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& produire un grand changement dans fa manière
de vivre.
Herminio Grimaldi , Génois, étoit l'homme
le plus riche , & en même temps le plus avare
qu'il-y eût de fon temps en Italie. Il ne favoit
ce que c'étoit que de faire plaifîr à fes concitoyens
, ou politeffe aux étrangers. Guillaume
Borfieri, homme de condition , qui avoit entendu
parler de l'humeur de Grimaldi , l'alla
v o i r ‘un jour dans une allez belle maifon qu'il
avoit fait bâtir depuis peu ; & après avoir vu
les appartemens qui étoient embellis de chofes
rares î vous , lui dit le propriétaire , qui avez
une connoiifance fi étendue, pourriez-vous m'indiquer
quelque chofe de nouveau qu'on n'ait pas
vu ic i, & que je puiffe faire peindre dans cette
maifon- Borfierri , fûrpris de cette demande, lui
répondit qu'il étoit aifé de lui donner le fujet
d’ un excellent tableau qui repréfenteroit une chofe
qui manquoit à fa maifon, &: qu'on n'y avoit
jamais vu. Prefifé d'en dire le nom , je vous
confeiile, lui dit-il, de faire peindre la généro-
fité. Grimaldi frappé de ce mot, prit fon parti
-fur-le-champ : oui, monfieur, reprit-il avec une
vivacité qui ne lui étoit pas ordinaire, je l'y
ferai repréfe-nter de manière que qui que ce _foit
ne pourra me reprocher de ne l’avoir pas connue.
Depuis cet inftarrt il changea entièrement de
conduite , & fit jin ufage fi fplendide de fes
grands biens, qu'on ne parloit plus que de la
magnificence & des libéralités de Grimaldi.,
A V A R IC E , De tous les vices qui aviliffent
l’homme, il n’y en a pas qui jettent de fi profondes
racines * dans l'aine, & qui s’empare
fi abfolument de toutes nos facultés , que IV
narice.
Un homme riche, fort avare, & ennuyé de
la v ie , confervoit encore allez de fens & de
raifon ponr regarder le fuicide comme une mort
furtive & honteufe, comme uri vol fait au genre
humain ; il vôuloit néanmoins celïèr de vivre : agité
par ces idées contradictoires j il imagina un moyen
qui paroilfoit lui fournir la folution de fes 1
difficultés. Il alla trouver le fîeur de Longue-
v a l , pour lors exécuteur des hautes-oeuvres,
■— .«Bonjour , monfieur, lui dit-il..., eft-cè au
»> maître des hautes-oeuvres que je parle«? Lon-
guevaî lui répondit que ouï; s'imaginant, à Pair
refpeéhieux & timide de l'inconnu , qu'il étoit
vifite par un confrère indigent, qui vênoit peut-
être lui demander fon affiftance, de l'employ,
ou fa protection ; mais la fécondé queftion lui
fit connoître qu'il ne parloit pas à un homme
du metier. T-« Combien vous vaut, monfieur,
» une exécution ordinaire ? - - C'eft fuivant,
«répondit Longueval ». (en ce temps il y avoit
des prix fixés pour chaque exécution ; aujourd’hui
le maître des hautes-oeuvres jjj apppirç-
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té .) — «Je demande, continua-t-il, à combien
« montent vos honoraires pour la peine que vous
» avez de pendre un homme ? — Elle eft allez
» modique; elle eft de tant. -- Eh bien, je vous
| donne le double, faites-moi l'amitié de me
« pendre ». A une propofition fi extraordinaire,
le boureau lui objedta que cela ne fe pouvoit.
« Obtenez, lui dit-il, une fentence qui vous y
» condamne, & je ferai volontiers votre affaire,
» fans cette formalité je ne puis vous obliger «.
Ce refus excita la colère du folliciteur : il crut
injurier le bourreau, en lui difant qu'il n'étoit
pas digne de la charge dont il étoit revêtu.
33 Je m'avife d’un moyen plus fimple, reprit-il,
» apres un moment de réflexion...., puifque vous
« ne voulez pas m'expédier , je dors renoncer
33 a votre fecours, mais je me pendrai moi-même,
«vous n'en aurez rien, & j'aurai la fatisfa&ion
33 d épargner la fomme que j'allois facrifier pour
« me délivrer du poids importun de la vie. —
03 Quelle erreur eft la vôtre, repartit l'exécuteur,
33 comme la paffion vous aveugle î remarquez donc,
« Monfieur, je vous prie, i° . que votre pro-
« cédé feroit une contravention manifefte, &
« q u e , dans un état bien policé, il n eft pas
« permis d'empiéter ainfi fur la profeflîon d'au-
» trui ; 2°. que du coté de l'intérêt, cela m'eft
» abfolument indifférent, parce que la juftice
« m'ordonnera de vous rependre, & mon falaire
33 eft égal pour un mort comme pour un vivant ;
33 3°* flu®- vous n'y gagnerez rien, parce que
33 lés frais du procès criminel, qui feront alfez
33 confîderables, & 1 amende à laquelle vous_fe-
« rez personnellement condamné, feront pris fur
« votre bien..... «. Cette dernière confidération
toucha vivement l'homme ennuyé de vivre*; il
renonça au projet d'une mort volontaire, & fon
avarice lui fauva la vie.
Vavare rarement finit fes jours fans pleurs ,
Il a le moins de part aux tréfors: qu’il enferre ,
Théfaurifant pour les voleurs,
Pour fes patents ou pour la terre,
Dinargués Philon étoit fi avare qu'il quitta le
deffein de fe pendre pour ne pas dépenfer deux
liards à acheter une corde, cherchant la mort
à meilleur marché.
Vavarice tourna tellement la tête à Hemo-
crate , qu'en mourant il fe conftitua lui-même
l'héritier de. tous fes biens.
Darius vifitant le tombeau de- Sémiramis, y
lut cette infeription î que celui des rois qui aura
befbin d‘argent, fafe ouvrir ce tombeau 3 & quil
y prenne tout ce quil voudra. Darius s'imagina
qu'il alloit pofleder des richeffes jmmenfes ; nr .
étant defcendu dans le fond du maufolée, «
ti'Quva qu’un fqueiette, avec cettç autre i r r
: f i
, A Ü B 1 2 1
ƒ tu notais -le plus méchant dès rois , &: J» tir
nétois dominé par une avarice ■ infatiable, tu .n aurais
point troublé la . cendre des. morts.
L'avare Cuttler, dont parle Pope, dans fes
épître>s morales, croyant donner un excellent avis
au prodigue Villiers, duc de Buckingham, lui
difoit: « que ne : vivez-vous comme m o i« ? - - ;
vivre comme vous, chevalier Cuttler !,j en ferai
toujours le maître, répondit .Villiers, qüqad je
n'aurai plus rien.
Ce Cuttler, homme très-riche & très-âyari-
cieux', voyagèoit ordinairement à cheval, & feul,#
pour éviter toute dépenfe. Le foir, en arrivant
a- l'auberge, il feignoit d’être indifpofé-j afin
qu'on ne lui fervît point à fouper. Il ordonnoit,
au valet d'écurie-d'apporter dans fa chambre,
Un peu de paille pour mettre dans fes bottes ,
il faifôït baffiner fon lit & fe couchoit. Lorfque
le domeftique s'étoit retiré , il. fe relevoit, te
avec la paille, de fes bottes & la chandelle qu’on
lui avoit.laiffée, il fàifoit un petit feu, où il
grilloit un hareng, qu'il tiroit de fa poche.^ Il
ayoit toujours la précaution de fe munir d un
morceau de pain, & de faire monter une bouteille
d'eku ; il foupo.it ainfi à peu de frais.
avarice de M. Chflfcelain fut caufe^ de fa
mort. S'étant mis eu,chemin un jour d'académie
pour fe rendre à l'affemblee & gagner deux
©u trois jettôns', fe trouvant dans la rue Saint-
Honoré , près la 'porte du cloître, ne voulant
pas payer un double pour pàffer le ruifleau fur
une planche qu'on y avoit jettee; il attendit que
l’eau fût .écoulée, mais ayant regarde au cadran
/ & voyant qu’ il étoit près de trois heures 3 -dl
- mffa au tr-ayers de l’eau & en eut'jufqu'à mk
jambe. S'étànt rendu à l’Académie , ^il ne; s’approcha
pas .du feu, quoiqu’il y en eût un très-
grand;- i l , s’àffit d'abord' à un bureau ,^ eu
cachant fes jambes deffous, afin qu’on ne s’ ap-
perçût .pas de quelle manière il étoit mouillé ; le
froid le faifit, & il eut une oppreffion de poitrine
dont il mourut.
Lorsqu'on a lu l’avare de Haute Sc celui de
Molière, on eft tenté de croire que .tous les
traits qui le cara&é'rifent ont été ,ëpuifés>; C e pendant
en voici : un qui_ n eft peut-être pas
monins vrai, moins, énergique que. ceux employés
par ces grands maîtres. On parloit d. une
perfonne qui aimoit à rendre fervice. Quelqu un,
qui lui avoit des. obligations , dit : « Un tel
« eft très-honnête homme : i! eft pauvre, mais
« cela ne m’empêche, pas d’en faire un cas fin-
« gulier. Il y: à quarante ans que je; fuis fon
« ami,s .& 11 ne m’a pas demandé un fou~??#; i
AURIGNÉ < 4’ ). Théodore Agrippa KAu-
bigné j né en Saintonge l’an iy^ o , mort en
.aéîO.i-4 ,
Encyclopédiana,
a u n '
\yAubignf étoit fils d’un officier qui comman-
doit à Orléans pour les calviniftes durant les
guerres de religion. * Son père ayant été oblige
de faire un affez long voyage en Güienne pour
les affaires de fon parti, le trouva extrêmement'
; libertin à, fon retour*. Pour le punir & .le corriger,
il lui envoya un habit de bure; & le fit-
conduire par toutes les boutiques- de la ville, >
afin qu’il eut à choifir un métier. Le jeune,
homme prit cètte mortification tellement a coeur,,
qu’il en eut une groffe fièvre^ dont il penfa
mourir. Dès qu’il fut guéri, il alla fe jetter aux
: genoux de fon père pour lui demander pardon,
• il parla d’une manière fi touchante, qu’il tira
. les larmes des yeux de ceux qui étoient préfens,
^ & que le père lui pardonna.
D ‘Aubigné ayant perdu fon père , fon curateur
le voyant obftiné. à ne plus étudier ; & à
embrafler le .parti des armes, le mit en^prifon.
; Averti par quelques-uns de fes amis qu ils par-
toient pour l’armée, le prifonnier dont on em-
portoit tous les foirs les habits, defeendit la
nuit par la fenêtre de fa chambre avec fes-draps ;
en chemife & les* pieds nuds , il alla les joindre
. en cet état. Leur troupe ayant rencontré quelques
catholiques, les attaqua, & les défit apres
un léger combat. D 'Aubigné y gagna une ^arque-
bufe, mais il ne voulut point prendre d’habit,
. & arriva au rendez-vous tout nud. Là , quelques
■ capitaines eurent foin de le faire habiller & de lui
donner des armes ; & en leur faifant une obligation
pour cette avance , il mit au bas de fon écrit
ces mots à la charge que je ne reprocherai point à
la guerre qu elle m a dépouillé , n 'en jtouvanu fortir
en plus piteux état que ƒ y entre. :
Hpnri IV ayant envoyé A*Aubigné en plufieurs
provinces , ne lui -donna pour toute récompenfe
‘que fon portrait ; à*Aubigné y • mit au bas ce
quatrain :
C e p r in c e e ft d ’é t r a n g e n a tu r e ,
J e n e fa is q u i d ia b le l’ a fa it;:
I l ré c om p e n fe ' en p e in tu r e
C e u x q u i l e fe r v e n t en e ffe t .
M . & Aubigné, grand père de madame de Main-
tenon , raconte de lui-mêifie une anecdote affez
fingulière : il étoit à la tête des proteftahs qui
s’oppofèrent a ■ la cour du temps de Henri I V , &
fe cônduifit avec tant de vigueur, qu’il fut réfolu
de le faire arrêter & conduire à la baftiîle.
D ’Aubigné, inftruit de cette réfolution , réfléchit
pendant quelques momens fur le moyen d’éviter
ce’ danger ; il s’arrête à celùi-ci. Il vint à la cour,
& demanda une penfion aurôi. Sa majefté,charmée
de fa fourmilion , l’embraffa avec tendreffe ,
& lui accorda fa demande. Au fortir du Louvre,
à*Aubigné fe rendit à i’arfeùal, chez le .duc de