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Les Aftrologues répondoieftt ordinairement
comme les oracles , par des phrafes auxquelles
on pouvoit donner pluneurs fens , 8c la crédulité
adoptoit toujours le fens qui avoit le plus de
rapport, aux circonftances.
.. Voici quelques traits d'apologie 8c ^apologues.
Une dame égyptienne fit venir chez elle un fameux
apologue, 8c l'interrogea fur ce quelle de-
firoit d’apprendre. U apologue drefia aufli-tôt différentes
.figures apologiques 3 & fit fur chacune un
difcours d autant plus long que ce qu’il difoit ne
fatisfaifoit pas la dame. A la fin il fe tut y & la dame
n étant , pas plus inftruite qu’auparavant 3 fe contenta
de lui donner une drachme. U apologue 3 qui
s attendait a recevoir une meilleure récompenfe ,
ajouta ^ qu’il voyoit encore par les figures tracées *
qu elle n etoit pas des plus -riches* La dame lui répondit
que cela etoit vrai. L * apologue regardant
toujours lès figures 3 lui demanda : N ’auriez-vous
rien perdu ? « J ’ai perdu , lui répondit-elle 3 l’argent
»? que jeivienSide te donner »<
Dara 3 un des quatre fils du grand mogol Cha-
Jeham j a;ourbit beaucoup de fo i, ainfi que là
plupart des princes ' de l’Orient 3 aux prédirions
des aftrologues. Un dë cès charlatans lui avoit
prédit 3 au péril de fa tête , qu’ il régneroit y &
telle etoit la foiblefie de ce prince , qu’il s’en fioit
plus à cette prédiction qu’à, Tés droits, a f ‘amitié
de fon père. & à ion courage. \Japologue fè mo-
fîdpit' îe: prèrhîer de là fîmplicitê de Dara. Cet
impdfteùr ne braignit pas même' de répondre a
ceux qui lui demandèrent comment il ofoït, fur Ta
. garantir un événement aufli incertain : « Tl
**• arrivera de’deux chofes l’une , ou Dara parvien-
» dra à la couronne, & ma fortune eft faite y. ou
» il fera vaincu -, & dès-lors' fà mort eft certaine ,
» & je ne redoute plus fa vèngeance; ».'
Le calife Àlmanfor avoit confulté. deux A p o logues
fur fon horofcopei Le premier lui.prédit
que les prétendais au califat mourroient avant
lui y le fécond qu’il Yivroit beaucoup plus longtemps
que ceux qui pou voient prétendre au califat.
C e dernier apologue annonçoit la même chp'fe
que le premier. Sa prédiction néanmoins fut la
feule bien reçue'& bien récompenfee,. parce qu’il
avoit habilement évité le 'fermé dé mourir, qui
laiffe toujours une idée fâcheufe dans l ’efprir. Ceci
rappelle le mot de la reine Parifatis qui voulait
qu’on ;n’eut que des paroles de foie pour les
grands.
( L>’empereùr Frédéric , maîtreé d è ’ Vicenze,
étant furie point de quitter cette ville qu’il avoir
emportée :d.afïàut quelques jours auparavant , il
défia le plus, fameux de fes apologues de deviner
par quelle porte il fortiroit le lendemain. L ’im-
pofteur répondit au défi par un tour de fon métieri
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Il remit à Frédéric un billet cacheté, lui fé#
commandant fur toutes chofes de ne l’ouvri*
qu apres qu’il fer oit forti.
L empereur fit abattre pendant la nuit quelques
toifes de la muraille, 8c fortit par la brèche. Il
ouvrit enfuite le billet. Il ne fut pas peu furpris
d y lire ces propres mots : le roi forti ra par la porte
neuve.' C ’en fut allez pour que Y apologue 8c Yaf
trologie lui parurent infiniment refpeCf ables.
Le roi de Boutan , dit Voltaire dans fes mélanges
, chap. X I I I , eut un jour befoin d’ être faigné.
Un chirurgien gafeon, qui étoit venu à fa cour,
dans un vaifleau de notre compagnie des Indes,
fut nomme pour tirer cinq onces de ce fang précieux.
L aftronome du quartier cria que la vie du
roi feroit en danger , fi on le faignoit dans l’état
ou etoit le ciel. Le gafeon pouvoit lui répondre
qu il ne s’agifloit que de l’état où étoit le roi de
Boutan y mais il attendit prudemment quelques
minutes , 8c prenant enfuite fon almanach , vous
ave^ rai fon , grand, homme , dit-il à l’aftronome ,
l£ roi fer oit mort'fi on l avoit faig’yiê dans l'infant oît
vous partie^ : le ciel a-changé depuis ce temps-la , &
voici le moment favorable. L’aftronome en convint,
& le ro.i fut faigné & guéri. Peu’à peu on s’eft
accoutumé à faigner les rois comme leurs fujëts ,
quand ils en ont eu befoin.
Bayle rapporte dans fon dictionnaire l’anecd'ote
fuivante, pour faire voir , qu’il arrive des eon^
jeCfures fortuites qui peuvent éblouir quelques
personnes fur la vanité de Y apologie, 8c les empêcher
de la condamner abfolument. Màrcellus ,
profefleur de rhétorique au collège de Lifieux,
avoit compofe en latin l’éloge du maréchal de
Gaflion , mort d’un coup demoufquet aufiège de
Lens. Il étoit prêt de le réciter en .public, quand
un vieùx docteur,. qui faifoit fon occupation principale.
de lire toutes les affiches, furpris d’y voir
celle qui annonçoit la harangue dé Màrcellus pour
: les deux heures après midi-, courut s’en plaindre à
M. Hermant , reCteur de l’Univerfité y & k i re-
piréfentant qu’il ne falloit .pas fouffrir qu’on f î t ,.
dans une univerfîté catholique, l’oraifon funèbre
d’un homme mort dans la religion prétendue réformée,
le pria d’indiquer une afîemblée pour en
décider. Lereéteur n’ayant pu la lui refufer , il y
fut réfolu , à la pluralité des voix, qu’on iroit fur
le champ défendre à Màrcellus de prononcer le
Panégyrique J e M. Gaftion. Fendant que les fages
gémifîoient intérieurement fur cette défenfe, les
apologues en triomphoient , faifant obferver à
tout le monde, que dans l’almanach du célèbre
Larrivey,. d.e 1648, entre les prédictions, fl y avoit
écrit, en gros caraCtères : latînperdu.
Un apologue avoit prédit à Henri I V , roi d’Angleterre,
qu’il mourroit à Jérufalem. Il tomba fu-
bitement malade dans l ’abbaye deWeftminfter , 8c
& y. mourut dans une chambre appeilée Jérufalem g
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te qui fut regardé comme Y accomplijfement de cette
prédiction.
Ferdinand le Catholique , roi d’Efpagne, ayant
été averti qu’il mourroit à Madrigal, évita avec
foin d’y aller. Mais pendant qu’il éloignoit ainfi fa
mort, à ce qu’il penfoit, il la trouva à Madrigalois
ou petit Madrigal, pauVrè village dont il n avoir
jamais entendu parler. Car paflant fortuitement par
cet endroit, fl fe trouva mal tout d’un coup; & ,
ayant été porté dans une miférable chaumière, qui
étoit la meilleure retraite que le lieu pût lui fournir,
il y mourut dans un réduit qui pouvoit à peine
contenir fon lit.
Alvaro, de Luna , favori de Jean I I , roi de Gaf-
tilie, prince de peu d’efprit, après avoir, gouverné
l’état à fa fantaifie, en qualité de connétable du
royaume , fut enfin mis à mort au contentement
de fes ennemis. On dit que ce malheureux ayant
confulté un apologue judiciaire, en reçut avis de
fe garder de Cadahalfo.. Il crut que c ’étoit d’un
village près de Tolèder, qui lui appartenoit, qui
porte ce nom, & s’abftint d’y aller. Mais ayant eu
la tête tranchée fur'un échafaud que les espagnols
appellent aufti Codahalfo 3 on vit bien qu’il s’etoit
trompé fur le mot.
Jacques I , roi d’Ecofle , fut maflacré de nuit
dans fon li t , par fon oncle Gautier , comte
d’Athol, qui vouloit monter fur le trône. Ce
traître reçut à Edimbourg le prix de fa trahi-
fon y car il fut mis fur un pilier; & là , devant tout
le monde, oh lui mit fui* la tête une couronne de
fer que l’on avoit fait rougir dans un grand feu y il
y avoit cette infeription: le roi des traîtres. Un apologue
l’avoit aflure qu’il feroit.couronné publiquement
dans une grande aflèmblée de peuple.
Un apologue fe tira ingénieufement de danger
du temps de Louis X ï y il avoit prédit au roi
qu’une dame qu’il aimoit mourroit dans huit
jours. La chofe étant arrivée, le prince fit venir
Y apologue,8c commanda à fes gens de ne pas manquer
, à un lignai qu’il leur donneroit, de fe faifir
de cet homme , & de le jetter par les fenêtres.
Aulfi-tôt que le roi l’apperçut : « T o i , qui préte
n d s être un fi habile homme , lui dit-il, & qui
» fais' fi précifément le fort des autres, apprends
» dans ce moment quel fera le tien, & combien
tu as encore de temps à vivre». Soit que Y apologue
eût été fecrettement averti du deflein du roi,
ou qu’il s’en doutât : « Sire , lui répondit-il fans
» témoigner aucune frayeur, je mourrai trois jours
» avant votre majefté ». Le roi n’eut garde, après
cette réponfe , de donner aucun lignai pour le
faire jetter par les fenêtres y au contraire , fl eut
un foin particulier de ne le laifter manquer de
rien.
Plulieurs apologues ont reçu des leçons dont
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leurs confrères auroient dû profiter, en voici
quelques exemples.
Hégiage, général arabe fous le calife Vaiid ,
confulta dans fa dernière maladie Un apologue qui
eut la fermeté de lui prédire une mort prochaine
« Je compte tellement fur votre habileté., répon- '
•» dit Hégiage, que je veux vous avoir avec moi
» dans l’autre* monde , & je vais vous y envoyer-
» le premier, afin que je puilfe me fervir de vous
|j » dès mon arrivée». Il ordonna en effet qu’on lux
coupât la tête , ce qui fut exécuté fur le champ.
Un apologue regardant au vifage Jean Galéas g
duc de Milan , lui dit : « Seigneur, arrangez vos
' « affaires, car vous ne pouvez vivre long-temps ■>>
Comment le fais-tu , lui répondit le duc ? -- Par la
eonhoiffanee que j’ai des affres , répondit Y apologue.
— Et toi , combien dois-tu vivre ? — Ma
planette me promet une longue vie. — C h bien *
répartit le duc, afin que tu ne te fies plus à ta
planette , tu mourras maintenant contre ton opinion,
& il le fit pendre fur-le champ. •
Un empereur , irrité contre un apoTologue , -lui
demandoit .avec menaces : « de quel genre de
»mort, malheureux , comptë-tu mourir? -- Je.
» mourrai , dit-il, de . la fièvre. — T u en as
» menti, répondit l’empereur , tu périras tout-à-
» l’heure d’une mort violente •>. On aîloit faifir cex
pauvre malheureux, lorfqu’ il dit à l’empereur :
» Seigneur , ordonnez qu’on me tâte le pouls, &
» on verra que j’ai la fièvre ». Cette faillie lé tira
; d’affaire.
Henri V I I , roi d’Angleterre, envoya chercher
un apologue anglois , qui fe mêloit de prédire les
bonnes & les mauvaifes fortunes Ses autres, & lui
demanda où il pafteroitles fêtes de Noël. Uaprc-'
: logue lui répondit qu’il n’en favoit rien. « Je fuis
. *> donc meilleur apologue que toi., répondit le
» ro i, car je fais que tu les pafleras dans la tour
» de Londrés ». Ce qui arriva effectivement, car
le roi l’y fit conduire.
Tibère, pendant fon exil à Rhodes , confultoic
ces efpèces de devins fur un rocher fort élevé au
bord de la mer.y & lorfque leur jéponfe donnoit à
foupçonner de là fourberie , ou de l’ignorance ,
il les faifoit à l’inftant^préçipiter.
- Ayantvun jour confulté dans ce même lieu un
certain Thrafylîus , ce devin lui promit l’empire 8c
toutes fortes de profpérités. Puifque tu es fi hr-
- bile, lui dit T yb è re , pourrois-tu me dire combien
fl te refte de temps à vivre, Thrafylîus,
fans s’émouvoir, examina la pofition des affres
lors de fa naiffance, & d’un air effrayé 3 s’ écria :
je fuis à l’inftant même menacé d’ un grand péril.
Tibère, charmé de cette réponfe, le raffura 8c le
protégea dans la fuite.
Cardan, médecin 8c mathématicien célèbre du