‘ jsJ
p
L
4 ^ 6 P O E
, 5| t
^ ! fei.
cl:)fles naturelles, comme û c’étolt la chofe la plus
ailée du monde.
Les anciens n’ont pas pris beaucoup de peine h cet
Ci^ard. A melure que le génie de leurs poètes produl-
foit quelque nouveauté, ils lui doniioient le nom
qu’ilsjugeoient Apropos, fans s’inqtiiéter li les ca-
rnileres intrinléques de cette elpece de poclie s’y
irouvoienr. Pluticurs de ces morceaux reçurent des
noms qui avoient plus de rapport à leur forme extérieur
qu’ù leur contenu. Cependant, Ariilote s’elt
montre ic i, comme par-tout ailleurs, liibtil di méthodique,
quoiqu’au fond fa divilion nepuillepas
fervir d grand choie. Comme il place l'eficnce de la
poélie dans l’imitation, il en détermine aufîl les efpe-
ces d’après les propriétés de l’imitation ; & cela lui
en fournit trois, La premiere f'e rapporte aux inldru-
mens de l'imitation ; la fécondé iV les objets, 6c la
iToifieme à la forte d’imitation.
Les indrumens de l’imitation font le langage ,
riiarmonie 6c le ihytme , d’après lefquels le philofo-
phe détermine les diverfes efpeces de poe/m, fui-
vant qu’on emploie un ou plulieurs de ces inftru-
mens. L’épopée , au jugement d’Arlffote , conftitue
unecfpece particulière , parce que le langage cd le
feul inllrument qui y foit employé. Le genre lyrique
eft caradférilé par le concours du langage, du rhyt-
me 6c de l’harmonie , &c. Mais il ed aife de s'apper-
cevoir par ces échantillons , qu’on a bien peu d’utilité
à el'pcrer de femblables liibtilités.
Peut-être qu'on diviferoit avec plus de fruit les
poéfies en efpeces principales qui leroient déduites
des difl'érens degrés de la verve poétique ,
auxquelles on en fubordonneroit d’autres, priles de
la contingence des matières , ou de la forme des poèmes,
On pourroit en donner pour exemple, que la
poéfie lyrique , qu’elle foit d’ailleurs douce ou véhémente
, fuppofe un degré de verve dans laquelle l’a-
me ed entièrement hors d’elle-mcme , & livrée à une
forte d’emhoufiafme. La force de cet enthoufiafme
détermineroit le caraètere de l’ode fublime , fa douceur,
celui de la chanfon, &c. Une condituiion poétique,
qui admertroit toutes fortes de degrés, & y
joindroit la plupart du tems une force médiocre ,
caradfériferoit le poëme épique 6c la tragédie. Mais
après tout, le tems qu’on employeroit à bien marquer
les termes de toutes ces divifions, ne feroit
peut-être pas récompenfe parles avantages qu’elles
procureroient.
On s’ed néanmoins afTez généralement accordé à
ranger les principales compofitions poétiques fous
quatre claffes, auxquelles on peut rapporter tout ce
qui ed réellement paré des vrais carafteres du poème.
Sous le genre lyrique , on comprend tout ce qui n’ed
dediné qu’à exprimer les mouvemens paîdonnés
qu’éprouve l’ame du poète, en confidérant l’objet
dont il s’occupe. Sous la clafTe dramatique, on comprend
tout ce qui peint comme préfente une aâion
unique & paÜagere, dont les afteurs eux-mêmes pa-
roiirent, parlent, agiffent & fe font connoître, fans
qu’on ait befoin des narrations du poète. Sous laclade
épique, on comprend toute narration faite par le
poète kû-même, d’un événement préfenté comme
pafTé. Enfin fous le genre didadfique , on comprend
toute expofition que le poète fait d’une vérité fpé-
Culative ou pratique. {Cet article efî tiré de la Théorie
générale des Beaux-Arts de M. d e S uLZER.')
§ POÉSIE, (^Littéral.) 0 \\ 3. cent les révolutions
des empires ; comment n’a-t-onjamais penfé à écrire
les révolutions des arts, à rechercher dans la nature
les caüfesphyfiques & morales de leur naifl'ance, de
Icuraccroidement, de leurfplendeur 6c de leur décadence
? Nous en allons faire l’effai fur la partie la
plus brillante de la littérature ; confidcrer la poéfie
comme une plante j examiner pourquoi, indigene
P O E
dans certains climats , on l’y a vu naître & fleurir
d’elle-mcme ; pourquoi, étrangère par-tout ailleurs,
elle n’a prol'péré qu’à force de culture ; ou j)ourqiioi,
fauvage 6c rebelle , elle s’efl rcfufée aux foins qu’on
a pris de la cultiver; enfin pourquoi, dans le meme
climat, tantôt elle a été florillàme 6c féconde , tantôt
elle a dégénéré.
En recherchant les caufes de ces révolutions , on
a trop accordé , ce femble, aux caprices de la nature
de à les inégalités. On croit avoir tout expliqué,
lorfqu’on a dit que la nature , tour-à-toiir avare 6c
prodigue, tantôt s’épuife à former des génies , tantôt
fc repofe 6c languit dansune longue ficrilité. Mais
la nature n’elt point avare , la nature n’ efi point prodigue
, la nature no s’épuilè point ; ce font des mots
vuides de lèns. Imaginer qu’elle s’efl accordée avec
Périclcs , Alexandre , Augulle , Léon X , Louis le
Grand , pour faire de leur fiecle celui des mufes 6c
des arts, c’ell donner, comme on fait Ibuvcnt, une
métaphore pour une raifon. Il eft plus que probable,
que fous le même ciel, dans le même efpace de tems,
la nature produit la même quantité de talens de l;i
même efpece. Rien n’efi fortuit; tout a fa caufe;
6c d’une caufe régulière tous les effets doivent être
conftans.
La différence des climats a quelque chofe de plus
réel. On fait qu’en général les hommes, clans certains
pays , naiffent avec des organes plus délicats 6c plus
lenfibles, une imagination plus vive 6c plus féconde,
un génie plus inventif. Mais pourquoi tout l’Orient
n’auroit-il pas reçu la même influence du ciel 6c les
mêmes dons que la Grece ? Pourquoi clans la Grèce,
des climats différens, comme la Thrace , la Bcotie
& Lesbos, auroient-ils produit, l’un des Amphions
6c des Orphées, l’autre des Pindares 6c des Corines ,
l’autre des Alcées 6c des Saphos? Et s’il eft vrai
qu’Achille avoit pris à Thebes la lyre fur laquelle il
chantoit les héros , fi la lyre Thébaine dans les mains
de Pindare fut couronnée de lauriers , efl-ce au na-
turel du pays qu’en eft la gloire ? Ne lavons-nous
pas quelle idée on avoit du génie des Béotiens ? Tout
donner & tout refufer à l’influence du climat, font
deux excès de l’efprit de fyrtême.
Cependant fi les Grecs n’ont pas été le feul peuple
de l’univers ingénieux 6c fenfible , pourquoi dans
l’art d’imiter de feindre, n’a t-on jamais pu l’égaler
qu’en fuivant fes traces, & qu’en adoptant lès
idées, fes images, fes fiftions ?
Voyez dans l’Europe moderne,quand la paix, l’abondance,
le luxe, la faveur des rois & le goût des peuples,
ont attiré les mufes; voyez-les , dis-je , arriver en
étrangères fugitives , chargées de leurs propres ri-
cheffes, 6c portant avec elles les dieux de leur pays.
Quoi de plus marqué que ce penchant pour les lieu.x
qui les ont vu naître ? Que les Romains aient imité
les Grecs, dont ils croient les difciples, cela efl
limple & naturel ; mais que, dans aucun de nos
climats, la poéfie n’air été florilTante, qu’autant qu’on
lui a laiffc le caraéf ere 6c les moeurs antiques ; qu’elle
foit depuis trois mille ans fidelle au culte de fa patrie;
que des moeurs nouvelles des l'ujets récens, elle
n’aime que ce qui reffemble à ce qu’elle a vu dans la
Grece ; voilà ce qui prouve qu’elle tient par efi'ence
aux qualités de fon pays natal. Pourquoi cela.' C ’efl
ce que nous cherchons.
Horace donne au fuccès des arts 6c de la poéfie
dans la Grece , la même caufe qu’il eut à Rome :
Ui primurn pofitis nugari Gracia bellis
Ccepic ^ & in vitium fortuna labier æqua.
Mais fi ce goût fut pour les Romains le prefage ou
l’effet de la corruption qui fiiivit la profpérité, il n’en
efl pas de même des Grecs. Les mufes , pour fleurir
chez eu x, n’attendirent ni le loifir de la paix , ni les
P O E
lîcllccs tie l’abondance. Le tems le plus orageux de
la Grece & le plus fécond en héros , fut aiilïi le plus
fécond en homimcs de génie. Depuis la naifl'ance
d’EfcIn'le julqu’ i la mort de Platon , l’efpace d’un
fiecle préfente oe tpie la Grece a produit de plus cé-
lebre dans les ar mes 6c dans les lettres. On couron-
noit fur le theatre d’Athenes l’un des héros de Marathon
; Cratinus & Cratès amufoient les vainqueurs
de Platée & de Salamine ; Cherükis les chantoit ;
les Miltiades , I es Thémifiocles , les Anfiides , les
Périclcs, appla'iidifToicnt les chefs-d’oeuvre des Sophocles
, des E uripides ; 6c au milieu meme des dif-
cordes nationales, des guerres de Corinthe 6c du
Péloponefe , <k.‘ Thebes contre Lacédémone , 6c de
celle-ci contre Athènes, ou plutôt d’ Athenes contre
la Grece entière , la poéfie profpéroit encore , 6c s'éle-
voit comme à tiravcrs les ruines de fa patrie.
Il y avoit dlonc , pour rendre la poèfc florifTante
clans ces climaats, des caufes inclépend.intes de la
bonne fie de la tnauvaife fortune ; fie la premiere de
ces caufes fut h : naturel d’un peuple v if , fenfible ,
pafTionmé pour les plaifirs de l’efprit fie de_ l’ame ,
autant C|ue pouir les voluptés des fens. Je dis le na-
lurel ; 6c en cel a les Grecs diffcroic' : des Romains.
Ceux-ci ne fe follrent qu’après s’être amollis; au
lieu que ceux-i.î furent tels dans toute la vigueur de
leur génie 6c de leur vertu. La gloire des talens 6c
la gloire des armes, l’amour des plaifirs de la paix,
6c le courage fie la confiance dans les travaux de la
guerre , ne font incompatibles, que lorfque ceux-ci
tiennent plus à 1 a rudeffe 6c à l’auftérité des moeurs
qu’à la vigueur fi^:à l’aélivitcde Pâme. Rienn’efi plus
dans la nature, témoins Céfar, Alcibiade fie mille
autres guerriers , qu’un homme vaillant 6c fenfible ,
voluptueux fie in/atigable, égalementpaffionné pour
la gloirci fie pour les plaifirs. C’efi à quoi fe trom-
poientlus Lacédémoniens, en mépriiant les moeurs
d ’Atheniîs ; c’efi âi quoi font auffi femblant de fe méprendre
des peuples jaloux des François.
Catoni avoit raifon de reprocher à Rome d’être
devenue une ville Grecque. Mais fi Athènes eût
voulu prendre les moeurs de l’anrique Rome , elle
y eût perdu de vrais plaifirs 6c acquis de faufies
vertus; ainfi que Rome, en devenant Grecque,
avoit perdu fes vertus naturelles, pouracquérir des
plaifirs faftiees qu’t'lle ne goûta jamais bien.
De cela feul quei les Grecs étoient doués d’une
imagination vive fiii d’une oreille fenfible 6c jufie,
il s’enfuivit d’abord qu’ils eurent une langue naturellement
poétique. La poéfie demande une langue
figurée , mélodieufe, riche, abondante , varice,
fie habile à tout exprimer , dont les articulations
douces, les fons harmonieux , les élcmens dociles à
fe combiner en tout Sens, donnent au poète la facilité
de mélanger fes couleurs primitives, 6c de tirer de
ce mélange une infinité de nuances nouvelles. Telle
fut la langue des Grecs. Mais, fans parler des mots
compofés dont cette langue poétique abonde , fie
dont un feul fait fouvent une image , de l’inverfion
qui lui eft commune avec la langue des Latins, ni
de la liberté du choix de fes dialeèfes, privilege qui
la difiingue , 6c dont elle feule a joui, ne parlons que
de fa i^rofodie , 6c du bonheur qu’elle eut d’abord
, d’être foumile par la mufique aux loix de la mefiire
6c du mouvement.
Le goût du chant efi un de ces plaifirs que la nature
a ménagés à l'homiTie pour le confoler de fes
peines, le loiilager dans fes travaux, 6c le f.mver
de l’ennui de lui-même. Dans tous les tems 6c dans
tous les climats , l’homme , fenfible au nombre fie à
la mélodie , a donc pris plaifir à chanter.
O r , par un Infiindf naturel, tous les peuples , &
les fauvages même, chantent fiedanfenren mefure 6c
fur des mouvemens réglés. Il a donc follu que la
Tome IV^
P O E 4-7
parole appliquée au chant, r.lr obfervé la cade-nr'-,
loit par un nombre de fyllabes égal au nombre <;• %
fons de l’air, 6c dont l'air décidoit lui-mêmeou la vi-
tefTe , ou la lenteur; (ce fut la poéfie rbytmique.)fok
par un nombre de teins égaux , rélulrans de la durée
relative 6c correfpondantcdes fons de l’air fie des fons
de la langue; ( c ’efi ce qu’on appelle la poifiiemétrique.')
Dans la premiere, nul égard à la longueur naturelle
6c abfolue des fyllabes : on les fuppofe toutes égales
en durée, ou plutôt fulceptibles d’une égale vîrefie
ou d’une égale lenteur. Telle c-fi la poéfie des fauvages,
celle des Orientaux, celle de tous les peuples
de l’Europe moderne. Dans l’autre , nul egard au
nombre des fyllabes ; on les mefure au lieu de les
compter ; 6c les tems donnes par leur durée, décident
de l’efpace qu’elles peuvent remplir. Telle fut
Vèpoéfuàcs, Grecs 6c celle des Latins, dont les Grecs
furent les modèles.
Les Grecs , doues d’une oreille jufie , fenfible 6c
délicate , s’étoient apperçus que parmi les fons 6c les
articulations de leur langue , il v en avoit qui, naturellement
plus lents ou plus rapides,fuivoient aiifii
plus facilement l’imprefiion de lenteur ou de rapidité
que la mufique leur donnoit. Ils en firent le clioix ;
ils trouvèrent des motsqui formoient eux-mêmes des
nombres analogvies à ceux du chant ; ils les divife-
rent par claffes ; fii enles combinant les uns avec les
autres, ce fut à qui donneroit au vers la forme la plus
agréable. La poéfie épique, la poéfie clégiaque , la
dramatique eut le ficn ; 6c chaque poète lyrique
fe diflingua par une mefure analogue au chant
qu’il s’ctoit fait Im-mcme, & fur lequel i! compofoit.
Le vers d’Anacréon , celui de Sapho, celui d’Alcce,
portent le nom de ces poètes. Ainfi leur langue ayant
acquis les mêmes nombres que la mufique , il leur
fut aifé dans la fuite de modeler le metre fur la phrafe
du chant, 6c dès-lors l’art des vers 6c J’ai t du chant,
réglés, méfurés l’un fur l'autre , furent parfaitement
d’accord.
Que ce foit ainfi que s’eft formé le fyftêmc profo-
dique de la langue d’Orphée 6c de Linns, c’eft de
quoi l'on ne peut douter: fi.: qui jamais fe fut avifé
de niefurer les fons de la jjarole, fans le plaifir qu’on
éprouva en effayant de la chanter > Ce j^laifir une
fois fenti, on fit un art de le produire ; l’oreille s'habitua
infenfiblement a donner une valeur fixe 6c
relative aux fons articulés ; la langue retint les mouvemens
que la mufique lui imprimoit; 6i l’iifage ayant
confirmé les décifions de l’oreille, leurs loix formèrent
un fyficme de profodie régulier 6c. confiant.
Il efi donc bien certain que chez les Grecs la poéfie,,
confidérée comme un langage harmonieux , dut la
naiiîanceà la mufique, fie reçut d’elle fes premieres
loix , la mefure 6c le mouvement.
Qu’on prenne la marche oppofée , comme on a
fait chez les modernes, c’efi-à-dire, que l’on commence
par la poéfie, 6c que la mufique ne vienne
que long-tems après la plier aux regies du chant,
elle n’y trouvera que des nombres épars, fans pre-
cifion, fans fyrametrie, 6c tels que le hafard aura pu
les former.
La profodie donnée par la mufique , fut donc , je
le répété, le premier avantage de la poéfie chez les
Grecs ; 6c qui fait le rems qu’il fallut à l'ufage pour
la fixer? Les Latins, par imitation , fe firent une
profodie; 6c quoiqu’elle leur fût tranlniife, encore
ne fût-ce pas fans peine que leur oreille s’y forma :
Gracia capta ferum viHorem cepit, G artes
Inrulic agrefi Latio. Sic horridus ille
Defuxit nutnerus Saturnins.
Ce vers brute 6c greffier du fiecle de Saturne n’efi
autre chofe que le vers rhytmique , fie tel qu’on l’a
renouvelle dans la baü'e latinité.
H h h ij