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d’Iine lettre de Malborough à ce fuj’et. Cette
lettre portoit qu’on pou y oit affurer Yhomme de
Mons que les cent mille piaftres lui feraient comptées
dés qu'il quroit fait fon coup. L’abbé Lenglet en
avertit -auditôt M. le Blanc , alors intendant..,
• d'Yprès. Le traître tut convaincus on trouva dans
fa poche même la lettre originale. Il fubit la peine
de fon crime.
Cet abbé rendit un fervice non moins important
au régent , lors de la confpiration du prince
de Cellamare , tramc'e en 1718, par le cardinal
Albéroni. Cette confpiration venoit d'être découverte
, 3c on avoit arrêté plufieurs feigneurs ; mais
on ignoroit le nombre & le deffein des conjurés.
Le mimftre , qui fe rappelloit le fitccès avec
lequel l ’abbé Lenglet avoit rempli fes différentes
commiffions auprès de l'éleébeur de Cologne, le
choifit pour pénétrer la nouvelle intrigue. Mais
l'abbé ne voulut s’en charger que. fur la proïneffe
qu’aucun de ceux qu’ il découvnroit ne feroit
'condamné à mort. Il rendit de grands fervîces à
cet égard ; 8c non-feu’ement on lui tint parole
par rapport à la condition qu’il avoit exigée mais
encore le roi le gratifia dès-lors d'une penfion
dont il a joui toute fa vie.
Dans un voyage qu-’il fit à Vienne, il fut pré-
fenté au prince Eugène, qui le goûta & le nomma
.fon bibliothécaire, place qu'il perdit bientôt;
après. L’abbé Lenglet ne fut jamais profiter des ;
circonftances heureufis que la fortune lui offrit,
& des protecteurs puiffans. que fon mérite & fes
’ fervîces lui acquirent. 11 manquoir abfolument
dé cette fouplelfe de caraÇtère qui fait fe plier
aux caprices des grands , de cette aiHduité qui ne
fe rebute ni des refus, ni des lenteurs, de cette
confiance à s’occuper du même objet : Liberté,
liberté y c’étoit. fa devife.
L’abbé Lenglet avoit néanmoins quelque chnfe
encore de plus cher au monde que cétte liberté :
ç ’étoir le pia*fir de fatisfaîre fes petites haines,
fes petites vengeances contre fes critiques , &
fur-tout contre les cenfeurs de fes manuferits, qui
ne vouloienr point lui palfer toutes fes réflexions
fatyriques. Il fembioit même qu’il ne fe confo-
loit du pénible fardeau d’ccrivain que par Je' plaifir
de décocher de temps en temps de petits traits
malins contre fes adverfaires. Il rioit tout le premier
, il s’applaudiffoit même des différends que
fon humeur critique lui attiroit, & de fis fré-
quens voyages 3 la B affilie. Il y a été mis dix ou
douze fois dans le cours de fa vie. Il en avoir pris
en quelque forte l’habitude. Un exempt. appelé
Tapin, étoit celui qui.fe tranfportoit ordinaire^
ment chez lui pour lui lignifier les ordres du roi.
Quand l’abbé Lenglet. le voyoit entrer , il ne lui
donnoit pas le temps d’expliquer fa corrmiflîon,
fc prenant le premier la parole : Ah ! bon jçur, |
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M. Tapin! Allons vitey difoit-iî à fa gouvernante
, mon petit paquet, du linge v du tabac, &c,
& il alloit gaiement a la B.iftille avec M. Tapin.
L'abbé Lenglet s’ eft principalement fait con-
j noître par fa Méthode pour étudier Phi (love avec
un catalogue des principaux hifioriens Sa mémoire
le fervoit beaucoup dans ces ouvrages de compilation.
Il n’étoit pas poffib.e de fe rappeller avec
plus d'exactitude les faits même les plus indifé-
rens. C e don de-la nature étonna un Sr.uu beaucoup
un favant étranger. M. Duval , lorrain de
naiflance , biüothccaire de l’empereur , étant
venu à Paris quatre ou cinq ans avant la mort
de l’abbé Lenglet, alla voir madame de Graffi-
gny, comme la pe:forme qui par fon efprir &
par fes ouvrages foifoit lé plus d'honneur à fa
patrie. Madame de Graffigny le. fit prier à dîner
quelques jours après ; & pour affortir fes convives
, eile invita quelques g; ns de lettres.,
erur’autres l’abbé Lenglet. Il y avoit trente-cinq
ou trente-fix ans que celui-ci -a voit été à Vienne;
il cot.noilfoit ia bibliothèque de ^empereur Charles
VI. La copverfanon étant tombée fur ce
lu jet, l’abbé fit une longue énumération des livres
& des manuferits qui compofoient cette bibliothèque
; il en avoir retenu tous les titres; à tel
endroit,, difoitril, font tels & tels ouvrages, à
tel rayon tels autres-, &rc. M. Duval ne pouvoir
revenir de fa fuprife, la bibliothèque de l’emr
perëur régnant fe trouvant prefque dans le même
é ta t, dai s le même arrangement que le difoit
l’abbé Lenglet.
On doit à l’abbé Lenglet une nouvelle traduction
de Y Imitation-de Jefas-Chrift , qu’il fit
paroître en 1731. Cette traduction eft remarquable
par le vmgt-fîxième chapitre du premier livre
qui manque dans toutes les éditions , & que
l’abbé Lenglet a recouvré en confultant d’ariciens
manuferits. Dans le temps qu’il étoit occupé de
cette traduéliôn , il fongeoit à donnèr une édition
des fatyr.es & autres oeuvres de Régnier, où
fouvent il éclaircit un texte licentieux par des
notes encore plus licentieufes. Il avoit déjà donné
une édition /««-40. de Marot, plus magnifique
qu’utile-,, & femée de plaifanteries obfcènes 8c
quelquefois 'malignes.
Cet gbbé, qui étoit parvenu jufqu’ à l’ âge de
quatre - vingt: - deux ans fans grandes maladies ,
périt d’une manière fûndte auprès de fon feu. Il
îifcic'tm foir, pour fon malheur-, une brochure
nouvelle qu’on lui avoit envoyée ; il s’endormit &
tomba la tête la première dans le feu. On vint à
fon fecours ; mais il étoit trop tard 5 on le trouva
à moitié confumé. On a d’autres exemples qui
doivent faire faire attention à ne jamais biffer
les vieillards, airifi que les enfans, feuls auprès
du feu#
LESDIGUIERES
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LESDIGUIERES, (François de Bonne, duc
0 e ) connétable de France, né en 154 3, mort
en 1616.
Le connétable de Lefdiguiéres étoit de Languedoc.
Son père, qui n’étoit pas riche, étoit
cadet d’une très-ancienne maifon ; il fe trouvoit
lui-même cadet de plufieurs enfans. 11 s’avifa un
jour, étant encore fort jeune, d’aller voir un de
fes parens, qui avoit un château 8c tenoit un
jaffez grand état dans la province; Le feigneur
.châtelain, avoit compagnie chez lu i, 8c reçut
allez .froidement fon jeune parent. Il fentit le
mauvais accueil qu’on lui faifoit, mangea beaucoup
à fouper, parce qu’il avoit faim, 8c alla
fe côucher.
Il étoit né fier & fenfible ; excellentes difpo-
fitîons pour faire fortune, quand on y joint,
comme il le fit, de l’intelligence, de l’aétivité &
de la conduite.
Le lendemain il partit, & fit une efpèce de '
■ voeu de ne pas remettre les pieds dans le pays,
qu’il ne fût devenu auffi grand feigneur que fou
parent. Il fe jetta dans le premier régiment d’infanterie
qu’il trouva, & débuta par y être {impie
foldat. On lui demandoit un jour comment il
avoit fait pour fe procurer un fi grand avancement,
& de (impie foldat devenir connétable de
France : il répondit qu’ il n’avoit employé pour
cela qu’un moyen très-fimple, qu’il n'avoit jamais
remis au lendemain ce qu’il avoit pu faire
la veille.
En 158(3, Devius, gentilhomme catholique de
Provence , ayant attaqué, contre la foi des traités
, les calviniftes de fon voifinage, ceux - ci
appelèrent Lefdiguiéres à leur fecours. C e grand
capitaine, ami de tout temps de l’agreffeur , le
pria de ne point le Forcer d’en venir aux extrémités
avec lui. Les menaces d'un homme qui ne
menaçoit guère en vain , n’intimidèrent pas le
brave Devius , qui renvoya le trompette avec le
feul mot : dites-lui qu’il vienne. Lefdigueres fe
mit auffitôt en marche , en prenant les précautions
convenables avec les ennemis qu’on a lieu
d’eftimer. Quelques-uns des fiens le preffant avec
trop de vivacité de doubler le pas, il répondit
froidement, qu’ i/ alloit a la guerre & non a la
chajfe. Une viôtoire complette fut le prix d’une
conduite fi fage. Il écrivit du champ de bataille
à fa femme : « Ma mie, j'arrivai hier ici ; j’en
s parts aujourd’hui ; les provençaux font défaits.
* Adieu ».
En 1590, Grenoble craignoit avec raifon d’être
affiégée & prife par Lefdiguiéres. Le parlement
lui envoya Moydieu , gentilhomme du pays, pour
traiter avec lui. Ce gentilhomme, ligueur paffionné,
changea les termes de fa million, qui dévoient
être pleins de modération 8c d'honnêteté, & n’em-
E n cyclopédidna%
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ploya que des exprefiions fières & menaçantes.
Lefdiguiéres , qui avoit la modération que le
grand courage infpire ordinairement, fe contenta
de lui répondre en fouriant : Que diriez - vous
donc , monfieur , f i vous teniez comme moi la campagne?
Ceci rappelle çe mot d’un héros grec, qui
dit dans une femblable occafion : Mon ami, vos
paroles' ont befoin <£ une cité.
Henri I V , qui eftimoit Lefdiguiéres, n’étant
que roi de Navarre , lui donna toute fa confiance
lorfqu’ il fut roi de France, & le fit par la fuite
lieutenant-général de fes armées de Piémont, de
Savoye & de Dauphiné. Mais en 1591* Henri
combattoit encore pour fe rendre maître de fa
capitale & de plufieurs autres villes de fon
royaume. Lefdiguiéres , méditant alors la conquête
de Grenoble, 8c affuré du fuccès de fon entreprise
, avoit demàndé au roi le gouvernement de
cette ville. Le maréchal de Biron , qui s’étoit
apperçu qu’on écoutoit froidement cette prière ,
avoit dit dans, fon accent gafeon : Cap de jou,fire 3
donnez-lui le gouvernement de Lyon & de Paris 3
s’il les peut prendret Ce mot fit taire toutes les
répugnances. La ville étant- conquife , Saint-
Julien , fecrétaire de Lefdiguiéres , arriva à la
cour pour faire expédier les provifions. Les principaux
officiers catholiques fe récrièrent hautement
fur une prétention qui leur paroiffoit trop
hardie de la part d’un huguenot. L e ‘ ro i, qui
avoit befoin d’eux , n’.o.fa , dans la crainte de les
mécontenter , accorder ce que fon bon coeur 8c
la juftice lui diétoienr. Saint-Julien fort de l’af-
femblée où cette affaire eft traitée, & y' rentrant
rinftant d’après :> Meilleurs, dit il , votre
» réponfe inefpérée m’a fait oublier un mot.
» C e f t que, puifque vous ne trouvez pas bon dé
» donner à mon maître le gouvernement de
9- Grenoble , vous avifiez aux moyens de le lui
« ôter ». Là-deffus il fort encore. Mais le courage
de ce fecrétaire en avoit impofé à tout le
monde. Henri s’ en apperçut, 8c Saint Julien emporta
, fans nouvelle contradiôlion, ce qu’il étoit
venu chercher.
Lefdiguiéres attaqua & battit, près d’Avalon ,
le duc de Savoie , qui, pour s’aggratidir, voulut
profiter des troubles qui divifoient & affoibliffoient
la France. Quelqu’ éclatante que fût la viôboire ,
le général françois n’étoit ni moins modefte, ni
moins affable. Le brave la Buiffe, admirant une
modération fi rare, lui dit agréablement : « Quel
» homme êtes-vous, monfieur ? Vous venez de
» faire une des plus belles aérions, 8e vous n’avez
» pas un autre vifage qu’hier»! Mon ami, répondit
Lefdiguiéres , i l faut louer Dieu de tout,
continuer a bien faire,
Lors du fiège de Montauban, en 1621, Lefdiguiéres
s’y exp.ofa en foldat.. Ses amis le blâmèrent
de cette témérité. I l y a . leur dit-il, foixantc
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