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t> s’élève au fublime des léntimens & des allons ; il
» trace les limites du beau & du laid, de l aimable
» 6c de lodicux. L’artille moral, qui eft capable
M d’imiter ainli le créateur, ik qui le tait parce qu’il
M a une connoitTancc intime de fes femblables, te
t) méconnoîtra, Il je ne me trompe, difficilement
n liii-mcme ; il ne préfumera jamais trop de fes for-
tt C C S , il ne fortira point de fon genre; il ne fecroira
pas plus grand , pour avoir traité un plus grand
» nombre de fujets ; mais U fera confifter ta grandeur
♦» & fa gloire à traiter ceux dont il tait ton objet de
» maniéré à furpaffer tous tes rivaux, 6c a ne laitfer
» aux autres que l’efpérance de l’imiter. Tout cela
w fuppofe dans le/^oiir^ une ame noble 6c pure : ceux
») qui ne l’ont pas telle, peuvent bien atîeaer un ton
» d’élévation , fe parer d’une t.iuffie fublimlté; mais
» il ne leur ett pas poffible de felbutenir; labafiéfl'e
» de leur caraftere , la noirceur de leur ame percent
» 6c enlaidilTent toutes leurs produélions ».
Il ell fouhaiter que ceux qui ont une autorité reconnue
dans l’empire du goût, rappellent aux/’oéVej-,
plus fouvent 6c plus férieufement qu’ils ne le fon t,
la dignité de leur vocation. Ils accordent tropd’clo-
ges à la dclicateffe de l’efprit , à l’agrément de la
diction, au méchanlfme de lapoéfie , fans faire attention
fl ces talensagrcables, ft ces parties nécdlaircs
de l’art poétique , ont pour objet des matières qui ne
fournifl'ent pas aux hommes un fimplc pafle-tems, 6c
ne les imérelTent qu’en excitant en eux des fenfacions
pafTageresde indéterminées. 11 importe fans contredit
de ne pas fe borner à ces effets, 6c de dire à la partie
de la nation la plus éclairée 6c la plus polie , des choies
qui puiffent influer avantageufement fur fa façon
de penfer 6c d’agir. Le pocu qui afpire à réiiffir dans
ce genre, doit ncceflaîrcment avoir fait des réflexions
plus profondes fur les moeurs , les aéiions, les affaires,
les hommes en général , que ceux pour qui il
écrit; ou du moins, s’il ne les furpaffe pas à cet
égard , il faut qu’il ait l’art de préfenter à leur efprit
ce qu’ils favent 6c ce qu’ils ont déjà penfé, avec un
plus grand degré de vivacité & d’aflivité qui les rende
attentifs à fes chants. Or c’eft à quoi ne fuffifent
pas les talcns , quand ils iroient juiqu’à s’exprimer
avec la plus grande facilité fur toutes fortes de fu-
jets : il faut encore une grande connoiffance du coeur
humain, des obfervatioiis profondes fur les moeurs,
un fentlment du ton délicat 6c juffe , 6c un jugement
fain qui mette en état de difeerner le vrai 6c le faux-
dans toutes les regies, 6c dans tousles ufages de la
vie commune 6c publique. De la réunion de ces qualités
avec les talens 6c la facilite de les mettre en
oeuvre, fe forme le poiite ; 6c celui qui a droit de
s’arroger ce litre , peut aiiffi prétendre à l ’effime 6c
aux égards de fa nation.
On lait de maniéré ;i n’en pouvoir douter , que
les anciens Germains ont eu leurs bardes , quoiqu’il
ne refte aucun veffige de leur pocfie. Les
chants d’Offian, ancien barde Calédonien , duquel
nous pouvons tirer des conféquences fondées par
rapport aux bardes Germains , donnent lieu de
croire que les poéfies de ceux-ci ne manquoientni
de ce fevi qui rend le récit des actions héroïques
propre à échauffer les coeurs, ni même dans bien
des occafions, des grandeurs 6c des beautés qui font
propres aux fenfations morales. Mais leur langue
n’étoit pas allez riche, affez flexible , affez harmo-
nieufe , pour que leurs productions puffent égaler
celles de ce peuple dont le langage avoit été perfectionné
j)ar les avantages dont la nature l’avoitdouc
par-deffus tous les autres peuples, 6cqui confiltoient
principalement dans la flneffe du goût 6c dans une
fenfibilitc exquife. Autant que le climat de la Grece
l’emporte fur celui des contrées feptentrionalcs,
autant le langage 6c l’imagination d’Homere foni-iU
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au-delTus de tout ce qu’offrent les chants des bardes.
Les plus anciens monumens de la langue allemande
prouvent qu’elle n’ étolt pas propre à uu ftyle foiuenu
& harmonieux. Cela faifoit que la religion 6c les
moeurs des anciens Germains n’avoient point ces
agrémens qu’on trouve dans la religion 6c dans les
moeurs des peuples fortunés qui vécurent autrefois
fous le beau ciel de la Grece.
Après les bardes, que l’imroducHon du chriflia-
nifme fit probablement difparoître , il y eut d’autres
po'éus , encouragés peut-être par la proteftion des
chefs des divers états de la Germanie, qui ne chantèrent
plus, à la vérité , des exploits arrivés fous
leurs y e u x , mais qui conferverent le fouvenir des
anciens événemens , 6c iranfmirent les fervices per-
fonncls que d’illuftres perfonnages avoient rendus à
leur patrie , pour fervir de motifs qui engageaffent
la pofferite à les imiter. Le commencement de l’ancien
poème connu fur fainte Anne, qui, fuivant toutes
les apparences , eff une production du Xiii*^
ficcle, fait connoître quels ctoient les objets que
les/’oé/fc'i des teins immédiatement antérieurs, avoient
chantés. « Nous avons, dit l e f o u v e n t entendu
» célébrer d’anciens événemens, raconter combien
» les héros étolent ardens dans les combats, com-
» ment ils détruifoient les châteaux les plus forts ,
» connnentils rompoient la paix 6c les traites ; com-
», bien de rois puiffans ont fuccombé fous leurs
» coups : à préfent il eft tems de penfer à notre
» propre fin ».
ïï'ir horten je dikke Jîngen
Von alun Dlngcn ,
W'ie fnelle helide wuthen ,
ÏVie Jïe Viflt burge hrechen ,
Wie fich iiebe in vuinifcejîe fehieden ^
ÏVie riche Kùni°e al \egicngen.
Nu ijî cith dac_ wir dincken ,
Tf'ie wir fdve julin enden.
On peut auffi inférer du meme paffage , que les
poéfies fur des fujets religieux , n’etoient par encore
d’ufage, 6c jufqu’alprs on n’avolt été occupé
que des guerres & des combats. S’il eft permis de
juger paiT’ouvrage qu’on vient de citer, de l’état
de la poéfie allemande dans ce tems-là , il paroît
que ces anciens/’Otrei'n’avoient giiere de génie poétique
, ni de vivacité d'imagination , ÔC qu’avec cela
leur langue ctoit encore trop bornée. Mais depuis
que M. Bodmer , ce favant infatigable , & qui a
rendu à la littérature allemande 6c aux progrès du
goût, des fervices dignes d’une éternelle reconnoif-
l'ance , a répandu par la voie de i’impreffion , la
connoiffance des anciennes poéfies , on voit que
c’eft dans lesfieclesXI I . 6 c x i ii.q u e la poéfteallemande
a véritablement fleuri. Les empereurs delà
maifon de Souabe y ont fans doute beaucoup contribué
; 6c c’eft leur exemple qui a fait régner parmi
la nobleffe allemande , la politcfl'e , le goût 6c l’amour
de la poéfie. Nous avons confervé un très-
grand nombre de poèmes de ces tems-ià. La feule
colleéfion, dite Muneflique ^ voyez Sammlung von
Minafingern, ans dem Schwabifehen ZeitpuncU ,CXL.
Dichter enthalund ^6cc. Zurich ^bey OrellundLomp.
1758. 2 vol. cette colleélion, dis-je, renferme
des ouvrages de cent quarante/?f>cVt5, parmi
lefqucls il y en a du premier rang , comme l’empereur
Henri , le roi Conrad, le roi de Bohême Weii-
ceflas , j)lufieurs margraves 6c princes. Cela fait
bien voir que la poéfie faifoit principalement alors
l’occupation 6c le plaifir des cours.
Et même ce n’éioit pas une poéfie q u i, comme
une denrée étrangère , tirât fon origine des Grecs
6c des Latins ; elle fe rapportolt à la façon de penfer
, aux moeiirs 6c aux léntimens qui regnoient alors
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dr.nsie grand monde, & par conféqne'nt pouvolt
avoir naturellement la meme influence lur les ef-
prits, qu’avoient eue autrefois les chants des bardes,
quoiqu’ils fuffent d’une toute autre efpecc. En effet,
clans ces beaux temps de l’Allemagne , la politeffe
6c une galanterie délicate, les fentimens les plus
tendres de l’amour , de l’amitié, de la bienveillance,
les maximes d'honneur les plus nobles, le courage
& la valeur , l’obéiffance 6c la fidélité envers les
rupérieurs, I’hofpiialirc pour les étrangers, les égards
pour le beau fexe , l’eftinie des gens à talens, les
R bons procédés enfin avec les amis 6c les ennemis,
' dilHnguoient la nation de la manière la plus avanta-
geufe. Les poètes fe montoient donc lur ce ton ; ils
rempliffoient leurs ouvrages des idées 6c des fen-
limens qu’ils puifoient dans la fréquentation du beau
monde : leur génie les cmbclliffoit, 6c ils fe faifoient
également eftnner 6c aimer par leur talent. On a
lieu de croire qu’il n’y avoit pas alors une feule
cour, du moins dans la haute Allemagne , qui n’eût
fon pocu. Bodmer a reprefenté fort agréablement
cette brillance époque de la poéfie allemande. « L’AI-
7) lem.a”ue, dit-il , ctoitalorsune contrée poétique
» à qui ie cici avoit accordé le don de nourrirdes
» pocus dans fon fein ». Et parlant de la mufe de
î’Hélicon, il ajoute : « elle volt à fon fervice un
» peuple de princes , de comtes , ce l’élite de tout ce
>' que le fang allemand a de plus noble. On les
» entend faire retentir de leurs accens les bords
» du Rhin , du Danube , de l’Elbe , les cours de la 91 Souabe , de l’Autriche 6c de la Thurînge ».
La poéfie n’etant point alors, comme aujourd'hui,
i’amufement d’un petit nombre de perfonnes fenfi-
bles , dont la génie excité par les beautés des poilus
Grecs 6c Romains, qu’ils ont appris û connoître
en faifant leurs humanités, fe propoie de les imiter ;
elle c to it, comme l’exige fa nature, une occupation
réelle à laquelle les moeurs du tems donnoient
lieu , 6c qui û fon tour influoit furies mêmes moeurs.
La colleélion de Minnefinger , dont nous avons fait
mention , ne contient è la vérité , prcfque que des
pieces galantes , mais la galanterie n’étoit pourtant
pas alors l’unique objet de la poéfie. Il nous eft
parvenu des prodiuftions poétiques de ces tems lû
dans divers autres genres ; des fables , des moralités
, 6c même des morceaux épiques fuf les exploits
de chevalerie. En général, il paroît que la
pocfie d’alors étoit tout à fait dans le goût de celle
des poètes Provençaux dont les recueils françois
fournlffent quantité de monumens, 6c fur laquelle
Jean Noftradamus ,frere de I’aftrologue de ce nom ,
a donné des détails affez circonftanciés. Les ouvrages
épiques que ces poètes ont enfantés »révoltent ,
il eft vrai, par l’abfurdité du merveilleux dont ils
font remplis; la fuperftitlon y régné auffi clans tome
fa force : mais le caraéfere des perfonnes qu'on y
fait parler & agir, 6cle génie du /’uêrt nefaiiroient
être des objets indifférens.
Dès le commencement du xiv® fiecle, les poètes
Souabes baifferent beaucoup ; 6c dès le milieu , iis
avoient prefqu’entiérement dégénéré , de forte qu’il
ncrefta prefqu’aucune trace de bonne poéfie. La
foule des maîtres-chantres qui parurent dans les
fteclesxv 6c x v i , ni en particulier rautcur de
l’énorme ouvrage clramatlque du dernier de ces ficelés
, ne méritent aucune place dans l’hiftoire de la
pocfie. Mais la réformation vint influer favorablement
fur Une branche intérelTante de la poéfie.
On a des cantiques de cette date , qui ont exactement
le langage 6c le ton qui conviennent à cette
fortedepoéfie:cependant le nombre en efttroppetit,
par rapport à ceux d’un ordre fiibalterne , pour
faire époque clans l’hiftoire de la poéfie allemande ,
qui depuis l e s S o u a b e s jufqu’au x v iM ied e ,
P O E 447 parut éteinte , malgré la foule innombrable de ri-
meurs que produifit cet intervalle de tems.
Les moeurs 6c le goût de la nation paroîffent avoir
cté alors en contrafte avec la pocfie : on aimoit mieux
fe livrer à l’amenume des clilpiites thcologiques,
qu’aux agrémens des objets de l’imagination 6c da
fentiment. Les deux Strasbourgeois, Jean Fifchart
& Sobaftien Brand, qui vécurent à la fin du xv^^fie-
cle 6c au commencement du xvi*^ , quoiqu’ils fuf-
fent run 6c l’autre véritablement doués du génie
poétique , ne firent aucune impreflîon fur leurs con-
tcm|JOrains ; 6c leur exemple prouve fiiffifammcnt
que tout étoit alors contraire k la poéfie. Les gens
du grand monde ne s’en foucioient plus: elle avoit été
abandonnée à la merci du peuple qui l’avoic cruellement
défigurée, 6c mife clans l’ctat oîi on la voit
encore dans les oeuvres de Hans Sachfe.
Dans la première moitié du x v ii fiecle , parut
Martin Opitz , que les poètes récens de l’Allemagne
regardent comme le pere de la poéfie renou-
vellée. Il avoit non-feulement le génie d’un poète ^
mais il connoiffoit fuffifamment les anciens, pour
fe former fur eux ; 6c avec cela , il favoitfa langue
de maniéré à joindre à la pureté 6c à la force des
expreflîons, l’harmonie 6c la cadcncc des mots.
Après un aulTi long efpace de tems, pendant lequel
la poéfie allemande avoit été plongée dans la
barbarie, ce grand poète étoit non feulement capable
d’e^•citcr par fon exemple d’autres beaux génies k
cultiver la vraie poéfie, mais encore à en infpirer le
goût à toute la nation : cependant ni l’un ni l’autre
arriva. Il fe paffa encore près d’un fiecle pendant lequel
l’Allemagne, quoiqu’elle eût fous fes yeitx les
chefs d’oeuvre d’Opitz , remplis des penfées les plus
heureufes 6c des expreffions les plus coulantes, produifit
une foule de mauvais poètes qui ne méritoienc
aucune attention , ni par le choix des fujets , ni par
la maniéré de les traiter ; 6c bien qu’on entrevît par-
c i, par-là, quelques étincelles de génie poétiqvie,
par exemple , dans les petites pièces d’un Logau 6c
d ’un ^Ternicke , cela n’empêchoit pas que toute la
littérature allemande ne fût infeétee d’un double
vice , favoir, d’un cô té, de l’amour puérile du faux
merveilleux, 6c de l’autre, d’un goût bas 6c tout-à-
fait populaire.
Ce n’eft donc que vers le milieu de cc ficcle qu’on
a vu le génie le plus brillant s’élancer avec véhémence
, à travers l’épaiffeur de ces ténèbres, 6c que
l’Allemagne a donné des preuves démonftratives
qu’elle renfermoit dans fon fein des critiques 6c des
poètes du premier ordre. Bodmer,HaI!er, Hagedorn,
ont été les premiers qui ont levé de defius cette contrée
l’opprobre de la barbarie poétique. Depuis
trente ans, nous avons vu naître les plus beaux génies
, des poètes également recommandables par leurs
agrémens 6c par leur force ; nous ne pouvons plus
douter que le même feu célefte dont Homere, Pindare
6c Horace furent animés, ne foit defeendu d’en-haut
fur l’Allemagne. Tout cela femble nous promettre
aéluellementun beau fiecle pour la poéfie allemande;
Maisl’efprit 6c la façon de penfer de cette partie de
la nation , dont les luffrages pouvoient procurer de
la gloire a u x , 6c donner à leurs produiftions
une véritable influence fur le caraélere 6c les moeurs
des hommes ; cet efprit, dis-je, 6c cette façon de
penfer nefe manifeftent pas encore. Peut on efpcrer
que ceux , fans le fecours defquels la pocfie demeu-*
rera toujours le fimpleamufememd’un petit nombre
d’amateurs, feront enfin ce que l’on attend, Sc ce
que l’on a droit d’attendre d’eux ? Verra-t-on le tems
oi't le fentiment délicat du bon 6c du beau fe répandra
6c prévaudra tellement chez la partie la plus
confidcrable de la nation , qu’il remplacera l’ancien
efprit d$ chevalerie 6c cette galanterie héroïque
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