fes
foldats de ce qu’aucun d’eux ne s’éto:t laififé
corrompre, & n’ avoit préféré un vil intérêt a
la foi qu’ ils lui avoient jurée. Il ajouta qu'il ne
vouloit pas leur cacher que c'étoit lui-même qui
avoit fait ces lettres pour éprouver leur fidélité.
Par ce menfonge prudent, Eumenès prévint les
mauvais deffeins d’Antigonus, & les rendit inutiles
à l’avenir ; les-' foldats devant toujours craindre
que ce ne fût un artifice de leur général.
Zamolxis, difcîple de Pythagore, 8c légiflateur
des Thraces, leur donna de bonnes Ioix , c’eft-
à dire, les meilleures qu’un peuple fauvage pût
fupporter. L ’humeur revêche , & le caractère indocile
de la nation qu’il avoit entrepris de civi-
lifer, le fit recourir à un ftratagême qui lui réuflit.
Il affembla les principaux du peuple, & leur dit
qu’il alloit mourir pour interroger les dieux finies
loix qu’il avoit promulguées. Zamolxis fe fit
enfeveür en effet ; mais le caveau du maufolée
qu’il s’étoit préparé, le conduifoit par un fou-
terrain dans une mâifon écartée , dans laquelle
il avoit mis des provifîons pour trois ^ans. Il reparut
la quatrième année , & on le crut véritablement
reffufeité. Ses difciples qui l’avoienten-
feveli, lui avoient été fidèles , & parurent tout
aufli furpris que les autres de fa nouvelle apparition.
Alors le regardant comme inftruit par les
dieux-mêmes, les thraces fuivirent fes loix,, &
furent heureux. C'eft ainfî que par le menfonge
on amène les hommes à un bonheur, qu’ils fui-
roient peut - ê tre, fi la vérité le leur préfen-
toit.
MEPRIS. Un empereur turc fe faifoit mo n-
trer fur la carte la province de Flandre , le fiijet
& le théâtre de tant de guerres entre les princes
chrétiens. « Ce n’eft que cela, difoit-il, avec
mépris ? Si c’étoit mon affaire, la querelle feroit
bientôt terminée ; j’enverrois un bon nombre de
pionniers, & je ferois jetter ce petit ccin de
terré dans la mer.
On n’affe&e fouvent du mépris pour les femmes
, que lorfqu’on n’a pu les rendre méprifa-
bles.
M é p r i s d e s r i c h e s s e s . Un grand feigneur
perfan, s’étant retiré de fon pays à Athènes,
crut qu’ il avoit grand befoiti du fupport &
de la faveur de Ci mon , qui étoit dès premiers
de la ville : il lui préfenta en don deux couppes
d'or toutes pleines, l’une de dariques d’o r , &
l’autre de dariques d’ argent. C e fage grec s’en
prit à rire, lui demandant lequel-des deux il ai-
moit le mieux , qu’il fut fon ami ou fon mercenaîre
: le perfan lui répondit, qu’il aimoit beaucoup
mieux l’avoir pour ami; remporte donc,
répliqua Cimon, ton or & ten argent : car fi je
fuis ton ami, il fera toujours à mon commandement
pour en ufer quand j’en aurai befoin.
M é p r i s d e l a m o r t . Les anciens danois fe -
faifoient une gloire, non-feulement de ne pas
craindre la mort, mais encore de mourir en riant.
Un auteur danois parle ainfi d'un héros de ce
pays, nommé Agnar : « Agnar tomba, rit &
mourut».
Un lieutenant de milice avoit été condamne,
en Angleterre, à être mis à mort pour crime de
faux. C e malheureux eut Linfolence d’envoyer,
la veille qu’il devoit être exécuté, des billets à
plwfieurs officiers de la milice de Midlefex, avec
cette ad refie : <c le lieutenant Campbell fait bien
des complimens à M ..... ; il l’invite à venir prendre
une taffe de chocolat chez lui dema’n au matin;
& lui faire l'honneur de l’accompagner à
pied jufqu’à Tiburn, pour aflifier à la cérémonie
de fon exécution.
M É R IA N , ( Marie Sibylle) née à Francfort
en 1647, morte en 1717.
La jeune Mérian , dtftinée par fa mère à toute
autre occupation qu’à celle de la peinture, étoit
obligée de defliner dans le plus grand fecret. Enfin
, ne pouvant plus réfifter à fon penchant ,
elle en fit l’aveu avec autant d’embarras & de
crainte , que fi elle avoit eu à fe reprocher une
faute des plus graves. On lui permit alors de fe
livrer à fes heureufes difpofitions.
L ’obftination de la jeune Mérian à vouloir étudier
la peinture & l’hiftoire naturelle, fit reffou-
venir fa mère, que , dans les commencemens de
fa groffeffe, elle avoit éprouvé un defir violent
d'examiner des infe&es, des fleurs, ainfî que
beaucoup d’autres curiofités de la nature , &
qu’elle avoit même raffemblé une quantité con-
fidérable de chenilles, de papillons variés , de
coquillages, de pétrifications, dont elle faifoit
fon plus grand amufement.
Tandis que mademoifelle Mérian excelloit à
peindre les infeétes & leurs différentes rhétamor-
phofes ; fes progrès, dans l’étude de plufieurs
langues, & dans l’hiftoire naturelle , étonnèrent
les favans. La paflion qu’elle éprouvoit pour là
phyfique , devint fi violente , que les hollandois
ayant formé le déffein d’envoyer une fl me à Surinam
, dans les indes occidentales, rrudemoifeüe
Mérian réfolut d’y pafLr. Le feul defir de dèf-
fîner d’après nature les infeéles & les .fleurs de
ces.contrées lointaines> lui fit entreprendre avec
joie un voyage aufli long que périlleux. Son pre*
jet fut encouragé ; les états-généraux lui accordèrent
une penfion confi lérable.