
nous vendent leûr fervitude & l'inutilité dont ils
font dans les villes j les chats, au contraire, délivrent
nos maifons des animaux qui les décruifent.
Si nous en croyons le pere Meneftrier, dans un
livre qui a pour titre : Repréfentation en mufique ,
il y rapporte, page 180, la marche d'une pro-
ceflion qui mérite d'être tranfcrite, pour prouver
que les chats ont encore une autre utilité, à
laquelle on ne s'attend pas. Voici fes paroles:
Jean Criftoval Calvette , qui a fait la relation
du voyage que Philippe I I , roi d'Elpagne fit de
Madrid à Bruxelles, pour aller voir fon père
Charles-Quint, a décrit# une .fête qui fe nt à
.Bruxelles, l'an 154y.
Le dimanche dans Poétave de l'afcenfîon, pour
la célébrité d’une image miraculeufe de la Sainte-
Vierge, qui eft confervée dans une églife que l'on
nomme du. Sablon , après avoir décrit les croix
& les bannières, l'ordre des prêtres & des religieux
qui compofoient une partie de là procef-
lion , il dit qu'on vit paroître plufieurs chars de
triomphe, fur Jefquels étoient repréfentés les principaux
myftères de la vie de Notre-Seigneur &
de la Sainte-Vierge. Cette pompe myftérieufe
commença par. la figure d'un diable, en forme
d'un puiffant taureau, qui jettoit du feu par les
cornes , entre lefquelles un autre étoit aflis , &
-l’un & l'autre étoit conduit par un enfant vêtu en
loup , monté fur un courtaud vêtu d'armes lui-
fantes , avec l'épée & la balance en mains. Sur le .
pas dç cet archange marchoit un charriot chargé
d'une mufique la plus fonore & la plus mélodieufe
qu’on eût jamais entendue. C'étoit un ours alfis
qui touchpit un orgue, non pas compofé de tuyaux,
comme les autres, mais d'une vingtaine de chats
enfermés féparément dans des cailles étroites , où
ils ne pouvoient fe remuer. Leurs queues fortoient
en haut par des trous faits exprès , & étoient liées
à des cordes attachées au regiftre de l'orgue, dont,
à mefure que l ’ours preffoit les touches, il faifoit
lever ces cordes , & droit les queues des chats 3
pour les faire miauler & formerle ton de baffes, de
tailles & de delfus, félon la nature des airs que l'on
vouloit chanter, avec tant de proportion, que
cette mufique de chats ne faifoit point un faux ton.
Au fon de cet orgue fi bien conduit, danfoient
des linges , des ours, des loups, des cerfs & d'autres
animaux autour d'une grande cage, fur un
théâtre porté fur un char tiré par des chevaux.
Dans cette cage, autour de laquelle danfoient ces
. animaux, étoient deux linges qui jouoient de la
cornemufe, au fon de laquelle des enfans changés
en bêtes danfoient, pour repréfenter la fable de
.C ir c é , qui changeâmes compagnons d'Ulylfe en
pourceaux. En un mot, afin qu'il ne manquât rien
g cette cérémonie, les reliques des Saints étoient
portées après, & on entendoit les chants graves
de l'églife, après avoir oui ces concerts de mufique;
L’empereur Charles-Quint, le roi Philippe
fon fils, & les reines, virent ces repréfentations
des fenêtres. & des balcons de l'hôtel-de-ville.
Tout le monde fait combien le fameux Mahomet
avoit d'égards pour les chats. Un de ces animaux
s'étant un jour trouvé endormi fur la manche du
prophète, au moment de fe rendre'à la prière,
Mahomet aima mieux la couper que de déranger
fon vénérable chat.
Il y a encore quelques villes dans le royaume ,
où le maire & les échevins, dit Sainte-Foix , font
mettre dans un panier une ou’ deux douzaines
de chats, & les brûlent dans le feu de joie de
la veille de la Saint-Jean. Cette barbare cutume ,
dont on ignore l'origine, fubfiftoit même dans
Paris, & n'y a été. abolie qu’au commencement
du règne de Louis X IV .
CH A TE L L E T ( Paul Hay du ) , né en 1 y y ,
mort en 1636. Un jour que M. du Chatellet étoit
avec M. de -Saint Preuil, qui follicitoit auprès du
roi la grâce du duc de Montmorenci, & qu’il
témôignoit beaucoup de chaleur pour cela , le roi
lui dit : « Je penfe que M. du Chatellet voudroît
» avoir perdu un bras, pour fauver M. de Mont-
» morency ». Il répondit : Je voudrois , Jtre, les
avoir perdus tous deux , car ils font inutiles a votre
fervice 3 & en avoir fauve un qui vous a gagné des
batailles , & qui vous, en gagnerait encore.
Du Chatellet, au fortir de la prifon où il avoit
été mis , pour n'avoir pas voulu être un des com-
milfaires du maréchal de Marillac, alla à la meffe
du r o i, qui ne le regardoit point, àffeétant de
tourner la tête d'un autre côté, comme par quelque
efpèce de honte de voir un homme qu'il venoit de
maltraiter, il s'approcha de M. de Saint-Simon,
& lui dit : Jeyous prie , Monfipur, de dire au roi
que je lui pardonne de bon coeur 3 & quil me fajfe
l'honneur de me regarder. M. de Saint-Simon le dit
au ro i, qui en r it, & le careffa enfuite.
CHAUL IEU ( Guillaume Amfrye de ) , poète
frapçcis, né à Fontenay, dans le Vexin normand,
en 1639, mort en 172©, à quatre-vingt-un ans,
étoit nîs d’un maître dts comptes de Rouen.
MM. de Vendôme , qui goûtèrent de bonne
heure l'efprit de Chaulieu, voulurent être fes
amis & fes protecteurs : ils lui firent avoir plus
de 30000 livres de rentes en bénéfice. Chaulieu
s'avouoit l'élève de Chapelle , & s'abandonna,
comme fon maître, à une volupté délicate, qu'ils
firent refpirer dans leurs vers. Sa poéfie eft pleine
d'images fimples , naïves , enjouées ; mais le ftyle
en eft fouvent négligé, & ne fe fent que trop
de la molelfe voluptueufe de l’auteur, épicurien
décidé, qui ne fe fit jamais un tourment de rimer.
Il occupoit à. Paris une maifon dans le temple ,
où il raffembloit pne fociété d’amis choifis : on
l’appelloit Y Anacréon du temple 0 parce que, comme
le poète grec, il conferva jufqu’ au dernier âge fon
même goût pour les piaifîrs.
L ’auteur du Temple du Goûta trè&.-bien ca-
raétérifé ce poète.
Je vis arriver en ce lieu
Le brillant Abbé de Chaulieu ,
Qui chantoit en fortant de table:
Il ofoit carrefler le dieu
D ’un air familier , mais aimable, i
Sa vive imagination
Prodiguoit dans fa douce ivreflè
Des beautés fans correction
Qui choquoient un peu la juftefiè ,
Mais rèfpiroient la paüfion.
Le dieu du goût l’avertit de ne fe croire que
le premier des poètes négligés , & non pas le
premier des bons poètes.
L’jjbbé Chaulieu mourut à peu près comme il
avoit vécu , en careffant l’amour & les piaifîrs.
A l’âgé de plus de quatre-vingts ans, il s'étoit déclaré
l'amant de mademoifelle de Launay, dont
nous avons des mémoires fous le nom de madame
de Staal. Gomme il étoit devenu aveugle, il prê-
toit à fa maîtreffe les charmes les plus propres
à .le féduire ; 8c ne comptant plus fur les fiens,
il s'efforçoit de fe rendre aimable, à force de com-
plaifancë & d'attention à prévenir tout ce qu'elle
pouvoit délirer. Il propofoit fouvent d'ajouter le s .
préfens à l'encens qu'il offroit. Mademoifelle de
Launay, importunée un jour des vives inftances
avec lefquelles il la prioit d’accepter mille pif-
toles, lui dit : ce Je vous confeille , en reconrîoif-
» fance de vos généreufes offres , de n'en pas'
» faire de pareilles à bien des femrhes ; vous en
» trouveriez quelqu'une qui vous prendroit au
*> mot m. Oh ! répondit-il affez naïvement, je
fais bien a qui je madreffe.
Comme l’abbé de Chaulieu fe contentoit de
réciter fes vers , fans en laiffer prendre de copie,
il n'y a point d'édition complette , ni peut-être
fidelle de fes oeuvres.
Voici un billet de Chaulieu à M. de la Fare,
pour l'inviter à fouper avec une dame de fes
amies :
Ce foir, lorfque la nuit aux amans favorable
Sur les yeux des mortels répand l'aveuglement.
Dans un petit appartement,
Les Grâces & l’amour conduiront ma maîtreffe.
A cet objet de ma tendreffe ,
De mon coeur partagé rejoins l ’autre m o itié ,
Et donne-moi ce foir le plaifir d’être à table
Entre l’amour & l ’amitié.
CHAUSSEE (Nivelle de la ) , poète dramatique
, né à Paris en 1602, mort dans cette même
ville en 1754« Lu Chaujfee avoit des moeurs douces,
une ame honnête & fenfîble. Il n’ a point, comme
Plaute & Molière, attaqué le ridicule du carac-
v tère & les travers de l'efprit, ce font les foi-
bleffes du coeur qu’il peint dans fes drames j Sc
fans penfer à corriger, il ne veut qu'attendrir.
Mais il n'eft point, comme on l’a prétendu, créateur
du genre attendriffant ou larmoyant, ainfî
qu’on l’appelle par dérifion. Plufieurs auteurs avant
lu i, & Térencemême, ont donné des comédies
de ce genre. La Chauffée n'a contribué qu'à faire
revivre parmi nous cette branche du théâtre, 3c
a augmenté par-là no$c piaifîrs.
La comédie de Mélanide , repréfentée pour la
première fois en 1 7 4 1 , eft peut-être la meilleure
des pièces dans le genre attendriffant. C'eft un
roman, fi l'on veut, mais-un roman dramatique,
qui fait beaucoup d'effet fur le théâtre. Le quatrième
& le cinquième a&e font de la plus grande ,
chaleur. Le pathétique de cette pièce n'a pas cependant
empêché M. Piron de plaifanter beaucoup
fur les drames de ce genre, qu'il compare
à de froids fermons : Tu vas donc entendre
prêcher le pere la Chauffée, dit - il un jour à
un de fes amis, qu’il rencontra allant à une re-
préfentation de Mélanide.
La Chauffée a compofé encore plufieurs autres
pièces qui ont été recueillies en 1763, en cinq
volumes petit in-i 2. Un des plus grands reproches,
que l'on-a faits aux auteurs du comique
attendriffant, eft de choquer fouvent la vraifem-
blance, & de traiter les fpeétateurs comme, des *
enfans, en les faifant paffer alternativement des
fis aux pleurs. Mais n’y a-t-il pas des aventures
qui affligent I’ ame, & dont certaines circbnf-
tânees infpirent enfuite une gaîté paffagère ? En
voici deux exemples que M. de Voltaire a rapporté
dans fa préface de l’Enfant prodigue. Une
dame refpeétable voyant une de fes filles en danger
de mort, s’écrioit en fondant en larmes:
Mon Dieu ! rende^-la moi , & prenez tous mes
autres enfans. Un homme qui avoit époufé la foeur
de la moribonde , s’approcha d'elle ; & la tirant
par la manche : Madame, dit-il, les gendres en
font-ils ? Le fang-froid & le comique avec lequel
il prononça ces paroles , firent faire un grand éclat
de rire à la mere, à la malade & à toute la famille
qui l'environnoit.
On avoit défendu à un régiment, dans la bataille
de Spire, de faire quartier 3 un officier allemand
demanda la.vie à un des nôtres, qui lui
répondit : « Moniteur, demandez-moi toute autre
» chofe 5 mais pour la v ie , il n’y a pas moyen ».
Cette naïveté paffa de bouche en bouche, & on
rit au milieu du carnage. A combien plus forte .