
filet à la main j & la fortune au-deflus de fa tête,
prenoit foin d'amener les villes dans J e filet.
Le maréchal Boueicaut ayant été pris dans un
combat contre les turcs , fut mené avec les autres
prifonmers devant Bajazet. Le fultan fit d'abord
leparer ceux dont il efpéroit une grôffe rançon j
mais Boueicaut, dont le nom étoit inconnu 8c dont
les armes tres-fimples n'annonçoient pas le rang,
alloit etre égorgé fans pitié comme les autres prisonniers
obfcurs , Iorfque voyant dans ceux que
ïe fultan avoit épargnés par avarice , le comte de
rJevers , ils fe regardèrent avec attendriffement,
ce le comte de Nevers, montrant Boueicaut, joignit
les deux doigts pour faire comprendre au fultan
combien ils * étoient unis. Le fultan comprit
que Boueicaut étoit frère du comte de Nevers,
& le fit délier. C'eft à cet heureux hafard que
le maréchal Boueicaut dut la vie en cette occa-
fion.
Leyran , gentilhomme françois, lors du maffa-
cre de la S. Barthelemi avoit déjà reçu deux coups
de poignard. Tout enfuyant il arrive au Louvre,
fe fauve fans favoir où , dans la chambre de la
reine de Navarre , qui étoit couchée. Leyran fe
cache dans la ruelle, & la princeffe s'étant réveillée
en furfaut & toute effrayée fe jetta aufli dans
^ ran£ en impofa pour un moment aux
aflaflins, & les gardes étant furvenus affinèrent
les jours de la reine 8c du gentilhomme Leyran.
Voulons nous avoir une idée d'un véritable
bonheur , écoutons Lafontaine ;
N i fo r ni les grandeurs ne irons rertdent heureux j
Ces deux divinités n’accordent à nos voeux
Que. des biens peu certains *qtfun plaifir peu tranquille.
D e s foucis dévorans c’eft l’éternel afyle,
Véritable vautour que le fils de Japet
Repréfente enchaîné fur fon trifté fommet.
L’humble to ît eft exempt d’un tribut fi fu n efte,
Le Tage y v it en paix & méprife îe refte.
Content d e fe s douceurs, errant parmi les b o is,
Il regarde à fes pieds les favoris des rois ;
m i t au front de ceux qu’un vain luxe environne,
Que la fortune vend, ce qu’on croit qu’elle donne.
Approche-t-il du b u t, quitte-t-il ce féjour,
Rien ne trouble fa fin , c’eft le foir d’un beau jour.
BONNE V A L ( Claude Alexandre comte de ) ,
mort en 1747 9 à 7 S ans. Il fervit avec diftin&ïon en
Italie, fous Catfnat & Vendôme} il fe mît au
fervice de l'empereur , 8c fe diftingua dans la
guerre contre les turcs } enfin fon inconftance le
fit mufulman j il difoit à ce fujet , qu7/ ri avoit
fa it que changer fon bonnet de nuit en un, turban'.
Il fe félicitoit dans fes difgraces de n’avoir jamais
perdu fon appétit ni f i bonne humeur, 8c
s eftimoit heureux d’avoir fa philofophie dans ié
fang.
BONS MOTS. Quelques traits fuffiront i c i ,
d autant plus que ce recueil en contient beaucoup
d autres fous différentes dénominations.
Un bon mot, ou ce qu'on appelle proprement
un mot malin, ne confifte fouvent qu'à donner
une caufe ridicule , à une aétion qui peut avoir un
motif plus relevé.
Un homme de qualité, voyageoît en Efpagne ,
on lui fit voir Tefcurial,& le fuperbe couvent des
religieux de l'ordre de S. Hierome. Le fupérieur ,
qui le conduifoit, lui rapportoit, parmi les particularités
de fa fondation,, que Philippe I I l'avoit
fait bâtir pour accomplir le voeu qu'il fit le jour
de la bataille de Saint-Quentin , en cas qu'il fortît
victorieux. Mon père , lui dit le voyageur en admirant
l'étendue immenfe de ce bâtiment : Il falleit
que ce roi eut grand peur lorfqu'il fit un. fi grand
voeu.
M. Duclos, en parlant des grands qui n’afmentr
pas les gens de letttres ,d ir : « Ils nous craignent,
« comme les voleurs craignent les réverbères »„
v Un cordelier avoit prêché dans une cérémonie ,
a laquelle avoit affilié le cardinal de Richelieu.
Le miniftre furpris del'affurance du prédicateur,
lui demanda comment il avoit pu prêcher devant
lui fans éprouver le moindre trouble. Sachant,
: répondit le cordèlier , que je demis prêcher devant
votre excellence, je me fuis accoutumé à prêcher
dans un; champ planté de choux, où il n'y^avoit
qu'un feul chou rouge, & c'eft celfti-là, monfei*-
; gneur, qui repréfentqit votre excellence.-
M . Delamotte-cfOrlêans, évêque d'Amiens,
avoit de la piété dans le coeur & de la gaieté dans
l'efprit. C e prélat affiftoit un jour à un fermon ,
que celui qui le débitok n'avoit peint eompofé.
1 Tout-a-coup un chien fe mit à japper dans l’é-
glife. Comme le fuiffe s'empreffoit pour le chaffer ,
» tarifez , laiffez, dit l'évêque, il crie au voleur ».
On foutenoit à M. Huet, évêque d'Avran-
ches, que les janféniftes & les huguenots étoient
freresj au moins, répondit - i l , ce n'eftpas du
même fit.
Charles I I , roi d'Angleterre, vit en paflant un
homme au carcan : qu’a-t-il fait, demanda le roi ?
des écrks fatyriques , fire, contre vos miniftres.
Le pauvre fot,- dit . le roil que ne les faifoit- il
contre moi, on ne lui auroit ni rien dit, ni rien fait.
Le prince d'Orange, au défefpbir d'avoir été
battu àFleurus, Leufe , Steinkerque & Nervînde ,
difoit en parlant de M. de Luxembourg : « eft - il
»poifible que je ne battrai jamais ce bofîu-là ? *>
M. de Luxembourg l’ayant fu , répondit : « com-
»ment fait-il que je fuis boflii? Il ne m*a jamais vu
» par-derrière ».
M. de Beautru fut bâtonné en public par
Tordre du duc d'Epernon, fur lequel il avoit plai-
fante. Des Barreaux voyant quelque temps après
M. de Bautru avec un bâton , s'écria : « M. de
» Bautru porte fon bâton comme S. Laurent fon
9s g r il, pour nous faire fouvenir de fbn mar-
m tyre ».
Une marchande qui étant au château à Ver-
failles , s'approchoit un peu trop de la cour , fut
remarquée par madame la dauphine , qui chargea
une ducheffe de lier avec elle conversation, à def-
fein de l'intimider. « Madame, dit la ducheffe ,
9» en s'adreffant à cette femme, pouvez-vous me
»» dire quel eft Toifeau le plus fujet à être cocu ?
» Madame, c’eft un duc, répondit la marchande ».
Un foldat qui defiroit fon avancement, s’adref-
fa au général en lui faifant valoir lés longues années
de fon fervice. « Où font tes blefliires, dit
le général, ce font là les meilleurs titres? Peux-
» tu m'en montrer ? Non , mon général , répon-
*> dit le vieux foldat, tous les jours de bataille
» je prenois part à votre gloire, & je ne vous ai
jamais quitte ».
Un mari fe plaignoit à Santeuil de l'infidélité
de fa femme : c'eft un mal d'imagination , répon-
99 dit-il, peu en meurent, beaucoup en vivent »• ;
Agis I I , roi de Lacédémone, paffant auprès de
Corinthe , & confidérant la hauteur, la force &
l'étendue des murailles de cette v ille, demanda
ironiquement r « quelles' font donc les femmes qui
font là leur féjour ?
Memnon, général de Darius, entendant un
foldat qui partait mal d’Alexandre, le frappa en
lui difant : « c ’eft pour lui faire la guerre que je
99 t’ai pris , 8c non -pas pour en dire des injures ».
Les fujets de Denys le tyran fe plaignoient d’un
impôt, il n’eut point d’égard à leurs représentations,
& l’augmenta à tel point qu’ ils ne firent
qde rire, tç C'eft affez, dit Denys , puifqu'ils
» rient d’un impôts c’eft qu’ils n'ont rien à rifquer
»9 ni à perdre ».
Une aétrice faifoit une vente des préfens qu’elle
avoit reçus en -bijoux, où tout fut porté à un
prix exqeffif, pîufieurs jolies femmes en murmu-
roient. « Je vois bien à votre humeur, leur dit
» l'aiftrice, que vous voudriez les avoir au prix
?» coûtant ».
BONTÉ. La bonté confifte en deux points : le
premier , ne pas faire de mal à nos femblables , le
fécond leur faire du bien.
Téribaze étant à la chafle avec Artaxercès,
montra au roi fa robe toute déchirée : « il faut en
» avoir une autre, lui dit Artaxercès. Donnez-
» moi donc la vôtre, répondit Téribaze, car je
>9 n'en ai point». Le roi la lui donna} mais lui
défendit en même-temps de la porter. Téribaze,
fans trop s'embarraffer de la défenfe, parut à la
cour avec le manteau royal. Mais Artaxercès,
au lieu de s'en fâcher, 11 en fit que rire, & dit à
Téribaze : « Je vous reconnois pour fo u , &:
» comme tel je yous laiffe la liberté de vous ha-
» biller comme vous voudrez ».
Diane de Poitiers, maîtrefle de Henri I I , ne
regardoit pas indifféremment le maréchal de Brif-
fac. Un jour le prince entra chez elle dans un
moment où il n'etoit nullement attendu. Brilfac
n'eut que le temps de fe cacher fous le lit j mais
pas affez promptement pour que le roi ne s'en fût
pas apperçu. Henri, fans témoigner de colère ,
demanda une boîte de confitur.es fèches, & dit,
en la jettant fous le lit : « Tiens, Brifiae , il faut
» bien que tout le monde vive 99.
Cofroès, roi de Perfe, avoit cette forte de bonté
que l'on admire plutôt dans un particulier que dans
un fouverain , qui doit, avant toutes chofes , juf-
tice à fes peuples. Un jour ce prince donnoit un
feftin aux grands du royaume. Un officier, qu'il
avoit dépouillé de fon emploi, prit, fur le buffet,
un plat d'or, & l'emporta : il n'y eut que-le fo-
phi qui s’apperçut du vol. Celui qui avoit foin
de la vainelle fit des recherches , fe plaignit.
cc Calmez-vous , lui die Cofroès, celui qui a pris
99 le plat ne le rendra pas, 8c moi qui l'ai vu
» prendre , je n'aîgarde de découvrir le voleur 99.
Quelques jours après , le même officier parut à la
cour avec un habit neuf. Le roi s'approcha & lui
dit à l'oreille : « Eft-ce mon plat qui vous a donné
» cette belle robe ? Oui , feigneur , répondit
>9 l’officier } & montrant enfuite fes caleçons tout
» déchirés : vous v o y e z , ajouta-t-il, qu'il n'a fait
» les chofes qu'à demi ».
L'impératrice reine étant à Luxembourg, reçut
Um melfage de la part d'une femme âgée de cent
huit ans , cjui pendant pîufieurs années n'avoit
pas manqué de fe présenter le jour du Jeudi-
Saint , pour être au nombre dés pauvres auxquels
cette princeffe Iavoit les pieds. Depuis deux ans ,
fes infirmités la retenoient au lit. Elle fit témoigner
l'impératrice la peine fenffble qu'elle ref-
lentoit de n'avoir pu fe trouver à cette cérémonie,
non à caufe de l’honneur qu’elle auroit reçu,
mais parce qu'elle avoit été privée du bonheur de
Voir une fouveraine adorée. L'impératrice, touchée
du meflage, 8c des fentimens de cette bonne
femme , fe rendit elle-même dans le-village qu'elle
habitoit. Elle ne dédaigna pas d’entrer dans une
miférable cabane, & trouva la payfanne fur le
grabat. Vous regrettez de ne m'avoir point
vue , lui dit avec bonté cette admirable prin-
» ceffe 5 couchez-vous, ma bonne, je viens vous