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•Réchappai' une fo is , & étant allé Te cacher au-
deffus de la chaire du prédicateur, il ne fe
montra que quand Ton maître commença à prêcher.
Pour lors il-s^affit fur le bord, & regardant
les gcftes que faïfo,ic le prédicateur , il les imitoit
dans le moment avec de grimaces & des poftures
qui faifotent rire tout le monde. Le père Cabanon,
qui ne favoit pas le fujet d’une pareille immoc’ef-
t ie , entreprit d’aberd ^auditoire avec affez dé
douceurmais voyant que les éclats de rire augm
en ten t au lieu de diminuer, il entra dans une
fainte colère. Ses mouvemens, plus-animés qu’ à
l’ordinaire, firent augmenter les poftures & les
grimaces du finge3 & le rire de l’affemblée. A la
fin, quelqu’ un avertit le prédicateur de i-egarder
au-defïus de fa tête ce qui s’y paffoit. 11 n’eut pas
plutôt apperçu le manège de fon finge3 qu’il lie
put s’empêcher de rire comme les autres , &
comme il n’y avoit pas de moyen de prendre cet
animal, il aima mieux abandonner le relie de fon
difeours, n’ étant plus en état de continuer, ni
les auditeurs de l’écouttr.
S IX TE V , pape, & l’un des hommes célèbres
du feizième fiècle, né en 152 1 , mort en
i j 90.
Son père, qui étoit un vigneron fort pauvre,
ne pouvant le nourrir, l’avoit mis très-jeune entre
les mains d’un laboureur, qui lui donna le foin
de conduire fes brebis, il s’acquitta mal.de cet
emploi ; on le punit en lui faifant garder les cochons.
Un jour qu’il conduifoit ces animaux, il
-apperçtit un religieux de l’ ordre de Saint-François
qui, fe trouvant entre plufieurs chemins, ne fa-
voit lequel prendre. Félix , c’étoit fort nom, courut
à lui; & non-feulement lui indiqua la route
d^Afcoli, où ce religieux alloit prêcher le carême,
mais voulut encore l’accompagner. Les ré-
por.les vives & ingénues de cet enfant préve-
noient en fa faveur. Le religieux lui permit dé le
furvre, & le conduifit au couvent des cordelitrs
d’Afcoli. Félix y obtint bientôt, à force de prières
& de larmes, l’habit de frère convers. On lui
apprit à lire & à écrire ; il étudia la grammaire,
& montra de fi heureufes difpofitions, qu’on le
reçut enfin au nombre des novices. Son humeur
altière & chagrine le fit haïr de fes inférieurs, de
fes égaux :&-;de fes fupérieurs. Ceux-ci le punirent
fou vent * & furent plufieurs fois, fur le point de le
chaffer de l’ordre. On a rapporté ce trait de fon
cara&ère violent. Quelques religieux, pour le
mortifier, eontrefaifoient le cri de cochon aufli-
tôt qu’ils l’appercevoient. Frère Félix fouffrant
impatiemment çette plaifanterie cruelle^, dit tout
haut qu’il cafferoit da tête -à celui qui lut feifôit
cette in fuite,. Il fe faifît âufli-tôt d'uri gros bâton
où étoient attâchéés les dëfs de î’églife. Le neVeu
du provincial-, peu effrayé de ces menacés, s’a-
vifit de répéter les mêmes cris. Frère Félix Courut
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à lui, en lïii difant : Pulfque tu imites fi malle
cri du cochon, c’eft à moi à te l’apprendre, &
lui déchargea en même temps le paquet de clefs
fur la tête. Le coup fut fi violent, que le pauvre
religieux tomba prefque mort. Félix fut mis eu
prifon ; mais comme il avoit été le premier in-
fulté, il obtint enfin fa grâce.
On a lieu de s’étonner , en lifant fon hiftoire,
que, malgré les brigues & les efforts de fes ennemis,
malgré la pétulance & l’indocilité de fon
caractère, il ait fu , par fort mérite & fon adreffe,
franchir tous les obllacles, & s’élever de gracie en
grade jufqu’au généralat : il obtint enfuite un évêché
, puis le cardinalat. Il avoit changé fon nom
de Félix Peretti eh celui de Montalte 3 & l’on peut
croire que ce changement de nom, en faifant Oublier
les premières années de fa v ie , ne contribua
pas peu à fon élévation. Lorfqu’il fe vit revêtu de
la pourpre, la thiate devint l’objet de fa fourde
ambition. Mais pour mieux furprendre Its cardinaux
en état de s’oppofer à fon élévation, & flatter
ceux qui pouvoient efpérer de régner fous fon
nom, il changea fon humeur, & affeéta une manière
de vivre qui fembloit l’éloigner de la con-
noiffance des affaires. Il ne fortoit de la retraite
qu’il s’éto’t choifie que pour aller Voir des malades.
Il careffoit tout le monde, diftribuoit des aumônes
aux pauvres , donnoit modertement fon avis dans
dans les confiftoires où il étoit appellé, fuyoit les
charges & les honneurs 3 panchoit dans toutes-ies
occafîons pour le parti le plus modéré, affëétoit
d’être dépourvu d’efprit & de lumières : les cardinaux
, dupes de fon artifice , ne l’appelioient que
Y âne de la Marche , & la bête Romaine,
Montalte s’efforçoît fur-tout de paroître fuc-
cornber fous le poids de l’âge & des infirmités ; il
fe donnoit beaucoup plus d’années qu’ai jri’en
avoit, tenoit fon corps courbé fur un bâton, &
fa tête appuyée fur une épaule. Ses yeux parôif-
foient prefqu’éteinrs, fes jambes tremblcient fous
lui. Lorfqu’il étoit obligé .de faire quelques vifi-
tes, il s’ arrêtoità-plufieurs reprifes fur l’efcalier
pour prendre haleine ; quand, il étoit entré dans
les appartement, il d.ifféroit de parler,- comme
pour avoir le temps de-rëfpirer. Il racontoit en
détail toutes fes infirmités,, & faifôit de terri ps' en
temps des retraites pour fe préparer, difoit-il, à
une mort qu’il fentoit prochaine. Lo'rfque Grégoire
XIII mourut, plufieurs brigues fe formèrent
; le cardinal de Montaltè les favoiifa toütesj
ou plutôt ne tint à aucune4. Il flatta chaque cardinal
en particulier, & lui: fît efpérer qu’iLlüi don-
neroit fa voix. Ce manège lui féùflît; on lé fini!
fur les rangs î il le fut, & feignit de l’ignorer.
Lôrfqüe les cardinaux Alexandrin, d’EftT&Tde
Médicis ;lui annoncèrent que les fuffrages pourj’
roient.bien fe réunir en fa faveur, il lui prit unfi
toux à faire croire qu’il alloit rendre le dernier
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foupir/ Il leur dit qu’il n’avoit pas affez dé force 1
pour fouténir un fi peilant fafdeau;nqire iôn^peü' l
d’txpériér.ce dans les affalés le rendoit1 ilncopablé >
de fe charger de celles de l’églife, àmoinsde trou- î.
ver du fecoùrs-dans fes collègues ; qu’il ne pourrait
jamais'fe réfoudre à monter fur le trône de
faipt Pierre, s’ils ne l’afiuroient de ne point l’a-!
baridonner, de gouverner conjointement avec .
Itli. Il tint'plufieurs fois le même difçours-/ 8c té-
poadoit à ceuxiqui lu i .promettaient Leur voix :
« Si vous me faites pape y vous voiis placerez vous-
mêmes fur le faint liège ; nous partagerons enfem-
Mè le pontificat ; je n’en aurai que le ndm & le
titre , & vous en aurez l’autorité », Tous les cardinaux
abufés fe flattèrent d’avoir part au gouvernement,
& des jouir du moins de la plus grande
liberté fous un.pontife aufii facile & auifi complais
fant. Le cardinalFarnèfe, entr’autresy approuvant
fon élection, difoît, « qué Mo'ntalte n’avoit pas
affez d’efprit pour faire de mal, ni'allez de dif-
cernement pour faire du-bien ».
L ’éleéLon du pape fe fit le 24 avril 1 ;vMort-
talté eut le plus grand nombre dé voix. Lorfqu’il
fe vitaffuré ’de fon éleélitm, il fortic de fa place,
fans attendre la fin de la cérémonie ; & jéttant au
milieu de la falle le bâton fur lequel il s’appuyoit
auparavant, il fe redrefl'a, parut d’une taille plus
grande qu’ à fort ordinaire, & entonna le Te Deum
d’une voix fi forte, que là voûte de la chapelle en
retentit*
: I l prit le nom de Sixte V j en mémoire de
Sixte IV qui avoit été cordelier comme lui. Lorl-;
qu’il forcit du conclave’,: le peuple 'accourut ërt'
foule, & chacun fe demandoit en le voyant, du
étoit le pape, ne recbnnoifTànf point dans le nouveau
pontife le’ cardinal de Montalte qu’il avoit
coutume de voir tomber en foibièffe dar;s les rues.
Quelqu’un; lui témoignant;fon étonnement: dé' ce
qu’il n’étoit.plus fi courbé n* Avant d’être pape,
répondit-il, je cherchons lés clefs du pa'radi-s,
pour léSi;.trouven,i je meueoiïrbois & bàifibislla
tête ; mais depuis qu’elles font entre mes mainsj-
je rie regarde que le ciel » .1
Les premiers jours dé fon pontificat furent
marqués par .l’horreur dès fuppiice's, êx'é-rç^
la.julfice ayec une févérité qui débéfoic nvJmVfon
aowaur pour l e bon ordre^’ que aon '-huîrieur ifàn--
guinaire. Un gentilnomme efpagnol ayant reçu
da-ifc Téglifs^umcoup- de~ hdll’ebarde^d’ühTi^fle,
s’en vengea; en le' frappint rudemertt avec un bâton
de pélenn. Le fuiffe en mourut. Sixte fit dite an '
gouverneur dé Rome qu il-vouloir que jufiîceTiit
faite avant éju’il fe îfîr à t a b l é qu’il voulèit
dîner dobonrve heure. L’àmbaffsideiJr d’BfpH^rie
& -quatre caidiriaux allèrerit le^ftîpplier , non -d'ae-
eorderla vie au .meurtrier,• malis^dê 4tft;fiire trancher
la tête, parce qu’il étoit géiiCilhoirtme, Sixte
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report dît : « Iî fera pendu ; je veux bien cepen-:
|daotvadoiicir la honte dont fe plainclroit fa fa*-
{mille, en lui faifant l’honneur d’aflifter à fa rtiorc».
lEn effet, il fit planter la potence devant fes fenêtres
•>' &s’y tint jufqu’après l’exécution ; puis fe
tournant vers fes domeilique^ : « Qu’on m’apporté
à manger, leur dit-il; cette, juftiee vient encore)
d’augmenter mon appétit ». En fortant de table,
!i^ s’écria :.c? Dieu foit loué du grand appétit avec
lequel je Viens de dîner
Le,lendemain on vit Paîquin (ftatue à laquelle
on attachoit des jnferiptions fatytiques ) avec un
ba(fin rempli de chaînés, de hacne$., de potences,
de cordes & de roues, répondant à Morforio ,
■ (nom d’ufte autrerffat-ue) qui lùi demandoit ou il
î alloit : «Je porte unragout pour réveiller l’appétit
! du ; faint Père», . .
Plufieurs ^gouverneurs ou juges qui paroifipient
avoir trop de clémence, furent renvoyés de leurs
places par fes ordres. Il n’acco.rdoit fa faveur qu’à.
ceux qui penchoient vers la féyérité., Lorsqu'il alloit
par la ville, il regardoit tout le monde en face,
. &* s'il aj>pereevoit iqûelqu’un kd’fine phyfionomie,
févère, it le faifpit appcllëf, is’infbrmojt; de fa;
condition lui donnait, félon fes réponfes,. quelques
charges dé judiçature, & lui déclaroit que
le vériiable moyen de lui plaire étoit de fe fervir
dé Lépée à deux tranchans à laquelle Jéftls-Chrift
eft comparé, & qu’il n'avoit lui-même accepté lé
pontificat que füivant le fens littéral de l’évan-
i gile : Je ne fuis pas venu apporter la paix 3 mais le,
j glaive : paroles qu’il répétoit toujours avec com-
) plaifance>-,,-;
. Un jeune homme, qui n’avoit que fize ans,
fut exécuté à mort pour avoir fait quelque réfif-
: tançe à des suites; ’l ’joyte la ville eut pitic de fon
fort. Ues a.mbaffadeurs & les cardinaux intercédèrent
pour lui, mais,en vain. Les juges même
lui ayant, nepréfenté qu’il étoit contraire à la loi de
faire mourir'un coupable fi jeune, . l’inflexible
' pontife leur répondit froidement qu’il donnoit
dix de fes années au criminel pour le rendie fujet
: à la loi. '
Il avoit défendu que* l’qn portât des armes dans.
! -'Glfiq5 ou dix pattkniiers qui cofitrevin-
i rent à cette défenfe, furent pris &' péri dus. Un
| gentilhomme de.SpoJette, qui avoit mis. l’épée à
là tn$}ti 'contre irri àîiérii..'^èritilRdïrt'meCô'ij-
danîrié'à perdre la tête. Huit cardinaux ayant de-
irt#idé fà graeë, Sixte ôrdbnna qu’on l’expédiât;
prompteria-rtt, pour n’être plus étourdi dé ces
follicitations.
même pape-, qui ^ap^rertafit1 qné là
fèînë Elïfôbëtfi vendit de faire trancher la'tête à
Marie d’EcoffeTa prrfûrinfèré', s’étm dàris uoé