
mont-Tonnerre. On fit là-deffus le quatrain
fuivant :
A la plus tendre amour elle fut deftinée, '
Qui prit long-temps Racine dans fon coeur
Mais par un infigne malheur,
Le Tonnerre eft venu , qui l’a déracinée.
La demoifelle Champmêlé étoit petite-fille d’un
préfïdent au parlement de Rouen, qui a voit déshérité
fon fils, parce qu’il avoit fait un mariage op-
pofé à fa volonté. Elle mourut au village d’Au-
teuil, peu de tems après avoir quitté lç théâtre.
Elle a été célébrée par Defpréaux, dans fon epître
a Racine, & par pîufieurs beaux efprits du tems.
Jamais Iphigénie en Aulide immolée
N ’a coûté tant de pleurs à la Grece aflèmblée,
Que dans l’heureuxfpe&acle à nos yeux éta lé ,
N-en a fa it , fous fon nom.verfer la Champmêlé.
c h a n s o n . b<"
Fille aimable de la fo lie ,
La chanfon naquit parmi nous ,
Souple & légère elle fe plie
Au ton des fages & des fous.
Amoureux de la bagatelle,
Nous quittons la lyre immortels
Pour le tambourin d’Erato :
Homere eft moins lu que Chapelle;
Et fi nous admirons Appelle,
Nous aimons T e n ie r s& Vateau.
Les Chanfons de nos pères étoient plus gaies
que les nôtres. Bacchus étoit prefque toujours
leur Apollon ; & ce dieu du v in , ennemi de
la froideur n’excluoit point la galanterie ; le buveur
chantoit, en voyant fon verre :
Je fuis un Narcifle nouveau
Qui s’aime & qui s’admire;
Dans le v in , & jamais dans l’eau,
Sans ceffe je me mire :
En admirant le coloris
Qu’il donne à mon vifage,
De l’amour de moi-même épris
J’avale mon image.
Le buveur «noureux difoit, en voyant la gaze
qui lui cache le fein de fa maîtreffe : ■
Sous un menton ,
Ce morceau mignon
Fait de toile de lin o n ,
De Cupidon,
Eft l’étendart Sc le guidon#
Lorfque. le petit fripon
Vept vaincre du premier b on;
Pour oriflamme, il arbore, dit-on.
Sous fon menton
Le morceau mignon,
Fait de toile de linon ;
De' Cupidon
C’eft l’étendart & le guidon.
On pourroit citer un grand nombre de Chanfons
anciennes, qui refpirent la joie , la candeur
& la naïveté. Celles d'aujourd’hui annoncent plus
defprit, mais moins de naturel ; quelques-unes
pourtant réunifient l’un & l’autre. Telle eft celle-
ci , de M. de Voltaire :
Autrefois un temple étoit : '
La fête en eft pafl'ée ;
Chaque amant y répétoit
Sa plus douce penfée.
Si ce temple, fe rouvioit
Pour ce tant doux myljere »
Que de fois on entendroit,.
[ J’adore la Vallière.
Nos chanfons, dit Voltaire, valent mieujçque-
celles d’Anacréon, 8e le noihbre en eft étonnant;
on en trouve même qui joignent la morale
avec la gaieté. Telle eft celle-ci, de l’auteur
du double veuvage.
Philis, plus avare que tendre,
Ne gagnant rien à refufer,
Un jour exigea de Lyfandre
Trente moutons pour un baifer.
Le lendemain nouvelle affairé,
Pour le berger.le troc fut bon;
Car il obtint de la bergere
Trente baifers pour un mouton.
Le lendemain Philis plus tendre,
Craignant de déplaire au berger,
Fut trop heureufe de lui rendre
Trente moutons pour un baifer.
Le lendemain Philis plus fage
Aùroit donné mouton & chien
Pour un baifer que Je volage
A Lifette donnoit pour rien.
Qui pourroit n’être pas agréablement touché
de ce couplet v if & galant:
En vain je bois pour calmer mes allarmes,
Et pour chaffer l’amour qui m’a furpris ;
Ce font des armes
Pour mon Iris.
t e vin me fait oublier fes mépris,
Et m’entretient feulement de fes charmes#
A la Fougbv.
Vous n’avez p o in t, verre fougèr e,
L’éclat des fleurs qui parent le printemps ;
Mais leur beauté ne dure guère :
Vous êtes aimable en tout tems ;
Vous prêtez des fecours charmans
Aux plaifirs les plus doux qu’on goûte fur la terre ,
Vous fervez de lit aux amans,
Aux Buveurs vous fervez de verre.
Le commis-tu, ma chère Eléonore,
Ce tendre enfant qui te fuit en tout lieu ;
Ce foible ënfant qui le feroit encore,
Si tes regards n’en avoient fait un dieu ?
C’eft par ta voix qu’il étend fon empire ;
Je ne le fens qu’en voyant tes appas ;
Il eft .dans l’air que ta bouche refpire ,
Et fous les fleurs qui naifient fous tes pas.'
Qui te connoît connoîtra la tendrefte ,
Qui voit tes y'eux en boira le poifon ;
Tu donnerois des fens à la fagefl'e,
Et des defirs à la froide raifon.
CH A PE LA IN , ( Jean ) né à Paris, en i f$ry,
liiort en 1674.
La réputation de,Chapelain étoit fî grande, que
le cardinal de Richelieu, voulant faire la réputation
d’un ouvrage, pria ce poète de lui prêter
fon nom en cette occafibn , ajoutant qu’en
récompenfe, il lui prêteroit fa boürfe en quel-
qu’autre.
Dans la place du cimetière Saint-Jean, à Pa-
f is , il y avoit un traiteur fameux , chez, qui s’ af-
fembloit tout ce qu’il y avoir de jeunes feigneurs
des plus fpiritueîs de la cour, avec Defpréaux,
Racine, la Fontaine , Chapelle,Furetière & quelques
autres perfonnes d’élite, : & cette troupe
choifîe avoit une chambre particulière du logis,
qui lui étoit affrétée. Il y avoit fur la table un
exemplaire de la Pucelle de Chapelain , qu’ on y
laiflbit toujours. Quand quelqu’un d’ entr’eux avoit
commis uae faute, foit contre la pureté du langage
, foit contre la jufteffe du raifonnement, il
étoit jugé à la pluralité des voix, 8c la peine
ordinaire qu’on lui impofoit , étoit de lire un
certain nombre de vers de ce poëme. Quand la
faute étoit conlïdérable , on condamnoit le délinquant
à en lire iufquà vingt. Il falloit qu’elle
fût énorme pour être condamné à lire la page
entière.
Un jour Chapelain lifoit fon poëme chez M.
le Prince. On y applaudifloit, & chacun s’ effor-
çoic de le trouver beau : mais madame de Longueville
à qui un des admirateurs demanda fi elle
n’étoit.pas touchée de la beauté de cet ouvrage,
répondit : O u i, cela eft parfaitement beau 5 mais
• il eft bien ennuyeux.
Encyclopédiana.
Monfieur Godeau, évêque de Grafle,' eftimoit
beaucoup la pucelle de Chapelain , jufques-là
qu’un de fes amis lui propofant de faire un pbëme
epique, il répondit, par une snauvaife pointe ,
qu’il n’avoit pas le poumon allez fort pour la
trompette, &c qu’en cette occafion, l’évêquecé-
doit la place au Chapelain.
Chapelain fit attendre long tems fon poëme ,
parce qu’il recevoit une forte penfion de M. de
Longueville. Les rieurs de ce tems-là difoient
que la pucelle étoit une fille entretenue par un
grand prince. Dès que l’ouvrage parut, Linière
fit l’épigramme fuivante»
Nous attendons de Chapelain,
Ce noble & fameux écrivain,
Une incomparable pucelle;
La cabale en dit force bien ,
Dèpuis vingt ans on parle d’e lle ,
Dans fix mois on n’en dira rien.
Nous étions mal avec Chapelain, Péliflon & moi,
dit Ménage. Péliflon , après fa converfion, voulant
fe réconcilier avec lui, vint nie prendre pour
l’accompagner , me difant qu’il fallait aufli que
je me réconciîiafle. Nous allâmes chez lui ; 8>c
je vis encore à la cheminée' de M. Chapelain les
mêmes tifons que j’y avois vus il y avoit douze
ans. .
En voyant T ’exceflive avarice de Chapelain ,
les rieurs difoient que c’étoit pour marier fa pucelle
à un enfant de bonne maifon , 8c les
autres vouloient que ce fût pour la canonifer.
Chapelain n’étoit pas prévenu en faveur du
fexe. Il difoit fouvent que les femmes les plus
fpirituelles n’avoient pas la moitié de la raifon.
Puimorin, frère de Defpréaux , s’avifa un jour
devant Chapelain de parler mal de la pucelle.
C ’eft bien à vous à en- juger- lui dit Chapelain ,
vous qui ne favez pas lire-. Je ne fais que trop
lire, depuis que vous faites imprimer , lui répon- ,
dit Puimorin.
Le cardinal de Richelieu avoit fourni aux au-'
teurs qui travailloient enfemble fous fes ordres,
aux pièces de théâtre, le fùjet de la grande paf-
torale , où il y avoit jufqu’à cinq cents vers de
fa façon. Lorfqu’ il fut dans le defîein dç la donner
, il voulut que Chapelain la revît ,' & qu’il
y fît des obferratians exactes. Ces obfervations
lui furent apportées par Bois-Robert ; & quoiqu’elles
fufient écrites avec beaucoup de difcré-
tion & de refpeét, elles le choquèrent tellement
ou par leur nombre , ou par la cçnnoiflance*
qu’ elles lui donnoient de fes fautes ; que fans
achever dé les lire, il les mit en pièce; la nuit
fuivante,comme il étoit au li t , & que tput dor-
moit chez lu i, avant penfé à la colère qu’il avoij