
d’Argens, devant lequel on racontoit cette firgu-
lière anecdote, d't fur le ton de la plaffanterie :
•* Voilà la première fois qu'on a vu l'incrédulité
appuyée fur l’héréfie.
Un ouvrier en fatyres écrivit un jour à Voltaire :
»Monfieur, j'ai fait imprimer un libelle contre
vous} il y en a quatre cents exemplaires : li vous
voulez m'envoyer quatre cents livres, je vr.us
remettrai tous les exemplaires fidèlement ». Voltaire
lui répondit ; Je me donnerai bien de garde
d’abufer de votre bonté : ce feroit un marché trop
dangereux pour vous ; le débit de Yotre l.vre vous
vaudra beaucoup davantage.
Le fait fuivant eft prefque incroyable. Un académicien,
vers 17150; crut faire honneur à l'académie,
en propôfant Voltaire pour remplir une
place vacante. M. de Boze éleva la voix, pour
dire, « que l'auteur de la Henriade , de l CEdipe
& de Bvutus, ne pourroit jamais devenir un fujet
académique ».
Voltaire fe trouvant dans un fallon, accablé
par le grand nombre de fpeéfateurs, fdrtit en
difant : « On étouffe, mais fous des rofes ».
Voltaire affuroit avec une bonne foi rare & piquante
, que fa tragédie de Zulime qu'il avoit refaite
fous le nom de Fanime, ne pouvôit jamais
êt e une bonne pièce. « G'e ft, difoit-il, une
femme qui court après fon amant, arrive, apprend
qu'il eft marié, fait remettre fes chevaux, &
repart ».
Un grand feigneur faifoit à Voltaire la rente
viagère d’une fomme cor fidérablc que ce grand
p-'ëte lui avoit prêtée. Faute de paiement, Vol-
taire fit aflîgner le feigneur , & vint dîner chez lui
lé jour même qu'il lui avoit envoyé ce billet doux.
Grand tapage, plaintes référées. « Ne nous mê-,
ions, ni vous ni moi, de ces bagatelles-là, dit f r* i-
dement Voltaire, cela regarde nos gens d'affaires ».
' Nanine eut le plus grand fuccès. L ’auteur en
fortant, demanda malicieuferrem à Piron ce qu'il
en penfoit? Celui-ci, qui démêla l'artifice, répondit
gaiement : « Je penfe que vous vaudriez
bien que ce fût Piron qui l'eût faite ». Voltaire^
reprit : « Je vous eftime affez pour cela ».?
Lorfqu'on arrêta Voltaire à la porte de Francfort,
il remit furtivement quelque? papiers à fon
fccrétaire, que ce’ui-ci cacha dans fa culotte.
Enfermé dans la chambre, il fut curieux de lavoir
ce que c'étoit, & ne trouva qu'un noiiveau
chant de la Pucelle, & des morceaux de ph lo-
fophie. Dans ce moment critique, il avoit oublié
fes bijoux , fes lettres de change fes papiers de
famide, ik penfoit à des ouvrages de littérature.
Voltaire, dans un moment d’humeur contre
J. J. Rouffeau , dit en plaifantant : « Je voudrois
arracher les bonnes pages du roman de Julie ».
Voltaire comparoit la nation angloife à un
muids de cette forte b ère qui lui fert de bôiffon.
L'écume, difoit i l , eit en deffus, la lie au fond*
& le milieu eft le meilleur ».
On propofoit un jour à Voltaire de faire le
commentaire de Racine j il répond t : il n'y a qu’à
mettre au bas de toutes les pages, beau, pathétique,
harmonieux, inimitable.
Dans un repas où fe trouvoit Voltaire, la conven
tion tomba fur l ’antiquité du monde. On lui
demanda là-deffus fon avis 1 « Moi, d t-il, je
crois que le monde reffemble à une vieille coquette
qui déguffe fon âge ».
Des anglois s’ étant rendus à Ferney, pour
faire vifite à Voltaire, il ne fit que fe montrer,
& s'écria dans leur langage : Vous voyez un
pauvre homme ». Puis s'adrelfant à un entant,
il lui dît : « Vous ferez quelque jour un Malbo-
rough $ pour moi je ne fuis qu’ un chien de fran-
çois ?>.
Perfonne au monde n’a eu la prodigieufe facilité
d’écrire en vers, comme l’avoit l’auteur de
la Henriade. On lui a vu refaire plufieurs fois &
en peu de temps le rôle de Cicéron dans Rome
fauvée. On lui a1 vu faire deux fois le cinquième
aéte de Zulime, après avoir jetté fon màn.fcrt
auftu. L'admirable Zaïie a été compofée en dix-
huit jours.
Loifque le grand afteur Lekaîn jouoit fur le
théâtre de Ferney, Voltaire ufîiftoit à prefque
toutes les'repréfentations. Il fe plaçait derrière la
fcène , mais de manière à être vu du plus grand
nombre des fpe&ateurs. Cet illuftre vieillard pre-
noit autant d'intérêt à la repréfentation, que s'il
fût agi de P i même dans la pièce. Il paroiffoit
très-fâché quind les a&eurs faifoient quelque
faute; & quand ils rendoient bien leur rôle, fa
fatiafa&ion éclatoit tant de bouche que par des
geftes expreffifs. Les malheurs imaginaires des
héros de la tragédie lui arrachoïer.t dés fîgnes
d'une compaftion véritable , & il verfoit fouvent
des pleurs en auflî grande abondance , qu’une
jeune perfonne qui affilié pour la première fois au
fpc&acle.
Voltaire iut un jour fa tragédie de Mérope à
M. l’abbé de Voifenon. Celui-ci tranfporté de
joie, s’écria : « C ’eft un chef-d'oeuvre, c'eft la
meilleure de vos pièces. •— Eh bien, lui répondit
Voltaire, les comédiens l'ont refufée ».
Mérope eft abfolument fans jntrigue d'amour.
Voltaire auroit voulu purger le théâtre de tout Ce
qui n’elt pas paflion & aventure tragique ,: « Electre
amoureufe, difoic-il à fes amis, eil un monftre
orné de rubans fales ».
©n vantoit à Voltaire le bonheur dont on jouit
dans les champs. « O u i, dit-il, c'eft le premier
des plaifirs infipides ».
Lorfque le fecrétaire de Voltaire lui apportoit
fes lettres, il y avoit toujours des gens qui récla-
moient fes bons offices. « Eft-ce que je m inte-
reffe à monfieur un tel? — O u i, monfieur, vous
lui avez déjà écrit que vous fouhaitiez de lui rendre
fervice. — M ais, parlez-moi clair, eii.ee que
je m'y intéreffe beaucoup ? — O u i, monfieur.—
Dans ce cas, répondez avec chaleur. »
Madame..► ■ ... venue aux environs de Geneve,
defira voir Voltaire ; & pour fe donner plus d'importance
, elle lui fit dire qu elle étoit nièce de
l'abbé Terray. A ce mot, le vieillard de Ferney
répondit : « Dites à madame........... que je n'ai ;
plus qu'une dent, & que je la garde contre fe6
oncle ».
Voltaire dut être bien flatté, lorfqu’un voyageur
lut raconta, qu’en rencontrant au pied du mont _
Athos un vieux folitaire, & le vieillard apprenant
que ce voyageur étoit françois, s'approcha de lui
avec empreffement, & ne lui fit que cette feule
queftion : |1 Voltaire vit-il encore ?
Voltaire ayant chez liii à Ferney lé marquis de
Villette, donc il avoit toujours aimé & encouragé
l’efprit, s'apperçut avec ccmplaifance de fes afli-
duités auprès de mademoifelle de Varicourt. Un
jour, en préfence de M. le marquis de Ville-
vielle, il lui propofa cent mille écus pour la dot
de cette jeune demoifelle , recommandable par fa
naiffance , (on ingénuité,^ fes grâces , & qu'il ai-
moit en père. « Je fuis sûr, difoit-il, que madame
Denis, ma nièce, fera de mon avis; car
el'e regarde Belle & Bonne comme fa fille, ( Belle
& Bonne eft le nom d’amitié que Voltaire avoit
donné à mademoifelle de Varicourt) : or, quant à
mes autres parens, j’ai une bonne fucceffion à
leurlaiffer, & vous conviendrez qu’ils n’ont pas
long-temps à attendre. M. le marquis de Villette
ne voulut jamais confentir à cette générofîté.
Un homme connu emprunta pour fes befoins
feize mille livres à Voltùire, avec protneffe de lui
remettre au bout de quinze jours un contrat pout
fa sûreté. Quinze mois fe pafsèrent fans; que le
prêteur fût nanti. Impatienté de ces lenteurs qui
avoient mauvaife grâce : « Monfieur , lui dit un
jour l’auteur de la Henriade, & d’un ton brufi-
que, je vous donne les feize mille livres, mais
dorén?vant je ne vous prête pas un fou fans hypothèque
».
On apporta un jour à Voltaire un volume d’une
nouvelle édition de fes oeuvres. A l’ouverture de
çe livre, ii tomba fur fon épître au chevalier de
J3. P i . qui commence ainfi ;
C r o y e z q u 'u n v ie i l la r d c a c o ch im e
Agé d e fo ix a n t e & d o u z e an s .
, Voltaire entra en fureur, & déchira le feuillet
en s’écriant « Barbare, dis donc chargé, & non
point MMI fais une image & non pas un extrait
baptiftaire ».
Un officier de marine, dont les fentimens religieux
étoient connus, difoit.beaucoup de mal de
la Pucelle devant M. le comte de. . . - ». Mais
l’avez vous lu ce poème que vous improuvez tant ?
— Non. — Il faut le lire. — Dieu m'en préferve 1
Ecoutez-en du moins un morceau, & vous verrez
qu'il s'en faut beaucoup qu'il foit aufli fea jdaleux
qu'on l’a dit.. — Voyons. Le comte débité fur le.
champ, & du ton le plus férieux :
O , mes amis, vivons en bons chrétiens,
C’eft le parti, croyez-moi, qu’il fa«t prendre.
Eh bien , monfieur? Oh ! répond l'officier,
quand Voltaire le veut, je fais bien qu’il fait des
merveilles.
Un anglois, homme de beaucoup d'efprît, fe
trouvant à Ferney,. & y jouiffànt de la familiarité
de Voltaire, celpi-ci, après le dîner, le fit paffer
par un petit fallon où il y avoit une tête de Newton.
« Connoiffez-vous ce bulle, dit-ilà l'étranger
avec véhémence? C'eft le plus grand génie qui
ait exiité : quand tous les génies de l’uni vers fé-
loient rangés, il conduiroit la bande.
Voltaire a dit de madame Dacier : <« Elle fuit
les grâces , ôc les grâces la fuient ».
Voltaire s'entretenant avec un Anglois , lui fit
cette remarque : » quand je vois un de vos.
compatriotes, rufé & aimant les procès, je dis,
voilà un Normand qui eft venu avec Guillaume
Je conquérant-: quand je jvois un homme doux
& poli , en voilà un qui eft venu avec les Plan-
tagenets : un brutal, voilà un Danois , car votre
nation, aufli bien que votre langue , eft un
galimachias de plufieurs autres.
Voltaire fe trouvant à la toilette du roi de
Pruflé, encore jeune , fit cet impromptu , en
s’adreflant à Maupertuis.
Amis, vois-tu ces cheveux blancs
Sur une tête que j’adore ?
Ils reflèmblent à fes talens ;
Ils font venus avant le temps,
Et comme eux ils croîtront encore.
Voltaire a dit très-philofophiquement : » quand
vous allez chez un ininiftre le matin , demandez
au valet-de-chambrç des nouvelles de la gai-
derobe »,
La reine d'Angleterre fit faire à Voltaire une
foulcription immenfe pour la Henriade. Revenu
à Paris avec fes fonds, il mit fon argent à une
D d d d d d z