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pâtre qu’il aimoit, s’étoit donné la mort, & voyant
jEros, Ton affranchi, qui fe poignarda & lui jetta Ton
épée } Eft-il pojfible , s’écria ce guerrier , que j'a p prenne
mon devoir d'une femme 6* d'un affranchi. En
difant ces mots, il fe plongea le poignard dans le
fein. Il eut encore le temps de fe traîner fous la
fenêtre de Cléopâtre , de fe faire enlever dans
fon appartement par des cordes 8cdes chaînes
qu’on lui jetta. Je meurs fa tisfa it , d i t- il , puijque
f expiré entré les bras de ma chere Cléopâtre.
Céfar s’étoit attaché à Antoine , parce qu’il le
vo y oit livré aux plaifirs : je ne redoute point 3 difoit
Céfar, un voluptueux dont les mains cueillent des
fleurs & n aiguifent point :de poignards.
A N T O N IN LE P IE U X , empereur romain,
mort en 161, âgé de foixante-treize ans.
Nul fafte ne l’environnoit. Sa taille étoit grande,
majeftueufe, fon air de tête annonçoit toute la
beauté de fon ame , Paufanias dit qu’il ne méri-
•îoit pas feulement le titre de pieux 5 mais encore
Celui de père des hommes.
Quelques fénateurs ambitieux avoient confpiré
contre lui. Il ne put dérober leur chef à la vengeance
du fénat, qui le profcrivit > mais il arrêta
.toutes recherches contre fes complices. « Je neveux
» point, dit-il, commencer mon gouvernement par
*» des adtes de rigueur : ce ne feroit point une
A chofe qui put me faire honneur ou plaifir , s’il
» fe trouyoit par les informations , que je fulfe
» haï d’un grand nombre de mes concitoyens. »
Il répétoit avec complaifance ces paroles de Sci-
pion l’Africain : « J’aime mieux conferver un feul
.» citoyen, que de tuer mille ennemis. »
Les injures n’étoient point capables d’altérer la
' douceur naturelle de ce prince. Dans une emeute
populaire , occafionnéè par une famine , quelques
-Séditieux s’étant préfentes à lu i, au lieu de venger
l ’autorité outragée , il defcendit à leur rendre
compte des mefures qu’il prenoit pour foulager la
mifère publique j & il ajouta un fecours effectif en
faifant acheter à fes dépens, des bleds , des vins,
des huiles qu’il diftribua gratuitement aux pauvres
citoyens.
Un a&eur de tragédie alla demander vengeance à
rAntonin contre le fophiftePolémon , homme très-
emporté. Il fe plaignoit de ce qu’il l’avoit chafle
du théâtre. « Quelle heure étoit-il, dit l’empereur,
,*> lorfqu’il vous a chafle? Il étoit midi, répondit
, » I’a&eur. Eh bien, reprit Antonio, 3 il m’a chafle
» de fa maifon à minuit, & j’ai pris patience.,»
En effet, Antonin étant proconful fut objigé de
quitter fon logement au milièu de la nuit.
Lorfqu’il lui falloir ufer de, févérité, c’étoit toujou
r s en y mêlant quelque adoueiflèment. Unmem-
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bre du fénat avoit été convaincu de parricide, &
le coupable avoit lui-même avoue fon crime.
Comme il n’étoit pas pofliblè de fauver la vie à
un tel monftre , l’empereur , pour épargner au
moins à fes yeux l ’horreur du fupplice , fit transporter
le criminel dans une ille deferte, afin qu’il
y pérît de faim & de misère.
Lorfque l’empereur Antonin fut nommé Céfar,
il diftribua la plus grande partie de fes biens à fes
amis. Sa femme, qui étoit avare, lui en ayant fait
des reproches : « Songez, lui répondit-il, que, du
» moment où nous avons été placés fur le trône,
» ce que nous poffédions a ceffé d’être à nous. »
Lorfqu’il fut atteint de la maladie dont il mourut
, il eut des momens de délire, & on a remarqué
qu’il fe mettoit alors en colère j mais ce n’ é-
toit que contre les princes qui vouloient déclarer
la guerre à fon peuple. Quelqu’ un lui ayant alors
demandé le mot du ralliement, il répondit : squa-
nimitas , la tranquillité. Il fe rétourna auflï-tôt,
& mourut aufli paifiblement que s’il n’eût fait que
s’endormir.
ANVERS. Pendant que les elpagnols faifoient,
en 1585 , le liège très-long , très opiniâtre & très-
meutrier d'Anvers , il arriva une petite circonftan-
ce qui produifit un grand événement.
Une femme de condition de la ville eft malade,
& a befoin pour fa guérifon , de prendre du lait
d’âneffe. Comme il n’ eft pas pofliblè d’en trouver
dans la place , un jeune nomme s’ offre d’en aller
chercher une dans le fauxbourg , quoiqu’il foit occupé
par les afliégeans j en effet il l’amenoit, lorfqu’il
eft pris 8r conduit au duc de Parme.
C e général traite le jeune homme avec bonté ,
loue l’honnêteté de fon entreprife, fait charger
l’âneffe de perdrix, de chapons, de tout ce qui
peut être utile à une malade, ordonnant que tout
foit mené à la dame, 8c qu’ on dife au confeil & au
peuple d'Anvers , qu’il leur fouhake toutes fortes
de profpérités.
Cette générofîté du duc de Parme , à laquelle
on ne s’ attend pas, fait une révolution générale
en fà faveur. Il eft décidé qu’il faut lui envoyer au
nom du public , des confitures & le meilleur vin
qui foit dans la ville. Les efprits s’adouciffent in-
fenfiblement par ces attentions mutuelles : on s’accoutume
à penfer que les éfpagnols ne font pas
aufli féroces qu’on l’a cru. Cette opinion fait qu’on
ne pouffe pas la réfiftance aufli loin qu’on l’aurôit
fait fans cela, & qu’il y a beaucoup de maux d’ é-
vités pour les afliégeans & pour les afliégés«.
La prife de cette importante placé caufà une
fi grande joie à Philippe I I , qu’en ayant appris
la nouvelle, pendant la nuit, il ya fuj-le-chinp a
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tout myftérieux & tout auftère qu’ il eft, frapper 1
à la porte de fa fille IfabeUe , en criant -. Anvers ■ efi a nous.
A PARTE. C'a pane eft une des licences accordées
à l’art dramatique, pour la vraifemblance
de laquelle on fuppofe que l’aéteur qui parle a
parte, n’eft point entendu de celui avec lequel il
eft.en fcène , quoiqu'il doive l’être, & qu ille foit
en effet du fpeélateur, qui eft beaucoup plus éloigné
du théâtre. Il faut réfléchir pour fe prêter a
cette licence, que le fpeétateur n’ aflîfte au fpe&a-
cle que ,pour ainfi dire, en elprit, & que les per-
fonnages qu’il vient y voir, font fenfés ignorer qu il
eft préfent. Cette réflexion „devroit fur-tout conduire
les aéleurs à éviter le contre-fens absurde,
qu’ils ne font que trop fouvent en adreffant 1 a-
parte au public , qu’ils ne devroient point apper-
cevoir.
L ’anecdote fuivante prouve que quelquefois I a-
parte ne fort point des règles de la vraifém-
blance.
La Fontaine , Boileau. , IA.oliere & d autres
beaux-eiprits, raifonnoient fur les à parte , que
plufieurs perfonnes trouvent peu naturels , peu ne-
ceffaires. La Fontaine fe déclaroit contre, & s é-
chauffoit beaucoup pour en prouver le peu de vraifemblance.
Pendant qu’il parloit avec tant de vivacité
, Boileau , qui étoit à côté de lui, difoit tout
haut : le butor de La Fontaine ! l'entêté, l'extravagant
que ce La Fontaine J &c. Et la Fontaine pour-
fuivoit toujours fans l ’entendre. Tout le monde
feprit à rire, 8cLa Fontaine en demandant la caufe :
« Vous déclame£ , --lui dit Boileau , contre^ les a
parte ; 6* il y a une heure que je vous débite aux
ac oreilles une kyrielle d'injures 3 fans que vous y aye£
» fa it attention. »
APE L LE, peintre grec , vivoit du temps
d’Alexandre-le-Grand.
Apelle , au rapport de Pline, avoit réuni au
plus haut degré de perfection toutes les parties
qui forment le grand peintre.
Apelle avoit pour maxime qu’ un peintre , jaloux
de fa réputation, ne doit laiffer paffer aucun
jour fans deïïiner j Nulia dies fine linea.
Un peintre fe glorifioit devant lui dé peindre
fort vîte 5 on s'en apperçoit bien ,, lui répondit
Apelle.
Un autre artîfte lui montroit une Vénus revêtue
d’habîllemens fuperbes , & lui demandoit d un air
content ce qu’il en penfoit. Je v o is , lui dit Apelle,
que. n ayant pu faire ta Vénus belle, tu Cas fa it
riçhe»
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Après la mort d’Alexandre, il fe retira dans-
les états de PtoLemée, auprès duquel il ne trouva
pas le même appui contre l’envie qui le perfécu-
toit » car ayant été accufé d’une confpiration contre
ce prince, il alioit être condamné à mort,
quoiqu’innocent, ,fi l’ un des complices n’eût prévenu
cette injuftice par fa déclaration. Echappé
de ce danger, il fe retira à. Ephèfe , où, pour fe
venger de fes ennemis, il fit fon chef-d’oeuvre, le
tableau de la Calomnie. Pline nous eh a confervé
[’ordonnance. On y voyoit la crédulité avec de
longues oreilles, tendant les mains à la calomnie
qui alioit à fa rencontre. La crédulité étoit accompagnée
de l’ignorance & du foupçon ; l’ignorance
étoit repréfentée fous la figure d’ une femme
aveugle ; le foupçon, fous celle d’un homme
agité d’ une inquiétude fecrette, & s’applaudiffant
tacitement de quelque découverte. La calomnie, .
au regard farouche, occupoit le milieu du tableau ;
elle fecouoit une torche ae la main gauche, 8e: de
la droite, elle traînoit par les cheveux l’innocence
fous la figure d’un enfant qui fembloit prendre le
ciel à témoin 5 l’envie la précédoit, l’envie aux yeux:
perçans & au' vifage pâle &. maigre 5 elle étoit fui-
vie de l’embûche 8e: de la flaterie. A une di^arice
qui permettoit encore de difeerner les objets, on
appercevoit la vérité qui s’avançoit lentement,
conduifant le repentir en habit lugubre. Cette
belle compofition feroit encore honneur à un habile
pientre qui fauroit l’exécuter.
Le même auteur parle du portrait du roi Antigone,
qui étoit borgne , & qu Apelie peignit
de profil , pour cacher fa difformité.
Alexandre-le-Grand, critiquant quelques tableaux
d’Apelle, ce peintre lui dit franchement ;
« Seigneur, aufli-tôt que vous avez voulu juger
« de mes ouvrages, les apprentifs même qui
» broyoient mes couleurs n’ont pu s’empêcher de
rire.
' Apelle rencontra un jour la courtifane Phryné,
encore toute jeune, qui, portant une cruche
d’ èau , revenoit du Pyrée î il fut tellement épris»
de fa beauté naiffante, qu’il l’amena fouper
avec lu i, 8c avec plufieurs de fes amis. Comme
on le plaifantoit fur l’extrême jeuneffe de Phryné r
~ « Je vous prédis, leur dit-il, qu’ elle effacera
» toutes les beautés d*Athènes , & je vous pro-
M mets que cet enfant verra quelques jours à fes
» pieds des vieillards & des fages »,
Apelle furprit un jour cette Phryné, qui, venant
de fe baigner, n’étoit feulement couverte que
de fes cheveux, dont l’ébène éclatant relevoit
la blancheur d’une peau admirable. Apelle r rentré
chez lui, l’ame remplie de ce charmant fpec-
tacle, & vivement amoureux de Phryné , conçut
l’idée de peindie fa fameufe Vén&s fortant de:|