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chapelle de l'infirmerie, parce que ce lieu étoit
humide. Ce frère vit quelques religieux infirmes
entrer dans la chapelle pour y entendre la ruelle ;
il crut leur faire plailîr de fermer la porte pour tenir
1 endroit plus chaud. Cependant le prêtre s'étant
trouve mal à caufe de l’odeur du chat bon , le père
abbé fit au frère une réprimande. Celui-ci fe mit à
genoux, fans que l'abbé s'en apperçûc, & ayant
demeuré trois heures en cet état, le facriftain en
avertit le fupérieur. Celui-ci l'alla trouver, & lui
fit une févère réprimande, parce qu'il ne pouvoir
pas avoir donné tout ce temps à la prière, fans .avoir
négligé d’autres exercices auxquels il devoit fe
trouver. Le faint religieux lui avoua qu’il aurôitcru
manquer à la règle, qui ordonne de fe profterner
aux pieds du fupérieur lorfqu’il le reprend de quelque
faute, & de demeurer dans cette pofture juf-
qu’à ce qu'il dife de la quitter. Il ajouta que comme
il l’y ayoit laiffé fans lui rien dire, il y auroit per-
févéré jufqu’àla mort, fi lui, ou quelqu’un par fon
ordre, ne lui avoit commandé de fe lever. Ce frère
Jofeph avoit été lieutenant d'infanterie.
L ’ attachement que frère Jofeph témoigna toute
fa vie pour l'abbé de Rancé, ne pouvoic être ni
plus vif,- ni p’us tendre. L ’abbé de Rancé avoit fait
une chute dangereufe qui faifoic craindre pour fa
Vie. Le frère Jofeph prit la réfolution de mourir
avant lui Ii diminua fa nourriture accoutumée, 8c
quoiqu'il ftlt lui même malade alors, il fc refufoit
tous les foulagemèns néceflaires, fe privant du
fommeil, n'approchant jamais du feu, & pratiquant
d’ailleurs toutes fortes d'auftérités. Ce genre
de v ie , joint à la douleur que lui caufoit la maladie
du père abbé, fit fur lui de fi grandes impref-
fions, qu'il avoit l*àir d'un fquelette. Le père
abbé ayant été averti de fon état, l'envoya chercher,
& lu i demanda ce qui l'avoie réduit à cette
extrémité. Le frère Jofeph répondit queDieu étant
fur le- point d’appeller à lui fon- fupérieur & fon
père, U ne lui reftoit plus de confolation dans ce
monde, & que fon deffein étoit de le précéder,
ou du moins de le fuivre dans l'autre.
Tous les religieux de ce monaftère portoient une
égale tendreffe au pieux réformateur. Un abbé,
vifîtefir de l'ordre de Cîceaux, faifantfa vifite dan&
ce monaftère pendant la maladie de l'abbé de
Rancé t dit aux religieux affemblés , qu'ils dévoient
avoir grand foin, de ce faint homme qui les foute- !
noit par fon exemple & par fes paroles. Ils tombèrent
tous à terre au même inftant, comme s’ils
fe fuffent donné le mot, & étant profternés dé
la forte, ils dirent tous enfèmble les larmes aux
y; UX': Nous ne demandons a Dieu que lui dans nos
prières.
L ’abbé de Rance guérît de fa maladie ; mais ce
fut pour donner à fes religieux l’exemple de l'a
plus grande humilité, après leur avoir donné celui
des auftéricés qu’il leur faifoic pratiquer. Il fe ,
R A P
démit de fon abbaye, & fe^réduifit à l’état de fim:
pie religieux. Il eut beaucoup à fouffrir de la mau-
vaife humeur d'un abbé, fon fucceffeur. Il fup-
porta fes chagrins & fes infirmités avec confiance,
& parvint à une grande vieilleffe. Dans fa dernière
maladie, il fut toujours vêtu de fes habits de reÜ-
- gion, & quand on le mit fur U paillaffe, car il
n'eut jamais d’autre l i t , on lui laiffa jufqu'à fes
fouliers. Lorfqu'il fut prêt à rendre les derniers
foupirs, on lui préfenta un crucifix qu'il embraffa
avep tous les fentimens de la piété la plus tendre;
il baifa l'image du Chrift & la tête de mort placée
au pied de la croix. En remettant ce figne refpec-
table entre les mains d’un religieux, il remarqua
qu'il baifoit l’image du crucifix fans baifer la tête
de mort $ il lui dit avec vivacité : « Pourquoi ne
baifez-vqus pas la tête de mort ? Baifcz, mon
* père, baifez fans peine l'image,de la mort dont
vous ne devez pas craindre la réalité ». C e religieux
regarda cet ordre comme un avertiffement
de fa mort prochaine. En effet il mourut peu de
temps après. Vie de l'abbé de Rancé.
R A N T Z A U , (Jofias) maréchal, en 1645,
mort en i6yo. Il avoit été fouvent bl«ffé.
Bautru difoit de Rant^au, « qu'il ne lui étoiç
refté qu’un de tout ce dont les hommes peuvent
avoir deux.
Son épitaphe finit par ce vers :
Et Mars ne lui laifla rien d’entier que le coeur/
RAPHAËL SAN Z IO ,„ ( ou R aphaël b 'Ur-
b in ) , peintre italien., né l'an 14% , & mort en
j U*o-
Raphaël eâ un de ces hommes célèbres qui font
époque dans l'hifioire des arts. Ses compofitions
annoncent par-tout un génie heureux 8c facile.
Une noble & élégante fîmplicité caraétérife fes
figures ; les attitudes en font naturelles 8c pleines
d'expreffion. Où trouver un deffein plus pur, plus
correct? Le foin qu'il prenoit de le bien, prononcer
, 8c l'éfpèce de tranchant qu'il donnoit à l’indication
des moindres parties, ont paru tenir d'un
ftyle énergique, mais dur & defiitué de grâces a
ceux qui fe font laiffés féduire par le moelleux des
contours & la douceur des formes rondes du Cor*
rège. Mais Raphaël 3 qui avoit l’idée la plus fu-
blime du ftyle des anciens fculpteurs grecs, étoit
perfuadé que l'on ne peuvoit s’en éloigner fans
énerver la nobleffe & la majefté qui le caractérisent.
Il n’ignoroit pas qu’en rendant fon deffein
moins angulaire, il lui procüréroit peut-être plus
d'agrément ; mais il favoit en même temps qu'il
fui ôteroit beaucoup de fa dignité & de fon ex?
preffion.
Raphaël avoit envoyé dans la Grèce & dans
toute l’Italie plufieurs excellens dtffinateurs chai-
R A P
gés de defliner pour lui tous les montimens précieux
dé l'antiquité qui avoient échappé aux ravages
des temps. On demandoit un jour â cet artifte
immortel comment il avoit pu acquérir ce haut
point de perfection où il étoit parvenu ? En ne
négligeant rien, répondit-il.
Raphaël, qui avoit contemplé la nature dans ce
qu’elle offroit de plus beau, imagina, à l’exemple
des anciens fculpteurs grecs, des formes encore
plus belles 8c plus frappantes; C'eft d'après cette
forme idéale de beauté qu'il conçut fa fameufe
Galathée. C et artifte obferve dans fa lettre au
comte Balthazar Çaftiglione, que les différentes
parties de la véritable beauté fe trouvent rarement
unies dans une feule perfonne, particulièrement
dans les femmes, & qu'en conféquence il avoit été
obligé de donner à fa Galathée les traits d’une
beauté idéale dont le modèle n'exiftoit que dans fa
propre imagination,
Raphaël avoit affez de mérite pour n’être pas
offenfé de la critique ; mais il voüloit qu’elle fût
jufte. Deux cardinaux lui reprochoient mal-à-propos
d'avoir fait dans un tableau les vifages de faint
rierre & de faint Paul trop rouges : « Meffei-
gneurs, leur répondit-il, un peu offenfé de cette
critique, n’en foyez pas étonnés; je les ai^eints
ainfî qu’ils font au ciel : cette rougeur leur vient
de la honte qu'ils ont de voir l’églife aufli mal gouvernée
».
Raphaël refufa de fe marier avec la nièce d’un
cardinal, parce qu'il fe flattoit de le devenir, fui-
vant la promeffe que Léon X lui en avoit faite.
Le coeur toujours rempli de l’objet de fa flamme
, Raphaël a fouvent peint dans fes tableaux le
portrait de fa maîtreffe. Ori conferve encore une
carte fur laquelle il a repréfenté l’une des belles
qui l’occupoît.
On attribue la caufe de la mort de cet artifte à
fa trop grande paflion pour le* femmes. Les médecins
ignorant fon dernier excès, l'épuisèrent par
des faignées. Son tombeau fe voit à Rome dans
1 eglife de la Rotonde ; le cardinal Bembe a com-
pofé fon épitaphe. Le tableau de la Transfiguration
, qui eft le dernier qu’il p e i g n i t q u i paffe
pour fon chef-d’oeuvre, fut placé le jour de fa
mort fur fon cercueil ; & cet appareil fimple &
touchant fut fans doute fupérieur à toutes les orai-
fons funèbres qu’on auroit pu lui faire.
R A P IN , (René) né en i 6n , mort en 1687.
Le père Rapin jéfuite, écrivoit au comte de.
Buffi , ce mot de Cicéron : Si vous vouliez jetter
les yeux fur le manuferît que je vous envoie, je
pourrois mériter des applaudiffemens : S i te ka-
beremus otiofum clamores faceremus. Le comte lui
répondit : vous avez bien lu au moins votre Cicéron
: Habuifii ilium otiofum idc ire 0 clamoresfaciemus.
R E C 811
Le père Rapin publioit alternativement des ouvrages
de littérature & de piété : cette variété a
fait dire à l’abbé de la C h am b re , que ce jéfuite
fervoit Dieu 8c le monde par fémeftre.
R É C IT . Extrait des lettres de Scvigné.
L'archevêque d eR h e im s ,leT e llie r , revenoithier
fort vîte de. Saint-Germain, c’étoit comme un
tourbillon ; il croit bien être un grand feigneur ¥
mais fes gens le croient encore plus que lui. Ils
paffoient au travers de Nanterre, tra3 tra, tra. I ls
rencontrent un homme à ch e v al, gare, gare j c e
pauvre homme veut fe ranger, fon cheval ne veut
pas ; 8c enfin le carroffe & les fix chevaux ren-
verfent cul pat deffus t ê t e , le pauvre homme &
le ch ev a l, & paffent par de ffus , & fi bien par
deffus , que le carroffe en fut verfé & renverfé.
En même-temps l’homme & le ch e v a l, au lien
de s'amiifcr à être rôués 8c e ftrop ié s, fe relèvent
miraculeufement, remontent l'un fur l'a u t re , &
s’ enfuient 8c courent en co re, pendant que les
lgquais de l'archevêque & le cocher 8c l ’arche-
reque même, fe mettent à crier, arrête, arrête
cecoguin quon lui donne cent coups. L'archevêque
en racontant c e c i, difoit : « Si j’avois tenu ce maj
raud-là, je lui aurois rompu les bras 8c coupc
les oreilles »-
R E C OM P E N S E S . Jean I I , roi de P o r tu g al,
avoit entre autres une maxime fort agréable aux
gentilshommes portugais. Il n'aimoit pas qu'ils em-
ployaffent un tiers pour obtenir des grâces. Il
vouloit qu'ils s'adreffaffent à lui directement &
non à fes miniftres : puifque , dit-il un jour i
un officier de fes troupes qui lui avoit fait demander
une g râ c e; « puifque vous avez des bras
pour me fervir , pourquoi manquez-vous de langue
pour me demander des récompenfes.
Briquigny porta la nouvelle au cardinal Mazarin,
de la naiffance d'un fils de la princeffe d e C o n t i ,
nièce du miniftre : le cardinal lui promit une
recompenfe, l'enfant mourut quelque temps après.
Briquigny voulant rafraîchir la mémoire du cardinal
fur fa promeffe, cette éminence lui dit ; Briquign
y, ne me pariez pas de c e la , vous renouveliez
ma douleur.
Un officier de mer ayant fait une aCtion dif-
tinguée, on lui donna pour recompenfe une penfion
de huit cents livres. 11 vint à la cour & dit ail
miniftre : « Q u ’ il n’ a pas verfé fon fang pour de l'arg
en t , & que fa majefté a des récompenfes plus honorables
pour un, gentilhomme. —— Quelles récompenfes
y dit le miniftre è —— La croix de Saint-
Louis , répondit l’officier ». Monfieur de C h a -
millard rendit compte au roi de la nobleffe des
fentimens de cet o ffic ier, qui auroit préféré la
croix de Saint-Louis à huit cents livres de penfion
: « J e le crois b ie n , dit Louis X I V ». •