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larifcr, foit par un goût peu fenfé du paradoxe ,
foît pour faire briller mal à propos leur efprit.
Comment en effet bien faire 1 eloge d’un état qui
ell le comble du malheur des hommes ? Cependant
M. de Maupertuis examine s’ il n’y a pas
dans la maladie des avantages réels capables de
nous confoler, capables même de nous y procurer
des plaifirs. Il parle d’après fa propre *xpérience ,
& rapporte quelques réflexions , qu’une maladie
de poitrine longue & défefpérée lui a fait faire.
« J ’ai connu, dit-il , un homme bien refpectable
, qu’une maladie fcmblable à la mienne
" a voit conduit à l’état le plus heureux. J ’ai vu,
” ajoute-t-il, cet homme qui occupoit line valle
» maifon, trop petite auparavant pour lu i, ré-
*» duic dans là « plus petite de fes chambres^, fe
« faire une occupation agréable de l’arrangemear
M. de quelques eftampes; 6c cet efprit, auparavant
. » rempli des plus grands objets qui occupaient
39 l ’Europe , trouvoit de véritables amufemens
» dans des jeux, capables à peine d’amufer des,,
enf ans qui fe portent bien ».
M A L E B R A N CH E , (N icolas ) né en 1638,
mort en iÿ ip .
Le père Malebranche s’appliqua d’abord à l’hif-
toïre eccléfiaftique , par le eonfeil du père le
Çoirite , auteur des -Annales de V églifede France.
Mais les faits ne fe lioient point dans fa tête
les uns aux autres. Ils ne faifoient que s’effacer
mutuellement , & un travail inutile -produifit
bientôt le dégoût. Le père Sirmon voulut attirer
a la critique ce déferteur de l’hitloire, & le père
Malebranche entra fous fa conduite dans cette
nouvelle carrière , peu différente de l’autre; auffi
n ’y faifoit-il pas encore de grands progrès. Un
jou r, comme il paffoit parla rue Saint Jacques,
un libraire lui préfentà le Traité de Vhomme de
Defcartes , qui venoit de paroître. Il avo-t vingt-
fix ans, & ne connoifïbit Defcartes que de nom,
& par quelques objections de fes cahiers de phi-
lofophie. Il fe mit à feuilleter le livre, & fut
frappé comme d’une lumière qui en for tic toute
nouvelle à fes yeux. Il entrevit une fcience dont
il n’ avoic point d’idée , & fende qu’elle lui
convenoit.
Le père Malebranche devînt fi rapidement phi-
lofophe, qu’au bout de dix années de cartéfia-
nifme il avoir compofé le livre de la recherche
de la vérité. Ce livre fit beaucoup de bruit, &
quoique fondé fur des principes déjà connus, il
parut original. L ’auteur étoit cartéfien , mais
comme Defcartes ; il ne paroiffoit point l’avoir
fuivi, mais rencontré. Il règne en cet ouvrage un
grand art de mettre des idées abftraites dans leur,
jour, de les lier enfemble , de" les fortifier par
leur liaifon. Ii s’ y trouve même un mélange adroit
de quantité de ehofes moins abftraites qui, étant
facilement entendues, encouragent le Jeéteur à
s’appliquer aux autres, le flattent de pouvoir tout
entendre, & peut-être lui perfuadent qu’il entend
tout à-peu-près.
La recherche de la vérité eut trop de fuccès
pour n’être pas critiquée. On attaqua fur-tout
l’opinion que nous voyons tout en Dieu, opinion
chimérique peut-être , mais admirablement
exp »fée. Le père Malebranche compare l’Etre fu-
prëme à un miroir qui repréfente tous les objets,
; 8c dans lequel nous regardons continuellement.
Dans ce fyftéme nos idçes découlant du fein de
jj Dieu même.
Le père Malebranche en général dédajgnoit affez
fes adverfaires. Ils ne m entendent pas répétoit il
fans ceffe, ou ne veulent pas m’entendre. Le grand
Arnauld l’avoit attaqué fur fon fyftême de l’origine
de nos idées. Un jour qu’il s’entretenoit avec
, Defpréaux de cette difpute , & prétendoit que
M. Arnauld ne l’avoit jamais entendu : Eh! qui
donc, mon père, reprit Defpréaux , voulez-vous
qui vous entende ï
On le preffoit de répondre aux journaliftes de
Trévoux qui l’avoient attaqué: «Je ne difpute
» point, repartit-il, avec des gens qui foilt un
» livre tous les mois ».
Le père Malebranche paroiffoit encore plus
perfuadé que Defcartes, fon maître » que les
bêtes n’ étoient que de pures machines. Au fujet
de cette forte perfuafîon du père Malebranche ,
M. de Fontenelle contoit qu’un jour étant allé
le voir aux-Pères de l’Oratoire de la rue Saint-
Honoré ,■ une gioffe chierrne de la maifon, & qui
étoit pleine , entra dans la falle où ils fe promenaient,
\ iit carefferde père Malebranche & Te
rouler à fes pieds. Après quelques mouvemens
inutiles pour la chaffer, le philofophe lui donna
un grand coup de pied, qui fit jetter à la chienne
un cri de douleur, & à M. de Fontenelle un cri
de compaffi'»n : « E h ! quoi, lui dit froidement le;
père Malebranche, ne favez-vous pas bien que
>» cela ne fent point » ?
Lorfqu’on foutenoit au père Malebranche que
les animaux étoient fenfibles à la douleur, il ré-,
pondoit en plaifantant : Qu apparemment ils avoient •
mangé du foin défendu ; mais une plaifanterie n’eft
pas une rai fon.
Selon le père( Malebranche, nous ne connoiffons
notre ame que par le fentiment intérieur, par
confcience , 8c nous n’en avons point d’idée.
Cela peut fervir, conclut - i l , à accorder les
différens fentimens de ceux qui difent qu’il n’y
a rien qu’on ne connoiffe mieux que l’ame, &
de ceux qui affurent qu’ii n’y a rien qu’ ils con-
noiffent moins.
C e métaphyficien3 dans fes jéflexions fur la
pfémôtion phyfique , la repréfente par une com-
paraifon auffi concluante peut-être, & certainement
plus frappante que tous les raifonnemens méta-
phyfiques. « Un ouvrier, dit-il, a fait une ttatue
» dont-Ja tête, qui fe peut mouvoir par une char- ;
» nière, s’incline refpe&ueufement devant lui,
» pourvu qu’il tire un cordon. Toutes les fois qu’ il
» le tire, il eft fort content des hommages de fa
ftatue ; mais un jour qu’il ne le tire point, elle
» ne le falue point, 8c il la brife de dépit
Le père Malebranche, ennemi de la poéfie,
pour faire entendre que les poètes, entraînés par 1
la rime , difoiert fouvent bien des fattifes, fe van-
toit malignement dJayoir fait deux vers; les voici,
ajoutoit-il :
Il fait le plus beau temps du monde
Pour aller à cheval fur la terre & fur l’onde.
Mais, lui difoît-on, on ne va pointa cheval
fur l’onde: « J ’e» conviens,répondit-il d'un grand
» férieux ; mais paffez-le-moi en faveur de la rime.
» Vous en paffez bien d’autres tous les jours à de
* meilleurs poètes que moi ».
Tout ce qu’on peut conclure de cette anecdote
, c’eft que le père Malebranche confondoit le
poète avec le verfificareur. Il étoit d’ailleurs infen-
fible aux beautés de l’imaginatiori &d.u fentiment;
& fi on lui eût prêté les plus belles tragédies de
Racine, il les auroit auffitôt rendues en dLfant :
Quejl-ce que tout cela prouve?
^MALHERBE, ( François d e ) , poète françôis,
né l’an i î j f , mort en 1628.
Malherbe fentoit toute l’obligation que fon
fiècle lui devoit, & c ’e ft, fans doute, à l’orgueil
de ce fentiment que l’on doit attribuer cette
âpreté de caractère que l’on remarquoit en lui.
Un homme de robe & de condition lui apporta
un jour des vers affez mauvais, qu’il avoir faits
à la louange d’une dame. Il lui d it , avant de les lui
montrer, que des confîdérations particulières l’avoient'engagé
à les compofer. Malherbe les lut,
& lorfqu’il eut fini la letture, il lui demanda s’il
avoit été condamné à faire ces vers ou à être pendu.
A moins de cela, ajouta-t-il, vous ne devez pas
expofer votre réputation, en produifant une pièce
fi ridicule. Le jeune magiftrat prit mal la ( hofe ;
ils fe dirent des paroles dures de part & d’autre,
& fe quittèrent ennemis jurés. Cette anecdote a
pu donner à Molière l’idée de la fameufe feene
du fouuet dans fou Mifantrope.
Malherbe ne favoit pas fe refufer à un bon met,
quelque malin qu’il fût. L’archevêque de Rouan
l'ayant invité d’ entendre un feimen qu'il dévoie
prêcher, le poète s’endoimit au fortir de table;
8c comme le prélat voulût l'éveiller pour le conduire
Etant allé rendre une vifite à la dvicheffe de
Bellegatde un matin après la mort du maréchal
d’Ancre, comme on lui dit qu’elle étoir à la meffe :
•* A-t-elle quelque chofe, répliqua-t-il, à deman-
» der à Dieu , après c in l a délivré la France du
» maréchal d’Awcre » ?
au fetmon, il le pria de l’en d.fpenfer,
difant qu’il dormiroît bien fans cela.
Malherbe a fouvent répété les mêmes penfées
dans fes ouvrages; 8c lorfqu'il récitoit fes vers,
il avoit l’habitude de cracher à tout moment,
c’ eft ce qui faifoit dire au cavalier Marin qu’/7
n avoit jamais vu d'homme plus humide, ni.depoczc
plus fec.
Quelqu’un lui difoit que M. Gau’min, homme
fort verfé dans les langues orientales, enteruioit
la langue punique, & qu’il avoit traduit le Pater
en cette langue. Malherbe répondit brufquement
qu’il traduiroit le Credo ; il prononça alors plu-
fieurs mots barbares qu’il forgeoit à mefure, &
ajouta : « Je vous foutiens que voilà le Credo en
» langue punique. Qui pourra me prouver le
» contraire » ?
Lorfqu’on lui parloir d’affaires d’état , il avoit
toujours ce mot à la bouche : « 11 ne faut point fe
» mêler de la conduite d’un vaiffeau où l’on n’eft
» que fimple paffager
La façon dont il corrigeoit fon dotr.efliqiie eft
affez plaifante. Il lui donnoit dix fols par jour*
ce qui étoit fuffifant en ce temps-là, & vingt écus
de gage par àn. Quand il avoit manqué à fon devoir,
Malherbe lui faifoit très-férieufement cet ce
remontrance : « Mon ami, quand en offenfe fon
» maître, on effenfe Dieu, & quand on offenfe
» Dieu, il fau t, pour avoir absolution de fen
» péché, jeûner de faire l’aumône. C ’ eft pourquoi
» je retiendrai cinq fols de votre dépetsfe, que je
» donnerai aux pauvres'à votre intention, peut
» l’expiation de vos péchés ».
Il avoit un fils qu’ il aimoit beaucoup. Ce jeutte.
homme ayant été tué par un gentilhomme dtfPro-
vence, nommé de Piles, Malherbe voulut venger
fa mort & en venir aux mains ayec ce gentilhomme.
Comme on lui repréfentoit qu’ il y auroit
de la folie à lui de fe battre à l’âge de foixante
8c quinze ans contre un homrr.e qui n’en avoit
que vingt-cinq : « C ’ e f t pour cela, répondit-il
» hrufqiiement, que je veux me battre ; je ne ha-
» farde qu’un denier contre une pi 11 oie ».
Il étoit affez mal logé. tte n’avoit que fept ou
huit chaifes de paille. Comme tous ceux qui
aimoient les lettres s’empreffoient à lui rendre
vifite , il avoit foin de fermer la porte en dedans
îorfque toutes les chaifes étoient remplies,; & £
quelqu’ un, venoit heurter, il lui cricit : Attendez ,
il ny a plus de chaifes.
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