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Valerius Flacciis, qui ne parlent que d’après l’h-.f-
toire ou d’après la tradiiion; mais ici on introduit
Orphée parlant lui-mome de ce qu'il a vu , de ce qu’il
a fait, des dangers qu’il a courus, & des prodiges
que les vers fa lyre toujours enchantée, ont opérés,
Ibit pour faciliter l’ enlevement de la Toilbn
d'or, foit pour prévenir le naufrage du navire ^rgo,
qui étolt très-fouvent fur le point de faire naufrage.
La partie géographique elt fmguliéreinent mal traitée
dans ce poème , Ôi la profulion du merveilleux
y furpalTe les fièhons les plus hardies d’Apollonuis
de Rhodes , qui iranfporte le navire ^rgo de la mer
Noire dans le golphe Adriatique, par une riviere
qui communiquoit avec le Danube , Ck qui le dé-
chargeoit dans le terrein qu’occupe de nos jours
Vende, où jajnais aucune nviere qui communique
avec le Danube ne s’eR déchargée. Mais le j)rétcndu
Orphée décrit une route encore bien pins inconcevable
par le centre du continent oii l’on perd les
Argonautes de vue : on ne i'ait plus ce qu’ils font devenus
, & tout-à-coup ils rcparoiilent dans l’océan
du côté de l’Irlande, qu’on fuppofe être defignee
dans le texte grec par le terme d’bpi/fa.
Ces details fuiHroient pour démontrer que jamais
ni Orphée, ni aucun compagnon des Argonautes n’a
écrit ni penfé à écrire un pocine de cette nature ;
d’ailleurs le nom de qu’on y donne (vers 59)
à l’Æmonie ou à la terre des Myrmidons, qu’on
n’appelloit point encore TheJJ\diez\oTSy U l’épithete
de barbare qii’on y applique à des nations d’origine
Scythique, ufage qui ne s’ert introduit que long-
îems après Homere, prouvent alfez clairement la
fuppofition, quoique M, Geiuer n’ait pas etc fort
incliné à la reconnoitre, jjarce que l’obiervation
dont nous venons de parler au lujct de la Thelî'alie,
ne s ’efl point préléntéeà la mémoire. Mais tout cela
n’empêche pas que cet ouvrage ne loit très-ancien:
il a de grandes beautés : la verfification en efl: naturelle,
quelquefois meme elle eii mélodieufe. Si
l’on y a violé , comme nous l avons dit, toutes les
notions de la géographie pofitivc, on y a en revanche
ohfervc le codume avec une attention Icrupu-
leufe, jufqu’au point de ne pas meme donner d’ancre
au navire Argo ; & en effet, il ne paroîr point
que du tems du fiege de Troye l’ ufage de ces inf-
irumens ait été bien connu dans la marine des
Grecs.
Quelques critiques ont foupçonne Onomacrite,
qui ctoit contemporain des Piliffratides, d’avoir
fuppofé les argonautiques, ou de les avoir compilés
de différens mémoires : mais ce foupçon n’eff pas
encore bien conforme à l’hidoire , & nous ne favons
rien de certain à cet égard; car tout ce qu’on peut
conclure d’un paffage que nous avons dans le fep-
tleme livre d’H érodote, c’eff qu’ünomacrite a réellement
forgé des vers de Mufée ; mais les vers de
Mufée n’ont rien de commun avec ceux à'Orphée.
Quant aux hymnes,TMNOi, il conviendroit plutôt
de les appcller en ïrançois àcsinvocatiorrs que le
facrifîcateur prononçoii, luivant toutes les apparences,
au moment qu’il répandoit l’encens fur l’autel
allumé. Auffi dcfigne-t-on ordinairement à la tête
de ces invocations l’efpece de parfum dont il faut le
fervir, comme le ftorax, les matières aromatiques ,
la cedria OU la réfme du Liban, & même la graine de
pavot ; car tout cela varie felon la nature du dieu
qui y elf imploré.
On croiï affez généralement que ces formules font
reffées cachées dans les fanèluaires du paganifme
aufli long-tems que le fecret des mylleres & des initiations
a fubfifté parmi les anciens, & qu’on fe dc-
icrmina enfin à les publier pour repouffer les reproches
des Chrétiens, qui aceufoient toutes ces
pratiques d’être abominables, & qui le perfua-
O R P
doient aîfément au vulgaire ignorant. Mais U nous
femble qu’on fe trompe ici ôc à l’égard de ceux qui
n'étoient point Chrétiens, & à l’égard de ceux qui
l’ctoient : car ces hymnes n’ont aucun rapport avec
la doctrine des mylleres, ils pavoifiént meme être
diamétralement oppofés à cette doflrine. On y cite,
on y invoque une foule de divinités fubalternes
Orphée y cc fccfateur rigoureux de la théologie
égyptienne , ou n’admettoic pas , ou ne connoifl'oit
pas. Au reffe fi les prêtres de la Grèce ont eu quel-
cue motif pour tenir ces invocations long-tems fe-
cretes, ils n’ont pu en avoir aucun pour les rendre
publiques; car quoiqu’elles ne choquent, abfolu-
ment parlant, ni les loix civiles, ni les principes de
la morale , la luperftilion groffiere qui y régné ne
fauroit trouver d’exeufe.
Le poème intitulé riEPl AienN , eft également
rempli de préjugés aufii abfurdes qu’anciens touchant
les qualités médicinales ou furnaturelles de
certaines pierres précieufes ou fingulieres qu’on por-
toit en forme d’amulette, ou qu’on prenoit même à
rinîérieur, ce qui a dû faire périr beaucoup de malades
, dont la fanté le feroit rétablie s’ils avoient eu
la force de s’abftenir d’un tel remede. Il y a des pht-
lofophes qui s’imaginent que les propriétés fenfibles
de l’aimant ont donné Heu aux anciens de fuppofer
que la plupart des pierres renfermoient tout de même
quelque vertu cachée, qu’il ne s’agiffoit que de deviner
pour opérer des effets auffi prodigieux que pour-
roient l’êire les phénomènes de l’attradion magnétique
ou ceux de la tourmaline aux yeux d’un homme
qui les verroit pour la première fois. Nous croyons
tout au contraire que cette dodrine , qui paroît née
en Egypte, eft pofférieure à l’invention de la gravure
en pierres fines, & que les caraderes hiéroglyphiques
qu’on fculptoit fur les amulettes ont, parmi
cent autres erreurs, produit auff! cette erreur-Ià ,
qui, malgré toutes les lumières de la phyfique,
régné encore plus ou moins en Europe de nos
jours.
Il n’eff pas queffion dans ces Hthiques attribué?
à Orphée, de pierre qui foît maintenant inconnue,
finoa de la lépidoiis, qu’aucun naturalifte ne doit fe
flatter d’avoir retrouvée depuis le tems de Pline, qui
en parle encore; la couleur argentine paroît avoir
peu d’analogie avec les écailles de la carpe Upidotus^
dont on croit que le nom lui a été impolé.
Il refteroit à parler des fragmens, Anos riASMA-
TiA; mais le nombre en eff fi grand, qu’on ne fauroit
les analyfer, & le fujet en eff fi varié , qu’o'n ne fauroit
fuppofer qu’un feul homme ait écrit fur des matières
fl différentes. Elien rapporte J/v.
V llI . cap. ) que les favans de l’Afie regardoient
toutes les pièces qui compofent les orphiques
des pièces fuppofées par des impoffeurs, parce que,
fuivant eux, jamais les lettres n’avoient été cultivées
dans la Thrace, oii perfonne ne favoit vraifembla-
blement ni lire ni écrire clans le liecle où l’on y fait
vivre Or/’/zée; la fuppofition de ces ouvrages eff auffi
manifeffe à nos yeux qu’elle a pu l’être aux yeux
des favans de l’Afic du tems d’Androtion : nous pen-
fons tout comme eux, que cent ans avant le fiege
de Troye on n’avoit pas la moindre idée des feien-
ces en aucun canton de la Thrace ; mais il ne fuit
nullement de tout ceci qu’un homme né dans cette
contrée, quelque barbare qu’on fe la figure, n’ait
pu voyager pour fe faire inftruire,comme Je Scythe
Anacharfis. Or voilà précifement le cas ^'Orphée,
qu’Ariftoîe a eu grand tort de traiter de perfonnage
imaginaire : il eff vrai que l’endroit où il s’expliquoit
à cet égard n’exlffe plus aujourd’hui ; on ne fait même
clans quel traité ou dans quel livre il a eu occa-
fion de s’en expliquer; mais un paffage de Cicéron
( de Nat, Deor. ) nous a confervé le'paffage de ce
O R P ,
nhllofophe, qui ayant long-tems féjourné dans la
Macédoine , a pu, s’il a voulu, y recueillir beaucoup
de connoiffances relativement à la Thrace, qui_ en
eff limitrophe ; mais nous verrons bientôt ce qui l’a
induit en une erreur fi groffiere; car enfin, il_ n’y
auroit plus d’hiffoire , fi l’onportoit le pyrrhonifme
hillorlque jufqu’au point de ranger Orphée parmi les
êtres purement mythologiques. Sa réputation s’eff
trop conffamment foutenue dans l’antiquité : on a
vu une Icèfc d'hommes porter fon nom , c’eff-à-dire,
les Orphéotdcjlcs : 011 le l'ervoit de quelques-unes
de fes maximes dans lesmyffcres : on avoit meme
dans les écoles quelque refpeôf pour Ion fyffemc
touchant la nature des corps céleffes , & lur-toui
touchant la nature de la lune, qu il regardoit comme
une terre habitée, opinion C[ui clccele plus de
connoilfancesêc de réflexions cju’on ne feroit tenté de
le croire.
Il faut bien obferver ici qu’un Egyptien dont il eff
fait mention dans les Eliaques Paiifanias , foute-
noiî c\\\ Orphée ctoit né en Egypte, tout comme Hé-
liodore y fait naître Homere. Cette circonftance
finguliere a donné lieu à M. de Schmidt d’analyfer
enfin ce mot A^Orphée, & il a trouve qu’il eff com-
pofé d’élémens purs,pris du Cophteou de l’ancienne
langue de l’Egypte; de forte qu’il ne lignifie autre
choie que fils d'Orus ( i ) . Ceux qui ont examiné
avec attention le canon des rois.de Thebes parEra-
tofthene , ont dû s’appercevoir que c’étoit une coutume
affez générale parmi les Egyptiens de donner
aux perfonnes de l’un & de l'autre fexc le nom de
leurs dieux & de leurs deeffes indigenes. Mais fi Orphée
eff né en Egypte, quel motif a pu l’engager à
quitter fa patrie,ce pays fi fertile Sc li policé, pour
aller habiter parmi desfauvages, qui mangeoient
encore des glands, & qui parloient une langue dont
il n’eût pu comprendre un mot ? Tout cela, quoi
qu’en puifl'e dire M. de Schmidt, eff inconcevable.
Mais fl l’on fuit l’opinion de Dîodore de Sicile, ces
difficultés difparoîiront, & nous parviendrons à un
degré de vraifemblance où perfonne n’eff parvenu
jufqu’à prefent.
II faut perfiffer à croire qxx'Orphéc a pn’snaiffance
dans la Thrace : c’eft le fentiment univerfel & confiant
de l’antiquité , contre lequel l’autorité d'un
etranger cité par Paufanias ne lignifie rien ; mais
ridée de fe faire inffruire dans les feiences de l’O rient
le détermina, comme Diodore le dit ( tome L
lo y .'), à voyager en Egypte; & on fait que ces
voyages étoient très - trequens parmi les Grecs:
auffi rien n’eft-il plus conforme à la tradition inl'é-
rée dans les Arç'onaudques , où l’on introduit Orphée
qui parle de lui-même, & qui y déclare deux fois
de la maniéré la plus politive qu’il a féjourné en
Egypte, qu'il y a vu Memphis, & les villes J'ucrées
d"Apis ^environnées par les bras du Nil (2).
1 «P« f Tê 'TToXnUi
A'TTiS'oe , ai ertpi uyappcoe
Pour gagner la confiance des prêtres de ce pays,
il falloit le refoudre à refter plufieurs années chez
eux; & on fait que Pyihagore , Eudoxe & Platon
ont dû y faire un long l'éjoiir ; ainli Orphée a pu pendant
ce tems-là ou prendre un nom égyptien, ou
les prêtres lui en ont impofe un en l’initiant à leurs
myfteres, dont il rapporta le fecret ik les dogmes
dans la Grcce ; de forte que c’eft par une impro-
(il L’Onis des Egyptiens cfl indubitablement l’Apollon des
Grecs : aufTi le fcbolialle d’Apollonius de Rhodes, Ménæchmc
& Pindare appellent-ils Orphée y fils d'Apollon.
^ (2) On^nc connoît maintenant qu’im l’ciil endroit de l’Egypte
ou il y eut un boeuf appelle Apis, qui avoit fon temple à
Memphis même. M.iis une ville fuuée iu fud du lac de la Ma- réoïc, portoit aulTi le nom û’Apis,
O R î 8 q
priétc d’exprelTiou qu’on appelle ces myfteres orphiques
, au Heu de les appellcr é^ypdaques, quoiqvie
nous ne prétendions pas dire que les hiérophantes
grecs n’aient altéré la doclrinc primitive, (oit en y
ajoutant quelques articles, foit en en retranchant
quelques-uns.
On voit maintenant qu’il eff poffible qu’Ariffote,
en luppolant qu’il a fait des recherches dans la Thrace
, n’ait pu y trouver quelque indice touchant un
homme nommé Orphée, puifque ce ne futqu’aprcs
fon départ de cc pays qu’il prit le titre de fils d'O-
rus oxx d'Apollon, que Pindare UH donne auffi dans
une de fes odes. Enfin les Thraccs ont pu dire avec
vérité à Ariffote , que jamais ce mot d’Or/j/tée n’avoit
été connu dans leur langue. Tout cela arriveroit de
même aujourd’hui, fl l’on entreprenoit en quelque
endroit de la Tartarie que ce foit, des recherches
furies opinions & la perfonned’Anacharfis, qui ppr-
toit certainement un autre nom dans fa langue maternelle
6c parmi fes compatriotes.
Nous ne tenterons point d’expliquer toutes les
fables qu’on a inventées pour illuffrer l’hiffoire
à’Orphée, perlonnage d’ailleurs affez ilîuftre , & qui
a indubitablement contribué à policer les Grecs , ce
qui le rend plus refpeêlable aux yeux d’un homme
feiifé, que tous ces conquérans que le vulgaire
imbécille appelle des héros. Sa defeente aux Enfers
femble avoir quelque rapport avec les cryptes ou
les foLiterrains où les prêtres de l’Egypte faifoient
entrer ceux qu’ils i- itioient à leurs myfteres, ôc où
ils pall'oient eux-mêmes une partie de leur v ie ,
fans qu’on puifle bien lavoir à quoi ils s’y occu-
poient ; on dit qu’étant entré dans ces fombres demeures
, il y chanta les louanges de tous les dieux,
hormis celles de Bacchus : Noèl le Comte, & cent
mythologiftes de fa force , n’ont fçu développer
cette énigme , dont le lens eff neanmoins très-aifé
à trouver, dès qu’on fait qu’une loi du régime diététique,
adopte parla claffe facerdotale de l’Egypte,
y inierdiloit l’ufage du vin. Orphée fe conforma
à cette lo i , comme l’on vit enfuite Pythagore s’y
conformer auffi ; fans quoi ils n’euffent pu communiquer
avec les prêtres.
De retour dans la Grece, Orphée y infifta beaucoup
fur l'abftinence du vin , & ce fut là parmi
plufieurs autres caufes , une caufe de fa mort, fuivant
le plus grand nombre des auteurs ; ou , ce qui
eff la même chofe , luivant la tradition la pluscon-
ffante,il fut déchiré par des femmes ou par des
Bacchantes ; & le fentiment de ceux qui le font
périr d’un coup de foudre, ou par une mort volontaire,
comme Agatarchide ( Rerurn Ajîaticarum Hifié)
n’eff pas adopte , & nous doutons qu’on adoptera
auffi les motifs qifOvide prête aux Bacchantes, qui
fe défirent d’Orphée, dit-il, parce qu’il exhorroit
les hommes à le plonger dans une débauche qtii
choque l’ordre le plus poficif de la nature.
nie ctiam Thracum popidis ,fuit autor arnoreni
In uneros transferrg mares ; cicràque juvemam
Æcaiis brève ver , & primos carpere fiores.
Métamor. X .
On pourroit foupçonner ,à la vérité, qu’une telle
inffitution avoit quelque rapport avec les loix des
Cretois , attribuées à Minos , au fujet de la pæ-
deraffie ; mais cela n’eff point probable , puif-
qu’on voit qu’Or/z/zéifuivoit fcrupiiîeufementla doctrine
des prêtres de l’Egypte, qui étoient ennemis
déclarés du célibat, & obfervateurs rigoureux des
préceptes du mariage : on ne les a jamais aceufes
de quelque défordre au milieu d’un peuple qui en
commettoit fouvent , & les exemples les plus propres
à les corrompre, ne les corrompirent point:
auffi faut-il les diffinguer de tous les autres prêtres