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climats ? Leur patrie cft par-tout oîi l’on fait les gou- '
ter. Les béantes de Vopéra Italien feront celles du
nôtre (jiianclilnous plaira. Déjà dans le comique nous
avons rculîl ; en élevant ce genre au-dellus du bouffon
, nous en avons étendu la l'phere. Il dépend de
nous, en donnant à Quinault de légères formes lyriques
, de faire de fes beaux poemes l’ob|et de l’émulation
des plus célébrés compofiteurs. Laiffons aux
voix brillantes & légères que l’Italie admire , les
ariettes qui déparent les l'cenes les plus rouebantes ;
mais lâchons d’imiter ces accens li vrais, fi fenfi-
blcs, ces accords fi fimples & fi exprelTifs , ces modulations
dont le delfin eil fi pur , fi tacile' & fi
beau, enfin ce chant qui pour émouvoir n’a pref-
que pas befoin d’etre chanté, qui avec un clavecin
une voix foible, a le pouvoir d’arracher
des larmes.
Mais gardons-nous de renoncer à ce beau genre
de Quinault ; encourageons les jeunes poètes à l’accommoder
au goût d'une mufique qui lui fut inconnue
, Ôc dont il efi fi digne ; & n’allons pas croire
que dans ce nouveau genre, le récitatif, quelque
bien fait qu'il loit, & de quelque harmonie que ion
expreifion foit fouteniie , ait feul afi'ez d’attraits
6c afi'ez de charme pour nous, La période muficale,
le chant mélodieux, delfmc , arrondi, décrivant fon
cercle a\'ec grace, l’ air enfin une fois connu, fera
par-tout de dans tous les tems les delices de l’oreille ;
6c jamais des phrafes tronquées, des mouvemens
rompus, des delîins avortés , en un mot un chant
mutilé ne fat-isfera pleinement. Les Italiens le difent
6c l'on doit les en croire : l’excellence de la mufique
cft dans le chant, 6c la mélodie en elf l’ame. ( Foyei
Ai r , Ch a n t , Ly riq ue , R é c it a t if , &c.
SuppUmait, ( M. Ma r m o s t e l . )
'Vopèra efl un fpeffacle dramatique & lyrique où
l’on s’efforce de réunir tous les charmes des beaux-
arts , dans la repréfentaiion d’une aéfion pafiionnée,
pour exciter , à l'aide des fenfations agréables, l’in-
icrêt 8c l’illufion. Les parties conftitutives d’un opéra
font le poème , la mufique & la décoration. Par la
poefie,on parle à l ’elprlr ; par la mufique, à l’oreille ;
par la peinture , aux yeux : 8c le tout doit fe réunir
pour émouvoir le coeur , 6c y porter à-la-fois la
même imprelfion par divers organes. De ces trois
parties , mon fujet ne me permet de confidérer la
premiere 8c la dernlere que par le rapport qu’elles
peuvent avoir avec la fécondé ; ainfi je pafl'e immédiatement
à celle-ci.
L’art de combiner agréablement les fonspeot ctre
envifagé fous deux afpeéfs tres-différens. Confidéré
comme une infiitution de la nature, la mufique borne
fon effet à la fenfation 8c au plaifir phyfique qui refaite
de la mélodie, de l’harmonie 8c du rhythme :
telle efi ordinairement la mufique d’églife ; tels font
les airs à danfer 8c ceux des chanfons. Mais comme
partie eflèntlelle de la feene lyrique, dont l’objet
principal efi l’imitation, la mufique devient un des
beaux-arts , capable de peindre tous les tableaux ,
d’exciter tous les fentimens, de lutter avec la poefie,
de lui donner une force nouvelle, de l’embellir de nouveaux
charmes, 8c d’en triompher en la couronnant.
Les fons de la voix parlante n’ étant ni foutenus,
ni harmoniques, font inappréciables, & ne peuvent
par conféquent s’allier agréablement avec ceux de
la voix chantante 6c des infirumens , au moins dans
nos langues, trop éloignées du caraélere mufical ; car
on ne iauroit entendre les paffages des Grecs fur leur
maniéré de réciter, qu’en fuppofant leur langue tellement
accentuée , que les inflexions du dil'cours
dans la déclamation foutenue formalfent entr’ellcs
des intervalles muficaux 8c appréciables : ainfi l’on
peut dire queleursqjiecesde théâtre étoient des efpe-
O P E ces à'opéra, 8c c’efl pour cela même qu’il ne pouvoit
y avoir à'opéra proprement dit, parmi eux.
Par la difiicultc d’unir le chant au ciifeours dans
nos langues , il efl ailé de fentir que l’intervention
de la mufique , comme partie elfentielle , doit donner
au poème lyrique un caraclere différent de celui
de la tragédie 8c de la comédie, 6c en faire une troi-
fieme elpece de drame, quia fes réglés particulières :
mais ces difi'érences ne peuvent ie déterminer fans
une parfaite connoifiânee de la partie ajoutée , des
moyens de Punir à la parole , ÔC de fes relations naturelles
avec le coeur humain : détails qui appartiennent
moins à Panifle qu’au philofophe, 6c qu’il faut
Idifl'er à une plume faite pour éclairer tous les arts,
pour montrer à ceux qui les profefi'cnt les principes
de leurs réglés , 6c aux hommes de goût les fources
de leurs plailirs.
En me bornant donc , lur ce fujet , à quelques
obfervaiions plus hifloriques que railbnnécs, je remarquerai
d’abord que lesGrecs n’avoieni pas au théâtre
un genre lyrique , ainfi que nous, 6c que ce qu’ils
appelloient de ce nom ne ix-ilembloit point au nôtre:
comme ils avoient beaucoup d’accens dans leur langue
6c peu de fracas dans leurs concerts , toute leur
poéfie etoit muficale 6c toute leur mufique déclamatoire
; de forte que leur chantn’étoitpielque qu'un diG
cours fbutenu, 6c qu’ils chantoient réellement leurs
vers , comme ils l’annoncent à la tête de leurs poèmes
; ce qui, par imitation, a donné aux Latins,
puis à nous , le ridicule ufage de dire je chante
quand on ne chante point. Quant à ce qu’ils appelloient
oirjre lyrique en particulier , c’étoit une poéfie
héroïque , dont ie flyle étoit pompeux & figuré ,
laquelle s’accompagnoit de la lyre ou cythare préférablement
à tout autre inflrument. 11 efl certain
que les tragédies grecques fe récitoient d’une maniéré
très-femblable au chant, qu’elles s’accompagnoient
d’inflrumens, 6c qu’il y emroit des choeurs.
Mais fl l’on veut pour cela que ce fuffent des
opéras femblables aux nôtres , il faut donc imaginer
des opéras fans airs : car il me parolt prouvé que la
mufique grecque , fans en excepter meme l’iiirtru-
mentale , n’étoii qu’un véritable récitatif. Il efl vrai
que ce récitatif, qui réuniffoit le charme des fons
muficaux à toute l’harmonie de la poéfie 6c à toute
la force de la déclamation , devoir avoir beaucoup
plus d’énergie que le récitatif moderne, qui ne peut
guere ménager un de ces avantages qu’aux dépens
des autres. Dans nos langues vivantes , qui fe rel-
fenrent , pour la plupart, de la rudelfe du climat
dont elles font originaires , l’application de la muli-
que à la parole efl beaucoup moins naturelle. Une
profodie incertaine s’accorde avec la régularité de la
mc-fure ; des fyllabes muettes 6c fourdes, des articulations
dures, des fons peu éclatans 6c moins variés
fe prêtent difficilement à la mélodie , 6c une poéfie
cadencée uniquement par le nombre des fyllabes
prend une harmonie peu fenfible dans le rhythme
mufical, & s’oppofe fans celTe à la diverfité des valeurs
6c des mouvemens. Voilà des difficultés qu’il
fallut vaincre ou éluder dans l’invention du poème
lyrique. On tâcha donc , par un choix de mots, de
tours 6c de vers, de fe faire une langue propre ; 6c
cette langue , qu’on appella lyrique^ fut riche ou
pauvre, à proportion de la douceur ou de la nideffe
de celle dont elle étoit tirée.
Ayant, en quelque forte , préparé la parole pour
la mufique , il fut enfuite queflion d'appliquer la
mufique à la parole, ÔC de la lui rendre tellement
propre fur la feene lyrique , que le tout pût être pris
pour un feul 6c même idiome ; ce qui produifit la
néceffité de chanter toujours, pour paroître toujours
parler ; nécelfité qui croît en raifon de ce qu’une
langue efl peu muficalg ^ car moins la langue a de
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douceur & d accens, plus le paffage alternatif de la
parole au chant 6c du chant à la parole y devient dur
6c choquant pour l'oreille. De-là le befoin de fublli-
tuer au difeours en récit un dil'cours en chant, qui
pût l’imiter de li près , qu’il n’y eût que la juflefie
des accords qui le diftinguât de la parole. Voyc?^
R é c it a t if , {_Mufiqiu.') Dicl. raif. des Sciences ^ 6cc.
iS- Suppl-
Cette maniéré d’unir au théâtre la mufique .à la
poéfie q u i, chez les Grecs , luffifoit pour l’intérêt
6c n ilufion, parce qu'elle étoit naturelle , par la rai-
foa contraire, ne pouvoit fuffirc chez nous pour
la même fin. En écoutant un langage hypothétique
ÔC contraint, nous avons peine à concevoir ce qu’on
veut nous dire ; avec beaucoup de bruit, on nous
donne peu d’émotion : de-là naît la néceffité d’amener
le plaifir phyfique au fecours du moral, 6c de
fiippléer par l’attrait de l'harmonie à l’énergie de
l’exprelfion. Ainfi moins on fait toucher le coeur,
plus il faut favoir flatter l’oreille, 6cnous fommes
torccs de chercher dans la fenfation le plaifir que
le fentiment nous refufe. Voilà l ’origine des airs,
des choeurs , de la fymphonie , 6c de cette mélodie
enchanterefl'e , dont la mufique moderne s’embellit
fouvent aux dépens de la poéfie , mais que l’homme
de goût rébute au théâtre quand on le flatte fans
r'émouvoir.
A la naiffance de Vopéra, fes inventeurs votilant
éluder ce qu’a voit de peu naturel l’union de la mufique
au difeours dans l’imitation de la vie humaine , s’avi-
ferent de tranfporter la feene aux deux 6c dans les
enfers , ôc faute de favoir faire parler les hommes ,
ils aimèrent mieux faire chanter les dieux 6c les diables
, que les héros 6c les bergers. Bientôt la magie
6c le merveilleux devinrent les fondemens du théâtre
lyrique ; 6c content de s’enrichir d’un nouveau
genre, on ne fongea pas même à rechercher fi c’éioit
bien cclui-là qu’on avoit dû choifir. Four foutenir
une fi forte illufion, il fallut épuifer tout ce que l’art
humain pouvoit imaginer de plus féduifant ehez^in
peuple oîi le goût du plaifir 6c celui des beaux arts
régnoient à l’envi. Cette nation célébré , à laquelle
i! ne refle de fon ancienne grandeur que celle des
idées dans les beaux-arts , prodigua fon goût, fes
lumières pour donner à ce nouveau fpedacle tout
l’éclat dont il avoit befoin. On vit s’élever par toute
l’Italie des théâtres égaux en étendue aux palais des
rois , 6c en élégance aux monumens de l’antiquité
dont elle étoit remplie. On inventa, pour les orner,
l’art de la perfpeélive 6c de la décoration. Les artiftes,
dans chaque genre , y firent à l’envi briller leurs ta-
lens. Les machines les plus ingénieufes, les vols les
plus hardis, les tempêtes, la foudre, l’éclair, 6c tous
les prefliges de la baguette furent employés à fafei-
ner les yeux , tandis que des multitudes d'mftrumens
6c de voix ctonnoient les oreilles.
Avec tout celal’aflion reftoit toujours froide, 6c
toutes les ficuations manquoient d’intérêt : comme
i! n’y avoit point d’intrigue qu’on ne dénouât facilement
à l’aide de quelque dieu , le fjiedateur, qui
connoifToit tout le pouvoir du poète , fe repofoit
tranquillement fur lui du foin de tirer fes héros des
plus grands dangers. Ainfi l’appareil étoit immenfe,
6c produifoit peu d’efîèt, parce que l’imitation étoit
toujours imparfaite & groffiere, que l’aéHon prife
hors de la nature étoit fans intérêt pour nous , 6c
que les fens fe prêtent mal à l’illufion quand le coeur
ne s’en mêle pas ; de forte qu’à tout compter, il eût
été difficile d’ennuyer une afTemblée à plus grands
frais.
Ce fpeêlacle , tout imparfait qu’il ctolt, fit long-
tems l’admiration des contemporains, qui n’en con-
noiffoient point de meilleur. Ils fe fclicitoient même
de la decouverte d’un fi beau genre : voilà, diloient-
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ils , un noiivesu principe joint à ceux d’Ariftote ;
voilà l’admirarion ajoutée à la terreur 6c à la pitié.
Ils ne voyoient p.as que cette rlcheffe apparente n’é-
îoit au fond qu’un figne de flérilité, commeiesfieurs
qui couvrent les champs avant la moiffon. C’étoiî:
faute de lavoir toucher qu’ils vouloient furprenclre,
6c cette admiraiion prétendue n’étoit en effet qu’un
étonnementpuérile dont ils auroient dû rougir. Un
faux air de magnificence, de féerie 6c d’enchantement
, leur en impoloit au point qu’ils ne parloient
qu’avec enthoufialmc 6c rclpecl d’un théâtre qui ne
méritoit que des huées ; ils avoient de la meilleure
foi du monde , autant de vénération pour la feene
même que pour les chimériques objets qu’on tâchoit
d’y repréi'enter : coinme s’il y avoit plus de mérite à
faire parler platement le roi des dieux que le dernier
des mortels, 6c que les valets de Moliere ne fuffent
pas préférables aux héros de Pradon.
Quoique les auteurs de ces premiers opéras n’euf-
fent guere d’autre but que d’éblouir les yeux ôc d’e-
tourdir les oreilles, il croit difficile que le mnficien
ne fût jamais tenté de chercher à tirer de fon art l’ex-
preffion des fentimens répandus dans le poème. Les
chanfons des nymphes , les hymnes des prêtres , les
cris des guerriers , les hurlemens infernaux ne rem-
pliffoient pas tellement ces drames greffiers , qu’il
ne s’y trouvât quelqu'un de ces inftans d'intérêt ôc
de fitiiation où le.fpetfateur nedemande qu'à s’attendrir.
Bientôt on commença de fentir qu’indépen-
damment de la déclamation muficale, qîie fouvent la
langue comportoit mal, le choix du mouvement, de
l’harmonie 6c des chants , n'étoit pas indifférent aux
chofes qu’on avoit à dire , ÔC que par conféquent
l’effet de la feule mufique borné jufqu’alors aux fens
pouvoit aller jufqu’au coeur. La mélodie , qui ne
s'étoit d’abord féparce de la poéfie que par néceffité,
tira parti de cette indépendance pour fe donner des
beautés ablolues Sc purement muficales : l’harmonie
découverte ou perfeêlionnée Uù ouvrit de nouvelles
routes pour plaire 6c pour émouvoir ; Sel?, mcfiire ,
affranchie de la gêne du rhythme poétique , acquit
auffi une forte de cadence à part, qu’elle ne tenoit
que d’elle feule.
La mufique étant aînfî devenue un troifieme art
d’imitation, eut bientôt fon langage, fonexpreffion,
fes tableaux, tout à-fait indépendans de la poéfie. La
fymphonie même apprit à parler fans le fecours des
paroles, ôc (bavent il ne l'ortoit pas des fentimens
moins \’ifs de l’orcheftre que de la bouche des acteurs.
C ’efl alors que, commençant .à fe dégoûter de
tout le clinquant de la féerie, du puérile tracas des
machines , 6c de la fantafque image des chofes qu’on
n'a jamais vues , on chercha dans l'imitation de la
nature des tableaux plus intéreffans ôc plus vrais.
Jufques-là Vopéra avoit été conflitué comme il pouvoir
l’être ; car quel meilleur ufage pouvoit-on faire
au théâtre d'une mufique qui ne (avoir rien peindre,
que de l’employer à la reprel'entation des chofes qui
ne pouvoient exifler , ôc fur Icfquelles perfonne
n’étoit en état de comparer l’image à l’objet 1 II e(l
impoffible de favoir fi l ’on efl affeélé par la peinture
du merveilleux, comme on le feroit parfa prélence;
au lieu que tout homme peut juger par lui-même, fi
l’artifte a bien fu faire parier aux paffions leur langage
, ÔC fi les objets de la nature font bien imités.
Auffi dès que la mufique eut appris à peindre ôc à
parler , les charmes du fentiment firent-ils bientôt
négliger ceux de la baguette ; le théâtre tut purgé
du jargon de la mythologie, l’intérêt fut fubftitué
au merveilleux, les machines des poètes Ôc des charpentiers
furent détruites, ôc le drame lyrique prit
une forme plus noble ôc moins gigantefque. 'Tout ce
qui pouvoit émouvoir le coeur y fut employé avec
fucccs, on n’eut plus befoin d’en impoter par des