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avoit déjà quelque temps qu'il étoit à platte terre,
K>[fqu il pal]a un carolle ; le cocher l'apperçut.
a temps ; on arrêta la voiture, l’abbé fut reconnu
: madame de.... lui d i q : « Mais l’abbé que
faites vous donc là-, à une telle heure? madame,
33 répondit-il, je ne puïs marcher fans tomber,
” J attends le dégel ». 'On le ramena chez lui.
Philippe le Bon , duc de Bourgogne, fe promenant
un foir à Bruges.* trouva dans la,place
publique, un homme étendu par terre, cù «1
dormo:t profondément. 11 le fit enlever, & porter :
dans fon palais, ou, après qu’on l’eut dépouillé
de fes haillons, on lui mit une chemife fine,
un bonnet de nuit, & on le coucha dans un lit
du prince. C e t ivrogne fut bien furpris à fon
reveil, de fa- voir dans une fuperbe alcôve, environne
d officiers plus richement habillés les uns
que les autres. On lui demanda quel habit fon
altefle vouloir-mettre ce jour-là. Cette demande
acheva de le confondre; mais après mille pro-
teltatiors qu il leur fit qu’il n’ éto.'t qu’un pauvre fa-
yeuer,-& nullement prince, il prit le parti de fe
laifier rendre tous' les honneurs dont on l’ac-
cabloit : il fe laiffa habiller, parut en public ,
ouït la meffe dans la chapelle ducale, y baifa le
miffcl; enfin, on lui fit faire toutes les cérémonies
accoutumées : il pafia à une table fomp-
tueufe , puis au jeu, à la promenade, & aux
autres divertrflemens. Aprè§ le fouper, on lui
donna^ le bal. Le bon homme ne s’ étant jamais
trouvé à telle fê te , prit libéralement le vin
quon lui préfenta, & fi largement, qu’il s’enivra
la bonne maniéré. Ce fut alors que la comédie
fe dénoua- Pendant qu’il cuvoic fon vin,
le duc Je fit revetir de fes guenilles, & le fit
reporter au meme lieu d’où on l’avoit enlevé.
Apres avoir paffe là toute la nuit, bien endormi,
il s éveilla, & s en retourna chez lui raconter à
fa femme tout ce qui lui étoit effectivement ar-
n v e , comme étant un for.ge qu’il avoit fait.
Cette hdlorîette a fourni le fujet d ’une comédie
italienne : Arlequin toujours Arlequin.
Le premier fultan qui fe foit enivré de vin,
elt Amurat IV . L’occafîon qui l’y porta, & le
goût qu’il prit enfuite pour cette liqueur, méritent
d etre remarques. Htant à fe promener un
jour fur la place publique, plaifîr que tous les
fui tans fe donnent, fous un habit qui les dé-
guife, il rencontra un homme du peuple, nommé
Beeri-Muftapha, fi ivre, qu’ il chanceloit en mar- '
chant. Ce fpe&acle étant nouveau pour lu i, il '
demanda à fes gens ce que c’ étoit. On lui dit
que c’étoit un homme ivre; & tandis qu’il fe
faifoit expliquer comment on le devenoit, Béeri-
Muftapha , le voyant Arrêté fans le connoître,
lui ordonna d’un ton impérieux de paffer fon
chemin. A^murat, furpris de cette hardieffe, ne
put s’empêcher 4e lui répondre ; Sais-tu, mifé-
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rable, que je. fuis le fultan? — Et moi, répondit
le turc, je fuis Béeri-M.uftapha. Si tu veux me
vendre Confhntinople, je l'achete : tu feras alors
Multapha, & je ferai fultan. La furprife d’A -
murat augmentant, il Jui demanda avec quoi il
pretendoit acheter Conftaritinople.— Ne raifonne
pas, lui dit.\ ivrogne , car je t’acheterai auffi ,
toi qui n es que le fils d’une efclave. „( On fait
que les fultans naijfent des efclaves du ferai!. )
Ce dialogue parut fi admirable au grand-feigneur,
qu.apprennant en même-temps , que dans peu
d heures la raifon reviendroit à Bée ri, il le fit
poiter dans fon palais, pour obfervcr ce qui lui
relteroit de ce tranfport, & ce qu'il penferoit
lui meme de. tout ce qu’il rappeleroit à fa mé-
Quelques heures s’étant paffées, Béeri-
Muhapha, quon avo.t laifTé do'fmir dans une
chambre dorée, fe réveille & marque beaucoup
d admiration de l ’état où il fe trouve. On lui
raconte fon aventure, & la pr.omeffe qu’il a faite
au fultan. Il tombe dans une mortelle frayeur, &
n’ignorant point le caractère cruel d’Amurat, il
fe croit au-moment de fon fupplice. Cependant,
avant rappelé toute fa préfence d’efpiit, pour
chercher quelque moyen d’éviter la mort, il
i prend le parti de feindre qu’il elt déjà mourant
de frayeur, & que fi on ne lui donne du vin
P®urj fe ranimer, il fe cônnoîc fi bien, qu’il ell
sur d expirer bientôt^Ses gardes, qui craignirent en
effet qu’il ne mourût avant que d’être préfence
a 1 empereur, lui font apporter une ^boute.lle
de vin, dont il ne feint d’avaler quelque ehofe,
que pour avoir occafion de la garder fous fon
habit. On le mene après devant l’empereur,
qui lui rappelant fes offres, ex'-ge abfolument
qu’il lui paye le prix de Confiantinople i comme
il s y eteit engagé. Le pauvre turc tira fa bouteille.
O empereur ! répondit-il, voilà ce qui
m’auroît fait acheter hier Confiantinople ; & fi
vous porteriez les richefles dont je jouifldis alors,
vous les croiriez préférables à la monarchie de l’univers.
Amurat lui demandant comment cela
pouvoit fe faire : -r-Il n’eft queflion, lui' dit l’L
vrogne y que d’avaler cette divine liqueur. L’empereur,
voulant en goûter paf curiofité, en but
: un grand coup, & l’effet en fur très-prompt
i dans une tête qui n’avoit jamais fenti iss vapeurs
: du vin. Son humeur devint fi gaie, & tous fes
fens fe livrèrent tellement à la joie,, qu’il crût
fentir que tous les charmes de fa couronne n’é-
galoient point ceux de fa fituation. Il continua
de boire. Mais l ’ivrefle ayant fuivi de près, il
tomba dans un profond fommeil, dont il ne revint
qu’avec un violent mal de tête. La douleur de
ce nouvel état lui fit oublier le plaifir qu’il avoit
goûté. Il fit venir Béeri-Muftapha, dont il fe
plaignit avec beaucoup d’emportement. Celui-ci,
à qui l’expérience donnoit bien des lumières
engagea fa vie qu’il guériroit furie champ Amurat*
& ne lui offrit point d’autre remède | que 4e 1
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recommencer à boire du vin. Le fultan y coh-
fentit. Sa joie revint, & fon mal fut auflitôt
diflipé. Il fut fi charmé de cette découverte, que
non*feulement il en fit ufage le relie de fa vie,
dont il ne pa'fla point un feiil jour fans s’enivrer;
mais, qu'ayant lait Béeri-Muftapha fon confetller
privé, il l’eue toujours auprès de fa perfonne
poûr boire avec lui. A fa mort il le fit enterrer
avec beaucoup de pompe dans un cabaret, au
milieu des tonneaux; & il déclara dans la fuite,
qu’il n’avoit pas Vécu heureux un feul jour depuis
qu’ il avoit perdu cet habile maître & ce
fidèle confeilier. *
JUSTICE. L ’auteur du Pour & Contre, cite
cet exemple d’amour d’un roi, pour la jufiiee,
tiré de l’hiftoire d’Angleterre. Un des domef-
tiques du prince Henri, fils ainé d’Henri IV ,
avoit été aceufé au banc de roi , & fai fi par
ordre de te tribunal. Le prince, qui l’aimoir
beaucoup, regarda cette entreprife comme un
manque de refpeCt pour fa perfônne; &■ n’ayant
que trop de flatteurs autour* de lui qui enflammèrent
encore fon reffentiment par leurs con-
feils, il fe rendit lui-même au fiége de la juftice,
où fe préfèntant d’un air furieux, il donne ordre
aux officiers de rendre fur le champ la liberté
à fon domeffique. La crainte fit baiffer les yeux
«tous ceux qui l’entendirent, & leur ôta l’envie i
de répondre. Il n’y eut que le lord, chef de
jufiiee , nommé fir Willam-Gafcoigne, qui fe
leva fans aucune marque d’étonnement, & qui
exhorta le prince à fe foumettre aux anciennes
loix du royamme, ou du moins, lui dit-il : fi
vous êtes réfolu de fanver votre domeffique des
rigueurs de la lo i, adreffez-vous au roi votre
père , & demandez lui grâce pour \&> coupable._
C ’ eft le feul moyen de fetisfaire votre inclination,
fans donner atteinte aux loix & fans bleflfer la
juftice. C e fage difeours fit fi peu d’impreflion.
fur le jeune prince qu’ayant renouvellé fes ordres
avec la même chaleur, il protefla que fi l’on dif-
féroic un moment à les fuivre, il alloit employer
la violence. Le lord, chef de juftice y qui le vit
difpofé férieufement à l’exécution de cette menace,
leva la voix avec beaucoup de fermeté &
de préfence d’efprit, & lui commanda, en vertu
de l ’obéiflance qu’il devoit à l’autorité royale,
non-feulement de laifier le prifonnier, mais de
fe retirer à l’inttant de la cour, dont il trou-
bloit les exercices par des procédés fi tfiolens.
C ’étoit attifer le feu & fouiller fur la flamme.
La colère du prince éclata d’ une manière terrible
; & montant au comble, elle le porta à
s’approcher furieufement du juge., qu’ il crut
peut -être -épouvanter: par ce mouvement. Mais
lîr Wiïlam, fe rendant maître de tous fes fens,
foutint merveilleufetnent la majefté d’un fiège
fur lequel il repréfentoit le roi. Prince, s’écria-t-il
d’une voix ferme, je tiens ici la place de votre
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fouverain feigneur, & de votre père. Vous lui
devez une double obéiffance à ces deux titres.
Je vous ordonne , en fon nom, de renoncer à
votre deflein, & de donner déformais un meilleur
exemple à ceux qui doivent être un
jour vos fujet«. E t , pour réparer la défobéifiance *
& le mépris que vous venez de marquer pour
la loi, vous vous rendrez vous-même à ce moment
dans la prifon, où je vous enjoins de demeurer
jufqu’à ce-que le roi votre père, vous
fafiè déclarer fa volonté. La gravité du juge &
la force de l’autorité, produifirent l’ effet d’un
coup de foudre. Le prince en fut fi frappé,
que remettant auflitôt fon épée à ceux qui l’ac-
compagooient, il fit une profonde révérence au
lord chef de juftice , & fans répliquer un feul
mot, il fe rendit droit à la prifon du même tribunal.
Les gens de fa fuite allèrent auflitôt faire
ce rapport au roi, & ne manquèrent point d'y
joindre toutes les plaintes qui pouvoient le prévenir
contre fir Willam. C e fage monarque fe
fit expliquer jufqu’aux moindres circontlances :
enfuite il parut rêver un moment. Mais levant
tout d’un coup les yeux & les mains au c ie l,
il s’écria , dans une efpèce de tr.infpovt : « O
» Dieu ! quelle reconnoifiance ne dois je pas à
Il ta bonté ! T u m’as donc fait préfent d’un
|| juge qui né craint pas d’exercer la juftice *
» & d’un fils , qui non-feulement fait obéir,
« maïs qui a la force de facrificr fa colère à
» l’obéiflance'>?.' . '; ;
Un des plus grands feîgneurs de France ayant
cafle le bras gauche à un fergent dans le temps
qu’il faifoit les fondions de fon office, Louis XII
ne l’eut pas plutôt fu , qu’il alla lui même a«
parlement portant le même bras en écharpe. La
cour furprife de le voir en cet état, & lui ayant
demandé quel accident l’obligeoit à porter ainfi
le bras : un mal qui exige de prompts remèdes,
répondit-il : il expofa enfuite ce qui croit arrivé
au fergent, & ajouta : et Puifqu’on fait une pa-
« refile violence à ceux qui exécutent les ordres
» de ma juftice, que me fervira ce bras qui en
» porte le glaive que j’ai reçu de Dieu , auffi bien
». que mon feeptre & ma couronne » ? Il fit
enfuite obliger le feigneur coupable à réparer ,
par une fatisfadion proportionnée, le dommage
qu’il avoit fait au fergent.
Dans le temps que Charles X I I , roi de Suède,
étoit en Pologne à la tête de fon armée vi&o-
rieufe, il reçut une dépêche de Stockolm, par
laquelle la régence lui donnoit avis qu’un gentilhomme
de fes fu jets., atteint & convaincu d’avoir
commis plufieurs crises des p'us noirs, avoit été
emprifonné &r condamné à mort, mais que l’arrêt
•n’avoit point encore été exécuté, parce qu’il étoit
arrivé un accident qui avoit obligé les juges d’en
furfeoir l’exécution ; que le coupable, après avoit