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Les tribunaux étoient toujours, ouverts à quiconque
croyoit avoir à fe plaindre des agens &
des intendans de l'empereur ; & le fifc, dit Pline,
dont la caufe n’eft jamais mauvaife que fous un
bon prince, perd©it fouvent fon procès. Trajan
avpit coutume de dire « que le file eft dans l’état
ce qu’eft dans le corps humain la rate, qui ne
peut croître fans que les autres membres en
fouffrent, & tombent dans l’amaigriffcinent >>•
i>i cette expreflion n’eft pas conforme à l’expérience,
elle fait connoître du moins lesTentimens
patriotiques qui animoient ce bon prince.
Trajan rendit à fon peuple cette multitude de
maifons de plaifances, de palais, de^ jardins fu-
perbes que l’avidité des premiers Céfars avoient
envahis. Cet empereur ne fe permettoit de magnificence
que dans les monumens publics. Le plus
célèbre ell la nouvelle place qu’ il bâtit dans Rome,
& qui porta fon nom. Pour en préparer le
fo l, il fallut couper une colline de cent quarante-
quatre pieds de haut. 11 l’environna de galleries
& de beaux édifices. 11 avoit ordonné que l’on
érigeât au milieu cette colonne magnifique qui
fubfifte encore, qu’il ne vit jamais, 8c qui^ lui
fut dédiée par le peuple & le fénat lorfqu’il etoit
occupé à la guerre contre les Parthes.
Trajan faifoit la guerre aux daces. Son fifs,
qui l’accompagnoit, eut le malheur de tuer par
un écarre de fon cheval, le fils unique d’une
pauvre veuve. Cette mère affligée fe jette aux
pieds de l'empereur, & lui demande juftice.
Trajan defeend de cheval pour l’écouter ; touché
de fes larmes, il la confole, & ne fachant comment
reparer affez fon malheur, après lui avoir
accordé tout ce qu’elle demandoic, il lui donna
encore fon propre fils. C ’eft le fujet d’un tableau
qui reprefente Trajan donnant fon fils a une
mère affligée, qui tient dans fes bras le corps
de celui que la nature lui avoit enlevé,
Le guerrier n’étoit pas motos grand en lui que
le prince ; & peut-être aucun empereur romain
n’a fait de conquêtes plus difficiles. Il exécuta le
projet de Céfar > & fit avec fuecès la guerre aux
parthes, nation belliqueufe, & pour laquelle fuir1
etoit combattre. Il n’y avoir qu’un prince aufli
courageux que Trajan qui pût réuffir dans une
entreprife où les dangers étoient toujours pre-
fens> & les reffources éloignées, il etendit fes
conquêtes en Orient, châtia les Juifs, & vainquit
une multitude de nations barbares & inconnues
dont on pouvoir à peine retenir les noms
àRpme. La mort l’ arrêta au milieu de fes conquêtes.
Ses cendres enfermées dans une urne d’o r , furent
portées à Rome, & elles y éntrerent en pompe
fur un char triomphal, précédées du fenat, &
fuivies de l’armée, On les plaça fous la fameüfe
colonne qui porte fon nom, & ce fut encore une
diftinétion pour Trajan, que d avoir fa fèpultûre
T R I
dans la ville, où jamais peifonne n’avoit été in4
humé.
Ses fujets lui avoient donné le furnom d'opti*
mus très-bon, furnom qu’ il mérita par toute fa
conduite, & qui devroit être le titre fpécial
de tout prince chargé par le devoir de fa place
de reprefenter la divinité.
TR A V A IL . Le travail eft à la focieté ce que
le mouvement eft à l’univers.
Le travail abrégé le temps & te rend eternel,
en le retraçant à nos yeux > il n eft perdu que
pour i’oifiveté.
L a n a tu r e e ft in é p u i fa b le
E t l e t r a v a i l in f a t i g a b l é ,
E t u n d ie u q u i l a r a je u n it .
VOLTAIRE.
T R IS T A N (François), furnommél’Hermite,^
né au château de Souliers, dans la province de
la Marche , en 1601, comptoit parmi fesayeux ,
1e fameux Pierre l’Hermite, auteur de la première
croifade ; placé auprès du marquis de
Verneuil, bâtard de Henri IV , il eut 1e malheur
de tuer un garde-du-corps, avec lequel il fe
battit en duel. Il pafta en Angleterre, & de-la
vint en Poitou, où Scévole de fainte-Marthe le
prit chez lui. C'eft dans cette école, qu’ il puifa
le goût des lettres. Le maréchal d’Humières
l’ayant vu à Bordeaux, le préfenta à Louis .XIII,
qui lui accorda fa grâce ; <k Gafton d’Orléans 1e
prit pour un de fes gentilshommes ordinaires. Le
jeu, tes femmes & tes vers remplirent fes jouis ;
mais ces paffions ne firent pas fa fortune. Il fut
toujours pauvre ; & fi l’on en croit Boileau , il
paffoit l’été fans linge & l’hiver fans manteau. U
mena une vie agitée & remplie d événements ,
dont il a fait connoître une grande partie dans
fon page difgracii, roman qu’on peut regarder
comme fes mémoires, Trifian s eft fur tout diftin-
gué par fes pièces dramatiques. Elles eurent
toutes , de fon temps, beaucoup de fuccès ;
mais il n'y a que la tragédie de Mariamne, qui
foutienne aujourd’hui la réputation de fon
auteur.
Trijlan fut reçu à l’académie françoife en
1648, & mourut à l’hôtel de Guife , en ié y f.
On prétend qu’il fit lui-même fo'n epitaphe
que voici :
E b lo u i d e l ’ é c l a t d e l a fp le a d e u r m o n d a in e ,
J e m e f la t t a i to u jo u r s d’ u n e e fp é r a n c è v a in e ,
E a i fa n t l e c h ie n c o u c h a n t a u p rè s d ’ un g r a n d fe ig t ie u r î
Je m e vis- to u jo u r s p a u v r e , & tâ c h a i de p a roîtiei
J e v é c u s d ans la p e in e a t t e n d a n t l e b o n h e u r ,
E t m o u ru s fu r u n c o f f r e e n a t te n d a n t m o n m a ît r e .
T ü R
Moatmort lui fit cette autre épitaphe !
E l i e , a in fi q u ’ i l e ft é c r i t ,
D e fo n m a n te a u c çm m e d e fo n e fp r i t
K é c om p e n fa fo n fe r v i te u r f id è le .
T r if ta n e û t fu iv i c e m o d è le ;
M a is T r ifta n q u ’o n m i t au tom b e a u
P lu s p a u v r e q u e n’ e ft u n p r o p h è t e ,
E n la i f la n t à Q u in a u lt fo n e fp r i t d e p o ë t e ,
N e p u t lu i 1 a ille r u n p ia n te a u .
TRUBLET. (Nicolas Charles Jofeph ) mort
en *770. Il a fait des eflàis de littérature & des
mémoires en faveur de Fontenelle & Lamothe.
C ’eft de cet abbé que Voltaire a d it, pour
fe venger d’un petit mot de fatyre qui lui étoit
échappe' :
î L ’ a b b é T r u b le t a lo r s a v o i t l a r a g e
D ’ê t r e à P a r is u n p e t i t p ê r lb n n a g e :
A u p e u d’ e fp r i t q u e le b o n -h om m e a v o i t ,
L ’e fp r i t d ’a u t ru i p a r fu p p lém e n t f e r v o i t i
I l e n ta ffo i t a d a g e fu r a d a g e ,
I l c o m p i lo i t , c o m p i l o i t , c om p i lo i t .
L’abbé Trublet fe trouvant dans une compagnie
affez nombreufe où fe trouvoient deux beaux efprits
& deux hommes très-riches, dit aux premiers qvi
s’attaquoient l’ un l’autre : « Voyez un peu comme
ces deux meflieurs fe ménagent, fe flattent, fe
refpe&ent ! Bel exemple à fuivre ! Ils ne donnent
point de fcènes aux gueux ; n’en donnez pas aux
fots ».
TU R E N N E , (Henri de la Tour d’Auvergne
, vicomte de ) né à Sedan 1e 11 feptembre
161 1 , & tué à l’armée d’un coup de canon le
27 juillet 1^75.
Turenne montra dès fa plus tendre jeuneffe 1e
gôut le plus décidé pour l’art de la guerre où
il deyoit un jour acquérir tant de gloire. C e pendant
la délicatefle de fon tempérament fem-
bloit s’oppofer à ce qu’il embraffât ce parti, &
©n ne le lui diflimuloit point. Le jeune Turenne
n’ayant alors que dix' ans , prit une réfolution
allez étrange pour faire cefler ce difeours ; il
s’échappa la nuit pendant une faifon «affez rigoureuse,
& courut fur le rempart dé Sedan, comptant
y relier jufqu’au lendemain. Auflitôt qu’ on
s’apperçoit de fon abfence , on le cherche dans
toutes les principales maifons de la ville ; mais
inutilement. Son gouverneur défefperantr de le
rencontrer, paffe, pour s’en retourner , à travers
les.batteries du rempart. Mais quelle fut
fa. furprife de voir le Vicomte couché fur l ’af-
T u R ÿn
fut d’un canon, & profondément endormi 1 Ce
ne fut qu’avec beaucoup de peine qu’on le détermina
à venir au château; il voujoit abfolu-
ment paffer la nuit où on l’avoit trouvé. La crainte
que Ton eût qu’ il ne fe liviât à quelques autres
tentatives imprudentes 3 empêcha qu’on ne lui
parlât davantage de la délicatefle de fon tempérament.
Le Vicomte fit fes premières campagnes fous
le prince Maurice dé Naffau fon oncle maternel.
Ce prince qui paffoit à jufte titre pour un
des plus grands capitaines de fon fiécle, voulut
que fon neveu commençât par prendre 1e mouf-
q u e t , & qu’il fervit comme un fimple foldat
avant que de l’élever à aucun grade. Il fut fait
màréchal-de-camp à 23 ans, maréchal de France
à 32, & maréchal-général des cajnps & armées
du roi à 48.
L’abbé Fouquet, favori du cardinal Mazarin >
ayant ofé s’émanciper , jufqu’à montrer fur une
carte, l’endroit où M. de Turenne devoit^ paffer
une riviere , ce maréchal lui donna fèche-
ment fur .lès doigts, & lui dit M. l’abbé ,
votre doigt n’eft pas un pont.
Le défintéreffement & la generofité tiennent
un des premiers rangs parmi tes vertus militaires
de cet homme illuftr©. Lors de la campagne de
1673 , un officier général lui propofa , dans te
comté de la Mark , un gain de quatre cents mille
livres , dont la cour ne pouvoir jamais rien Savoir;
à» Je vous fuis fort ob'igé, répondit il 9
mais comme j’ai fouvent trouvé de ces occafions,
fans en avoir profité, je ne crois pas devoir
changer de conduite à m»n âge.
A-peu-près dans 1e même terns, une ville fort
confidérable lui offrit cent mille écus, pour qu’il
ne paffât point fur fon territoire. » Comme votre
ville , dit-il, aux députés , n’ eft point fur
la route où j’ai réfolu de faire marcher l’armée ,
je ne puis prendre l’argent que vous m’offrez.
Les fùccès glorieux de cette campagne de
1673 procurèrent au général un accueil des plus
flatteurs à Verfailles. Louis XIV ne lui refufa
point fes louanges, & lui dit que 1e marquis de
S. Abrene ferviroit plus fous lu i, parce que dans
fes lettres au tniniftre, il avoit blâmé que'que^r
uns des partis qu’il avoit pris. » Pourquoi ne
m’a-t-il point parlé ?, répondit le vicomte; je
l’aurois écouté avec plaifir, & j’aurois profité
de fes confeils” . Il exeufa enfuite S. Abre , en
fit l’éloge, lui obtint des récompenfes , & fe
fit promettre qu’on ne 1e priveroit point d’ufî
officier d’un mérite aufli diflingue.
Lès fatigues de la campagne de 1674 avoient
caufé de grandes maladies dans l’armée Françoife.
On vit partout Turenne tenir aux foldats
dés difeoufs paternels , & toujours la bourfe à la
main.. Lorfque fon argent étoit épuifé, il ero