
les avis ne furent point partagés ; le fuffrage unanime
déclara Jean Campegereftaurateur des belles*
lettres, & l’on choifit une députation pour fup-
plierce favant de vouloir bien agréer la place que
lut offroit une des premières cités de l’Italie. Il fe
rendit donc à Padoue > & » quand il fut près d'entrer
dans cette ville, on vit tout le peuple fortjr
en foule à fa rencontre , le combler de béné-
diétions, remplir l'air d’acclamations flatteufes,
& le conduire comme en triomphe dans la mai-
fon qu’on lui avoit préparée. Jamais le favoir n’ a-
voit été lî bien honoré, .& jamais favant n’avoit
tant mérité de l’être.
ESCADRON. Henri IV ayant fait placer à fes
côtés le nonce du Pape, lors d’un ballet que donna
Marie de Médicîs, dans lequel danfoient quinze
des plus belles femmes de la cour, lui dit : monfieur
le nonce ,7* n’ai jamais vu de plus bel efcadron ,
ni de plus périlleux que celui-ci.
ESCHYLE,poète tragique, d’une famille illuftre
d’Athènes, mort vers l’an 477'avant Jéfus-Chrift.
De quatre-vingt dix-fept pièces qu’ il avoit com-
pofées, il ne nous en relie que fept.
Efchyle eft le réformateur dû théâtre chez les
grecs. C e poète donna à fes aéleurs un malque
& des habits décens j il leur fît prendre une
çhauffure haute appellée cothurne , & les plaça
fur un théâtre permanent, au lieu du charriot
ambulant dont Thefpis fe fervoit. Sa poèfie a de
l’élévation & de l’énergie > mais il n’a pas fu toujours
éviter l’ enflure & le gigantefque. Son imagination
embrâfée n’enfante que trop fouvent des
figures hors de toute proportion. Ses tableaux font
quelquefois fublimes, mais jamais tendres & tou-
chans. Sa plume n’étoit propre qu’à peindre la fureur
& l’emportement.
Les magiftrats d’Athènes rendirent une loi à
Toccafion de fa tragédie des Euménides, pour
obliger les auteurs tragiques de réduire à quinze le
nombre des aéteurs qui compofoient les différents
choeurs de leurs pièces. Efchyle avoit introduit
dans le choeur de cette tragédie des Euménides ,
«cinquante perfonnes dont les habillemens plus
affreux les uns que les autres, préfentoient les
images les plus horribles. On rapporte même qu’une
iepréfentation de cette pièce jettaun fi grand effroi
parmi les fpeélateürs, que plufieurs enfans moul
e n t , & que des femmes enceintes avortèrent.
C e poète , qui ne favoit pas toujours modérer
fon enthoufiafme, fut cité en jugement pour avoir,
dans une de fes tragédies, lancé des traits envenimés
contre les myftères de la^ déeffe Cérès. On
alloit le condamner comme impie envers les dieux,
lorfqu Amynias fon frère, qui avoit pris fa dé-
f ç n fe 3 rctrouffant- fa manche, fit voir au peuple
aflemblé un bras mutilé au fervice de fa république*'
Efchyle lui-même avoit fignalé fa bravoure dans
les batailles de Marathon, de Salamine,de Platée.
La mémoire de ces actions & la tendreffe que fe
témoignoient les deux frères firent imprefïion fur
les juges, & le jugement ne fut pas prononcé.
Efchyle fe retira dans fa vîeilleffe à la cour
d’Riéron , roi de Syracufe, pour y chercher des
admirateurs que le jeune Sophocle lui enlevoit à
Athènes. -Sophocle avoit même remporté le prix
de la tragédie fur Efchyle. Ce prix avoir été établi
pour honorer une fête qui fe célébroit alors. On
avoit nommé des juges de chaque trjbu , & c’étoit
la première pièce que Sophocle donnoit au théâtre.
Quel terrible coup pour un vieux athlète, tout
couvert de gloire, & fier de plufieurs triomphes
poétiques ! Efchyle en appella au jugement de la
poftérité. Jeconfacre, difoit-il, mes pièces au temps.
Mais la poftérité ne lui a pas été favorable.
On préténd qu’Efchyle s’échauffoit la verve en
s’enivrant i cela donna lieu à Sophocle de dire de
ce poète , q^ie « s’il faifoit bien, c’étoit fans favoir-
»? ce qu’il faifoit. » On ne fortoit de fa pièce des
Sept Chefs devant Thèbes, qu’ avec la fureur de
la guerre dans le fein. On difoit pour cela qu’elle
lui avoit été diétée par le dieu Mars. .
Dans les Cabires, tragédie perdue d3Efchyle ,
l’auteur ofa faire paroître Jafon ivre fur la fcène.
« C e poète, dit Athénée, vouloit confacrer fon
» penchant à l’ivrognerie par l’exemple de fes
» héros*
Un oracle avoit prédit à Efchyle qu’il, périroit
par la chute d’ une maifon ; & ce poète , pour en
I retarder Taccompliffement, fe promenoit toujours
en rafe campagne. Un jour qu’il dormoît au fo-
le il, un aigle laiffa tomber une tortue fur fa tête
chauve qu’il prenoit pour la pointe d’une rocher ,
& le tua du coup. Cette anecdote ou ce conte ,
comme on voudra l’appeller, eft rapporté par le
fcholiafte &Efchyle, Pline, Suidas & Valèrç
Maxime.
ESCLAVE. Un efclave portugais, qui avoit
déferté dans les bois, ayant fu que fon maître
étdit arrêté pour un affaflînat, vint s’en accufer
lui-même en juftîce, fe mit dans les fers à la place
du coupable, fournit les preuves fauffes, mais
juridiques, de fon prétendu crime» & fubit le der-*
nier fupplice.
Un efclave qui a long-temps échappé aux châtH
mens , infligés trop facilement & trop fouvent à
fes pareils » eft infiniment jaloux de cette diftinc-
tion. Quazy (nègre) qui craignoit l’opprobre plus
que le tombeau, Ôc qui ne fe flattoit pas de taire
révoqués
révoquer pat les fuppîications l'arrêt prononce
contre lui, fortit à l’éntrée de la nuit pour aller
invoquer une médiation puiffante. Son maître sen
apperçut malheureufement & voulut 1 arrêter. On
fe prend corps - à - corps. Les deux champions
adroits & vigoureux luttent quelques momens avec
des fuccès variés.
L ’efclave terraffe à la fin fon inflexible ennemi
le met hors d’état de fortir de cette fitua-
tion fâcheufe^ & lui portant un poignard fpr le
fein, lui tient ce difcours. « Maître, j'ai été :
» élevé avec vous, vos plaifirs ont été les miens. !
» Jamais mon coeur ne connut d’autres intérêts ,
» que les vôtres. Je fuis innocent de la petite
a faute dont'on m’accufe; & quand j’ en aurois
s» été coupable vous auriez dû me la pardonner, i
s» Tous mes fens s’indignent de l’ affront que vous '
w me préparez j & voici par quels moyens je veux
»> l’éfiter- « En difant ces mots, il 'fe coupe la :
gorge & tombe mort fans maudire un tyran qu’il
baigne de fon fang.
ESOPE. Il étoit de Phrygie, & vivoit vers l’an
576 avant Jéfus-Chrift , du temps de Solon, Ié-
giflateur d'Athènes.
Efope naquit dans l’efclavage, mais fon ame affranchie
des paflions, refta toujours libre. Sa phi-
lofophie étoit douce , enjouée & à la portée de |
tout le monde. Inftruit de bonne heure que les :
hommes font tout de glace pour la vérité, mais
tout de feu pour le menfonge, il enveloppa fes j
leçons fous le voilé de la fable, & orna fes pré- i
ceptes des agréméns de la fiétion. Il prêta un langage
aux animaux & des fentimens aux. plantes ,
aux arbres & à toutes les chofes inanimées. Il
parvint, par cet ingénieux artifice, à faire goûter
. fes leçons des enfans mêmes qui, attirés par les
images qu’elles préfentent, les écoutoient avec
plus d'attention.
Tous les hiftoriens ont pris plaifir à peindre la
figure de ce fabulifte philofophe avec les traits les
plus difformes que, peut fournir la nature. Peut-
être ont ils efpéré de donner par-là plus de relief
à fon efprit.
Ghilon , 'un des fept fages de Grèce , deman-
doit à Efope quelle étoit l’occupation de Jupiter?
D ’abaijfer les chofes élevées, lui répondit le fabulifte,
6? d’élever les chofes baffes. Bayle trouve dans
cette réponfe l’abrégé de Thilloire humaine.
Efope pour faire entendre que la vie de l’homme
eft remplie de beaucoup de misères, & qu’un
plaify eft accompagné de mille douleurs, difoit
que Prométhée ayant pris de la boue pour en
former & pétrir l’Homme , il la détrempa non avec
de l ’eap, mais avec des larmes*
Encyclopédiana9
Gré fus, toi de L yd ie , appella auprès de lui
Efope, & ce fage ingénieux fut fe faire écouter
dans une cour corrompue , pendant que Taulière
Solon s’y trouva fans amis & fanspartifans. C e fut
à cette occafion que le fabulifte dit au légiflateur
d’Athènes : « Solon , n’approchens point des
» rois, ou diforis-leur des chofes qui leur foient
” agréables.
Efope quitta la cour de Lydie pour voyager dans
la Grèce. Témoin des murmures des Athéniens
qui fupportoient impatiemment le joug que leur
avoit impofé le tyran Pififtrate, il leur récita la
fable des grenouilles qui demandent un roi à Jupiter*
Il parcourut l’Egypte , la Perfe , & feina par2*
tout fon ingénieufe morale. De retour en G rè ce , il
vifita les Delphiens ; mais ce peuplé qui n’avoit
point apparemment lu les apologues de notre fabulifte
, s’occupa plus à confidérer la forme du
vafe, que la liqueur qu’il renfermoit ; les Delphiens
fe mocquèrent de fa figure. Efope, irrité,
les compara aux bâtons qui flottent fur Tonde ;
on s’imagine de loin que c’eft quelque chofe de
confidérable, de près on trouve que ce n’eft rien.
Mais cette raHlerie lui coûta cher, & dut lui ap->-
prendre que lï la providence veut que nous n’ayons
que des paroles de foie pour les rois, elle exige
auffi que nous nous abftenions d’en avoir d’offen-
fantes pour les peuples; On lui fufçita des crimes,
& il fut condamné à être précipité d-’un rocher.
Un certain Planude, moine grec, auteur d’une
vie d’Efope, où plutôt d’un mauvais roman fut1
ce fabulifte Phrygien, nous le repréfente fous la
forme la plus burlefque ; il lui refüfe même le
libre ufage de la parole, & afin de rendre encore
ce perfonnage- plus ridicule , Thiftorien lui prête
fes niaiferies & fes-bons mots. La Fontaine en a
adopté plufieurs dans la yie qu’il nous a donnée du
fabulifte grec.
Un marchand qui, entr’ autres denrées , trafi-
quoii d’eiclaves, alla à Ephèfepour fe défaire de
ceux qu’il avoit, parmi lefquels fe trouvoit Efope
le Phrygien. Ce que chacun d’eux devoit porter
pour la commodité du voyage fut départi félon
leur emploi & félon leurs forces. Efope pria que l ’on
eût égard à fa taille, qu’il étoit nouveau venu, &
devoit être traité doucement. T u ne porteras rien,'
fi tu veux, lui répartirent fes camarades. Efope le
piqua d’honneur, & voulut avoir fa part comme
les autres. On le laiffa ’ donc choifir. Il prit le
panier au pain , c’étoit le fardeau le plus péfant.
!■ Chacun crut qu’il i’avoit fait par bêtife; mais dès
la dïnée, le panier fut entamé, & le Phrygien
déchargé d’autant : ainfi le foir , & de même le
lendemain $ de façon qu’au bout de deux jours il
marchoit à vuide. Le bon Cens & le raifonnemens,
G S g .,