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&r les plus graftds muficiens de cette école ancienne,
ont fixé à eux l’époque de ce chant
fimple, naturel & grave. La Santa Stella, La
Reggiana, Nicoli no & Seney.no> étaient de la
même école.
Le premier » continue le même auteur, qui
commença à gâter notre' mufique > fut Piftoccolo,
de Bologne. Il chanta d’abord fur le théâtre ;
mais contraint, à caufe de fa voix défagréable
& de fa figure difgracieufe, d’abandonner la
fcène, il fe fit prêtre, & fe mit à enfeigner un
art qu’il s’étoit jugé incapable de pratiquer avec
fuccès. Ses plus célèbres écoliers furent Ber-
nacchi & Pâli, tous deux de Bologne, & fes
compatriotes. Le premier très-favant & très-adroit
à parcourir les paflages les plus difficiles de la
mufique dans le court efpace d’une ariette, mérita
les applaudiffemens de quelques enthoufîaftes
amis des difficultés; mais il ne réuffit iamais à
plaire généralement, parce qu’ il quittoît fouvent
l ’exprefiion du fentimënt qu’il avoit à rendre,
pour fe livrer à fes vols pindariques. Ajoutez à
ce la , qu’il avoit une voix peu flatteufe, & que
fa figure ne repréfentoit pas aflèz. Le Pa.fi, au
contraire, ne retint des leçons de fon maître ,
que ce qu’il lui falloit pour faire valoir une
voix foible à la vérité, mais très-gracieufe ; ce
qui, joint à une figure avantageufe, lui mérita
en peu de temps la réputation du chanteur le
plus agréable & le plus parfait qui eût paru fur-
la fcène.
- Païta fut contemporain de Bernacchi ; & quoiqu’il
n’eût qu’un ténore, & même un fon de'voix
très-défagréable, il s’exerça néanmoins dans le
même genre que ce muficien. Vers le même temps,
Ja Guzzoni & la Fauftina montèrent fur le
théâtre. La première avoit une voix de peu d’étendue
, mais par-tout également douce, également
fonore ; elle mettoit dans fon chant, le 1
même goût, le même.naturel que lePafi. On ia 1
nomma la. lyre d ’or.
La voix de la Fauftina étoit plus brillante, &
d’une légèreté fans égale : elle fut regardée comme
une nouvelle fyrène. Pour exprimer le plaifir
qu’on avoit à l’entendre , on a dit que les gout-i
teux quictoiçnt leurs lits , quand elle devoit
chanter. On lui frappa des médailles à Florence,
& , p a r -to u t, elle reçut des applaudiffemens
fans nombre.
Le chant compliqué & travaillé de Bernacchi,
eut bien des imitateurs parmi la jeuneffe du théâtre;
tous ceux qui fe fèntirent du talent , ten-
tèfënt de réüffir/dans une entreprifs fi difficile ;
& les compofiteurs de mufique furent obligés de
fecrifier à ce goût "dominant. Polymnie ne fut
plus une gentille & fimple bergère ; elle quitta
même ce dehors gracieux & impofant qu’elle
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preno’t toujours pour paroîrre fur le théâtre.»
& devint bientôt une coquette folâtre & capr1-
cieufe : elle préfenta fes penfées d’une manière fi
embarraffée & fi équivoque, qu’il né fut plu5
poffible de les interpréter.
’ La Fauftina, par le nom qu’elle fe fit, contribua
aufli à introduire un nouveau genre dans la
mufique.
Les chanteurs » hommes & femmes, fans avoir
égard à leurs tàIens-& au genre, de voix qu’ils
avoient , voulurent l’imiter ; & le corapcfiteur
fut obligé de fe conformer à leurs caprices j mais
ce qui preuve combien le mauvais goût a d’empire
, c’eft que perfonne ne* chercha à étudier
le goût fimple de la Guzzoni & du Pafi,.par la
raifon qu’il étoit trop naturel.
Dans la chaleur de cette révolution, Farinelli,
parut avec une voix proportionnée à fa ftàture
giganttfque, ayant, de plus que les voix ordinaires
des deffus, fept ou huit tons également
fonores, & par-tout limpides & agréables, poffé-
dant d’ailleurs toute la fcience muficale à un degré
eminent, & tel qu’on pouvait l’efpérer du plus
digne élève du favant Porp o^Il parcourut, avec
une égalité & une franchife fans égale, tous les
fentiers de la mufique,battus par Bernacchi avec
quelques fuccès, & devint, en un moment, l’idole
des italiens, enfin, du monde harmonique. Ce
prodige de la nature & de l’ar t, caufa bien du
! defordre dans l’empire de l’harmonie ; les compo-
fiteuts , les chanteurs & les fimphoniftes, épris
du même Enchantement, voulurent à toute force
farineller. Le naturel & l’expreffion du fentiment
difparurent du chant, on tenta par-tout les im-
poffibles. Quelques-uns cependant ont fü mettre
*à profit les vols pindariques de Farinelli , en-
tr’ autres Salimbelli, mort depuis quelque temps,
CafarelÜ & la Mingotti, tous difciples du célèbre
Porpora.
Nous fommes redevables à ce grand maître »
ajoute M. Martinelli, de la fenfation que nous
éprouvons en écoutant chanter ces habiles élèvesj
parce qu’il leur a appris à rendre le caractère & le
vrai fentiment des pallions ; ce qui peut s’appeller
le chant du coeur.
Tous ces efforts capricieux, tous ces paflages,
où la voix fe joue & fautille fur tôu$ les tons ,
ne font que pour l’oreille. En effet, ils font
plus propres, à exciter l’admiration des novices
qu’à plaire à celui qui eft dans l’habitude de fentir.
Il y a moins de différence entre les gambades d’un
homme qui voltige fur la corde, & les pas moelleux
& bien deffinés d’un danfeùr accompli. Si
ces grands muficiens ont quelquefois furchargé
leurs chants de prétîntailles &d e roulemens portés
jufqu’aux nues, on doit regarder ceci comme un
facrifice
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facrifice au goût dominant. Ils ont appréhendé
que l’on doutât de leurs tâlens pour l’exécution ,
s’ils nè faifoient point de temps en temps des tours
de force ; mais ils ont été les premiers à blâmer
de pareilles extravagances.
M. Martinelli, dans la vue do nous prouver
Je pouvoir de la mufique, pour calmer le caractère
d’un homme emporté, nous cite ces deux
exemples. Un jour que Stradella, célèbre violon
de Naples, exécutoit un morceau de mufique à
Vénife , il fit une fi vive impreflion fur une jeune
demoifelle, qu’il ravit d’abord fon coeur, bientôt
après fa perfonne, & s’enfuit ayec elle à Rome.
Un gentilhomme tuteur de la demoifelle, outré
de ce rapt, excite un jeune homme qui la re-
cherchoit en mariage, à laver dans le fang du
raviffeur une injure qui leur étoit commune. Cet
amant arrive, s’informe où il pourra joindre fon
rival, apprend qu’il doit jouer tel jour-dans une
églife. Il s’y rend, entend Stradella, & ne penfe
plus qu’à le fauver; il écrit au gentilhomme
que lors de fon arrivée, Stradella étoit parti.
Le fécond exempte rapporté eft celui de Palma,
qui étoit auffi un muficien napolitain. Surpris dans
fa maifon par un de fes créanciers, qui vouloit
à toute force le faire arrêter, il r répond à fes
injures & à fes menaces que par une ariette :
on l’écoute, Palma chante un air, s’accompagne
de fon clavecin, remarque les accords qui font
le plus d’impreffion fur le coeur de fon créancier,
parvient enfin à l’attendrir. Il n*eft plus queftion
de paiement, on lui prête encore une fomme
qu’il demande pour fe délivrer de quelque autre
embarras. Si Stradella avec une fimple fonate de
violon, ajoute l’auteur, a pu calmer les transports
furieux d’un rival juftement irrité, & accouru
de plus de cent lieues pour fe venger;
fi Palma -, avec une voix rauque, eft parvenu à
gagner le coeur d’un créancier avide, à en obtenir
de nouveaux bienfaits ; que n’ont pu faire
les chants mélodieux d’un poète philofophe
( Orphée, ) qui exécutoit ce que lui même avoit
compofé.
Un anglois féjournant à Oftende, manda plu-
fieurs muficiens, pour un concert qu’il vouloit
faire exécuter chez lui. Ils arrivèrent, & comme
ils fe préparoient à jouer leur mufique ordinaire,
l’anglois tira de fon porte-feuille un chef d’oeuvre,
â ce qu’il dirott, & le plaça fur les pupitres } c’é-
toit une meffe des morts d’un fameux maître
d’Italie. L?s fyophoniftes, les chanteurs, s’éf-
fotcèrent de mettre dans leur exécution tout le
foinbre, tout le pathétique , toute la trifteffe
que ce genre exige ; ils v réuffirent fi bien , qu’au
dernier requiem, l’anglois fe brûla la cervelle d’un
coup de piftolet.
Les françois ont difputé aux italiens le prix de
Eueyclopédiana.
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la mélodie. La préférence que toutes les nations
accordent à la mélodie italienne, feinble avoir dé«
cidé le différend. On peut encore fe convaincre
de la fupériorité des italiens à cet égard, en obfer-
vant les diverfes impreffions que font fur une
oreille neuve les chants françois & italiens. C ’eft
ce qu’a fait M. Rouffeau : J’ai, dit-il, vu à Ve-
nife lia arménien, homme d’efprit, qui n’avoit
jamais entendu de mufique, & devant lequel on exécuta
dans le même concert un monologue françois
qui commence par ce vers :
Temple facré, féjour tranquille ;
Et un air de Galuppi , qui commence par
celui - ci :
Yoi che languite fenza fperanza
L’un & l’autre furent chantés, médiocrement
our le françois & mal pour [’italien, par un
omme accoutumé feulement à la mufique fran-
çoife, & alors très-enthoufiafte de celle de Rameau.
Je remarquai dans l’arménien , durant tout le
chant françois, plus de furprife que de plaifir ; mais
tout le monde obferva, dès les premières mefures
de l’air italien, que fon vifage & fes yeux s’ a-
douciffoient ; il étoit enchanté , il prêtoit fon
ame aux impreffions de la mufique, & quoiqu’ il
entendît peu la langue, les fimples fons lui
caufoient un raviffement fenfible. Dès ce moment
on ne put lui faire écouter aucun air françois.
L’opéra d’Iphigénie eut un très-grand fuccès ,
que le génie de Gluk méritoit bien; cependant
il avoit deux faâions oppofées. Tout étoit bon
pour les uns, tout étoit mauvais pour les autres.
Ceux-là difoient que c’étoit le chef-d’oeuvre de
la mufique, ceux-ci foutenoient <$ue ce n’étoit pas
même de la mufique. Quelqu’un même dit allez
plaifamment : « Cet opéra-là n’eft que de la mu-
fique en profe ».
La princeffe de Bclmante-Pignatelli de Naples,
protectrice de tous les gens à talens, & particulièrement
des muficiens, étant malade & environnée
de la faculté, reçut la vifite du fameux
chevalier Raaff. A peine fut il entré qu’elle le
pria de chanter une des ariettes dont fon clavecin
étoit couvert. Le fort tomba fur une du
célèbre Haffe, furnommé le Saxon. Pendant tout
le temps que dura l’ ariette, la fièvre dont la prin-
ceffe étoït dévorée, ceffa totalement. Etonnée d’ un
! changement auffi prompt, la faculté ne trouva
pas de remède auffi ptopre à la guérifôn de la
princeffe. que le chant du chevalier Raaff : « Voilà,
madame, lui dit un des efculapes, voilà, votre
véritable médecin ». La fenfation que cette prin-
ceffe éprouva fut fi v ive, qu’ayant appelé Raaff,