
Sj2 R O S
Brantôme rapporte que Châtelard, gentilhomme
françois, décapité en Ecofle, pour avoir ofé témoigner
à la reine un amour infenfé, n'eut point
d autre préparation à la mort, que la leéhire d’un
poème de Ronfard. e* Le jour venu , dit cet hifto-
rien, ayant été mené fur l'échafaud, avant de
mourir j prit en les mains les hymnes de Ronfard y
& pour fon éternelle confolacion, fe mit à lire
tout entièrement l'hymne de la mort qui eft très-
bien faite, & propre pour ne point abhorrer la
mort , ne s'aidant autrement d'autre livre fpiri-
tuel, ni de miniftre, ni de confeffeur ».
Ronfard, après avoir chanté pendant dix ans les
charmes de Caffandre, fa première maitreffe , fit
des vers à la louange d'Hélène dë Sugères. Cette
demoifelle pria à cette occafîon le cardinal du
Perron de faire une préface au commencement
des poéfies galantes de Ronfardy & de faire entendre
au public que ce poète n'avoit jamais
conçu pour elle qu'un amour honnête. Hélène
de Sugères étoit une des filles de la reine qui avoit
le plus de vertu , mais le moins de beauté.
Auiîi le cardinal lui répondit affez malignement:
««Au lieu de préface, je vous confeille de faire
mettre votre portrait au commencement du
livre ».
Jamais perfonne n'a tant promis que la reine
Catherine de Mf.dicis; auffi Ronfard lui dédia-
t-il, l’hymne de la promeffe.
Ronfard, dégoûté de la cour, entra dans les
ordres, & accepta la cure d'Evailles dans le Ven-
dômois ; il y prit les armes contre les huguenots-
Il s'en excufa depuis, en difant que n'ayant pm
défendre les paroiffiens avec la clé de faîpt Pierre
que les calviniftes ne refpe&oient, ni ne crai-
gnoient, il avoit pris l’épée de faint Paul.
- Lorfque Ronfard mourut > on lui fit un fervice
très folemnel où une partie du parlement & plu-
fieurs -Seigneurs affilièrent. Le roi y envoya fa
mufique. Du Perron, qui fut depuis cardinal ,
prononça fon oraifon funèbre. Cette pompe fut honorée
d'un concours fi grand, que le cardinal de
Bourbon & plufieurs autres princes & feigneurs
furent obligés de s'en retourner, n'ayant pu fendre
la pretfe.
ROSÉE , ( Mademoiselle ) né à Leyde, l'an
1652, morte en 1682.
Au lieu d'employer des couleurs ou le crayon ,
cette fille ingénieufe fe fervoit de foie de toutes
les nuances , qu'elle avoit eu grand foin d'éplucher
& de féparer dans des boîtes particulières.
On a de la peine à concevoir comment elle pou-
yoit appliquer les brins de foie prefque imperceptibles,
imiter la couleur de chair, & fondre &
mêler les nuances les plus délicates*Rlle a peint,
de cette nouvelle manière, le portrait, le payfagç
R O U
& l’archite&ure. Dans les ouvrages de cette fille
inimitable , la foie étoit fi artiftement difpofée,
qu'il falloit approcher de bien près pour fe convaincre
que cette peinture n'étoit pas faite au
pinceau.
R O T R O U ; (J e a n ) aé en 1609, mort en
iéfO.
Rotrou étoit revêtu de toutes les magiftratures
de la ville de Dreux, lorfqu’elle fut affligée d’un
maladie épidémique. Preffé par fes amis de Paris
de mettre fa vie en sûreté, & de quitter un lieu
fi dangereux, il répondit que fa confcience ne lui
permtttoit pas de fuivre ce confeil, parce qu'il
n'y avoit que lui qui pût maintenir le bon ordre
dans ces circonftances. Il finiffoit fa lettre par ces
mots : ce n’eft pas que le péril pû je me trouve
ne foit fort grand, puifqu'au moment où je vous
écris , les cloches Tonnent pour la vingt-deuxième
perfonne qui eft morte aujourd'hui. C e fera pour
moi quand il plaira à Dieu.
Rotrou fe préparoit à donner fon Vincejlas, lorsqu'il
fut arrêté & conduit en prifon pour une dette
qu'il n'avoit pu acquitter. La fomme n'étoit pas
confidérable $ mais Rotrou étoit joueur & par
conféquent vis-à-vis de rien. Il envoya chercher
les comédiens, & leur offrit pour vingt piftoles
fa tragédie > le marché fut bientôt conclu- Rotrou
fortit de prifon ; fa tragédie fut jouée , mais avec
un tel fuccès, que les comédiens crurent devoir
joindre au prix qu'ils avoient paye, un préfent
honnête.
Rotrou étoit joueur, mais il avoit une manière
fingulière pour s'empêcher de perdre tout
fon argent à la fois, & afin de s’en conferver
pour les befoins de la vie. Quand les comédiens
lui apportaient l'argent de quelqu'une de fes
pièces, il le jettoit ordinairement fur un tas
de fagots qu'il tenoit renfermés. Lorfqu’il avoit
befoin d'argent, i f étoit obligé de fecouer ces fagots
pour en faire tomber quelque chofe, & la
peine que cela lui doncoit l’empêchoit de prendre
tout à la fois, & lui faifoit toujours laiffer quelque
chofe en réferve.
Le grand Corneille difoit : Rotrou & moi ferions
fubfifter des faltimbanques ; pour marquer que
l'on n'auroit pas manqué de venir à leurs pièces,
quand bien même elles aurofent été mal repré-
fentées.
Tous les poètes fe liguèrent contre le Cid ; il
n*y eut que Rotrou qui refufa de fe prêter à la
jaloufie du cardinal de Richelieu : auffl le grand
Corneille l'appelloit-il fon père.
ROUSSEAU > ( Jean-Baptilfç ) mort en 1741*
Roujfeau étoit fi honteux de fa naiffance, qu'il
ne votûoit pas même porter le nom de fon père. U
ic
R O U
îe fit appeller quelque temps Verniettes ; & c'eft
fur ce faux nom, dit Sàuiin, que quelques-uns
de fes amis même firent cette anagramme : Tu te
renies•
A la première repréfentation du Flatteur, où
l’on prétend que Roujfeau s'eft peint, fon père,
qui étoit entré à la comédie pour fon argenc, fut
fenfible, autant qu’on peut le juger, aux applau-
diffemens qu'on donnoit à fon fils, il ne put contenir
fa joie, & il fit connoître à ceux qui l’envi-
ronnoient quil étoit le père de l'auteur. La pièce
finie, ce bon-homme tout ému cherchoit avec
emprelfement à embraffer fon fils. Il l'arrêta au
fortir du théâtre , & lui fit un difeours touchant,
qu'il finiftoit par ces mots ‘. Enfin je fuis votre pere.
Vous mon pire J s'écria Roujfeau; & dans le naême
moment ü s'enfuit, & lailfa ce pauvre père pénétré
de douleur & fondant eh larmes.
Roujfeau ayant été banni du royaume, à l'oc-
cafion des fameux couplets, trouva un afyle auprès
du comte du Luc de Vintimille, qui étoit ,
ambaffadeur de France en Suiffe. Ce feigneur ayant
été nommé plénipotentiaire pour la paix qui fut
conclue à Bade en 17 14 , avec l’empereur, Rouf
feau l'y accompagna. Un jour qu’on caufoit familièrement
chez le prince Eugèi;e, quelqu'un dit
qu'il yenoit de chez M. le comte du L u c, où
Ro.ujfeau avoit récité de très-jolis vers qu'il avoit
compofés prefque à l’inftant. Quoi ! s'écria auffi-
tot le .prince, nous avons ici ce grand poète ! Il 1
m'a donné occafion, ajouta-t-il tout de fuite, de ,
faire uhe réflexion bien jufte. C e fut quelques
jours après la trifte affaire de Denain, que je lus
fon ode à la Fortune ; j'y trouvai mon portrait au
naturel dans cette ftrophe :
M o n t r e z -n o u s , h é ro s m a g n a n im e s ,
V o t r e v e r tu d ans t o u t fo n jo u r .
V o y o n s c om m e n t v o s e x u r s fu b lim e s
D u f o r t fo u t ie n d r o n t .le r e t o u r ,
T a n t q u e la fo r tu n e v o u s fé c o n d é ,
V o u s ê te s les . m a ît r e s du m o n d e ,
V o t r e g lo i r e n o u s é b lo u i t ;
M a is au m o in d r e r e v e r s ru n efte
L e m a fq u e t o m b e j l’ h om m e r e f t e ,
E t le h é r o s s’é v a n o u it .
Après cet entretien, le prince Eugène marqua
un grand defir de voir Roujfeau, qu'il goûta au
point de fe l'attacher & de l'emmener ayec lui à
Vienne.
Roujfeati ne fut que trois ans auprès du prince
Eugène. Le fameux comte de Bonneval & le
marquis de Prié ayant eu une conteftation affez
vive, le prince voulut que Roujfeau, qui en avoit
«té le , témoin , lui en rendît compte. Il le fit
E ncyclppédla na.
R O U 833
d'une manière peu favorable à M. de Prié, que
M. le prince Eugène procègeoit ouvertement.
Roujfeau, par trop de fincéricé , perdit les bonnes
grâces de fon prou-éteur, qui'lui dit qu’il pouvoit
aller à Bruxelles, où on lui donneroit une place
honnête qu'il n’a jamais eue.
En 1717, le duc d'Orléans, régent du royaume,
fit écrire à Roujfeau, par le marquis de la Fare,
qu'il pouvoit revenir à Paris, où il feroit en tome
sûreté. Mais Roujfau demanda qu'on fit examiner
une fécondé fois l'affaire pour laquelle il avoit é té .
condamné, ce que le prince ne jugea pas à propos
d’ordonner.
M. le duc d’Aremberg, qui faifoit fon féjour le
plus ordinaire à Bruxelles, donna une penfion de
quinze cens livres à Roujfeau. Le poète croyant
dans la fuite avoir à fe plaindre de fon bienfaiteur,
refufa l'argent lorfqu'on le lui apporta : je l'a o
ceptois avec plaifir, dit-il à l'intendant de ce feigneur,
quand je me flattois d'être des amis de
M. le duc. Prêfentement que je ne le fuis plus ,
je ne veux plus le recevoir.
L’illuftre & malheureux Roujfeau vint fecrète*
ment à Paris en 1738 , & trouva un afyle dans la
maifon d’A ved , fameux peintre de portrait & '
fon intime ami. Aved ne fachant ce qu'il devoir
croire de tout ce que publioit la malignité fur le
prétendu libertinage de Roujfeau, voulut l’épier
quand il fe croyoit feul dans fa chambre , &
furprit ce grand poète à genoux, adreffant au
ciel de ferventes prières. Le généreux Aved fit
le portrait de Rouffeàu , qui lui témoigna fa recorv-
noiffance par ce fonnet :
T a n d is q u e tu p e ig n o is m o n im a g e f id e l le ,
D e to i-m êm e e n c o r m ie u x tu t r a ç o is l e p o r t r a i t ,
D a n s c e s fo in s p r é v e n a n s q u i , fu iv a n t to n fo u h a i t ,
O n t fi b ien c om b a t tu m a fo r tu n e c ru e lle .
U n m o u v em e n t f i n o b l e , u n f i g é n é r e u x z è l e ,
A m o n coe u r a t te n d r i t e p e ig n a n t t r a i t p o u r t r a i t >
M e fa i fo ie n t a dm i r e r d an s u n ta b le a u p a r fa i t
D e l a v r a ie am it ié l e fe n fib le m o dè le.
L ’a r t te f i t , c h e r A v e d , u n d o n b ie n p r é c ie u x ;
I l t ’a p p r it l e f e c r e t d e fu rp r e n d r e le s y e u x ,
E t d e r e n d r e le v r a i ja lo u x d e t a p e in tu r e .
L e p in c e a u d e T im a n te e f t c e q u e t u lu i d o is ;
M a is l e coe u r q u e fans lu i t e fo rm a la n a tu r e ,
E f t u n p r é fe n t p lu s r a r e & p lu s b e a u m i lle fo is .
Dans ce voyage que Roujfeau fit à Paris, il vît
Rollin prefque tous les jours, 8c ne voulut pas
repartit'fans lui avoir fait laie&u rede fon tefta-
N n n n n