ao N A T été ensuite lui ^ inventer , en efTet, le langage
k le pert'etHonner de meme ; elle Ta dilpofc
k revêtir un caradere bon & hoimcte , fociable
&: aimable : mais racquilition 6c la perteélion de
ce caraétere font entre fes mains. Ici donc Tartifte
a un varte champ pour déployer fon génie de la
manière la plus noble, en dirigeant les travaux
vers un but véritablement élevé. Malheur ù lui s’il
niéconnoit ce but, & s'il ne feiit pas toute la dignité
de la vocation qui confille i\ féconder la naiure
dans fes vues !
Il eft encore de la derniere nécelfité que Tartifle
éprouve au fond de fon elprit & de Ion coeur ,
l’inlligation 6c l'infpiration de la nature. Les lalens
nécelfaires pour l’art & la fenlibilité font des préfeiis
immédiats de la nature. Eu joigimiit ù cela la cou-
noiffance du monde corporel, celle du monde
moral, l’exercice & une application ioutenuc ; voilà
l ’artille tout formé. Son goût fera toujours alTuré ,
& fes procédés ne manqueront jamais de le conduire
au but, s’il n’étouffé pas l’inilinél de la naain [lar
des regies arbitraires, qui font dues à l’imitation
ou à la mode. Tous les ouvrages dillingués des
beaux arts font dans leurs parties efl'entielles, des
fruits de la nature., qui font parvenus à leur maturité
par l’expérience & par de profondes réflexions l'ur
ce que la nature offre au génie. Mais comme la tete
de l’homme le plus fonfé, s'il vit parmi les ibphil-
tes , fe remplit de fubtiliiés ; de meme l’.iriillc,
auquel la nature avoit fourni tout ce qui pouvoit
le mettre en état d'exceller, peut s’écarter de la
droite route , s’il fuit de mauvais exemples tk te
laiffe gouverner par le penchant de l’imitation. En
lui recommandant d’etre docile à la voix de la
nature qui fe fait entendre nu-dedans de lui, on
ra\’ertit de fe préferver des regies arbitraires, &
de l’imitation aveugle d’ouvrages qui ne s’accordent
pas avec fon gofit aétiiel 6c. non dépravé , mais
qui font appuyés fur le caprice de la mode, 6c
lur les éloges que donne à des ariiffes fans vocation,
un public qui a depuis long-tcms abandonné le
l'entier de la nature.
D'oii vient que ç’a toujours été le premier période
du tems où les arts ont fleuri chez, quelque nation,
qui a vu naître les plus beaux ouvrages? On n’en
laiiroit trouver la rallon , linon en ce qii’alors
l’artifte, qui avoit reçu fa vocation de la nature.,
s’y cil tenu fcrupuleulement attaché , au lieu que
ceux qui font venus dans la fuite des tems, ou
bien font devenus uniquement arrilles par l'imitation,
ou ont travaillé fans avoir de regies piiifées
dans leur propre fentiment naturel, 6i ont fiùvi
fans réflexion des modèles qu’ils avoient mal faifis.
Ainfi tout jeune homme qui l'eut au dedans de lui
une vocation k la poéfie , k la peinture ou à la
mufiqiie, doit fe conformer au conl'eil que l’oracle
donnoit à Cicéron : Prens pour guide ton propre
jitithnent y & non L'opinion du vulgaire. Plutarcpie,
dans la vie de Cicéron.
A préfent il s’agit encore de confidérer la nature
comme le magafin iiniverfel dans lequel l’artifte
cherche l’étoffe de fon ouvrage , ou du moins y
trouve des objets d’après lefquels il peut par
analogie en inventer. Le but général de tous les
beaux arts, comme nous l’avons fouvent remarqué,
confifte à faire des imprefTionsfur l’el'pritdcs hommes
qui leur foient avantageufes , au moyen de la
vive repréfentation de certains objets doués d’une
forceefthétique. Commec’eftlà auflîmanifeftement
une des vues bienfaiflintes de la nature^ dans la
produclion 6c dans l’embellillement de fes ouvrages,
6c la nature étant divifée dans toutes fes opérations
par la fouveraine fageffe , cela fait qu’on trouve
parmi fes oeuvres toutes les fortes d’objets qui
N A T peuvent être rapportes à tin but quelconque. Ainft
i’artifte n’a autre chofe à faire que de choilir pour
chaque cas fmgulicr l’objet qui lui convient ; ou
s’il ne rencontre pas tout-cle-fuitc dans la nature
ce qui lui feroit néceffairc ( & cela peut fort bien
arriver, parce qu’elle ne travaille que dans des
vues générales), il doit à l’aide do fon propre
génie inventer d’après le modèle des objets exiftans,
des objets imaginaires <jui fe rapportent dircétemenr
à fon but. Dans l’im 6c dans l’autre de ces deux
cas , il a befoin d ’une connoiflance étendue 6>C
api>rofoudie des chofes qui exiftent dans le monde
tant corporel que moral, 6c fur-tout des forces
qui y fout renfermées. Comme riieureux choix
du fujet a la principale part au prix d’un ouvrage
parfait de l'art , il n'y a rien qu’on doive pliis
recommander à l'artifte qu’une obfervation non
interrompue de toutes les cliof'cs créées, 6c de leurs
forces. Ses fens, tant extérieurs qu’intérieurs, doivent
être continuellement tendus ; les premiers , pour
ne rien laiffer échapper de tout ce qui mérite quelque
attention dans V<\ nature ; les féconds pour acquérir
toujours une connoiffance exaéle des effets que
chaque objet eft capable de produire fur lui dans
les circonfiances données. C’ert là Tunique voie
d’enrichir le génie, 6c de lui fournir Téfoffe dont
il a befoin toutes les fois qu’il travaille à quelque
ouvrage de Tart. On parle fouvent de génies féconds
6c inventifs qui ont acquis une grande réputation
dans les beaux-arts. Ce qui les a rendus tels, ç’a
toujours été i’obfervation exaéle 6c réfléchie de la
nature ; tel a été par-defl'us tous les autres Homere,
aux yeux iiénétrans duquel ( quoiqu’on prétende
qu’il ctoit aveugle ) rien n’écliaiipoit.
Il y a des artiftes qui ne connoift'ent la nature que
de la fécondé main ; c’eft-à-dire , qui ne Tout pas
oblervée dans fes ouvrages , mais dans ceux d’autres
artiftes. Ces gens-là, quelque habileté qu’ils puift'ent
avoir, demeureront de foibles imitateurs, ou ne
pourront tout au plus fe diftinguer que par la manière
de travailler qui leur eft pro])re. On s’apper-
çoit toujours qu'ils n’ont pas vu la «a/«« même;
leurs objets font d’emprunt, 6c la repréfentation de
ces objets n’eft pas animée par la vie que les véritables
maîtres qui deifinent tout d’après nature, font
leuls capables de donner. Il eft tout naturel qu’un
objet confidcrc comme exiftant, aff'eéle d’une maniéré
plus vive que fon image , ou la defeription
qu’on entait; 6c fi l'artifte eft plus folblenient touché
, Ibn travail aura certainement d’autant moins
de force 6c de vie. Quand on fauroit par coeur tous
les auteurs oîi Ton trouve des récits de batailles, de
leditions, de rumultes,on n’en feroit guere plus
avance pour dépeindre avec toute la vivacité requile
quelqu’un de ces formidables objets ; il faut nécef-
lairement pour cela une expérience propre. 11 en eft
ainfi de toute rcprélcniation & de tout fentiment.
D ’oii nous concluons que l’étude de la nature doit
être Toccupaiion capitale de l’artifte.
Il arrive bien fouvent que l’artifte ne fauroit trouver
tout de f uite dans la nature Tobjet dont il a befoin,
& tel qu’il le lui faudroir. Cela vient de ce que
fon but eft diflerent de celui que la nature s’eft pro-
pofé dans la prodtiélion de Tobjet. Alors deux routes
fe préfentent à lui ; ou bien, il peut imagiiîer lui-
même Tobjet qui- s’accorde le mieux avec les vues ,
ce qu’on appelle idéal ; 6c c’eft ainb que s’y pre-
noient les fciilpteurs grecs, lorlqu’ils avoient des
dieux ou des héros à repréfenter : ou bien il con-
fiilte fon imagination fuffifainmcnt enrichie par de
longues obfervations, & la fbllicite à lui fournir
Tobjet dont il a befoin. Mais alors il ne doit pas s’écarter
le moins du monde du précepte d’Horace ;
Jicla Jint proxima veris : autrement il enfantera
N A T quelque chîmere fans force 6c fans vie. On ne fauroit
être heureux dans de femblables inventions
qu’autant qu’on a acquis, par une longue 6c pénétrante
obfervation de la nature, un fentiment fur de
l’empreinte qui caraélérile chaque objet de la nature.
Quelques critiques confeillent à l’artifte d’embcl-
îir les objets que Id nature lui fournir. Mais oîi cil
Thomme qui feroit en état de le faire, puifque le
plus habile artifte ne parviendra jamais à rendre
exaélement les beautés de la nature? Que li ces critiques
prétendent par-là qu'on eft fouvent obligé
de changer quelque choie aux objets de la nature ^
foit en omettant ce qui s’y trouve, ou en ajoutant
ce qui y manque, iis ne s’expriment pas exaclement.
Quelqu'unprctendroit-il avoir embelli Cicéron, fi,
ayant emprunté de cet orateur une penfée , une
image, il en avoit écarté cjiielquc chofe qui fe rap-
portoit aux ufages de l’ancienne Home, & ne con-
venoit pas à fes vues, pour lui donner un autre
tour, une autre application ? Où l’artifte puiferoit-
il des beautés que dans la fource unique du beau ?
Mais que Ton lire fon objet de la nature., qu’on
s’en fafl'e un idéal, ou que l’imagination nous en
f'ournifl'e un , il faut toujours, fi cet objet doit produire
tout fon effet, que l’habileté de l’artifte le rc-
prefente comme un objet vraiment naturel. Tout
doit y être, comme dans la nature, ajuftébe lié de la
maniéré la plus réelle &: en même tems la moins gênée.
Nous mettrons cette doétrine dans un plus grand
jou r , en traitant Varticle Naturt.l qui fuit. ( Cet article
ejl tiré de la Théorie générale des Beaux-Arts, par
M. DE SULZEH.k
NATUREL, (Beait.v-Arts.') adjedlif par lequel
on dcfignc les objets artificiels qui fe préfentent à
nous, comme li Tart ne s’en ctoit point mêlé, &
qu’ils fuffent des produélions de la nature. Un tableau
qui frappe les yeux, comme li Ton voyoit Tobjet
même qu’il repréfente ; une aélion dramatique qui
fait oublier que ce n’eft qu’un fpeélacle ; unedeferip-
tion , la repréfentation d’un caraèlere, qui nous donnent
les mêmes idées des chofes que 11 nous les
avions vues ; un citant qui nous aff'eéle comme 11
nous entendions des plaintes, des cris de joie, des
accens de tendrefl'e , des éclats de colcro , ou d’autres
fons produits immédiatement par de fortes paflions;
tout cela s’appelle naturel. Quelquefois aufli on emploie
ce mot pour indiquer d’une façon particulière
ce qui n’ eft pas gêné , ce qu’on appelle coulant dans
la maniéré de reprélentcr une choie, parce qu’en
effet tout ce qui eft la produélion immédiate de la
nature , porte ce caraélere. C ’eft ce qui met en droit
d’appcller naturel un objet que l’artifte n’a pourtant
pas piiilc dans la nature, mais qu’il a inventé par la
force de Ion imagination, pourvu qu'il fâche y mettre
l’empreinte de la nature.
Ün appelle encore, hors de Tencelnte des arts,
naturel tout ce qui ne laiffe appercevoir aucune contrainte,
ce qui n’eft point déterminé par des regies qui
fe faftent fentir , mais qui exifte ou arrive d’une
maniéré où Ton reconnoît les procédés Amples &
droits de la nature. Ainfi Ton dît d’un homme qu’il
eft naturel, quand il n’y a rien d’affeélé dans fes dif-
cours , dans fa démarche , mais qu’il abandonne tout
à Timpullîon du fentiment avec une parfaite fimpli-
cité, fans aucunes vues détournées, fans fe préparer
6c penfer qu’il foit obligé d’agir de telle ou telle manière
qu’il a précédemment apprife.
Le naturel eft une des plus excellentes propriétés
des ouvrages de Tart ; tout ouvrage auquel elle manque
, n’ell pas entièrement ce qu’il doit être, & fe
trouve privé du caraélere qui a principalement la
force de nous plaire. Développons ces idées qui font
très - importantes.
Le but des beaux arts les appelle néceffalrement
N A T 25 à nous prclcntcr des objets qui puifTcnt nous intéref-
1er, 6c captiver notre attention; après quoi feulement
ils produifent fur notre efprit les effets qui conviennent
à leur but particulier. Or il y a entre les
objets de la nature & Tefprit humain une harmonie ,
qui rcflcmble à Télément & à Tcfpece d’animal qui
y vit parce qu’il eft fait pour y vivre : la nature a
dilpofé tous nos fens, 6c ce fonds de fenfibilité d’où
nailft;nt tous nos defirs, d’une maniéré qui s’accorde
exaclement avec les propriétés des objets créés qui
doivent nous intérefler: nous n’éprouvons Jamais
de fentiment que pour les chofes que la nature a
deftinees à Texxiter en nous. Quand donc on veut
nous émouvoir au moyen de Tart, il faut nous pré-
fenter des objets qui imitent Tefpece, & aient le ca-
raétere des Qh\tx.‘S naturels. Plus l’artifte réuffu à cct
égard, plus il peut fe promettre de fiiccès de fes
ouvrages.
D e - là s’enfuit non-feulement qu’il ne doit rien
produire de chimérique, de faiitaftique 6c qui ré-
jiugne la nature; mais encore que les objets .icinrs
d’après nature, doivent l’être de la maniéré la plus
naturelle, pour obtenir leur entier effet. Il faut qu’ils
nous fafl'ent une telle iliufion, que nous croyons
appercevoir eft'eclivement Tobjet comme il exiflc
dans la nature. On attendrit des enfans, en mettant
la main devant les yeux & faifant femblant de pleurer;
mais des hommes faits apperçoivent fans peine
la tromperie. Pour faire iiliifion à ce u x -c i, il faut
s’y prendre mieux dans Timitation des [ileurs.
11 ariive fouvent de-là, fur-tout dans les fpeéla-
cles, que le défaut de naturel, foit qu’il vienne de la
conipofuion du poète, ou du jeu de Taéleur, produit
un effet direélemcnt contraire au but, c’eft-à-
dire, qu’on rit lorfqiTon devroit pleurer, & qu’on
le fâche, lorfqu’on devroit s’égayer, tant le défaut
de nafwrt-/peut altérer le bon cfl'ct des objets artificiels.
C’eft une choieaffe?. ordinaire dans la vie, qu'au
fort d’une feene lamentable , une feule circonftance
déplacée & non naturelle excite le rire ; combien
plus cela doit-il avoir lieu dans les f'peclacies, où
Ton lait que tout ell imitation? Cela fait que le drame
exige, fur-tout, qu’il n’y ait rien que de parfaitem
e n t t a n t dans Taétion que dans la repré-
iéntation : la moindre circonftance cpii déroge à cette
loi fuflifant pour gâter tout.
Mais quand on ne feroit pas attention aux vues cLs
la nature, dans la force qu’elle a donnée aux objets
de produire certaines impreffions, le naturel d’imitation
a en foi-même une vertu efthétique, à caufe
de la parfaite reffemblance qu’il met l'ous nos yeux.
Te! objet qui dans la nature neflxeroit pas un inftant '
nos regards, nous fait beaucoup de plaifir loifque
Tart Timlte parfaitement. L’intérêt de Tariifte eft que
fon ouvrage plaife ; ainfi il doit lâcher de le rendre
naturel.
Cette partie de Tart eft fouverainement difficile ;
car, dans la jflupart des cas, la réuffue dépend de
circonfiances fi petites, 6c dont chacune prife à part
eft fl imperceptible, que l’artifte lui-même ne fait
pas trop bien comment il doit s’y prendre. C ’eft ainft
qu’un peintre Grec, après avoir long - tems fait tous
fes efforts pour imiter a u T é c u m e qui fort de
la bouche d’un che\'al fougueux, jetta de dépit le pinceau
contre la toile, & le hazard produifit ce qui
avoit été impoflîble à tout fon art. Atteindre au plus
haut degré du naturel, eft fans contredit le non plus
ultra de Tart,
Dans les aélions qui fervent de fond aux ouvrages
de la poéfte épique ou dramatique, le noeud 6c lmi-
fuire le dénouement réfultent de Taffemblage d’une
foule de petites circonfiances, qui réunies enfembie
doivent former un tout. Si le poète en omet, ou en
place mal quelqu’une, le naturel de fa compofition