
ÿ6a Z E U
quoi il admirôît tant Zenon II répondit : >j que
c’étoit parce que cephilofophe, malgré les grands
préfens qu'il avoit reçus de la cour de Macédoine,
n'en étoit devenu ni plus orgueilleux, ni
plus humilié.
Les Athéniens lui firent ériger après fa mort un
monument public, non moins honorable pour ce
peuple que pour le philofophe, Le décret qui décer-s
noit ces honneurs extraordinaires , portoit, « que
c ’étoit afin que tout le monde fût que les Athéniens
avoient foin d’honoret les gens d’un mérite diftin-
gué & pendant leur Vie & après leur mort».
On admettoit dans l’école de Zenon, qu’ il n’y
avoit rien de honteux dans les chofes naturelles,
principe vrai en fo i, mais dont la malignité s’elt
plu à tirer des conféquences odieufes, pour tourner
en ridicule la philofophie de Zenon. Son do-
meftique abufant d’un autre principe de cette philofophie,
qui étoit que nous fommes fournis à une
deftinée inévitable , fuivoit fon penchant pour le
v o l, Zenon le châtia. Ce domeftique lui difoit
pour excufe, qu’il étoit deftiné à dérober. Ouia
lui répondit Zenon, & à être battu».
Z E U X IS , peintre grec, florifloit vers l’an 400
avant Jtfus-Chrift.
Zeuxis fut le rival de Timanthe, de Parrhafius
& d’Appollodore, dont il avoit été le difciple. Il
les égala dans le deffin, & les furpaffa dans la
pratique du coloris & du clair-obfcur que Pline
appelle la porte de la r t , & qui en eft proprement
la magie. On a beaucoup loué la vérité & le
relief avec lequel il rendoit les objets.
Zeuxis avoit repréfenté des raifins dans une
corbeille avec une fi grande vérité, dit-on, que
les oifeaux féduits venoient becqueter fes grappes
peintes. Parrhafius lui difputant le prix de la peinture,
Zeuxis produifit ce tableau qui avoit trompé
les animaux même. Parrhafius lui en oppofa un
de fa compofition. Zeuxis impatient de le v oir ,
s’écria : Tire^ donc le rideauy & c’étoit ce rideau
qui faifoit le fujet de fon tableau. On ajoute que
Zeuxis s’avoua vaincu, parce qu'il n’avoit trompé
que des oifeaux, & que Parrhafius l’avoit féduit
lui-même. Voila les petites hiftoriettes avec lef- |
quelles Pline amufefon ledleur, & prétend prouver
le talent fupérieur de Zeuxis.
Perrault, dans fon Parallèle des anciens & des
modernes, rapporte quelques autres furprifes pareilles,
& peut-être encore plusfingulières., mais
qui ne prouvent pas davantage l’excellence des
talens de l’ artifte. « Il y a quelque temps, dit-il, i
qu’on avoit.mjs fçcher dans la cour de M. le Brun,
(premier peintre du roi) un tableau, nouvellement ;
peint, oii H y avoit fur le devant un grand chardon
repréfenté d’après nature. Une bonne femme vint
à paiïer avec fon âne, qui, ayant yu le chardon, ,
Z É U
entre brufquement dans la cour, renverfe la
femme qui tâchoit de le retenir par fon licou } &
fans deux forts garçons qui lui donnèrent chacun
quinze ou vingt coups de bâton pour le
faire retirer, il auroit mangé le chardon : je dis
mangé, parce qu’étant nouvellement fa it , il
auroit emporté toute la peinture avec fa langue.
Une infinité d’oifeaux fe font tués contre le ciel
de la perfpe&ive de Ruel, en voulant paffer outre,
fans qu’on en ait été furpris. Cent fois,
ajoute encore'Perrault, des cuifiniers ont mis la
main fur des perdrix & fur des chapons naïvement
repréfentés pour les mettre à la broche : qu’en
eft-il arrivé ? on a r i, & le tableau eft demeuré à
la cuifine ».
Pline donne à Zeuxis une louange plus noble,
plus délicate & plus capable de faire connoître les
talens fublimes de cet artifte, lorfqu’en parlant
de fon tableau de Pénélope , il dit quil avoit peint
les moeurs de cette reines
Zeuxis ne fe piquoit pas d’achever prompte*1
ment fes ouvrages y & comme quelqu’un lui reprochoit
fa lenteur, il répondit qu’à la vérité il
étoit long-temps à peindre, mais qu’il peignoit
pour l’éternité.
Ses tableaux étoient fi recherchés, qu’il acquît
des richeffes immenfes en très-peu de temps > &
dans fes dernières années il ne vendit plus fes tableaux
, parce qu’aucun p r ix d i fo i t - i l , n’étoic
capable de les payer.
Appollodore, autrefois le maître de Zeuxis, &
devenu fon rival, cherchoit à critiquer fes ouvrages.
L’ élève, pour répondre à ces critiques î
déploya tout fon art dans la repréfentation d’un
athlète. Il avoit fait mettre au bas du tableau un
vers grec qui fignifioit : On le critiquera plus facilement
quon ne limitera. Tous ces traits prouvent
que fi Zeuxis étoit le premier artifte de fon fiècle,
il n’étoit pas le plus modefte.
Pline & Lucien ont donné la defcription de
plufieurs de fes tableaux. Il paroit que le plus important
étoit fon Hélène, qu’il peignit pour être
placé dans le temple de Junon à Crotone. Zeuxis
avant de compofer ce tableau, fit venir devant
lui les plus belles filles de la ville, & en choifit
cinq qui lui offroient chacune des beautés différentes.
L’artifte, en raffemblant ces beautés dans
fon Hélène, préfenta aux Grecs étonnés cette
beauté fuprême qui ne fe trouve point dans la
nature, ou.qui ne s’y trouvé* que difperfée dans fon
tout.
Les Crotoniates, jaloux de la belle Grecque que
le pinceau de Zeuxis avoit,fait naître parmi eux,
ne la firent d’abord voir que difficilement & pour
de l’ argent ; ce qui donna lieu à quelques mauvais'
plaïfans d’appeller ce portrait, Hélène la cour-
tifane.
Z E U
Nicomaque ne pouvoit fe lafter d’ admirer ce
chef-d’oeuvre. Il paffoit régulièrement une heure
ou deux chaque jour à le confidérer. Un de ces
hommes froids, & incapables d’éprtmver la moindre
émotion à l'afpeét du beau, remarquoit des
défauts dans la compofition de ce fameux tableau.
Prenei mes yeux, dit Nicomaque aucenfeur, &
vous verreç que ceft une divinité.
Zeuxis fe plaifoit beaucoup à faire oftentation
de fon.extrême opulence. Il aimoit à paroître vêtu
magnifiquement, fur-tout dans les occafions d’é-
Z E U jiifj
cl at : aux jeux Olympiques, il fe montroit à toute
la Grèce, couvert d’une robe de pourpre, avec
fon chiffre tracé en lettres d’or fur l’ étoffe.
Zeuxis mettoit au pied de fon lit le portrait de
fa maîtrefle, nommée Lucia, & ne s’endormoit
qu’après avoir long-temps confidcré cette pré-
cieufe image, afin de l’avoir préfente à fon imagination
jufques dans le fommeil.
Verrius Flaccus, cité par Feftus, rapporte que
le dernier tableau de Zeuxis fut le portrait .d’ un*
vieille qui lerfit tant rire qu’il en mourut.
F I N.