584 R E C
‘rlvll
P : f
■^4 ) ;
h" J-Im - fiJf
moyen , t?.ntôt clans la maniore dont s opcrolt 1 IUli-
lîon : dans le moyen , lorfqiic , par exemple , la
peinture avec une toile & clcs couleurs imite des
contours, des reî-cts, des lointains, dans la
maniéré, lorlque le moyen de l’art & celui de la
nature font les memes , & que l’art ne fait que le
modifier d'une maniéré qui lui eft propre, qui
donne de l’avantage à i'imiration fur le modèle. Ceft
ainfi que la tragédie fait parler envers & d’un ton
plus c!e\-c que ne le fut jamais le ton de la nature ;
c’eft ainfi que la comédie réunit dans un Icul ca-
ra-Rere plus de traits de ridicule, & dans une feule
aflion plus d’incidens & de rencontres fingulieres ,
que le même efpace de tenis ne nous en eut tait
voir dans la réalité. C e ll ainfi enfin que dans 1 opera
on a permis de porter la licence de la fiélion julqu
faire parler en chantant.
De meme tous les arts d’imitation ont leurs
& les feules conditions qu’on leur impolé font l’illu-
fion & le plailir.
S'il ert donc vrai que le chant, comme les vers,
embellifTe l’imitation de la parole , fans détruire
l’illulion , on auroit tort de le refufer au nouveau
plaifir qu'il nous caufe : ce ne fera jamais un peuple
cloué d’une oreille fenfible, qui le plaindra qu’on
parle en chantant.
Les Italiens ont trouve dans cette licence une
fourcc intarilTable de fenfatlons dclicieufes, Sc leur
imagination allézvive pour être encore féduite par
unennitation éloignée de la nature , n’a prefque pas
mis de bornes à la liberté accordée au muficien.
Les François , jufques ic i , ont été plus févercs ,
par laraifon peut-être que leur imagination eft moins
v iv e , ou leur organe moins lenfiole.
Cependant, chez les Italiens même, l’art timide
dans fa nnilTance, lé tint le plus près qu’il lui fut pof-
f’ ble de la nature. Le ucitacif, c’elLà-dire , une
déclamation notée Sc non mefuree, ou quelquetois
feulement accompagnée parla fymphonie , ù. avec
elle foumifeaux loixde la mefure & du mouvement,
fut d’abord tout ce qu’on ofa fe permettre : dans la
fuite , on fut plus hardi.
O r , de favoir s’il falloir s’en tenir à cette premiere
iimpUcitc , ou jufqu’à quel point l’art pouvoir
s’étendre Ôc s’éloigner de la vérité , à condition
de l’embellir ; c’eR un problème que la fpéculation
ne peut réfouclre , mais dont l’expérience & le fen-
timent chez les cîlfferens peuples du monde nous
donnent la folutior.
La Icene déclamée elf ce qu’il y a de plus ref-
femblant au ton naturel de la parole; la feene
chantée fans accompagnement & fans mefure, ell
ce qui approche le plus de la déclamation ; le récit
obligé s’en éloigne un peu davantage , foit parce
qu’il ell accompagné, & que cette alliance de la
fvmphonie avec la voix n’a point de modèle dans
la nature, foit parce qu’il eft mefure, & que l’ex-
preflion naturelle de nos penfées 6c de nos fenti-
mens ne l’eft pas ; enfin , l’air eft encore une imitation
plus altérée, plus éloignée de la vérité , car la
rondeur, la fymmétrie 6c l’unité du chant ne reftém-
blent que de très-loin aux modulations libres 6c naturelles
de la voix.
Si donc on ne cherchoit dans l’expreftion mufi-
cale que la vérité de l’imitation, 6c fi pour produire
l’illufion il falloit que l’imitation fût fideüe, il n’y
auroit aucun doute que lamufique la plus parfaite
feroit le fimple récuaùf ; & ce récitatif lui-mcme ,
moins naturel que la déclamation, n'en eût pas dû
prendre la place.
Mais dans l’imitation, on ne cherche pas feulement
la vérité , on y defire, comme je l’ai dit, la
vérité embellie, c’eft-à-clire , une imprefiîon plus
agréable que celle de la vérité meme, ou de fou
R E C exaifte reftemblance ; il s’agit donc ici d’un calcul de
plaifirs.
Ne demandez-vous qu’à être émus par le tableau
le plus frappant d’une aétion pathétique, fuyez loin
du théâtre où l’on chante, & allez à celui où des
aèleurs habiles donnent aux paffions leur accent naturel
; une voix étouifée, une voix déchirante, les
gémiffemens , les cris , les l'anglots d’un Brifard ,
d’une Dumelnil, vous feront plus d’illufion 6c une
impreftion plus profonde qvie les éclats de voix
d’une le Maure, ou que les fons mélodieux d’une
Fauftine ou d’un Farinelli ; & à l’avantage de l’expreftion
fe joindra celui d’un poème où le génie
n’étant gôné lurrien, n’a eu rien à facrifier. A'qy.
L v r i q u e , Suppl.
Mais voulez-vous joindre au plaifir d’être cnui
d’étonnement, de crainte ou de pitié , celui d’avoir
l’oreille agréablement aifeélée par une fucceftion ou
par un eniemble de fons touchans , de Ions harmonieux
, allez au théâtre où l’on chante, 6c demandez
à ce théâtre que l’art du chant y foit porté au plus
haut degré d’expreflion 6c de charme.
Qu’on fe rappelle donc ce qu’on s’eft propofé ,
lorfque de la tragédie on a fait l’opéra : on a voulu
jouir à la fols des plaifirs de l’efprit, de l’ame 6c
de l’oreille. Il a donc fallu d’abord que la déclamation
fût non-feulement expreftive , mais encore mé-
lodieul’e , 6ctant qu’on n’a pas eu d’autre chant que
le récitatif, on a eu raifon de lui donner tout l’agrément
qu’il pouvoir avoir; de-là les cadences, les
ports de v o ix , les tenues, les prolations que les
François y ont introduites pour en faire un chant
plus flatteur.
Les Italiens, plus féveres, fe font fait un récitatif
plus rapide 6c plus fimpIe ; mais en revanche , ils y
ont mêlé des morceaux d’un caraftere plus marqué
6c d’une expreflîon plus énergique : dans ces morceaux
qu’ils appellent récitatif obligé, la mefure &
le mouvement font preferits; la fymphonie qui accompagne
la voix, la foutient 6c la fortifie; elle
fait plus, elle devient un nouvel organe de la
peniée , & dans les filences même de la voix elle y
fnppléeparrexpreflion de ce qui fe palTe au dedans
de l’ame, ou pour ainfi dire autour d’elle. Voye^
A c c o m p a g n e m e n t , Suppl.
Mais dans le courant de la déclamation , les Italiens
6c les François avoient également fenti que
toutes les fois que la nature indiqueroit des mou-
vemens plus décidés, des inflexions plus fenfibles ,
il falloir iaifir ce moment pour rompre la monotonie
du récit ou du dialogue, par un chant plus
marqué qui fe détacheroit du récitatif continu , 6c
qui faillant & ilolé, réveilleroit l’attention de
l’oreille , en lui oftrant un plaifir nouveau. De-là
ces chants phrafés 6c cadencés que Lull! 6c les Italiens
de foil terns emploioient dans la feene. Mais
quel charme pouvoient avoir des airs le plus fou-
vent tronqués 6c mutilés,ou renfermes dans le cercle
étroit d’une phrale fimple 6c concife , n’ayant pour
tout caraéfere qu’un mouvement lent ou rapide, ou
qu’une fucceftion de fons détachés ou liés enfenible,
tantôt plus adoucis 6c tantôt plus forcés, prefque
toujours fans mélodie , fans agrément dans le motif,
fans prccifion dans la mefure, fans fymmétrie dans
le deffein ?
Jufques-là il eft au moins très-douteux que la
déclamation eût gagné à être chantée; car du côté
de la nature elle avoit évidemment perdu de fon
aifance,: de fa rapidité, de la chaleur & de fou
énergie ; & du coté de l’art qu’avoit-elle acquis
pour compenfer toutes ces pertes ?
Mais dès que le chant périodique & fymmétrlque
fut inventé , tout le prix , tout le charme de la rmi-
fique fut fenti ; l’ame connut tout le plaifif pOUVOA
R E C pouvolt lui apporter l’oreille ; l’Italie & l’Europe
entière ne regrettèrent plus rien.
La France elle feule continuoit à s’ennuyer d’une
muftque monotone qu’elle applaudifl'oit en bâillant,
& qu’elle s’obftinoit par vanité à faire femblant de
chérir. Non-feulement elle dedaignoit de connoître
cette forme d’airs périodiques dont Vinci étoit l’inventeur
, 6c que Léo , Pergolefe, Galuppi, Juraclli
avoient portée à un fi haut dégré d’expreftioii & de
niclodie ; mais ce récitatif , cette déclamation
paftîonnce , énergique, oii Porpora avoit excellé,
nous ctoit encore étrangère; l’orcheftre étoit chez
nous le feul afteur qui connût la précifion des mou-
vemens 6c de la mefure , encore l’oublioit-il lui-
même, forcé d’obéir à la voix. Le charme 6c le
pouvoir du chant nous étoient inconnus au point
qu’on attachoit à des accompagnemens fans delfein
le grand mérite de l’artifte , 6c que l’on faifoit con-
fifter l’excellence de la nuifique dans les accords.
C ’eft prefque uniquement à cette partie fubordonnée
que le célébré Rameau appîiquoit fon génie, 6c qu’il
a dû tous fes fuccès. Le don d’inventer des deftins,
de les développer, de les varier avec grâce, 6c d’af-
fortir au même caractère la mélodie 6c le mouvement
, en un mot , le don de la penfée muficale , le
feul auquel les Italiens attachent le nom de génie,
Rameau en failoit peu de cas, 6c ne daignoit l’employer
qu’à fes airs de danfe , dans lefquels Ü a excellé.
Injufte envers lui-même, il fe glorifiait de fon
favoir & de fon art, 6c méconnoiftoit fon génie.
Combiner des accords eft le travail de l’homme habile;
leschoifir, favoir les placer , eft le travail de
l’homme de goût. Inventer des chants analogues au
lentiment ou à la penfée , 6c dont la modulation variée
dans fa belle fimplieité enchante à la fois Lame
& l’oreille, voilà l’infpiration qui dans le muficien
répond à celle du poète, 6c c’eft ce qui dans notre
mufiquc vocale a été prefque inconnu jufqu’à nous.
Cependant, comme on ne fauroit prendre fincére-
ment du plaifir à s’ennuyer, on juge bien que les
François n’épargnoient rien pour fe déguifer à eux-
mêmes la fatigante monotonie de leur muftque vocale.
Les faux agrémens qu'ils y mêloient, aux dépens
de rexprelfton, fe multiplioient tous les jours ;
quelques belles voix ayant excellé , les unes à former
des cadences brillantes, & les autres à déployer
des fons pleins 6c retentiftans, le befoin
d’aimer ce qu’on avoit, & l’habitude qu’on s’étoit
faite infenftblemcnt d’admirer ce qui étoit difficile 6c
rare , enfin l’émotion phyftque de l’organe auquel
une belle voix plaît comme une cloche harmonieufe,
cette émotion que l’on croyoit être, fur la foi d’un
long préjugé, le dernier dégré de plaifir que pouvoir
faire la muftque, en impolbitàune nation qui ne
connoifToit rien de mieux.
Mais, jufqu’à ce que des hommes bien organifés
& doués d’une ame fenfible aient réellement trouvé
le beau, ils éprouvent une inquiétude fecrette 6c
confufe qu’aucune efpece d’illufion ne peut calmer ;
de-là les efforts, les dépenfes 6c toutes les relTour-
ces inutiles qu’on a fi long-tems employées pour
faiiverles François du dégoût de leur opéra: diver-
fitc datis les poèmes , multiplicité des machines,
■ magnificence vraiment royale, comme l’appelle La
Bruyeve , dans les décorations 6c les vêiemens ,
ufage immodéré des danles, jufqu’à faire difparoîcre
l’aftion théâtrale pour ce plus voir que des ballets,
nuiltitude prefque innombrable de jeunes beautés
afiemblées pour en décorer le fpeélacle ; que n’a-
t-on pas mis en ufage? 6c ce théâtre a toujours été
le ieiil dont les entrepreneurs fiiccefTivement ruinés
n ont pu foutenir la dépenfe , dans ce même Paris
oii fans fecoiirs & prefque fans moyens , on a vu
fleurir le théâtre du vaudeville.
Tome IV,
R E C 5 8 5
La caufe de cette décadence continuelle de l’opéra
françois, n eft autre que le dégoût invincible qu’on
aura toujours pour une mufique dénuée de chant:
le récitatif quel qu’il foit, réduit à fa fimplicitc mo-
notone , fatiguera toujours l’oreille ; le téatatf
oblige, quelqu’expreftion que l’on donne à l’harmonie
qui 1 accompagne , quelqu’énergie qu’elle
ajoure aux accens dont il eft formé, ne répandra
jamais dans la feene affez de variété, d’agrémens 6t
de charmes ; les choeurs multipliés fe détruiront l’im
1 autre , 6c ne feront plus que du bruit ; les danfes
prodiguées deviendront infipides, comme tous les
plaifirs dont on a la fatiété.
A oefpeaacle, un feul moyen de plaire toujours
varie » toujours fenfible, toujours inépuifable dans
les reftources, c’eft le chant, parce qu’il prend
toutes les formes du fentiment 6c de la penfée;
qu’en même temsqu’ilflatte l’oreille il touche l’ame*;
qu’il parle à l’efprit comme au fens, 6c que dans fa
période il réunit ledouble avantage de faire attendre,
defirer 6c jouir. Tel étoit le pouvoir que les anciens
auribuoient à la période oratoire , & fi Fart de tenir
1 efprit fufpendu dans l’attente delà penfée, avoit
fur eux tant de puiffance, qu’il leur faifoit confidérer
1 orateur comme tenant enchaînées les oreilles de
tout un peuple, quepenferde l’art du muficien qui
exercera le même empire, non pas fur Fefprit, mais
fur Fame, 6c qui faura donner le même attrait à l’ex-
preflion du fentiment ?
^ Concluons que la partie efTentielle de la mufique
c eft le chant ; que le récitatif fimple en eft la partie
foible ; que le récitatif obligé , qui, dans les moiive-
mens rompus & tumultueux des paffions, peut emprunter
de l’harmonie tant d’énergie & de puiffance,
n eft pourtant pas ce qu’on defire Je plus vivement
& dont on fe lafl'e le moins ; que c’eft de la beauté
du chant périodique & mélodieux que Fame & l’oreille
font infatiables, & que par conféquent le poète
qui écrit pour le muficien doit regarder la partie du
récitatif comme celle qui exige le ftylele plus
concis, le plus léger, le plus rapide, afin que l’oreille
impatiente d’arriver au chant ne fe plaigne jamais
qu’on l’arrête au paifage ; la partie du récùan/obligé,
comme celle qui demande à être employée avec le
plus de fobriété, afin que le fentiment de l’harmonie
ne foit point émouffé par la fatigue de n’entendre
que des accords fans deffin ; & la partie du chant
mélodieux 6c fini, comme celle dont la diftribution
doit être fon premier objet, afin que le charme de la
mélodie , le vrai plaifir de ce fpeélacle, fe reproduire
fous mille formes , 6c que s’il altéré la vérité
de l’expreffion naturelle, ce ne foit que pour l’embellir.
Telle doit être, je crois, l’intention commune du
poète 6c du muficien ; & fi jamais elle eft remplie
dans l’opéra françois, comme il eft fûr quelle peut
l’être, c’eft alors que le preftige de la mufique, joint
à celui de la peinture, des fêtes 6c du merveilleux
qu’y répandra la poéfie, fera de ce fpeftacle un véritable
enchantement.
Mais jufques-là qu’on ne fe flatte pas de nous faire
goûter un récitatif pur 6c fimple, ce ne feroit pas
pour l’oreille im plaifir digne de compenfer celui
d’une déclamation naturelle 6c d’une poéfie affranchie
des contraintes de la mufique. Nous permettons
à l’opéra une déclamation notée , parce que la feene
parlée trancheroit trop avec le chant; mais ce n’eft
que dans Fefpérance 6c en faveur du chant que nous
confentons qu’on altéré la déclamatiori naturelle :
c’eft-là le paéfe du théâtre lyrique ; qu’il nous faffe
donc entendre ce qu’il promet, de beaux airs, des
duos touchans, des morceaux de peinture 6c d’ex-
prefiion où tout le charme de la mélodie & toute la
puiffance de l’harmonie fe réunifient 6c fe déploient :
E E e e
I f