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de Venife As'étant échappé, laiftbit après lui mille
traces de fa cruauté. Il faifit auprès de fa mère un
enfant encore au maillot. Le voir & fe jetter a genoux
, fut pour la mère un même temps. Renas-
moi mon enfant, s'écrie-t-elle j & le monftre ,
fenfîble aux accens de la nature , dépofe l'enfant
aux genoux de celle dont la voix avoir fufpèndu fa
dent meurtrière.
En aimant fes enfans .c’eft~ foi-même qu’on aime ?
Mais pour jouir d’un fort parfaitement heureux,
Il faut s’en faire aimer de -même.
Comptez qu’on ne parvient à ce bonheur fuprême
Qu’en partageant fon ame .également entr’eux.
AM O U R FILIAL. Un vieillard anglois avoit
douze fils au fervice , ils obtinrent un jour un
congé, & vinrent voir leur père, qu'ils trouvèrent
accablé d'infirmités & dans l'indigence. Point de
pain, dit l’un d'eux, & avoir donné douze défendeurs
à la patrie, & nous ne pouvons l'affifter. Mais
n'y a-t-il pas un lombard i c i , dit le plus jeune ?
— Oui, mais qu'y porter ! on n'y prête de l'argent
que fur gages.... Et nous n'avons rien : ^ Quoi,
rien ? & n'avons-nous pas l'honneur de ce vieillard
& le nôtre ? — il eu connu : perfonne ne peut
le contefter... Mettons cet honneur en gage. — On
nous confiera bien cinquante livres fterling fur ce
dépôt . . . Cette idée fut approuvée : les douze fils
lignèrent un billet en ces termes : douze anglois,
fils d’un tailleur réduit à la plus grande indigence ,
à l'âge de près de cent ans, fervant tous douze
le roi & la patrie, demandent à la direction du
lombard la fomme de cinquante livres, afin de
foulager leur père infortuné. Pour sûreté, ils engagent
leur honneur, & promettent le remboursement
dans le terme d'une année. Ce gage fut
reçu à la direétion ; on Jeur donna cinquante livres,
on déchira le billet, & on promit de Fournir aux
befoins du vieillard pendant fa vie,
La Singularité de ce fait attira plufieurs perfonnes
bienveillantes chez le vieillard, qui lui firent des
préfens, & le mirent en état de récomperifer la
piété filiale de fon honnête famille.
Les annales japonnoifes font mention de cet
exemple extraordinaire d’amour filial. Une femme
étoit reliée veuve avec trois garçons , & ne fub-
fiftoit que de leur travail. Quoique le prix de cette
fubfiftancs fût peu confîdérable, les travaux néanmoins
de ces jeunes gens n'étoient pas toujours
fuffifans pour y fubvenir. Le fpeétacle d'une mère
qu'ils ehérifibient, en proie aux befoins,leur fit
un jour concevoir la plus étrange réfolution. On
avoit publié depuis peu, que quiconque livreroit
à la juftice le voleur de certains effets, toucheroit.
une fomme affez confîdérable. Les trois frères
s’accordèrent entr'eux qu'un des trois paflera pour
voleur, & que les deux autres le mèneront au juge,
lis tirent au fort pour favoir qui fera la viélime
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de Y amour filial, & le fort tombe fur le plus jeune,
qui fe laiffe lier & conduire comme un criminel.
Le magiftrat l'interroge j il répond qu'il a volé :
on l'envoie en prifon j & ceux qui l'ont livré tou-
ch ent la fomme promife. Leur coeur s'attendrit,
alors fur le danger- de leur frère : ils trouvent le
moyen d’entrer dans la prifon> & croyant n'être
vus de perfonne, ils l'embraflent tendrement. &
l'arrofent de leurs larmes. Le magiftrat qui les ap-
perçoit par hafard, furpris d'un fpeétacle fi nou-
, veau, donne commiflion à un de fes gens, de fuivre
les deux délateurs j il lui ' enjoint expreffément de
ne les point perdre de vue , qu’il n’ ait découvert
de quoi éclaircir un fait fi fingulier. Le domeftique
s'acquitte parfaitement de fa commiflion, & rapporte
qu'ayant vu entrer ces deux jeunes gens dans
une maifon, il s’en étoit approché ,. & les avoit
entendu raconter à leur mère ce que l’on vient
de lire j que la pauvre femme, à ce récit, avoit
jetté des cris lamentables , & qu'elle avoit ordonné
à, fes enfans de reporter l’argent qu'on leur
avoit donné, difant qu'elle aimoit mieux mourir de-
faim, que defe conferver la vie au prix de celle de fon
cher fils. Le magiftrat, pouvant à peine concevoir
ce prodige de piété filiale, fait venir aufii-tôt fon
prifonnier, l'interroge de nouveau fur fes prétendus
vols, le menace même du plus cruel fupplice :
mais le jeune homme, tout occupé de fa tendrefle
pour fa mère, refte immobile. Ah j c’ en eft trop,
lui dit le magiftrat en fe jettant à fon cou, enfant
vertueux, .vôtre conduite m'étonne. Il va aufli-tôt
faire fon rapport à l’empereur, qui, charmé d'une
aétion fi héroïque , voulut voir les trois frères, les
combla de carefles, aflïgnâ au plus jeune une pen-
fion confîdérable, & une moindre à chacun des
deux autres. -
AM O UR PA TR IO T IQ U E . .Un gentilhomme
fançois nommé la Tou r , étant allé à Londres, y
époiifa une fille d'honneur de la reine d’Angleterre,
& fut fait chevalier del'ordre-de la Jarretière. Cette
* diftinétion fut la fource, ou devint la récompenfe
de l’infidélité qu’il fit à fa patrie. Il s’engagea à
mettre les anglois en poflfeflion du cap Sable, feul
fort qui reftoit alors aux françois dans le Canada,
& on lui donna deux vaifleaux de guerre, ou il
s’embarqua avec fa nouvelle époufei
Dès qu'il fut à la vue du fo r t, il fe fit débarquer
, alla feul trouver fon fils qui y commandoit ,
chercha à l’éblouir par l'idée qu'il voulut lui donner
de fon crédit à la cour de Londres, &: le.flatte des
plus grands étâbliflemens , s il vouloit fe livrer à
l'Angleterre. Le jeune commandant écoute avec
indignation les propofitions de fon père, <k. n'eft
pas plus intimidé par les menaces, que féduit par
les carreflfes. Alors on-prend le parti de l’attaquer,
& il défend fa place avec le même fuccès qu'il
avoit défendu fa vertu.
La Tour le père fe trouva embarrafle. Ne pouvant
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vant pas retourner en Angleterre, il prévient fon J
fils qu’il demeure en Acadie. Le jeune homme lui
répondit qu'illui donneroit un afyle, qu il pourvoie-
roit abondamment à fes- befoins ; mais qu il ne per-
mettroit jamais que ni lui ni fa femme entraient
dans fon fort. Quoique la condition parût dure,
on s'y fournit & l’ on fut dédommagé, autant qu il
étoit poflible, de cette févérité, par les attentions
les plus tendres & les plus fuivies.
AMOUR PROPRE. De toutes les paflions qui
dominent le coeur humain, le plus cruel tyran ceft
\‘amour-propte : c'eft lui qui réglé nos defîrs, c eft
lui qui fait naître nos penfees. Sans ceffe occupes
de nos intérêts , de nos plaifirs & de nos peines,
nous en fairons le principe & le motif de toutes
nos aélions : c'eft lui enfin qui hous commande
en maître, & c’eft à lui que nous obéiftons comme
fes efclaves. -
Un des principaux effets de Y amour-propre, eft
de ne nous faire eftimer que ce que nous aimons
à* faire, que ce que nous faifons avec fuccès.
Ecoutez un homme vain, il voudra que tout le
monde règle fa façon de penfer, fa conduite &
fes goûts fur les liens. « Je ris de tous ceux qui
me trouvent ridicule, difoit un cynique— Eh bien !
» lui _dit-on, perfonne au monde ne rit donc plus
» fouvent que vous ».
Un gueux des environs de Madrid demandoit
noblement l'aumône. Un paffant lui dit : « n etes-
»5 vous pas honteux de faire ce métier infâme ,
ai quand vous pouvez travailler»? Monfieur, répondit
le mendiant , je vous demande de l'argent,
& non pas des confeils ; puis il lui- tourna le dos,
en confçrvant- toute la fierté - caftillanne.
Un millionnaire voyageant dans l’ Inde , rencontra
un faquir chargé de chaînes T nud comme
un finge, couché fur le ventre, & fe faifant fouetter
pour IesN'péchés de fes compatriotes , les indiens«,
qui lui donnoient quelques liards du pays. Quel
renoncement à foi-même, difoit un des fpeéfcateurs !
Renoncement à moi-même ! reprit le faquir ; apprenez
que je ne me fais feffer dans ce monde,
que pour vous le rendre dans l'autre, quand vous
ferez chevaux & moi cavalier.
Maas s’appliquoit un jour à peindre une dame
.fortlaide, & qui avoit le vîfage exceflivement
marqué par la petite vérole. La dame fe leva tout-
à-coup pour voir l'ébauche de fa tê te , qu'elle
trouva rendue avec tant de vérité, qu'elle en fut
effrayée. — « Ce ne-font point-là mes traits , dit-
. »elle au peintre : .cette figure me fait horreur,
» elle eft hideufe j tâchez de la changer , ou je
» me retire pour ne plus revenir ». Maas con-
noiffoit trop bien, fon monde pour contredire cette
dame : auffi.l'affura-t-il qu'il alloit travailler à la
Ercydopédiana.
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reffembîance. Il fe remit à l’ouvragé, & ne regarda
plus fon modèle > il peignit d'idée un joli minois ,
une bouché riante, de beaux yeux & un teint de
lys & de rofes. L'ouvrage étant achevé , il pria
la dame de voir fon p.ortrait, auquel il avoit ,
difoit-il-, donné la dernière main. Elle le trouva
pour lors très - réflemblant, le fit emporter , &
paya généreufement.
Un maître à danfer, françois, demandoit à un de
fes amis , s’il étoit vrai que Harlay eût été fait
comte d’Oxford & grand tréforier d'Angleterre ?
On lui dit qu'oui.' Cela m’étonne, répondit le
maître à danfer: Quel mérite la-reine a - t -e lle
donc trouvé à ce Harlay? Pour moi, j'ai eu cet
homme deux ans entre les mains, & jamais je
n'en ai pu rien faire.
Bufly raconte que Louis X IV ayant fait l’honneur
à madame de Sévigné de danfer avec elle,
j fon amour-propre fut fi flaté , qu'elle vint lui dire : •
ce prince obfcurcira la gloire de fes prédécef-
feurs. Il n'y a plus fieu d'en douter, répondit
Bufly, puisqu'il vient de danfer avec vous : Sc il
ajoute qu'elle étoit fi tranfportée qu'elle fut fur
le point-de crier, vive le roi.
Un fourire, un regard » un petit air flatteur,
Quelques attentions de la part de G icère,
Nous perfuadent que fon coeur
A tout autre amant nous préfère.
Le penchant aufîî-tôt nous parle en -fa faveur ,
Et nous afpirons à lui plaire.
C’eft ainfi que prefque toujours
Des amitiés & des amours
L'amour-propre devient le père.
Un officier des moufquetaires, à la tête d’une
brigade de fa compagnie, étoit à Paris dansnine
grande place, chargé d’appaifer le foulèvement
que la cherté du pain^caufoit parmi le peuple, en
1709, il Vouloit nétoyer la place des mutins qui
la rempliflbient : il dit à fa troupe : i tirez fur la
. » canaille , mais épargnez les honnêtes gens ».
Ces mots furent entendus de tout le monde >
perfonne n e . voulut être compris dans ■ la
canaille, & la fédition fut appaifée fur le champ.
\Jamour-propre eft de tous les âges & de tous les,
états.
Vamour-propre eft , hélas 1 le plus fot des amours :
Cependant des erreurs il eft la plus commune t
Quelque puiflànt qu’on foit enricheffe, en cr éd it,
Quelque mauvais'fuccès qu’ait tout ce .qu’on éc rit,
Nul n’eft content de fa fortune,
Ni mécontent de fon efprit.
AM U R A T -IV> Abaza s’ étant révolté contre
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