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a fait courir apr'cs fan argent , façon cle pailer aiifîî
commune que fimprudcnce qu’eUe exprime ; nouvelle
perte , nouveaux régi c t i , nouvelle ardeur de
regagner ; enfin la gravité du mal lui a tait rifquer le
plub v iolent remede , &. en voulant le tirer de Ta-
byme, il y cü tombe julqu'au fond. Cela eft horrible
ÿ lansdoute^ maii cela elt très-naturel j peut*
etre au/d très-commun ; 6c fi ce n’ell pas àlapallion
invétérée du jonque cet exemple peut être falutaire,
c’fll du moins à la paillon naiilaute, qui foible
encore & timide, n a pas aliéné la raÜ'on. Ce ne tera
pas un remede , ce fera un prélervatif.
Lit tragédie populaire a donc les avantages comme
rheroique a les Tiens; mais il ne faut pas dilfimuler
une utilité excluftve de ceiic-ci du côté des moeurs.
Les rois ont de la peine à concevoir que les malheurs
de la vie commune ioioni un exemple effrayant pour
eux, ils ne te reconnoitrent que dans leurs pareils ;
il leur fiiiit donc une tragédU qui loi: propre à la
royauté , ék celle-ci ci» pour eux une leçon d autant
plus precieufe , que c’elf prcfque la feule qifils daignent
recevoir : rattvaic du plaifir les y en g a g eô c
comme elle n’ell pas cireae , elle ne peut les oftén-
fcr. lis fe troiu ent comme invdibles dans des cours
étningcrcs, St préfens à ce qui fe palTe dans les tems
les plus reculés. Cc-lMà que la vérité leur parle avec
une noble hardiclie ; c’clf-là qu on plaide avec courage
la caufe de l'humanité, que tous les droits font
mis dans la balance , que tous IcS devons font preterits
& tous les pouvoirs liniiiés; c’etMà que tousles
préjugés d'une éducation corruptrice (ont ébranlés
jrar les maximes de la nature & de la radon ; c’eft-là
que l’orgueil cil confondu , la vainc gloire humiliée ;
c ’cli-là que le defpotlime impérieux voit les écueils,
ôc Lambition les naufrages ; c’cfl-là que lespenchans
favoris d’un prince font repris tans ménagement &
châtiés dans l'es .pareils ; c'elMà qu’il lent tout le
danger des mouvemens i.T.pécueux d’une ame à qui'
tout cede, de ces mouvemens donc un teul tait le
malheur de tout un peuple, quelquefois la ruine ou
la honte d’un roi ; c’ed-l;\ qu’il voit ce que jamais
oir n'a ofé lui faire entendre, que tes foibleü'es font
des crimes & Tes pallions des fléaux; c’dl-U qu'il
apprend qu’il eft homme, qu’il peut avoir beloin de
la pitié des hommes, & qu’il aura toujours befoin
de leur amour ; c’ed enfin là qu’il voit fans mafque
lemenionge, l’intrigae , l’adulation, Si les rellbrts
cachés de tous les mouvemens qui sV.véctiLent dans
fa cour. Ainiî par un renverlemenc allez finguiier, la
cour d’un roi ell pour lui un fpecfacle , 6l la tragédie
cil le développement du méchanifme qui le produit :
l ’illufion eft dans le palais , ék la vérité fur la feene.
C’eft ce qui donnera toujours à la tragédU héroïque
une grande prééminence; car il y a mille façons
de réprimer le naturel d’un peuple, & rien déplus
rare que les moyens d’inftruire & de former les
rois.
Chez, les Grecs la tragédie étolt nationale, & à
tous égards elle eut perdu à ne pas l’ctre ; chez
nous elle eft univerfelle comme l’empire des
paftîons. Mais comme elle peut être prife dans
l’hiftoire de tous les pays & de tous les âges,
peut elle être auftî de pure invention } Brumoi
lient pour la négative : « Un fujet d'imagination,
d i t - il, préviendroit le fpeefateur incrédule &
» l’empêcheroit de concourir à fe lailfer trom-
» per *». Caftelvetro penfe comme Brumoi, éc ii eft
encore plus févere ; car il n’en conte rien à ces
meilleurs d’appauvrir le génie & l’art. Mais Anftote,
leur oracle, décide formellement que tout peut être
d’invention, ik les faits & les perlonnages. La pratique
du rhéaire le confirme, ik la raiion le perluade
encore plus. Un fait n'eft p.is connu d-ms l’hiftoire;
& qu’importe î Avons-nous tous les lieux, tous les
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ficelés préfens } Sc qui de nous s’inquiète de favoir
oil le pocifi a pris ce tableau qui le touche, cc ca-
raftcre'qiii rcnchante.^ ün léroit plus fonde à craindre
qu’en attribuant à un perlonnage illuftre ce qui
ne lui eft point arrivé, on ne fût comme déincmi
par le lïlence del'hlftoire ; mais fi les convenances y
lom bien obfervées, chacun de nous fuppofe que
celte circonftance d’une vie célébré lui eft échappée,
& dès..qu’tlle s’accorde avec ce qui lui eft connu
des lieux, des lems tk des perfonnes ,il ne demande
plus rien.
Ve La compofition de la Fable. On a vu da ns \'ani~
de Ik tkigue à quoi cette partie fe réduifoit chez
les anciens. Un ou deux perfonnages veruicux ou
bons, ou mêlés de vices îk de vertus, qui, malheureux
conftamment, fuccombent, ou qui, par qu cl-
qu'accident imprévu, échappent au danger oui I js
menaçoit: voilà leurs fables les plus renommées.
Ariftote les réduit toutes à quatre combinaifons. « Il
» faut, dit-il ,quc le crime s’acheve ou ne s’acheve
» pas, 6c que celui qui le commet ou va le com-
» mettre, agifie lans connoilhince , ou de propos
» délibéré». J’ai déjà dit qu’il donne la préférence
tantôt à celle de ces combinaifons où la connoif-
fance du crime que l’on va commettre, empêche qu’il
ne s’e.vécute, tantôt à celle où le crime n'eft reconnu
qii’après qu’il eft e.xécuté ; la vérité eft que le crime
connu avant d’etre commis , & le crime commis
avant d’être connu, font deux aftlons très touchantes
; mais celle-ci réferve le fort de l’inrérêt pour le
dénouement, comme dans VlEdipe., rautrc l’épuife
avant la révolution comme d.ans VIphigénie en Tau-
tide. Le crime commis avant d’etre connu , rend la
cataftrophe terrible, <k remplit l’objet du fyftême
ancien. Le crime connu avant d’être commis, rend
la foiuiion du noeud confo!ante.,8i convient mieux
au fyftême moderne. La fatalité manque fon efî'ct, fi
le crime n’eft pas confommé; la palfion a produit
le fien dès qu’elle a conduit l’homme au bord du
précipice.
Un genre de fable qu’Ariftote fembloit avoir
banni du théâtre, & que Corneille a réclamé, eft:
celle où le crime entrepris avec connoilTance de
caufe ne s’acheve pas. « Cette maniéré , dit le phi-
» lofophe Grec , eft très-mauvailè ; car otitrè que
» cela eft horrible fcéicrat, il n’y a rien de ira-
» gique,_ parce que la fin n’a rien de touchant >».
C’eft ainfi qu’il devoir raifonner, perfuadé comme
il l’étoit, que le pathétique réfidoit dans la cataftrophe
: aufti ajoute-t-il que dans ces occafions , il vaut
mieux que le crime s’exécute comme celui de Ivlédée ;
& c’eft à ce genre de fable qu’il donne le troifierne
rang. Corneille au contraire avoir en vue les mouvemens
que doit exciter le pathétique imcriciir de
la fable, jufqu’au moment de la folution ; & c’ eft:
par-là qu’il s’eft décidé. « Lorfqu’on agit, dit-il,
» avec une entière connoifiance, le combat des piaf-
» fions, contre la nature , & du devoir contre l ’a-
» mour, occupent la meilleure partie du poème , S^:
» de-là naifi'ent les grandes & les fortes émotions
Il convient donc qu’un crime rélblu prêt à l'e con\-
mettre , & qui n’eft empêché que par un changement
de volonté, fait un dénouemenr vicieux; maist
>» fi celui qui l’a entrepris fait ce qu’il peur pour l’a-
» ch e v e r ,& fi l’obftacle qui l’arrête vient d’nne
» caufe étrangère, il eft hors de doute, pouifuic
» Corneille, que cela fait uxïq tragédie ü\n-\ genre
» peut-être plus fublime que les trois qu’Ariftote
» avoue ».
Ariftote & Corneille ont été conféquens. L’im fe
propofoit de laitTer la terreur & la pitié dans l’ame
des Ipedateiirs après le dénouemenî ;il devoir donc
foiihaiter que le crime fût contbmmc. L’autre fe
propofoit d’exciter ces deux paftîons durant le cours
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du fpeéta'cle , peu en peine de tout ce qui en rcfid-
teroit quand tout feroit fini, & que rillufion auroit
cefle. Or tant que l’innocence ck la vertu font en
péril, & que l’on croit voir approcher l’inftant oii
elles vont fuccombeiqon s’attendrit, on frémit pour
elles; & plus te danger eft preftant, plus la crainte
& la pitié redoublent. De-là les grands mouvemens
du cinquième afte de Rodogune qu'il s’agiftoit de
juftifter.
A l’égard du crime empêché par un changement
de réfolution dans celui qui alloit le commettre avec
connblfTance de caufe , il y en a des exemples fur
notre théâtre, comme dans VOrphdinde la Chine;
& ponrvu que l’aélion préméditée ne foit pas atroce
, ces dénouemens ont leur beauté. Il arrive même
fouvent que l’aélion tragique, fans être un crime, ne
laifTe pas d’être tlmefte, comme feroit la vengeance
d’Augiifte dans C in n a& celle de Guzman dans Al-
lire ^ dont le dénouement n’eft autre chofe qu’un
changement de volonté.
Ainfi le fyftême des paftîons admet toutes les formes
de fable, excepté celle dont l’événement eft
favorable aiicrime; & encore l’a-t-on permil'e quand
ledénouement donné par l’hiftoirc n'a pu être changé
comme dans Britannicus & dans Mahomet. Mais
la grande difficulté eft dans la difpofition intérieure
de la fable; & pour la rendre féconde en incidens,
en révolutions pathétiques , le vrai moyen eft d’y
réunir l’importance du fujet, la force & le contrafte
des caraéleres, & la chaleur des fentimens & des
intérêts oppolés. Tour le refte naît de foi-même ; &
clans une fable ainfi conftituée.on verra les fitua-
tions , les feenes vives & preffantes fe fuccéder fans
peine & fans relâche, & fe pouffer comme les flots;
au lieu que fi les intérêts n’ont rien de paffionne ,
comme dar>s Sertorins , fi les caraéferes oppofés au
caradfere principal font négligés »comme dans Aria-
7/2, fi tout ell foible & le fujet & les carafteres, &
les fentimens comme dans Bérénice, le tiftïi de l’action
fe reffentiva de cette foibiefl'e, & toute l’éloquence
du poète fera infuffifante pour en remplir
les vuides, & en foutenir la langueur.
L’on fenr bien quelle eft la foibleffe du fujet de,
Sertorius,& qu’avec toute fon importance il n’a
rien de paffionne. Mais pourquoi le fujet de Bérénice
cft-il plus foible que celui d’Ariane, que celui
d’Inès, que celui de Didon? N’eft-ce pas le même
problème, la même alternative?non. La fimple maladie
de l’amour n’eft point tragique; il faut, fi je
l’ofe dire, qu’elle foit compliquée. Le malheur de
Bérénice n’eft que la peine légitime d’un amour imprudent
; or c’eft l’indignitc du malheur qui lé rend
pathétique.Titus en renvoyant Bérénice, n’eft qu’un
tiomme fage , qui cede à fa gloire & à fon devoir ;
Théfée eft un perfide, Enée eft un ingrat, Pedre
feroit un monftre. Qu’une femme fe plaigne, comme
Bérénice , qu’on ne la préféré pas à l’empire du
inonde; fa douleur touche foiblement. Mais qu’une
femme fe plaigne d’être trahie, déshonorée, abandonnée
par un amant à qui elle a tout facrifié , pour
qui elle a tout fait, comme Ariane ou Didon, il n’eft
perfonne qui ne reft'ente les déchircniens de fon
coeur. Ils font encore plus douloureux fi elle eft
épeufe & mere comme Inès. Ce n’eft plus l’amour
feul, c’eft tout ce qu’il y a de plus cher & de plus
laint dans la nature qui eft compromis dans ces fu-
)ets, l’honneur, la bonne foi, la reconnoiffance , &
dans Inès les noeuds de l’hymen & du fang. Ainfi
tous les poifons de la perfidie, de l’ingratitude &
delà honte verfés clans les plaies de l’amour, les
enveniment, & c’eft-là ce qui le rend tragique.
On verra mieux dans X art. kCTiO'^ .,Suppl. ce que
j’emcndsparla force du fujet. Quant à celle des caractères
elle conlifte dans l’énergie la chaleur des fenti-
Tomt IV%
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mens, fi le perfonnage eft en aêlion , & dans la fermeté
de l’ame, loil'qu’il ne fait que réfiftancc. Dans
un roi, dans uiipere, une froide rigueur, une autorité
inflexible, une vertu inexorable fuffit pour
rendre malheureux doux jeunes coeurs pallionnés.
Mais loit du côté de l’aftion , l'oit du côte de Tobf-
tacle , foit dans le choc de deux meuvemens oppolés
, chacun des caraéferes dans fa fituation, doit
être cc qu’il eft, le plus qu’il cil poffiblc,fans paf-
fer les bornes de la vraifemblance 6c les forces de
la nature. Si Burrhus pouvoir être plus vertueux ,
Narciffe plus fcclérat, Cléopâtre dans Bodogune
plus amlntieufe , Ariane plus tendre, Orofmane j)'us
amoureux, ils ne le feroient pasaffez.De la force des
caracleres naît la chaleur des fentimens, fie de-là
celle de l’aêlion.
Uaclion &C fes qurdites , comme la vraifemblance ^
les unités, Vi/uérét, le pmhéiique, la moralité ; fes parties
effenllelles, Vexpojîiiou, Vintrigtie, le dénouement;
fes divifions »Se fes repos, le s //&; fie le-, cnn’acîes ;
les moyens , les meturs , les Ji;u<uir>ns , les révolutions
, les reconnoijjurues , ont Icui s articles fépa-
rés. On i>eut les voir dans ce Supplément.
I! ne me relie plus qu’à tirer de l’clVence de la
tragédie & de la diiférence de k s deux fyftêmcs,
quelques induélions relatives au langage ik à la rc-
préléntation.
J'en ai affez dit fur le ftyle dans les articles reia-
tifsà cette partie effentielle de l’avt. Je me bornerai
ici à deux queftions intereffanres. L’une, pourquoi
la tragédie ancienne eft j)!us en afilion qu’en paroles
, fie la moderne au contraire plus en p.^ro-
ies qu’en afilion. Oblérvons d’abord qu’on entend
ici action ta pantomime ihéuirale , les incidens
les tableaux, en un mot le Ipefilacle des yeux ;
fie dans ce fens-là il ell vrai que la tragédie moderne
eft bien fouvent inférieure à l’ancienne. Segnius irritant
animas demfa per aurcs , (juam qiue Jura oeu.'is
fuhjecla fiddibiis. »Mais il y a des ftmations tranquilles
pour les yeux, fie ires-patluniques pour l’ame:
c’ eft de l’aélion fans moitvement ; fie au contraire
il arrive fouvent dans les pieces à incidens, que fur
la t'eene tout paroît agité , ck que d.ms les efprits 6c
dans les coeurs tout eft tranquille : c’eft du mouve-
vement fans aflion (/ky-cp Sit u .xtion , 5'///’///. ).
Quant à la profufion des paroles qu’on nous reproche,
il eft encore vrai que nous donnons qitel-
qaefois trop à l'éloqucnce poétique , en faifant parler
nos personnages lorfqu’ils ne devroîent que fen-
tir. Mais aufti ne faut-il pas croire que le langage
des paftîons fe réduil'e à des tens fiifpcndus f à des
mots entrecoupés ,à d’éternelles réticences. Dans le
trouble fie l’égarcmènt, dans les accès d’une paf-
fion, ou dans le clioc rapide fie violent de deux
paffionsoppofées,ces mouvemens interrompus font
naturels & à leur place ; mais tant que fame fe pof-
fede ,6z: peut fe rendre compte à elle-même des fentimens
dont elle eft remplie, non-lén!em?nt la paf-
fion permet des développemens, mais elle en exige,
pour être vivement & fidèlement peinte. Lorf-
qu’Orofmane attend Zaïre pour la poignarder, il
ne doit dire que quelques mots terribles. Lorfque
Phedre apprend que Théfée eft vivant, fi: qu’il arrive
, un fileoce morne feroit l’exprcftîon la plus vraie
de l’horreur dont elle eft faifie: c’eft dans fes yeux
qu’on devroit voir la réfolution de mourir. »Mais
lorfqu’Orofmane fe poffédant encore , croit venir
accabler Zaïre de fes reproches Side fon froid mépris ;
lorfque Phedre annonce à (Enone qu’elle a une rivale
, ce feroit méconnoîtrs la nature que de Trouver
qu’ils parlent trop. A plus forte raifon dans des fitua-
tions moins violentes,de longs difeours font-ils placés:
le théâtre ancien n’a rien de pareil à la feene
d’Auguftç avec Cinna; fie tant pis pour le théâtre
F F F f f f ij