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bligea fur la fin de Tes jours à mener une vie très—
retirée. Les papiers publics le firent fcuvent
mourir avant fon décès, & Pope eut le plaifir
de voir fa mort annoncée avec les' éloges les plus
s pompeux. .
PORTEUR-D’EAU. Unporteur-d‘eau du faux-
bourg Saint-Germain, alloit de rue en rue , criant
fa marchandife : une fille fur le pas dJune allée
P arrête, lui demande fa voie d’eau , & lui dit
qu’il faut la porter à un. cinquième étage ; mais,
ajoute-telle , je vous préviens que je ne puis en
donner qu’un fol. Un fol ! dit celui-ci, pour monter
à un cinquième ! en vérité cela en vaut au moins
deux. J'en conviens, dit la fille d’un ton pénétré
; mais on ne peut donner que ce qu’on a,
& je n’ai pas davantage.*—Quoi! vous n’avez
pas davantage? — Héias ! ça n’eft que trop vrai.
— Allons, allons, il n’importe, je vais vous la
porter. Il monte avec peine un efcaikr étroit,
& arriVé dans la chambre il. voit ks quatre murailles
, pour meubles un méchant grabat que'
couvroit une méchante pailhfTe, & quelques pots
degrés à moitié cafles, dans kfquds il ver fe fa voie
d’eau, en un mot, tout l’extérieur de la plus
grande mifère. Vous êtes donc bien pauvre , ma
chère amie?--— Vous le voyez} fou vent je fuis
fans pain} 8tcroyez-vous que fi j’avois lé moyen,
j’eufle voulu marchander le prix de vôtre peine ;
tenez, voilà ce que je vous ai promis; je vous l’ai
dit, c’elt tout ce que j’ai. Le porteur et eau tout ému
lui rend fa pièce & lui même fouillant dans fa poche,
en tire environ douze fols en petite monnoie :
Tenez, lui dit-il à fon tour , voilà ce que j’ai
gagné aujourd’hui} j’efpère que Dieu m’en fera
gagner d’autres & redefeend fatisfaic.
PO R TR A IT . Voilà mon portrait\ difo’t un
campagnard, voyez comme le peintre a attrapé
la refiemb'ance. Quelqu’un répondit, il a bien
mieux attrapé l’original.
Une femme d’ efprit apprenant qu’un pèrfon-
nage très-mal famé alloit fe faire peindre , dit
en colère:« il eft bien hardi, ce coq uin -là! i
fl cfera regarder en face un homme, qui tient le
pinceau ».
Un peintre gardoit .chez lui le portrait d’un
homme fort noir, qui ne l’avoit point payé.
Lafle d’attendre 3> il lui dit un jour : moniteur,
fi vous ne retirez votre portrait, l ’hôte de la tête
noire me le demande.
Por trait- à la plume. A propos des jolis-
portraits à la plume de M. Bernard^ quelqu'un dit
à une femme charmante : « Madame, vous vous
étiez fait peindre, mais à préfent il faut vous
faire,écrire ».
P O U S S IN , ( Nicol as) né l ’an .1594, njort
en i Qtty.
P O U
Le Poujfin étoit aufli eftimable par fon caractère
que par Tes grands taleris. On recherchoit
avec foin le bonheur de J’entretenir dans' les mo-
mens.de fes promenades. Les fineifes de fon art
& quelquefois la philofophie étoient le fujet ordi-
• naire de fes conventions j & fes kCtures immenfes
lë mettoient à même de traiter toutes fortes de
matières.
Avant que de peindre un fujet d’hiftoire, il !e
hfoit & le méditoit très-long-temps : aufli l’appe-
lôic-on le peintre des .gens d’efprit.
Le Poujfin faifoit lui-même toutes les copies
de fes tableaux , & ne pouvait fouffrir que
d'autres en prilTent le foin. Toujours feul dans
fon cabinet, il n’étoit permis à perfonne de le
voir peindre.
On rapporte que Poujfin trouva le coloris trop
attrayant pour s'y attacher, & craignit qu’il ne
lûi fit nég'iger le deflin : — «Le charme de l’un,
difoic-i!, pourroit me faire oublier la néceflicé
de l’autre »,
Le Poujfin étoit plus avide de gloire que d’argent.
Il avoit coutume de ne jamais faire de prix pour fes
tableaux ; il riiarquoit derrière la fômme qu’il en
vouloir, & renvoyoit ce qu’on- lui donnoit au-
defliis, de fon eftimation.
Voici quelle fut l’aventure qui donna lieu, félon
quelques auteürs, au premier voyage que
le Poujfin fit à Rome: un jeune feigneur de la
cour fe mit une emplâtre fur l’oeil droit, & alla
chez ce peintre pour le prier de faire fon portrait.
Le PauJJïny. travailla quelques inftans, & dit
à ce feigneur de revenir le lendemain 5 celui-ci fe
rendit à l’heure indiquée ; mais après avoir fait
changer de place à fon emplâtre &r l’avoir pofée
fur l’oeil gauche. Le Pouffai crut s’être trompé :
confus de fa méprife, il retoucha fon ouvrage ,
qu’ il n’acheva point encore. Le jeune feigneur
revint le jour Tuiyant, après avoir remis fon emplâtre
fur l'oeil droit. C e manège dura quelques
jours, l’emplâtre changeant d'e' place à chaque
nouvelle féance. Le Poujfin s'apperçut- enfin du
tour qu’on lui joüoit, & ne voulut point achever
le tableau Les plaifanteries que, lui attira
Cette aventure , l’engagèrent , dit-on , ; à. partir
pour Rome beaucoup plutôt qu’il ne l’avoit ré-
foîu.
Les premters tableaux qiîe le Potijfiti'fit.enjlràîie,
ne f irent point goûtés. Il ne toucha que Soixante
éciis du fameux- tableau de la pejf'e , quidepuis a
été vendu mille éciis.
Louis XIII fit revenir en' France ''cet a’rtifte
célèbre', & le. nomma Ton premier peintre. Le
poujfin s'étant rendu aux invitations fl tteules
de fon fouverain, comme il approchoit de fo n tainebleau
où 4a cour étoit alors, le roi envoya
fes carrofles au-devant de lui , & s’avança
même jufqu’ à la porte de fa chambre pour le recevoir.
Des honneurs aufli ‘ grands fembloient promettre
au Poujfin une fortune éclatante en France}
mais l’envie fe réveilla bientôt j n’ofant l’attaquer
ouvertement, elle eut recours à l’intrigue ,
au manège , & parvint à priver l’homme de mérite
qu’ elle deteftoit, de tous les ouvrages qui
pouvoient augmenter fa gloire* Indigné des ,per-
fécutions qu’il effuyoit chaque jour * le Poujfin
prit le parti de retourner à Rome, & de dire un
éternel adieu à fa patrie.
Qu’on juge combien le Poujfin eut lieu d’être
mécontent de fon féjour à Paris;'voici les propres
termes d’une de fes lettres : » Si je reftois longtemps
dans ce pays, je ferois forcé de devenir
un barbouilleur , comme tous les autres.. On
m'occupe à defliner des ornemens de cheminées
, des frontifpices & des couvertures de
livres ».
Il eft d’ufage à Rome de mettre en mofaïque
pour l’églife faint-Pierre, tous les tableaux eûi-
més. Le Dominiquin , ayant peint la communion
defaint Jérôme, defira cette diflindion flatteufe ,
& fk expofer fon tableau eh public, afin que les
connoifleurs puflent en apprécier le mérite; mais,
foit faute d’attention, foit jaloufîe, fon ouvrage
fut dédaigné & relégué, comme par mépris ,
dans un lieu écarté, où il feroit peut-être encore
ignoré, fans le noble procédé du Poujfin. Ce
peintre apprend eù eft le tableau, & demande
à le copier : comme .il y travailloit, le Dominiquin
entre pour obferver l’impreflion que faifoit fon
ouvrage fur un artifte• habile ; il lie converfation j
& dévoloppefur l’art la théorie la plus lumineufe.
Le Poujfin étonné, fe retourne , voit l’inconnu
les yeux mouillés de larmes; le Dominiquin fe
nommé, le Poujfin jette fes pinceaux, fe lève &
lui baife la main avec .trànfport ; il ne fe borne
point à c.e.t hommage ; il emploie tout fon crédit
pour mettre en réputation l'excellent tableau ,
qui reçut enfin le jufte honneur d’être copié en
mofaïque.
Un prélat vint voir le Poujfin y qui, l ’éclairant
avec une lampe, le conduilit jufqu’à fon carrelle
: --r-r.« Je. vous plains beaucoup , lui dit le
prélat, de n’avoir pas feulement un valet —
Et moig rnonf-igneur , répondit le Poujfin, je
vous plains bien davantage d’en avoir un fi grand
nombre ».
U n n é g o c i a n t d e R o t t e r d a m a c h e t a f e c r e t e -
ment 25000 écus \esfept S a creme ns , d uPauffin 3 &
trouva moyen de les faire Forcir de France, en
17-14. Ce négociant, dès que les tableaux furent
arrivés à Rotterdam, en refufa 50, coo écus de
milord Màlbofough , & vouloir les vendre 200 ,
ooo-livres :-mais-le; régçnr fit revenir en France
ces chef-d’oeuvres.
P R A D O N , né à Rouen , mort en ié<?8.
Racine -fit repréfenter pour la première fois la
tragédie de Phedre, le premier.jour de janvier de
l’an 1Û77, fur le théâtre de l’hôtel de Bourgogne.
Quelques perfonne s de la première diftinéhou
unis de goût & de fentimens, entre autres la
duchefle de Bouillon & le dûc de Nevers, ayant
appris quelque temps auparavant qu’il y tuavail-
loit, engagèrent Pradon à faire une tragédie fur
le-même fujet, pour mortifier Racine , & pour
faire tomber fa pièce quand elle paroîtroit. Pradon
fier de quelques fuccès que la cabale avoit procurés
à fes premières, tragédies , fut aflez vain
pour jouter contre cet iiluftre poète. Il çom-
pofa donc fa Fhedre par émulation , & la £*
repréfenter deux jours après celle de Racine, par
les comédiens du roi. Quelque mauvaife que lût
cette pièce, elle ne laifla pas d’abord de paroître
avec éclat., & de Te foutenir même pendant quelque
temps. Deux chofes principalement contribuèrent
à ce fuccès : La concurrencé des deux
tragédies que tout le monde voulut voir, & les
applaudiflernens que les protecteurs de Pradon
donnèrent à fa pièce.
Madame Deshoulieres que Pradon confultoit
fur tout ce qu’il faifoit, & qui pour ce fujet p:e-
noit intérêt à la réuflire de fa tragédie, voulut
voir la première repréfentation de celle de Racine.
La prévention la lui fit trouver mauvaife , & revenue
chez elle , elle fit en foüpant avec quelques
perfonnes , parmi lefquelles étoit Pradon, ce fameux
Tonnet contre la pièce qu’elle venoit d’entendre.
Dans un fauteuil doré, Phèdre tremblante & blême.
Dit des vers ,où d’abord perfonne n’entend rien. :
Sa nourrice lui fait un fermon fort chré tien,
Contre l’affreux deflèin d’attenter fur foi-même.
Hippolite la hait prefqu’autant qu’elle l’aime.
Rien ne1 change fon coeur , ni fon cKafte maintien.
La nourrice l’accufe, elle s ’en punit bien,
Théfée a pour fon fils» une rigueur extrême.
' Une grofl’e Aricie ,a.u teint rouge, aux crins blonds,
N’eft là que pour montrer deux énormes tétons >
Que malgré fa froideur-, Hippolite idolâtre;
Il meurt enfin traîné par fes courfiers ingrats;
Et Phèdre, après avoir pris de la mort aux rats ,
Vient en fe confefl’ant mourir fur le théâtre.