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j'I IkfII
992 U N I la licence contraire, ii me femble que, fansfuppofer,
comme eux, des ann-it-’s écoulées dans l’efpace_ de
trois heures , il devroic au moins être permis de l'iip-
pofer, il un beau iujet le demande, qu'il s’eft écoulé
plus d’un jour; & de cette liberté , rachetée par de
grands efléts qu’elle rendroic poffibles, il n’y auroit
jamaisà craindre & à réprimer que l’abus.
La môme continuité d’aélion qui, chez les G recs,
lioit les aétes l’un à l’autre, & qui forçoit VunUé de
tems, n’auroit pas dii permettre de changer de lieu ;
les Grecs ne lailToicnt pourtant pas de l'e donner
quelquefois cette licence, comme on le voit dans
les £uméniiiisy où le fécond afle l'e palTe à Delphes
le troificme à Athènes. Pour la comédie , elle fe
permettolt fansaucunc conrraints le changement de
lieu , & avec plus d’invraifemblance ; car au moins
dans la tragédie,les Grecs fuppoioient,comme nous,
que le fpeélateur ne voyoit l’aclion que des yeux
de la pen(‘c e ;& . en effet, il eff fans exemple que
dans la tragédie grecque les perfonnages aient adreffé
la parole au public ou qu'ils aient tait femblam de
le voir ou d’en être vus ; au heu que dans la comédie
grecque, à chaque iniUint le choeur s’adrelle é l’af-
l'emblée , & par là te lieu néUf de la Icene & le lieu
réel du fpeftacle font ideniiliés , de façon que l’un
ne peut changer fans que l’autre change, & qu’en
même tems que l’aélion fe déplace , le Ipeélaieur
doit croire fe déplacer auiii.
Il n’en eft pas de même à notre théâtre : foit dans
le tragique, l'oit dans le comique, le fpeftateur
n’ell cenfé voir l'aélion qu’en idée, & l’aélion efl:
fuppolée n’avoir pour témoins que les acleurs qui
font en feene. Or, dans cette hypothele , non feulement
je regarde le changement de lieu comme une
licence permii'e, mais je fais pins, je nie que ce foit
une licence pour nous. L’entr’acie, je viens de le
dire, eft comme une abfcnce & desaéleurs 5c des
fpeâateurs. Les afteurs peuvent donc avoir changé
de lieu d’un aûe à l’autre ; les Ipeélateurs n’ayant
point de lieu fixe , ils font en elprii oii le paffe l’action
, & fl elle change , ils changent avec elle.
Ce qui doit être vraifemblable, c’eft que l’aélion
ait pu fe déplacer; 5c pour cela il faut un intervalle.
Ce n’eft donc prefque jamais d’une feene à l’autre ,
mais feulement d’un acte à l’autre que peut s’opérer
le changement de lieu.
Je fais bien que pour le faciliter au nulieu cl un
aôe , on peut rompre l’enchaînement des feenes,
laiffer le théârre vuide un inllant ; mais cet inllam ne
fuffiroit pas à la vraifemblance, fi les mêmes aéleurs
qu’on vient de voir reparoiffoient incontinent dans
le nouveau lieu de la feene. Après tout, ce n’cll pas
trop gêner les poètes, que d’exiger d’eux à la rigueur
Vuniic de lieu pour chaque aélc, 5c la poffibiiité morale
du paffage d’un lieu à un autre, dans l’intervalle
fuppofé.
La plus longue durée qu’on fuppofe à l’entr’afte
eft celle d’une nuit; le trajet poffiole dans une nuit,
efl: donc la plus grande diflance qu’il foit permis de
fuppofer franchie dans l’intervalle d’un a£le à l’autre.
Ainfi, par degrés, la mefure du tems que l’on
peut donner aux intervalles de l’action, détermine
l ’éloignement des lieux où l’on peut rranfporrer la
feene. Une réglé plus févere priveroit la tragédie
d’un grand nombre de beaux fujets, ou l’obligeroit
à les mutiler; on voir même que les poètes qui
ont voulu s’aflreindre à Vuniié de lieu rigoureufe ,
ont bien fouvent forcé l’aélion d’une maniéré plus
oppofée à la vraifemblance que ne l’eut été le
changement de lieu; car au moins ce changement
ne trouble l’iiluflon qu’un inflant, au lieu que li
l’aftion le pafle où elle n’a pas dft l'e paffer, l’idée
du lieu ÔC celle de l’aûion fe combattent fans ceffe ;
oria vérité relative dépend de l’accord des idées, 6c
U N I
l’illufion ne peut être où le vraifemblable n’eft pas.
Ilfalloity dit Brumoi, en parlant du théâtre grec,
que L'aBion , pour être vraijïmbLable , fe paJJ'ât fous les
yeux y & par conféquent dans un même lieu. Il auroit
donc fallu que le lieu de l’aélion fut la place d’A-
thenes, car fi l’aélion fe pafl'oit à Delphes, comment
pouvoit-elle fe paffer fous les yeux des Athéniens?
Le fpeclaieur f ajoute le même , ne fauroit
s'cibufer a f e:^ grofîérement fur le lieu de la feene pour
s'imaginer qu’il pajfc d’un palais à une plaine, ou d'une
ville dans une autre , tandis qu'il fe voit enfermé dans
un lieu déterminé ; ainli Brumoi prétend qu’î/ faut que
U feene fe voie , & par conféquent qu'elle foit bornée ,
non pas en général dans L'enceinte d’une ville , d'un
camp y d'un palais', mais dans un endroit Limite d'un
palais y d'une ville ou d'un camp. Voilà une belle
théorie !
Et de fa place le fpeélateur voit-il cet endroit du
camp ou de la ville ? Non , car fa place efl toujours
l’amphithéâtre d’ Athenes, 5c l’endroit de la feene
efl en Aulide , à Delphes , à Mycene, en Tauridc ,
&c. Il s’y tranlporte donc en elprit dès le premier
aéte. Or ce premier pas fait, ])ourquoi le Iccond ,
le troifleme lui coûtcroit-il davantage? Et fi dans
les ailes fuivans il efl beloin qu’il fe tranfporte en
efprit dans un autre lieu, pourquoi s’y retuferoit-
il ? La même vivacité d'imagination qui le rend pré-
fent à ce qui fe pafle dans la ville, lui manquera-
t-elle pour voir ce qui le paffe dans le camp, 5c
pour y être prefent de même ? Sans cette illulion,
tout Ipeilacle efl abfurde ; mais on fe la fait fans
effort, 5c la vraifemblance n’y manque que lorfquc
la feene étant continue 5c lans intervalle , le changement
de lieu s’opère mal-adroitement, 5c fans
qu’aucune diftrailion du fpeilateur le favorife.
C’étoit-là réellement le grand obftacle que trou-
voient les Grecs au changement de lieu ; aufli fe le
permettoieni - ils rarement dans la tragédie. Que
faifoient-ils donc ? Ils faifoient d’autres fautes contre
la vraifemblance; ils ne changeoient pas de lieu,
mais ils réuniffoient dans un même lieu ce qui devoir
fe paffer en des lieux différens. La feene étoit
un endroit public, un efpace vague, un temple ,
un veflibule, «ne place, «n camp, quelquefois
même un grand chemin. L’aire du théâtre répon-
(loif en même temps à plufieurs édifices, d’où les
afleurs fonoient pour dire au peuple, qui compo-
füit le choeur, ce qu’ils auroient du rougir de s’avouer
à eux-mêmes.
Si donc nous avons perdu quelque chofe à la
fuppreilion du choeur qui chez les Grecs remplif-
foii les vuides de l’aélion, du moins y avons-nous
gagne la liberté du changement de lieu, que l’en-
ir’aéfe nous facilite.
Jl eft aifé de fentir à prefent combien porte à
faux ce que dit Dacier, que « les aftions de nos
» tragédies ne font prefque plus des aâions vifibles ;
» qu’elles fe paffent la plupart dans des chambres
» & des cabinets ; que les fpeélateurs n’y doivent
» pas plus entrer que le choeur; 6c qu’il n’eflpas
» naturel que les bourgeois de Paris voient ce qui
» fe paffe dans les cabinets des princes ». Il trou-
volt fans doute plus naturel que les bourgeois
d’Athenes viffent du théâtre de Bacchus ce qui fe
pafl’oit fous les murs de Troye? Comment Dacier
n’a-t-il pas compris que quel que foit le lieu de ia
feene , un palais , un temple , une place publique ,
fi le fpeélatcur étoit cenfé y être 6c voir les afleurs,
les aôeurs feroient cenfés le voir ? Nous ne fommes,
je le répété, prefens à l’aflion qu’en idée; 5c
comme il n’en coure rien de le traniporter de Paris
au Capitole dès le premier afle, il en coûte encore
moins, dans l’infervalle du premier au fécond, de
paffer du capitole dans la maifon de Brunis.
Le
U N î
Le plus S'-anJ avantage du changement de lieu,
e f t l/ r cn d r e vifibles des tablcauv , des fi.uat.o,
irihdiiqucs qui fans cela n’auro.eut pu te tracer
' .’en récit. Mais il faut bien le louvenir que ces
tableaus ne font filits que pour donner heu au développement
des paffions ; que 5 ils lori. " '“ P ■
cumulés, eu fe fucccdauttls sefiaccut 1
que l’émotion qu’ils nous caillent, ne le nourrit
que des femiinens qu’ils font naître dans l ame
même des aaetirs, iSC qu’interrompre cette emotion
avant qu’elle ait pu le répandre ifi. s accroît e
iufqu’à l'on plus haut degré, c’eft faire au coeur a
même violence qu’on fai. à l'orcil e, loriqu on cte.nt
mal l'i propos le fon d’un corps harmomeii.x Une
iraeédie compofee de ces moi.vemens -
fans finie & fans gradations, cil un affenililage
de germes dont aucun n’a le tems declorre. L invention
des tableaux eft donc une partie ellcn-
tielle du génie du poète, mais ce n clt m la leu-e
ni la plus'importante. La tragédie ell la peinture du
icu des paffions, & non pas du jeu des halards.
On n’a pas toujours ni par-tout reconnu comme
indifpenfable la regie des i.vifi«; on fait que lur le
théâtre anglois, & fur le theatre efpagnol, elle elt
violée en tous points & contre IouIe_ vra.leiu-
blancc. I! en étoit de même fur noire theatre avant
Corneille; & non-feulement Vuniti de lieu n’y
cioit pas obfcrvée, mais elle y étoit interdite. Le
public fe plaifoit au changement de feene; il vouloir
qu’on le divertît par la variété des décorations,
comme par ia diverfité des incidens & des aventures
; & lorfquc Mairet donna la Sophontibc, ft
cut bien de la peine à obtenir des comédiens qu il
lui fût permis d’y obferver \'tiniU de lieu.
On s’eft enfin généralement accordé liu Uir.ne
d’acHon pour la tragédie ; mais a 1 égard del epopee
la qucllion a été problématique & indccife |ulqu a
nos jours. A l’aiitoriié d’Arifiote & à 1 exemple
d’Homere 8c de Virgile , on a oppofé le fuccès de
l’Ariofte, qui ayant négligé celte regie, n’en clt pas
moins lu 8c relu , dit'le Tall'e : D-i nulc l'ttà , ia
tutti fc fi y nota à tutu le lingue ; pince à tutti; tutti
il lodanù; vive e ringiovemjce Jempre nell.i fua firna ,
c voLii aloriofo per U lingue de mortali.
Le Taffe, après avoir rendu ce be;^u tcm.oi-
gnage à l'Ariofle , ne laiffe poiirtanf pas de fe décider
pour Vunitc d’action. » La labié , dit-il, efl la
»* forme du poème; s’il y a plufleiirs fables, il y
» aura plufieurs poèmes ; fl chacun d’eux efl par-
» fait, leur affemblage fera immenl'e ; 5i fl chacun
» d’eux efl imparfait, il valoir mieux n’en faire
>■> qu’un qui fût complet & régulier». Gravina efl du
nombre de ceux qui penfoient que le poème épique
croit dlfpenlé de Vunité d’acHon ; la raifon qu il
en donne fufiiroir feule pour iaire Icntir l'on erreur.
J’avouerc-ii, avec lui, qu’un poème qui embrafie
pliifleurs afllons, ne laifle pas d’être un poème;
mais la queflion efl de favoir fi ce poème efl biea
compofé. Or quelques beautés qu’il puUVc avoir
d’ailleurs, quelques fuccès quelles obtiennent, il
eft certain que la duplicité ou la multiplicité_d’a-
élion divife‘l’intérêt, 5c par conféquent I’aftbiblit.
Lamotte prétend que dans l’épopée l'unité de
.perlonnages fupplée à Vunité d’aélion , & qu’elle
fufiit il l’épopée. Diflinguons pour plus de clarté ,
clans riniérôt même de l’aèlion , Vunité colleftive &
Vuniié progrefflve. L'uniié collective confiflc à réunir
tous les voeux en un point, a decider dans
lùime du lecteur ou du fpeCtateur, ce qu’il doit de-
iirer ou craindre. Toutes les fois qu on nous pre-
fente des hommes oppofés d’intérêts, dont les fuccès
font incompatibles, & dont l’un ne peut être
heureux que par la perte ou le malheur de 1 autre;
BOtre coeur choiflt de liù-même, 5c fans le fecours
Tome
U N I 991
de la réflexion , celui dont la bonté on la vrriii efl;
le plus digne de nous attacher, 5: nous nous mettons
à l'a place. Dès-lors tout ce qui le touchy nous
efl pcrionnel; notre ame paffe dans l.t lienne j
voilà l’intéiêt décidé. Si les deux pariis oppolés
nous prel'entent des perfonnages intcrdlaus , 5c
qui balancent notre afiectlon , ou le bonheur de
l’iia efl incompatible avec celui de l’aun-e , ou
ils peuvent fe concilier. Dans le premier, cas,
l’intérêt fe partage 5c s’affoiblit dans les altcrna-
lives ; dans le lecond, notre inclination prend
une direclioiî moyenne » Sc le termine au point où
les deux partis peuvent enfin fe réunir. Le poète
doit donc avoir grand foin de vendre ce point de réunion
l'enfible: c’ell de laque dépend la clécifion de nos
voeu x, 5c ce qu’on appelle unué d interet. Enfin fl les
partis oppofés nous font odieux ou indiflerens l un 5c
l’autre, nous les livrons à eux-mêmes, fans nous
attachera leur fort ; c’eft la guerre des vautours.
Alors il n’y a d'autre intétet que celui de la ciu io-
lité qui fe réduit à peu de chofe. U scnluit que
dans toute compofltlon inrereffante il doit y avoir
ni moins un parti fait pour gagner notre bicnveil-
.ancc ; mais qu’ il n’y ait dans ce parti qu’une Icule
perfonne ou qu’il y en ait mille, cela eil egaU 1 «-
nité de voeu fera Vunité d'interet; 5c c eft \ unite
collecHve. ,
Vunité progrefiive efl autre chofe ; elle conflfte a
ixer le defir , la crainte , l’efpérance , en un mot^
fattente inquiété du fpe£latcur ou du leéleiir fur un
feul point, fur un événement unique qui loit Ia_ fo-
iutlon du problème 5c le dénouement de 1 aèlion.
Dans la tragédie des Horaces, quel aura etc le iuccès
du combat ? Voilà l’objet de notre attente ; dès qu’on
le fait tout eft fini. Après cela que le meurtre de
Camille foit puni ou foit pardonné, c’efl un nouveau
problème , une nouvelle aélion , un nouvel objet
d’efpcrance ou de crainte ; cet événement naît de-
l’autre , il en eft dépendant, 5c il n’y a point à'unué.
Il efl vrai que Vuniié de perfonne fupplée en quelque
chofe à Vuni'é progreffive de l’aflion ; mais fl
les accidens réunis fur le meme perfonnage ne fe
terminent pas à un feul dénouement , l’intérêt de
chaque fituation ceffe au moment qu’il en fort ;
nouvel incident , nouvelle inquiétude , nouveau
péril, nouvelle crainte, nouveau malheur, nouvelle
pitié. D’un poème tiiTu d’incidens detaches, 1 intérêt
peut donc renaître d’inflans en inftans ; mais
alors la crainte, la pitié, l’inquiétude s’évanouiffent
à la folution de chacun de ces noeuds ; & s ’il y a une
aflion principale, elle devient indifférente. Pour
réunir les intérêts epifodiques, il faut donc qu’elle
en foit le centre , c’ eft à dire , que l’événement qui
doit la terminer dépende des incidens, 5i que cha*
cun d’eux faffe partie, ou des moyens, ou des
obflacles.
Le Taffe a peint Vunité d’aélion par une grande &
belle Imape. Monda tante e f i diverfe cofe nelfuo grembo
rinchiude ; una U forma à l ’ejfenia f ia , uno il nodo ,
dcil quale fono le Jue parti con difcorde coricordia infie-
me congiunce e collegatc ; e non mancando nulla in lu i,
nuUa perh vi i che non ferva alla necefjîta t all'orna-
menio.
Mais dans cette image on ne voit que ce qui contribue
au fuccès de l’aétion , l’on n'y voit pas ce qui
k retarde 5c le rend douteux ou pénible : or VuniU
dépend du concours des obflacles comme de celui
des moyens. Du refte, rakcrnatlve propofée par le
Tall'e, que toutes les parties du poème foient comme
dans le méchanifme du monde , ou de néceffité , ou
de Ample agrément .. cette alternative donne aux
poètes une liberté dont ils ont abulé fouvent. Je fais
qu’on ne doit pas exiger , dans le tiffu de l’épopée ,
des liaifons aufli étroites, aufli intimes que dan^
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