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pays occidantaux de cette partie fi vafie de l’Amcri-
que, nous peut faire conjecturer,que pinson avance
vers l’ouelt, plus le pays cfi fertile, peuple & l'air
tempéré. M. Sieller a remarqué qu’il y a une différence
fiirprenante en ceci, entre l’extrémité orientale
do l’Afie &: le continent oppoié de l’Amciiqiie ;
d'ailleurs quelques-uns foupçonnent que la partie la
jilus feptentrionale de l’Amérique confific eu des
illes.
Adoptons donc cette découverte, jufqu’à ce que
des relations contraires nous la fafTent abandonner.
Mais examinons la queftion : Pnu-dU conduire au
but de trouver uni route plus commode, plus abre^ee pour
lisIndcsoritntaliS que celle en doublant U cap de Bonne-
Jdfpèrance? Je dis, non: &: alors quelle recompeni'e
mérite-t-clle,li on n’en peut tirer aucun avantage?
On ne peut pafl'er à la Baie de Hudlon Sc y naviguer,
que- dans les mois de juillet & d’août ; encore
avec de grandes précautions du côté des glaces,
par iefquelles les navigateurs ont été enfermés du
plus au moins dans le courant meme de ces deux
mois. Voilà qu’en août on feroit parvenu beureule-
ment à la baie de Repulfc , plus de trois mois de
perdus, à compter du mois de mai; je dis plus,
puifqu’on part louvent plutôt en mars même, pour
la mer du nord-eft. Qtiel parti prendre alors ? taire
le trajet par un détroit peu large , de zoo lieues de
long, à compter meme ce pafi'age fans aucun empêchement
; il ne faudra guere moins d’un mois dans
ces parages, auffi long-tems que la route ne feroit pas
plus connue & fréquentée ; alors vers la fin de fep-
tembre , on fe trouveroit dans la mer du nord, inconnue
, vers les 70*^ à la même latitude, oii on compte
celle vers l’eft impraticable par lesglaces.Siippofons
celle-ci libre, depuis 265 d longitude au zio;enfup-
pofantici que les nouvelles cartes doivent être adoptées,
ce fera 5 fera environ 560 lieues; donnons
feulement trois femaines pour les faire , & on approchera
de la find’oftobre , alors on fe trouvera à
l’entrée du détroit ; fi on vouloit adopter le calcul
de M. de l’iile, qui pofe 800 lieues depuis là
jufqu’au Japon, jufqu’où ccci nous meneroit-il?
Il faudra hiverner quelque part. Sera-ce à la baie
de Hudfon ? La relation de Mldleton de tous
les autres ne permettrolt pas d’efpcrer qu’on trouvât
des gens qui vouluffent s’expofer fur les côtes
de cette mer inconnue, fans habitations, fans
v ivres , fans fecours. Encore moins, fera-ce fur les
côtes occidentales de l’Amérique que l’on ne con-
noît pas. Sera-ce fur celles de l’Afie? on n’y feroit
pas reçu fort amicalement par les RulTes. Ou bien
enfin poulîeroit-on pendant tout l’hiver jufqu’au Japon,
pour s’y radouber & fe pourvoir de vivres, ou
plutôt pour s’y voir expofé à être mis à mort ? Si
tout réufiilToit d’une maniéré telle qu’on pourroit le
fouhaiter , ce feroit doubler ou tripler le tems qu’on
emploie ordinairement pour aller aux Indes.
Il vaut beaucoup mieux tenter de trouver un paf-
fage au nord-efi. Voici les raifons qui parlent en faveur
de cette route.
Les harpons anglois, hollandois & bifeaïens qu’on
trouve quelquefois dans les baleines qui fe prennent
fur la mer d’Amur, prouvent la réalité de ce pafi'age.
Ces baleines ne peuvent y venir que du Spitzberg,
en doublant le cap Schalagiiiskoi. Si cet intervalle
étoit couvert de glace, elles y pérlroient, parce
qu’une baleine peut à peine vivre quelques heures
fous la glace. Le bois jette fur les côtes du Groenland
attefte par fa grofi'eur & par les vers dont il eft
rongé, qu’il vient d’un pays chaud ; car il n’eftguerc
probable qu’au-delà du quatre vingtième degré de
latitude, ilfe trouve un pays abondant en bols. Mais
de quelque côté qu’il arrive, foit de l’Amérique ou
de la Tartarie orientale, comme il double le cap
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Schalaginskol, il doit au moins pafTer par une mer
libre ôc fans glaces. Sous les cercles polaires , il peut
faire plus chaud en etc que chez nous en hiver, parce
que le foleil qui n’ eft alors pour nous qu’à quinze
degrés d’élévation, pour quelques heures chaque
jour , fe trouve au pôle de vingt trois dégrés d’ele-
vation en été, fans jamais fe toucher. Ce jour continuel
fait préfumer, dit on, qu’on iroit dans fix fe-
mair.es au Japon par cette route, tandis que par la
route de l’ouefi, il faudroit neuf mois pour arriver
au même terme.
A ces preuves naturelles joignons en d’autres que
nous fournifi'ent des témoignages auxquels on ne
peut fe refufer. M. Gmelin , parlant des tentatives
faites par les Ruffes pour trouver napaffagc au nord-
efi: , dit que la maniéré dont on a procédé à ces découvertes,
« fera en fbn tems le fujet du plusgrand
» étonnement de tout le monde, lorfqu’on en aura
» la relation authentique , ce qui dépend unic|ue-
» ment, ajoute-t-il, delà haute volonté de l’inipé-
♦» ratrice . Quel fera donc ce fujet d’étonnement
, 11 ce n’eft d’apprendre que le pajj'age regardé
jufqu’ici comme impoffible, efl très-pratiquable ?
Voilà le feul fait qui puifi'e furprendre ceux qu’on
a tâché d’effrayer par des relations publiées à def-
fein de rebuter les navigateurs. On fait que la Rulfie
« cherche à s’approprier les pays voifins dans l’A-
» mérique, & qu’ellen’attend que des circonftances
» favorables pour exécuter ce projet». Jufqu’à ce
que cette occafion fe préfente, elle fait tout ce qui
dépend d’elle pour détourner les pulfiànces européennes
de tenter ce pajfage, & de s’établir dans une
partie de l’Amérique où l’on trouveroit un commerce
très-lucratif. « Les cartes & les écrits publiés par
» ordre de la cour de Rulfie tendent à ce but, d’é-
» loigner les étrangers d’une navigation qu’elle veut
» faire fans rivaux. Par tant de navigations infortu-
» nées (dit la lettre d’un officier Rufl'e, écrite à ce-
» fujet ) on jugera du compte qu’il faut faire de ce
» paffage par la mer glaciale, que les Anglois & les
» Hollandois ont cherché autrefois avec tant d’em-
» preffement.Sans douteils n’y auroientjamais fon-
» g é , s’ils avoient prévu les périls ôc les difficultés
» invincibles de cette navigation ? Réufiîront-ils où
» nos Ruffiens plus endurcis qu’eux aux travaux, au
» froid, capables de fe pafîér de mille chofes, & fe-
» condés puiffamment, n’ont pu réufiir ? A quoi bon
» tant de depenfes , de rifques & de fatigues ? Pour
» aller, dit-on, aux Indes par le chemin le pluscourr.
» Cela feroit bon , fi l’on n’étoit pas expofé à hiver-
» ner trois ou quatre fois en chemin. Ce plus court
» chemin n’exifie que fur nos globes & nos mappe-
» mondes ».
Cet officier ruffe eft réfuté par un officier Allemand.
Celui-ci, dans les lettres écrites de Péters-
bourg, en 176 1 , à un gentilhomme Livonien , dit
que les Ruffes font de mauvais marins. « C ’eft pour
» cela que dans la moindre expédition qu’ils ont à
» faire fur mer , ils perdent toujours tant de navires
» & de monde. Toute leur fcience confifte dans une
» miférable théorie. Un pilote Ruffien croit être très-
» habile quand il fait nommer les principaux vents,
» Sc calculer combien de lieues le vaiffeau a avancé
» dans un quart. Pour le refte , ils y font fi neufs ,
» qu’on rifque de faire naufrage avec eux , 1ers
» même qu’il fait le tems le plus favorable.. . . .
» Quand il arrive à un capitaine Ruffien que le vent
» change tout-d’im-coup , vous le voyez perdre la
» tramontane. Il tourne le navire , & revient à l’en-
» droit d’où il étoit parti. Ils ne favent ce que c’eft
»que louvoyer , & auffi-tôt qu’ils l’entreprennent,
» on cft perdu fans reffource. Les excellens naviga-
» teurs pour chercher de nouveaux mondes » 1
On fait que les bâtimens dont fe fervent les Ruffes
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pour naviger dans la mer glaciale, coûtent à Archangel
, avec tous leurs agrêts , trois cens roubles. Peu-
veni-ils lé halarder au moindre danger avec de fi
milcrables nacelles? Dira-t-on que la mer Glaciale
ne comporte pas de grands vaiffeaux ? Cependant
lesvalffeaux Hollandois qui ont dépafi'é le cap fep-
tcntrional de la nouvelle-Zemble, & qui ont trouvé
line mer libre jufqu’à la longitude des embouchures
du Lena , prouvent qu’on peut naviger fur la mer
glaciale avec d’autres bâtimens que ceux des Ruffes.
Les Hollandois auffi ne font pas moins jaloux que
les Rufies, de couper cours aux nouvelles découvertes.
Ceux-ci veulent les faire feuls ; ceux-là ne
veulent que les empêcher. Cette laborieufe nation
a rendu tributaires tant de peuples & de pays, c|u’cÜe
a de la peine à les contenir. Loin de pouvoir établir de
nouvelles colonies, elle fent que des découvertes,
en raffoibliffant,ouvriroientla route de fes richefies
& de l'on commerce à d’autres nations. C ’eft pour
leur fermer cette voie , que les Hollandois ont tenté
même de découvrir I’Amcriquc par le nord-eft de
l’Afie : ils font allés de l’Inde au nord du Japon ,
fonder les îles & les côtes qui rapprochent le plus
le nouveau-monde de l’ancien ; mais ils n’ont parcouru
que la moitié de la route , encore n’en ont-ils
peut-être fait que le femblant. Tandis que les Hollandois
chcrchoient l’Amérique à tâtons par le fud
de l’Afie , les Ruffes l’ont decouverte ou voulu
découvrir par le nord. Mais on ne connoît leurs
travaux que par des mémoires auxquels on n’ofe
entièrement fe fier. Il n’y avoit, dit l’officier Allemand
qu’on a déjà cité , qu’un feul homme capable
de donner des lumières fûres &[ fîdelles fur cet important
objet de curiofité ; « c’eft M. Muller , pro-
» feffeur &C fecrétaire perpétuel de l’académie inipé-
» riale des fciences, q u i, pendant toute fa vie , s’eft
» occupé de l’hiftoire de la Rulfie. Ce célébré favant
»a fait de longs voyages dans toutes les provinces
»principales de l’empire. . . . Il fait la langue du
» pays, 6c il s’etoit pourvu d’interpretes pour celles
» qu’il ignoroit. Il favoit les fources oii il falloit
» puilér les inftriuftions néceffaires. Mais à quoi ont
»lérvi tant de veilles 6c de peines ? L’infatigable
» hiftorien a fait un excellent ouvrage , fans oier le
» donner au public. La nation aime le panégyrique ,
»mais non pas la vérité. Il fait imprimer plufieurs
»volumes fous le titre de SuppUmens à l'HiJîoire de
» la Ru(fie. Mais , quelque bon & utile que fait ce
»liv re , je n’oferois pourtant pas garantir qu’il en
» foit lui-même fort content. Il eft bien perfuadé que
» ce ne font que des fragmens imparfaits , 6c qu’il
» a été obligé de fupprimer fouvent les traits les
» plus effentlels. Si on lui eût permis de remplir les
» devoirs d’un écrivain lincere , il auroit fans doute
»donné une hiftoire complette 6c digne de fa répu-
» tation. Mais, tant que le fénat de Pétersbourg fe
» mêlera de rayer 6c de corriger les pieces de M.
»Muller, nous n’aurons jamais une hiftoire fiddle
» de la Rufiie »,.
D’après ce témoignage d’un auteur récent qui a
fait un long fejour à Pétersbourg , avec l’intention ,
le zele 6c la capafité de s’inftruire , i! fera permis de
conclure qu’on ne doit pas adopter, fans méfiance,
la haute opinion que les hifioriens ou les géographes
, payés par la cour de Ruffie, ont voulu donner
de cet empire, de fen étendue 6c de fes découvertes.
11 y a la plus grande contracliélion entre les nombreux
voyages que les RulVes prétendent avoir faits
pendant huit années , depuis Archangel jufqu’à la
. riviere de Zolvma , 6c les difficultés inkirmontables
dont ils Icincm cette route, pour la c.icher ou l'interdire
aux autres nations ; entre la p}.he abondante
qu’ fis ont faite de poifibns monilrueux, ou même
d amphibies , qui viennent chaque jour boire dans
rindigirska , 5t les glaces perpétuelles dont Us veulent
que l’embouchure de cette riviere foit comme
fermée ; entre l’énorme quantité de bois dont ils
couvrent les côtes de la mer glaciale en certains
endroits, où ce bois ne peut être venu qu’après
avoir tourné autour du cap Swioetoinoff, 6c Vinac^
cißibiliu de ce''même cap , où l’on ne veut pas que
les vaifi’eaux puiffent jamais paffer ; entre l’agitation
perpétuelle que les vents 6c les vagues excitent, dit-
on , au cap Schalaginskoi, 6c l’efpece de continent
de glace immobile qu’on y jette comme une digue ,
pour empêcher les navigateurs de le tourner. Ces
contradiÀions montrent le peu de certitude qu’il y
a dans les relations des Ruffes , fur leurs propres
decouvertes.
On fait quelques objeéUons contre lapofiibilité du
paß'agi par U nord-efi : il eft à propos d’y répondre.
La côte de la mer Glaciale s’avance tous les jours, dit
M. Gmelin, 6c la terre y gagne , foit en largeur, foit
en hauteur. Il y avoit autrefois , entre la terre 6c les
glaces , un efpace d’eau où les bâtimens Rufl'es pou-
voient paffer. Aujourd'hui cette eau paroît avoir fait
place à la terre, foit que Tune ait pu s’écouler par
quelque nouvelle iffue , foit que l’autre ait infenft-
blement hauffé : car on prétend que le continent
häufte par-tout, & que la mer baiffe. . . . Mais ,
quand même la mer Glaciale auroit baiffé d’un demi-
pouce par an , comme l’Océan fait en Suede , depuis
un fiecle que les vaifl’eaux Rufi'es navigent au Kamtschatka
, elle n’auroit pas perdu cinq pieds de profondeur.
D ’ailleurs, il ne s’agit pas de côtoyer les
bords de la mer Glaciale, il faut s’en éloigner à
plus de cent lieues , jufqu’au-delà du 80 dégré de
latitude, 6c l’on doit y trouver une mer fans fond
6c fans glaces, libre pour les vaiffeaux. Mais la mer
Glaciale , replique-t-on , doit fe couvrir de plus en
plus de nouvelles glaces , que les fleuves qui s’y
débouchent ne ceffent d’y jetter tous les ans.
Si ce raifonnement avoit de la force, cette mer
ne devroit plus être qu'un bloc ferme ^ foUde. Si
les glaces du pôle engendroient d’autres glaces de
proche en proche , le globe feroit gelé jufques vers
la zone torride. Si les glaces augmentoient ainfi par
dégrés, les vapeurs, les fources & les rivieres dimi-
nueroient. Mais, de ce qu’on ne les volt point tarir ,
il faut conclure au contraire que la mer Glaciale,
loin de fe geler , cft parfaitement libre 6c liquide ,
foit que l’élévation du pôle donne à cette mer une
pente vers les autres, où elle tombe par des détroits,
foit que la conformation extérieure ou intérieure de
la terre au pôle , tienne la mer Glaciale dans une
liquidité perpétuelle. Ainfi les glaces , au lieu d’augmenter,
doivent diminuer fans ceffe , par le penchant
que l’élévation du globe peut donner à la mer Glaciale
vers la zone tempérée. Ne peut-il pas y avoir
fous le pôle des volcans , des foupiraux de feu central
, des gouffres, parlefquels la mer s’engloutit,
ou du moins fe décharge de fes glaces ?
Le pußage au nord-eß peut fe tenter ailément dans
une feule faifon ; les vaiffeaux de la pêche de la
baleine fe trouvent ordinairement à la vue de Spitzberg
, fous le foixante-feizieme dégré de latitude,
dès l’entrée de mai. En allant au nord-eft julqu’aii
quatre-vingt-cinquieme dégré, ou même jufqu au
c'uatre-vingtième, on aura cent foixante dégrés de
longitude à j)arcoiirir pour doubler le cap de Schalaginskoi
; mais ces dégrés, à une fi grande latitude,
ne font que d’environ trois lieues; ce feroit donc
cinq cens lieues à faire. Prenez une lieue par heure ,
dans un tems où le nord n’a pas de nuit, on paffera
l’ancien détroit d’Anian , qui fépare l Afiede l’Amérique
, au plus tard des le commencement de juillet.,
en accordant deux mois de navigation à caule des
glaces 6c des obftacles imprévus. Si l’on ne veut pas