
fans examen. Mais il fe trouva, par le calcul,
que tous les tréfors 8c les vaftes états du prince
ne fuffiroient point pour remplir rengagement
qu'il venoit de contracter. Alors notre philofophe
faifit cette occafion pour lui repréfenter combien
il importe aux rois de fe tenir en garde contre
ceux qui les entourent, combien ils doivent
craindre que l'on n’abufe de leurs meilleures in-
tentiohs.
Kamhi , empereur de la Chine avoit toujours
foin de faire fervir fur fa table des vins
d'Europe. Un jour cet empereur ordonna à
un Mandarin, fon plus fidèle favori, de boire
avec lui. Le prince s’enyvra 8c tomba enfuite
dans un profond fommeil. Le Mandarin, qui
craignit les fuites de cette intempérance, paifa
dans l'antichambre des eunuques , & leur dit
que l'empereur étoit ivre} qu'il étoit à craindre
qu'il ne contractât l’habitude de boire avec excès
, que le vin agiroit encore davantage fur
fon humeur déjà trop violente , & que, dans
cet état , il n’épargneroit pas même fes plus
chers favoris j pour éviter un fi grand mal, ajouta
le Mandarin, il faut que vous me chargiez de
chaînes, & que vous me fafliez mettre dans un ;
cach o t, comme fi l’ordre étoit venu de l'empereur.
Les eunuquès approuvèrent cette idée
pour leurs propres intérêts. Le prince, furpris
de fe trouver feul à fon reveil , demanda ce
ce qu’étoit devenu fon compagnon de table ? On
lui répondit qu'ayant eu le malheur de déplaire
a fa majefté , on l'avoit conduit par fon ordre
dans une étroite prifon, où il devoit recevoir
la mort.
Le monarque parut quelque temps rêveur &
donna enfin ordre que le Mandarin fût amené.
Il parut chargé de chaines , & fe jetta aux
-pieds de fon maître comme un criminel qui
attend l’arrêt de fa mort. Qui t'a mis dans cet
état, lui dit ce prince ? quel crime as-tu com-
*mis ? mon crime, je l'ignore répondit le Mandarin
, je fais feulement que votre majefté m'a
fait jetter dans un noir cachot pour y être livré
à la mort. L'empereur tombe dans une profonde
ïévérie, il parut furpris 8c troublé. Enfin, re-
jettant fur les fumées de l’ivrefle, une violence
dont il ne confervoit aucun fouvenir, il fit ôter
les chaines aa Mandarin, 8c l’on remarque que
depuis il évita toujours les excès du vin.
V E R N E T , ( Jofeph ) peintre célèbre, né
à Avignon en 1 7 1 1 , mort à Paris en décembre
17S9.
(g l’ erfonne n’a repréfenté avec plus de chaleur
& de vérité les marines, le calme & la tempête
, les agitations de la mer , 8c les reflets de
la lumière fur une onde tranquille. Aucun peintre
n 'a mis plus de fraîcheur dans fes teintes, ri'a
exprimé avec plus d’art les différentes heures du
jour, 8c n'a mieux entendu la perfpe&ive aerienne.
Nul artifte n'a fait un plus grand nombre de
chefs-d'oeuvres, 8c n'a répandu plus de variété,
plus de richëfles , plus d’intérêt dans fes compo-
fiuons, 8c plus d'efprit dans fes groupes de Augures.
Il s'écoit expofé dans fa jeunefle aux plus
grands dangers, pour obferver la nature î il con-
fultoit le c ie l, loi fqu’il étoit en feu , 8c la mer
lorfqu'elle. éioit agitée. Dans un voyage il fe fit
attacher au mât du vaifleau, pour contempler
le ciel fulminant, les flots écumans, l'épouvante
de l’équipage : 8c lorfque les matelots &
les paflagers trembloient à t chaque inftant
d'être engloutis dans les abîmes, ou d'être foudroyés
par le tonnerre> Vernet dans l'extafe
s'écrtoit, quel fublime fpeétacle ! Que cela eft
beau ! Que cela eft raviffant ! 8c il deflinoit.
Pendant fon féjour à Rome, il examina tous
les fîtes de l’Italie ; il étôit toujours en préfence
de la nature dans ce beau climat. Il s'attacha
furtout à faifir les différents effets de lumière &
de clair-obfcur que les vapeurs de l'atmofphére,
8c les accidents des nuages occafionnent dans les
différentes^parties du jour. Des yeux exercés re-
connoiflent d ns fes tableaux 8c dans fon coloris
l'heure 8c le temps qu'il a choifis. Il s'é-
toit même fait pour fon ufage une forte de recueil
d’échantillons de lumières, 8c de couleurs qu'il
confultoit toujours avec fuccès.
Les ouvrages de ce maître ornent les palais de
tous les fouverains, 8c les cabinets de tous les
amateurs.
Il a peint les différents ports de mer de France ;
8c c'eft une des plus belles fuites de peinture 8c
des plus confia érables qui exiftent dans le
monde.
Un habitant de la campagne à qui on mon-
troit un matin un lever du foléil, un payfage
éclairé du foleil couchant, tels que Vernet
fait les réalifer*!, dit fans étonnement, 8c par le
pur inftinét du fentiment : « Eh c'elt ce que nous
voyons tous les jours dans nos campagnes.
La reine, étant allée voir l’expofition des
tableaux au falon du Louvre 8c ne voyant point
Vernet 3 entre les artiftes qui lui faifoient leur
cou r, le fit appeller 8c lui dit: « M. Vernet,
je vois que c’ eft toujours vous qui faites ici U
pluie 8c le beau temps.
On a beaucoup gravé d'après ce maître.
V E R T O T , (René Aubert de) né l'an i6j f ,
mort en 173 y. -
L'abbé de Vertot, fut d’abord capucin. Il
paffa enfüite dans d’autres ordres ; 8c changea
fouvent de bénéfice. On appelloit cela les révolutions
de l'abbé de Vertot
L ’hiftoire
V E R
L ’hiftoire des révolutions de Suède, fut fi efti-
tnëe à Stocholm même, que l ’envoyé qui étoit
/ur le point de paffet en France, fut chargé par
fes inftruélions de faire connoiffance avec l’au-
teù r , 8c de l'engager à entreprendre une hif-
toire générale de Suède. C et envoyé qui croyoit
trouver l’abbé Vertot à Paris dans les meilleures
compagnies, 8c répandu dans le plus grand
monde , furpris de ne le voir nulle part, s’informa
où il étoit. Ayant appris, alors que ce n'étôit
qu'un curé de village de Normandie, il rendit
compte de fa commiflion, d'une manière qui
fit échouer le projet.
’ On reproche à cet hiftorien d’avoir trop négligé
l’étude des hommes, 8c de ne s’être pas
mis allez au fait des affaires politiques qu'il avoit
à traiter.
L ’abbé de Vertot ne fe donnoît pas tou:ours
la peine de confulter les mémoires qu’on lui err-
voyo.it. Ayant un fiège fameux à décrire 8c les
inÛru&ions qu’il attendoit ayant tardé trop longtemps,
ii écrivit l’hiftoire du fiège, moitié
d'après le peu qu'il en favoit, moitié d’après fon
imagination. Les mémoires arrivèrent enfin. T en
fuis fâché y dit-il, mais mon fiege ejifait.
Le père Bouhotirsv bon jug e en fait de ftyle,
affuroit qu’il n’avoit rien vu en notre langue qui,
pour le ftyle, fut au-deffus des révolutions de
Suède 8c de Portugal > 8c le célèbre Boffuet,.plus
capable encore d’en juger, dit un jour au cardinal
de Bouillon, què c'étoit une plume taillée
pour la vie du maréchal de- Turenne.
J-orfque l'abbé de Vertot apportoit à TAcadé-
mié .des inferiptions dont il étoit membre , des
parties détachées de fes ouvrages hlftoriques, il
les lifoit -lui même. Mais à peine en avcit-il lu
quelques pages,, que s’unifiant infènfiblement à
fon fujet, il prenoit enfin réellement la.place du
héros s'abandonnant à toute l’impétuofîté de
fon courage, 8c ail oit jufqu’à perdre la refpîfa-
tion. On l’a vu de même s’attendrir,& verfer des
larmes avec la rnere de Coiiolan aux pieds de
fon fils/ •
Ce qui n'eft p'eut-être pas moins digne de remarque
, c ’eft que l'abbé de Vertot avoir près de
quarante cinq ans quand il compofa le premier
morceau d’hiftoire qu’jl a donné au public
qu'il en avoirplus de foîxante 8c dix quand il
acheva celle de Malthe, qui a terminé fa courfe
littéraire. Eloge de Vabbé de Vertot.
V E R TU . La vertu eft cette force morale
qui nous fait vaincre nos paflions , 8c même nos
.affections les plus naturelles , lorfque l’honneur
ou ïe devoir l'exige. La vertu , dit un fage , n’appartient
qu'à un être foible par fa nature, &
Encyclopcdiana,
V E R 5 2 *
fort par fa volonté : c'eft en cela que confifte
le mérite de l ’homme julte.
La jouiflance de la venu eft toute intérieure ;
8c la première réçompenfe de l’homme vertueux
eft le plailïr d'avoir bien fait. La niiféricorde divine,
dit le philofophe Sadi, avoit conduit un
homme vicieux dans une fociëté de religieux dont
les moeurs étoient faîntes 8c pures 5 il fut touche
de leurs vertus \ il ne tarda pas à les imiter 8c à
perdre fes anciennes habitudes : il devint julle ,
fib re , patient, laborieux 8c bien fai Tant. On ne
pouvoit nier fes oeuvres, mais on leur donnoit
d.s motifs odieux ; 01» vantoit fes bonnes a étions ,
8c on méprifoit fa perfonne ; on vouloir toujours
le juger par ce qu'il avoit é té , 8c non jpàr ce qu’il
étoit devenu. Cette injuftice le pénétroit de douleur
j il répandit fes larmes dans le fein d'un
vieux folitaire plus jufte 8c plus humain que tous
les autres. « O mon fils ! lui dit le vieillard, tu
vaux mieux, que ta réputation : rends grâces &
Dieu. Heureux celui qui peut dire : mes ennemis
8c mes rivaux cenfurent eu moi des vices
que je n'ai pas ! Que t’importe, fi tu es bon ,
que les hommes te pourfuivent, 8c même te
puniflënt comme méchant? N'as-tu pas, pour'
te confoler, deux témoins éclairés de tes actions
? Dieu & ta confidence ». •
Les hollandois a voient formé un établiffement
confidérable dans rifle Formofe. Le chinois
Conixa arme, en 1661, pouf les en chafîer âc
prend, à la defeente, Hambrock leur miniftre ,
qui eft choifi entre les prifonniers pour aller au
fort de Zélande déterminer les aflîégés à capituler.
Incapable de déguifer fes fentimens i il
les exhorte au contraire à tenir ferme, 8c leur
prouve qu'avec beaucoup de confiance ils forceront
l'ennemi à fe retirer : la garnifon qui ne
doutoit pas que cet homme généreux , de retour
au camp t, ne fût mafiacré, fait les plus
grands eftortsVyvout le retenir; ces inftances
font tendrement appuyées par fes deux filles qui'
étoient dans ia place. «J’ai promis, dit-il, d’aller
reprendre mes fers, il faut dégager ma parole;
jamais on ne reprochera à ma mémoire, que pour
mettre mes jours à couvert, j'aie appefanti le joug
8c peut-être caufé la mort ,dcs compagnons de -
m^n infortune ». Après ces mots, il reprend,,
accompagné de fa feule vertu,. le- chemin du camp
chinois.
L ’hiftoire des conquêtes des portugais dans le
Nouveau-Monde, nous fournit un exemple de-
fermeté 8c de vertu. Le Père de Lanrieufe , fraa-
eifeain, ayant été pris par les indiens-, avec plu-
fleurs officiers, demanda qu'on le laifsat partir
pour aller traiter lui-même de l'échange des pri-
lonniers. Le roi de Cambaie paroiftant inquiet du
retour, le religieux détacha fon cordon, 8c le
lui mit en main , comme le gage le plus afîuré de.
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