
dieu / quel bonheur , quel bonheur 3 ok ! mejfieurs quel
bonheur.— A qui en avez vous donc, lui demande
un de Tes voifins. Quoi, répondit le jeune
enthoufiafte, vous n'avez pas vu, vous n’avez
pas fenti, vous ne Tentez pas que fi cette pièce
admirable que nous venons de voir n’étoit pas
faite, elle ne Te feroit jamais ? L’admirateur de
ce chef-d'oeuvre étoit Piron, alors commis dans
un bureau.
Piron difoit en parlant de Corneille & de
Racine : « Je voudrois être Racine & avoir été
Corneille ».
Piron avoît un foible pour fa comédie des Fils
Ingrats. Il ne cefloit d’en parler dans les fociétés.
Il fut un jour contrarié par un homme qui mettoit
avec ràifon la Métromanie fort au denus.^ç Ne
m’en parlez pas, s’écria le poète avec humeur,
c ’eft un monftre qui a dévoré tous mes autres
enfans ».
Piron paflant dans le louvre avec un de fes
amis : « T enez , voyez-vous', lui dit-il, en lui
montrant l’académie françoife, ils font là quarante
qui ont de l’efprit comme quatre ».
La faile de l’académie frapçoife n’eft pas affez
vafte pour les féances publiques. Un jour que
Piron vouloir percer la foule pour y arriver;.« Il
eft plus difficile dit-il d’entrer ici que d’y être
reçu ».
Quand Piron fut voir le directeur de l’académie,
celui-ci pour l’affurcr que tous les Tuffrages fe
réuniffoient en fa faveur, lui dit de prendre tous
le temps néceffaire pour compofer fon difeours
de réception. Piron l’en remercia & lui répondit
en riant : « Ne vous inquiétez pas de cette corvée ;
nos deux difeours font déjà faits : il feront prêts
du jour au lendemain de mon élection. — Com-^
ment cela, lui. demanda le directeur d’un air
furpris ?— Comment cela, repartit Piron ? le voici :
Je me lèverai, j’ ôterai mon chapeau; puis à haute
& intelligible v oix , je dirai : meilleurs, grand-
merei, & vous fans ôter votre chapeau, vous me
répondrez : monûeur , il n’y a pas de quoi ».
Parmi les raifons qui éloignèrent Piron de l’académie
françoife , il aimoit à citer celle - ci :
« Je ne pourrois, difoit plaifamment l’auteur de ;
la Métromanie, faire parler trente neuf comme
moi, & je ne pourrois pas non plus penfer comme
trente neuf ».
Une dame jolie & fpirituelîe avoit grande
envie de voir Piron &■ de caufer avec lui, M.
R . . . lui en procura le pîaifir. La dame inf-
truîte de la haute eftime du poète pour Mon-
tefquieu, entama la converfation par l’éloge &
l’analyfe de l’efprit des loix. Elle foutint à merveille
fon texte pendant quelques minutes ; mais
Commençant à s’embrouiller, Piron lui dit :
« 'croyez - moi, madame, fauvez-vous par le
temple de Gnidè ».
Piron trouva un matin chez la marquife de
Mimeure , M. de Voltaire ^plongé jufqu’aux
épaules dans un large fauteuil, les jambes écartées
& les talons pofées fur l’un & l'autre
chenet. Il fit une légère inclination de tête a
Piron pour cinq ou fix de fes révérences ; celui-
ci prend un fauteuil & s'affied le plus près qu’il
i peut de la cheminée. L'un tire fa montre , l’au-
| tre fa tabatière; celui-ci prend les pincettes,
celui-là du tabac. L’un éternue, l’autre fe mouch
e , Voltaire enfin fe met à bailler d'une fi
grande force que Piron alloit en faire autant,
- lorfque M. de Voltaire tire de fa poche une
croûte de pain & la broie fous fes dents avec
I un bruit fi extraordinaire qu'il étonna Piron.
Celui-ci, fanss perdre de temps, tire un flacon
de vin & l’avale d’un trait. M. de Voltaire s’en
trouve offenfé & dit d’un ton fec à Piron : « j’entends,
monfieur » raillerie tout comme un autre *
mais votre plaifanterie , fi c’en eft une , eft
très-déplacée.— Ce n’en eft point une, répondit
Piron , le pur hazard a part à tout ceci ».
M. de Voltaire l’interrompit , alors pour lui dire
qu’il fortoit d’une maladie qui lui avoir laiffé un
befoin continuel de manger. « Mangez monfieur ,
mangez, répliqua Piron , vous faites bien ; &
moi je fors de Bourgogne avec un befoin continuel
de boire, & je bois.
Le plaifir de la converfation mêlé à celui de
la bonne chère eft un préfervàtif contre l’intenj-
perance- Piron difoit à ce fujet : « les morceaux
caquetés fe digèrent plus aifément ».
Un jeune Poète qui étoit fort lié avec Piron3
lui avoit envoyé un faifan. Le lendemain il fut
le vo ir , & tira dé fa poche une tragédie fur
la quelle il venoït le confulter. «Je vois le piège,
dit Piron ; remportez vite votre faifan & votre
tragédie ».
Un autre poète apporta à Piron un gros cahier
de vers & le prie de l’examiner. Quelque
jours après l’ auteur de la métromanie lui rendit
fon manuferit. « Q u o i, monfieur 1 point de
croix ? s’écria le jeune homme avec fatisfaâion.
— Point de croix, reprit Piron , vouliez-vous
donc que je priffe votre ouvrage pour un cimetière
».
Un jour que Piron étoit chez un financier,
Une perfonne diftinguée de la compagnie l’engagea
à paffer devant lui pour fe rendre dans
la faile à manger ; le maître de la mai fon sapperçevant
de leur cérémonial, dit à l’homme'
fjtré. « Hé monfieur le comte ; c’eft un auteur
j ne , faites point de façons. » Piron qui
fentit qu’on vouloir l’abaiffeu , met auffuôt fon
chapeau, .marche fierementle premier en diTant,
ce je prends mon rang ».
Un financier demandoît à Piron une iaferip-
tion pour mettre fur la face d'un château qu il
venoit de faire bâtir. Le poète \m d:t : « Je
ne peux pas vous faire cela fur l’heure, quand '
j’irai, voir votre terre il me viendra peut-être
quelque idée là deffus; puis un moment après :
monfieur, dit-il, j’ ai trouyé ce qu’il vous faut :
vous mettrez Haceldama , f ce qui figmfie le
champ du fang ,, ) — Je n’entends point cela
dit le richard.—Vous vous, le ferez expliquer, reprit
Piron qui quitta brufquement fon homme »- .
Le 'comte de Livri aimoit beaucoup Piron ;
il auroit voulu que le poète choifit un appartement
dans fon château, & avoit ordonpé qu’on
lui .obéit & qu’on le regardât comme le maître.
La première fois que l'auteur de la métromanie
prit poffeffion de cet appartement, ne voulant
pas manger feul , il engagea la con.cierge, jan-
fénilte outrée, à lui tenir compagnie à tabie. Celle-
ci poufïée par un beau z è le , fe mit en tête de
convertir Piron. Le poète ne répondoit à toutes
ces objections que par ce refrein, « chacun à
fon goût, madame Lamarre; pour moi je veux
être damné ». Cette plaifanterie déplut à la concierge
, niais fans fe rebuter elle continua la
bonne oeuvre & fit tous fes efforts pour ramener
la brebis au bercail. A peine huit jours s’ é-
Un des amis de Piron difoit à ce poète plein
de laillies , üc qui brilloit plus que perfonne
dans la converfation : « il faut prendre tous les
jours quelques momens, pour vous rappeller &
pour écrire ce que vous avez dit de mieux dans
la journée ». Piron lui répondit : « il y a de
; la malice dans votre confeil, & vous ne le donnez
toit écoulés que le comte vint voir fi ion ami
feplaifoit à Livry. 11 le furprit à l'heure' du dîner
dans l’ inftant même où la difpute* ordinaire fimf-
foit. '-— Eh ! bien, dit-il à Piron 3 <* comment
te trouves-tu ici ? Es-tu content? T e fert-on
bien ? O u i, monfieur le comte, répondit Piron,
mais madame Lamarre .ne veut pas . . . . —
Comment, morbleu eile ne veut pas ! . . . . Je
prétends que tu fois ici le maître comme moi-
même . . . entendez vous, madame. Et fi monfieur
me porte la moindre pjainte.. . —En un
mon pauvre Piron, cet habit n’eft guères fa t
pour vous. — Cela peut-être , répondit Piron ,
mais , monfieur l’abbé, convenez aufli que vous
n’êtes .guères fait pour le vôtre ».
mot je v e u x .... — Calmez-vous, monfieur le
comte , lui dit Piron, & daignez,-je vous prie,
m’entendre jufqu’au bout. Madame Lamarre ne
veut pas que je fois damné. — Eh ! pourquoi,
s’ il vous plaît, madame? reprit le comte, n'eft-
il pas. le maître? De quoi vous mêlez-vous?
Encore une fois je vous le répète , je veux
qu’il fa fie fa volonté , ce n’eft point à vous à
y trouver à redire ».
A une repréfentarion de Guftave , l’abbé
Desfontaines rencontra Piron avec un habit trop
fomptueux , à ce qu’ri lui fembloit , pour un
poëte. Il lui dit en l’abordant, ce en vérité ,
que pour m’humilier ».
Piron avoit dîné plufie-urs fois avec M. Hérault,
lieutenant de police. Un jour il avoit pris
par mégarde le chapeau de ce magiftrat pour
le fien. M. Hérault informé d’une aventure
ncéturne qu’avoit eu Piron, l’envoya chercher.
P/ro/z arrive, trouve de la compagnie & conte
l’hiftoire. Le magiftrat traite d’abord le poète de
tapageur, d’un air aflez ferieux, & puis ne peut
1 s’empêcher de lire : « c’eft fort-bien, mon cher
Piron lui dit-il ; mais convenez que vous mériteriez
une bonne calotte pour cette folie ».
« E h! qui feroit affez hardi, monfieur, de m'eri
donner une, quand votre chapeau m’ en tient
lieu? »
Piron en fortant de voir une de fes tragédies qui
n’avoit pas été goûtée, fit un faux-pas. Quelqu’
un s’empreffant de le foutenir il lui dit :
« C ’eft ma pièce qu’il falloit foutenir & non pas
moi ».
La pièce du Fat donnée aux françois en 175 r,
tomba, parce que l’auteur n’avoit pas bien faifi
les nuances de ce caractère. Piron inftmit de cette
chute, s’écria ; « Je m’y attendois. Jamais un
homme ne fe connoît affez pour fe peindre au
naturel »
L ’abbé le Blanc étoit logé à coté d’un maréchal
ferranr. Quelqu’ un qui ignoroit fa demeure la
; demanda à Piron : « C ’elt, répondit celui-ci , dans
telle rue à côté de fon cordorifiiet ».
M. de Fontanelle avoit fes dîners marqués pour
chaque jour de la femaine dans certain nombre
de bonnes maifons. Cela fit dire à Piron, voyant
paffer le convoi du doyen de l’académie. « Voilà
la première fois que M. de Fontanelle fort de chez
lui pour ne ' pas aller dîner en ville ».
Piron dît un jour à un de fes amis qu’ il ren-
contra allant à une repréfentation de Mélanide.
« T u vas donc entendre prêcher le père de la
-chauffée ? »
!
[ Piron noua apprend lui même qu’ à la première