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Grand. Ce fut un tyran bien habüe ; il précipita du
trône des rois dont l’ongine le perdoit dans i antiquité
la plus reculée, 6c que les François avoient
révérée d'abord comme celelle. Ce n’elt pas le feul
trait qui attelle les talens : on doit fur-tout l’admirer
parce que n'ayant eu qu’une puUrance ufurpée, il
parvint à faire perdre l’idée de fon ulurpation , à
ne lailTer voir que le titre de rôi, contre lequel la pof*
terité n’a point réclamé. Les exploits des premiers
Merouingiens,le nombre Sc l’éclat de leurs viéfoires,
l’étendue de leurs conquêtes , l'amour & le refpeél
des François pour les defcenclans du célébré, du
grand Clovis, ne furent pas capables d’arrêter rufur-
pateur. Mais avant que d’entrer dans les détails de
la vie, Sc de feruter les delTeins de la politique , on
ne fauroitfedirpenlérde faire connoître quels furent
fes aïeux. Les hillorieiis s’accordent à dire que Charles
Martel, fon pere , étoit arriere-petit-fils de Pepin
U y”uux ^ d’Arnou; le premier fut maire du palais
fous Dagobert I, & le fécond fut gouverneur de la
perfonne de ce prince. Si nous en croyons les écrivains
du tems, Pepin 6c Arnou polTcderent dans le
plus éminent degré tous les talens que leurs places
exigeoient ; ils exaltent fur-tout leur fidélité. La conduite
de Dagobert I, tant qu’il fut Ibiis leur tutelle ,
& en quelque forte fous leur empire, Jette quelques
nuages fur ce tableau. Les commencemens du régné
de ce prince offrent peu d’atlions louables j on en
découvre au contraire plufieurs qui font dignes de
la plus févere cenfure : on doit blâmer fur-tout fa
conduite envers Clotaire II, fon pere, qui lui donna
le royaume d’Auftrafie ; il n’en eut pas plutôt reçu
le feeptre qu’il le menaça d’une guerre par rapport
à quelques comtés que Clotaire s’étoit réferves. Dagobert
ctoit dans un âge trop tendre, il étoit trop
defpotiquement gouverné pour que l’on pullTe s’en
prendre direélement à lui, mais à Pépin. Ce miniflre
doit encore être regardé comme l ’un des principaux
auteurs de la divifion qui s’introduifit dans la monarchie.
La France, depuis C lovis, n'avoit formé qu’un
feul empire, qui fe partageoit en plufieurs royaumes
lorlque le roi laifibit phifieurs enfans : ainfi on
la vit divifee en quatre parties fous les fils de Clovis
& fous ceux de Clotaire I ; mais lorfqu’un royaume
venoit à vaquer, il étoit partagé; il le confondoit
dans les trois autres. Sous la vie de Pépin y il n’en
fut pas de même. Clotaire I I , après la défaite & la
mon des rois de Bourgogne d’Auftrafie, fes cou-
fins , dont il fut le vainqueur & l’exterminateur, voulut
en vain réunir ces deux royaumes ; les maires qui,
par cette réunion , dévoient être fupprimés, s’y op-
poferent, ils empêchèrent même qu’on n’en fcparât
quelque partie ; ils fe comportèrent moins en lieute-
nans du monarque qu’en régens du royaume. Clotaire
ne fe décida à mettre Dagobert fur le trône
d’Auftrafie que parce que fon autorité y étoit pref-
qu’entléremcnt méconnue. U leroit cependant in-
jufte d’aceufer de cette révolution, il ne fit
que la foutenir, Radon, fon prcdéceficur, l’avoit
commencée: mais il ctoit d’autant plus blâmable
dans la guerre qu’il fufeira à Clotaire, qu’il étoit redevable
de fon élévation à ce prince : c’étoit Clotaire
qui l’avoit fait maire du palais. 11 paroît que Dago-
bertlui-même redouta l’ambition dece minifireaufiî-
tôt que fon âge lui permit de l’apprécier; on ne voit
pas qu’il l’ait employé dans les négociations impor-
. tantes : il le defijtua même de la mairie d’Aufirafie
lorfqu’il confia les rênes de cet état à Sigebert I I ,
fon fils : il le mortifia au point de lui donner un fuc-
ceffeur lui vivant. Tous les hiftoriens rendent hommage
au génie fupérieur de Pépin, & leur témoignage
uniforme en ce point aceufe la fidélité. Si Dagobert
l’eiit cru incapable d’abufer des droits de fa
charge J ne l’au/oit-ilpas mis auprès de lapçrfonnç
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de fon fils ? De quelle utilité n’étolent pas les con-
Icils d’un miniflre qui avoit déjà l’expérience de deux
régnés ? Pepin, écarté de la mairie, chercha tous les
moyens d’yrentrer;il entretint des intelligences dans
l’Auflrafie , s’y fit des créatures ; il s’attacha fur-tout
Cuniberr, évêque de Cologne, juélat qui pou voit donner
à fon parti la plus haute coniidération. On fait
quel étoit alors l’afcendantdes évêques fur l’efpritdes
peuples. La conduite de Pepin, apres la mort de
Dagobert, montre bien qu’il avoir regardé comme
un exil fon féjour à la cour de ce prince ; il quitta la
Neuftrie , oit il ne pouvoir plu.s figurer qu’en fubal-
terne. La mairie de ce royaume & le gouvernement
de la perfonne de Clovis II, fils puîné de Dagobert,
avoient été conférés à Ega, nouvelle preuve qu’on
le regardoit comme un cfpric dangereux qu’il fâüoit
éloigner des affaires. Son entrée en Auflrafie avoit
tout l’éclat & toute la pompe d’un triomphe ; il étoit
accompagné d’une multitude de fbigneurs fes amis ,
que Dagobert avoit retenus auprès de fa perfonne
par les mêmes motifs d’inquiétude que l’ambition
de Dagobert avoit fait naître. Cunibert, cet évêque
qu’il s’étoit attaché , brigua pour lui le luffrage des
grands q\ti n’avoient point entièrement perdu le fou-
venir des carefîes que fa main politique leur avoir
anciennement prodiguées : en peu de tems il fe trouva
armé de toute l’autorité; Adalgife lui céda fa
place. Ce mot céda dont nous ufons d’après la plupart
des hiftoriens, nous paroît peu convenable au
iujet ; quclqu’orageux que foit le miniftere, on ne le
quitte point fans regret : il a des attraits qui nous y
attachent malgré nous; l’ambitieux lutte pour le con-
ferver par rapport à lui-même , le fage pour alfurer
les deftinéesdes peuples & en mériter le futîrage.
Pepin, placé pour la fécondé fois à la tête du royaume
d’Auftrafie, fe lia avec Ega, foncollegue enNeu-
ftrle ; au moins leur plan femble trop conforme pour
n’avoir point été concerté : ils ne voyoient perfonne
au-delTus d’eux ; ils étoient les tuteurs, ils étolent les
maîtres de deux rois enfans ; Sigebert II avoit à peine
huit ans, Clovis II n’en avoit pas cinq accomplis;
iis n’omirent rien pour s’attirer toute la confidéra-
tion : ils ouvrirent les tréfors publics , ils les verfe-
rent avec profufion ; & fous prétexte de réparer les
ufurpations, les violences , les oppreffions véritables
ou fuppofées du dernier régné, ils parvinrent â rendre
odieufe la mémoire de Dagobert ; ce n’eft pas
qu’on les blâme d’avoir fait ces reftitutions, c’eft dans
les rois un devoir indifpenfable & facré d’être juftes;
& fl Dagofeert s’étoit écarté de ce principe , il étoit
de la gloire de fes fucceffeurs de réparer le mal que
l’abus de ces principes pouvoir avoir occaûonnc ; on
ne blâme que la conduite trop flatreufe de fes mi-
niftres. Pepin & Ega firent clairement connoître
qu’lis avoient moins en vue les profpérités de l’état
que leur bien particulier. En fléirifiant la mémoire
du feu roi, ils attachoient fur le trône la haine qu’ils
excitoient contre lui, & l’on ne peut douter que ce
n’ait été une des caufes de la chute de la premiere
race. On refpefta encore la perfonne du roi, mais
moins par amour que par une ancienne habitude. On
commença à haïr la royauté ; on aima la mairie, on
la regarda comme un frein qui devoir arrêter la marche
des rois, 6c l’on fe plut à la voir armée du fou-
verain pouvoir. Pepin mourut dans la troifieme année
de Ibn nouveau miniftere, adoré des grands qu’il
avoit fu flatter, & du peuple, envers qui il s’étoit
montré jufte. Grimoalde, fon fils, héritier de fes
fentimens, adopta le même j)lan, & le déploya avec
trop de vivacité. Une loi d’état avouée par un fage
politique ne permettoit i>as à un fils de pofTéder les
grandes charges, lorf'qne fon pere les avoit poftedées.
ü to n , jeune feigneur Auftrafîen , briguoit la mairie,
& inyoquoit çetie loi pour éloigner Grimoalde, qui,
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voyant que ce jeune feigneur alloit lui être préféré,
termina la difpute, & le fit aflâfliner. Ce fut par ce
crime que cet ambitieux s’approcha de Sigebert ; il
changea bientôt les fentimens de ce jeune monarque,
dont le régné avoit été marqué par d’heureux prefa-
ges; au lieu de développer en lui les talens d’un ro i,
il le plongea dans l’excès de la dévotion : c’étoit
alors la fureur des fondations religieufes; Sigebert
ne put échapper â la contagion ; Grimoalde eut
foin de lui fournir l’argent que ces fortes de dé-
penfes exigent. Ce miniftre le rendoit très-cher à
certaines perfonnes qui aimoient moins le monarque
que la main qui le dirigeoit. Sigebert regardoit comme
un homme très-précieux un miniftre quiruinoit
fon trefor aux dépens du public. On prétend que Sigebert,
pénétré de reconnoiffance, adopta pour héritier
, par fon teftament, Childebert, fils du miniftre
qui lui fourniflbit les moyens de faire tant de bonnes
oeuvres. Ce fut fur ce teftament, faux ou véritable,
qu’aprè's la mort de Sigebert II Grimoalde s’appuya
pour mettre la couronne fur la tête de Childebert,
fon fils; il fit difparoître prefqu’auffi-tôt Dagobert II,
& le relégua en EcofTe. Ce nouveau crime ctoit nc-
cefTaire, le teftament ne pouvant avoir fon effet
qu’au défaut de poftérrté niafculinc. Plufieurs chofes
iavorifoient cette révolution; les Auftrafiens ne
voyoient plus parmi eux de roi de l’ancienne race ;
ils ne vouloient plus fouffrir que le royaume fût réuni
à celui de Neuftrie; foit par un motif de gloire
nationale, foit que par cette réunion on fupprimât
les grandes charges que les feigneurs étoient bien
aifes de conferver, elle ne s’accomplit cependant
pas. Childebert fut détrône, & Grimoalde fut obligé
de paroître en criminel devant Clovis II, qui le punit
de fon attentat. Développons, s’il eft poffible ,
la caufe de la cataftrophe de ces uliirpateurs, difons
comment il fuccomba dans une entreprlfe qui reuf-
fit à Pepin le Bref, arriere-petit-fils de fa foeur Beg-
ga : nous en appercevons plufieurs ; d’abord on doit
préfumer que les cris d’Imnichilde contre lui ne fièrent
point iinpuifliins : une reine n’eft jamais fans cour-
tifans ou fins amis : licureufes celles qui favenr préférer
le petit nombre de ceux-ci à la tourbe des autres.
Il eft bien difficile d’abuler une mere, rarement
on trompe fa vigilance, fa foilicitude; on ne voit
pas qu’Inmichilde ait été dupe de l’éclipfe de Dagobert;
U eft certain que l’on fâvoit en Neuftrie que
ce prince exiftoit en Ecofté; le teftament de Sigebert
II paflbit même pour une fable : le couronnement
de Childebert ne pouvoit donc être regardé
que comme une ufurpation, & les François fe
croyoient toujours liés par leur ferment à l’ancienne
race ; ils ne croyoient pas qu’il leur fut permis dans
aucun cas de renoncer à l’obéiffance envers leur roi.
On verra par la conduite de Pepin que ce projucre ,
ou plutôt cette utile vérité, fut un des principaux
obftaclcs que rencontra fon ambition; il lui fallut
pour le vaincre faire parler le miniftre d’un dieu.
A ces caufes, dont quelques-unes fefont préfentées
à .certains écrivains , j’en vais ajouter une qui me
paroît plus puiftante; elle eft échappée à tous les
hiftoriens, même à tous les critiques. M. l’abbé de
Ma!)li, ce favant fi plein de notre hiftoire, ne l’a
point apperçue, ou il a négligé de nous en faire
part. Si Childebert eût etc maintenu fur le trône ,
la charge de maire auroit été infailliblement fuppri-
mee ; alors les grands qui commençoient â la regarder
comme un bouclier contre les entreprifes des
rois, fe trouvoient fans défenfeur & fans appui ; ils
aîloient trembler fous un prince qui alloit réunir la
royauté & la mairie , qu’ils étoient parvenus <\ faire
regarder comme deux dignités rivales, & dont l’au-
tonte de 1 une balançoit celle de l’autre. Il n’étoit
nullement à préfim^r que Childebert çût laifle fub-
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fifter une charge qui lui avoit fervi de dégré pour
monter fur le trône de fes maîtres, ôc les en précipiter.
Les grands ne dévoient pas être tranquilles fur
I ambition de Grimoalde : c'etoit par un crime qu’il
avoit acquis la mairie; c’étoit par un autre crime
avoit placé la couronne fur la tête de fon fils.
L hiftoire ne nous a point dévoilé lés autres excès ;
mais il faut croire que ceux que nous venons d’ex-
pofer ne furent pas les feuls. L’auteur des Obferva-
nonsfur Chljloire, écrivain inappréciable, mais dont
j ofe ici combattre le fentiment, femble louer la
modération d Erchinoalde ou Archambaut, maire du
palais de Neuftrie , qui, fuivant lu i, eut la généro-
fité de punir i’ufurpateur, quoiqu’il fût de l’intérêt
de fon ambition de le favonfer, & que fon fiiccès
en^ Auftrafie fût devenu un titre pour lui en Neuftrie.
On voit que cet auteur, dont je iéns d’ailleurs
tout le mérite, regarde le fupplicc de Grimoalde
comme l’ouvrage d’Archambaut, fon collègue; &
1 hiftoire atteftequecefut celui des grands du royaume
d’Auftrafie. S’il y contribua, ce ne fut pas volontairement,
mais feulement parce qu’il eût etc dangereux
de ne pas fe déclarer dans une conjonfture
aufti importante : il ne faut pas croire qu’il fût libre
d ambition : plus fage que fon collègue, il attendoit
le fuccès pour fe décider. Ses vues interefTées ne tardèrent
point à fe manifefter ; en effet, au lieu d’ordonner
le retour de Dagobert, il le tint toujours
dans fon exil, & fe réferva la mairie d’Auftrafie ,
qu’il eût fallu rétablir fi ce prince eût remonté fur
le trône : on ne m’objcéfera pas qu’il fut retenu par
Clovis. Ce monarque, toujours occupé de fti dévotion,
avoit bien peu d’influence dans l’état; rarement
il fortoit de fon oratoire, oîi il ne s’occupoît
que du foin de décorer quelque relique. Mais cc qui
achevé de dévoiler ce maire , c’eft le mariage qu’ii
fit contracter à Clovis ; il lui fit époufer Batilde, une
efclave par qui il s’etoit fait fervir â table : voilû
quelle fut la femme que ce traître ne craignit pas
de faire époufer à fon roi. Ne connoifToit-il pas
mieux les convenances ? & croira-t-on qu’il agliToit
fans intérêt? Quelle reconnoifl'ance ne devoit-il pas
fe promettre de la part d’une princelfe dont il
étoit le créateur? Dagobert II fut cependant rappelle
, non par rinfpiration du maire, mais par Childe-
ric II, qui lui rendit la couronne d’Auftrafie. La mairie
de ce royaume fut rétablie, & c’eft ce qui prouve
ou que les rois étoient fans autorité, ou qu’ils
étoient abfolument dépourvus de politique. Cette
charge fortit un inftant de la famille de Pepin. Mais
avant de quitter l’article de Grimoalde, obfervons
un trait qui attefte fon génie ; ce fut cette attention
de donner â fon fils un nom que jilufieurs rois avoient
porté; alnli fi la famille de l’uiûrpateur étoit nouvelle,
fon nom ne l’étolt pas. Un nommé Fulfoads
fut fait maire du palais de Dagobert, mais après fa
mort, elle pafl'a k Anfegifilc , mari de Begga, feeur
de Grimoalde : ce nouveau maire eut un régné bien
coiM‘t , i l périt afî’affinc par un ennemi domeftique
qu’il avoit fait élever avec un foin domeftique. Pe~
pin , fon fils, que l’on diftlngue par le furnom à'Hé~
rifîuL, vengea fa mort : il tua l’aflaftin au milieu d’une
foule de complices. Cette intrépidité lui captivant
l’elprit des feigneurs, on lui confia à lui & à Martin
fon coufin, le gouvernement d’Auftrafie, qu'ils poffe-
derent l’un & l’autre conjointement, non-feulement
avec le titre de maire, mais encore avec celui de
prince ou de duc. Les feigneurs leur refuferent le
litre de roi, fans doute pour conferver le droit de
recourir k celui de Neuftrie , s’il leur prenoit envie
de leur impofer des devoirs qu’ils ne jugeoient point
à propos de remplir. C’ eft ainfi que les feigneurs te-
noient dans une efpece de dépendance les deux princes
qu’ils avoient jugé à propos de fe donner, Pepin,