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De-là Pliicbre pafîe à l’éloge de la Sicile & crHlé-
ron, fait des voeux pour l’une & pour l’autre, & finit
par exhorter l'on héros à fonder fon régné lur la
juliice & fur la vertu.
Il n’efl guère polTible de ralTembler de plus belles
images ; &C la foible efquiffe que j’en ai donnée fufiit,
je crois , pour le perl'uader. Mais comment lont-
elles amenées ? Typhée 6c l’Ætna à propos des vers
& du chant ; l’éloge d'Hicron à propos de l’Ætna 6c
de Typhée: voilà la marche de Pimlare. Ses liaifons
le plus fouvent ne font que dans les mots , ôc clans
la rencontre accidentelle & fortuite des idées. Ses
ailes, pour me fervir de l’image d’Horace , iont
attachées avec de la cire ; & quiconque voudra l’i-
miter éprouvera le dedin d’Icare. AulTi voyez dans
Yodé à la louange de Drufus , quaUm minijlrum , &c.
avec quelle précaution, quelle fagefl'e le poète latin
fuit les traces du poète grec.
« Tel que le gardien de la foudre , l’aigle à qui ce
» roi des dieux a donné l’empire des airs , l’aigle eft
« d’abord chatTc de fon nid par l’ardeur de la jeu-
» nefl'e 6c la vigueur de fon naturel. Il ne connoît
» point encore l’ufage de fes forces ; mais déjà les
» vents lui ont appris à fe balancer fur fes ailes tlmi-
» des ; bientôt d’un vol impétueux il fond fur les
>> bergeries; enfin le defir impatient delà proie &
» des combats le lance contre les dragons, qui enle-
» vés dans les airs fe débattent fous fes griffes tran-
» chantes. Ou tel qu’une biche occupée au pâturage
» voit tOLit-à*coup paroître un jeune lion que f'a
» mere a écarté de fa mamelle, 6c qui vient elTayer
» au carnage une dent nouvelle encore ; tel les habi-
» tans des Alpes ont vu dans la guerre le jeune
i> Drufus. Ces peuples long-tems & par-tout vain-
» queurs , ces peuples vaincus à leur tour par l’ha-
M bileté prématurée de ce héros, ont reconnu ce
» que peut un naturel formé fous de divins aufpices,
» 6c l’influence de l’ame d’Augufte fur les neveux des
w Nérons. De grands hommes naiflent les grands
» hommes. Les taureaux, les courfiers héritent de
» la vigueur de leurs peres. L’aigle audacieux n’en-
» gendre point la timide colombe. Mais dans l’hom-
» me, c’eft à l’inftruéfion à faire éclorre le germe
» des vertus naturelles, & c’eft à la cultwre à leur
» donner des forces. Sans riiabitude des bonnes
» moeurs la nature efl bientôt dégradée. O Rome !
» que ne dois-tu pas aux Nérons ? Témoins le fleuve
» Métaure , & Afdrubal vaincu fur fes bords , 6c
» l’Italie , dont ce beau jour , ce jour ferein diffipa
» les ténèbres. Jufqu’alorsle cruel Africain fe répan-
» doit dans nos villes comme la flamme dans les
» forêts, ou le vent d’orient fur les mers de Sicile.
» Mais depuis, la jeunefle Romaine marcha de vic-
» toire en viéloire , 6c les temples faccagés par la
» fureur impie des Carthaginois virent leurs autels
« relevés. Le perfide Annibal dit enfin : nous fom-
» mes des cerfs timides en proie à des loups ravif-
» fans. Nous les pourfuivons, nous , dont le plus
» beau triomphe eft de pouvoir leur échapper ! Ce
» peuple qui fuyant Troye enflammée à travers les
>» flots , apporta dans les villes d’Aufonle fes d ieux,
» fes enfans, fes vieillards ; femblable aux forêts
» qui renaiftènt fous la hache qui les dépouille ,
» ce peuple fe reproduit au milieu des débris 6c du
» carnage , 6c reçoit du fer même qui le frappe une
» force , une vigueur nouvelle. L’hydre mutilée
M renaiftoit moins obftinément fous les coups d’Her-
» cille, Indigné de fe voir vaincu. Thebes & Col-
n chos n’ont jamais vu de monftre plus terrible.
» Vous le fubmergez , il reparoît plus beau ; vous
» luttez contre lui, il fe releve de fa chute; il ter-
» .raffera fon vainqueur fans fe donner même le tems
» de l’affbiblir. Non , je n’enverrai plus à Carthage
» les nouvelles de mes triomphes : tout eft perdu,
O D E » tout eft dcfefpere par la défaite d’Afdrubal
Il faut avouer qu’Horace doit à Pindare cet art
d'agrandir fes fujets ; mais les éloges qu’il donne à
fon maître ne l’ont pas aveuglé fur le manque de
liaifon 6c d'enfemble, defaut dont il avoit à fe garantir
en rimitanr.
Nous avons peude ces exemples d’un délire naturel
& vrai : je vois prefque par-tout le poète qui
compofe, 6c c’eft-là ce qu’on doit oublier : unies
idemqiu omnium finis perfiuajio (Scalig. ) : je le répéterai
fans cefl'e.
L’air de vérité fait le charme des poéfies de Chaii-
lieu ; on voit qu’il penfe comme il écrit, 6c qu’il eft
tel qu’il fe peint lui-même. On ne s’attend pas à le
voir citer à côté de Pindare & d’Horace ; je ne con-
nois cependant aucune od& Françoife qui rempHftc
mieux l’idée d’im beau délire que ce morceau de
fon épître au chevalier de Bouillon:
Htiereux qui fie livrant à la philofiophie ,
A trouve dans fion fiein un afiyle affiurê.
jufqu’à ces vers :
Jè fiais mettre, en dépit de l'âge qui me glace >
Mes fiouvenirs à la place
D e L ardeur de mesplaijirs.
PalTons-Uû les négligences, les longueurs , le défaut
d’harmonie ; quelle marche libre & naturelle! quels
mouvemens I quels tableaux ! l’heureux enchaînement
! le beau cercle d’idées! l’aimable 6c touchante
poéfie ! celui qui eft fenfible aux beautés de l’art eft
faifi de joie, 6c celui qui eft fenlible aux mouvemens
de la nature , eft laifi d’attendriifement en
lifantee morceau, comparable aux plus belles odes
d’Horace.
Nous avons toujours droit d’exiger du poète
qu’il nous parle le langage de la nature, 6c qu’il
nous niene par les routes du fentiment 6c de la
raifon. Il vaut cependant mieux s’égarer quelquefois
que d’y marcher d’un pas trop craintif, comme on
a fait le plus fouvent dans ce genre tempéré, qu’on
appelle Yode philofi0phique. Son mouvement naturel
eft celui de l’éloquence véhémente, c’eft-à-dire du
fentiment & de l’imagination , animés par de grands
objets. Par exemple, Tyrtée appellant aux combats
les Spartiates , 6c Démofthene les Athéniens /
doivent parler le même langage ; à cela près que
l’expreflîon du poète doit être encore plus hardie
6c plus impétueufe que celle de l’orateur.
Une Oi/g froidement raifonnee eft le plus mauvais
de tous les poèmes : ce n’eft pas le fond du raifon-
nement qu’il en faut bannir, mais la forme dialeéU-
que. « Cet enchaînement de difcoiirs qui n’eft lié que
n par le fens », & que la Bruyere attribue au
ftyle des femmes , eft celui qui convient ici à Yodè.
Les penfees y doivent être en images ou en fenti-
mens ; les expofes en peintures ; les preuves en
exemples. Reimond de Saint-Mard a eu quelque
raifon de reprocher à Rouffeau une marche trop
didaftique. Mais il donne à la Motte fur Roufleau
une préférence évidemment injufte. La premiere
qualité d’un poème eft la poéfte , c’eft-à-dire la chaleur,
l’harmonie 6c le coloris. Il y en a dans les odes
de Roufl'eau ; il n’y en a point dans celles de la Motte.
Ilmanquoit à Rouffeau d’être philofophe 6c fenfible;
fon génie (s ’il en eft fans beaucoup d’ame) étoit dans
fon imagination; mais avec cette faculté imitative,
il s’eft élevé au ton de David ; 6c perfonne, depuis
Malherbe, n’a mieux feriti que Roufleau la coupe
de notre vers lyrique. La Motte penfe davantage ;
mais il ne peint prefque jamais, 6c la dureté de fes
vers eft un fupplice pour l’oreille. On ne conçoit
pas comment l’auteur A'ln'es a fi peu de chaleur
dans fes odes. Il étoit petluadé fans doute qu’il n’y
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falloit que de refprit ; & le fuccès incomprchenfible
de fes premieres odes ne fit que l’engager plus avant
dans l’opinion qui l’cgaroit.
Comment un écrivain auffi judicieux, en étudiant
Pindare, Horace, Anacréon, ne s’eft-il pas détrompé
de la fauffe idée qu’il avoit prife du genre dont ils font
les modèles.^ Comment s’eft-il mépris au caratfere
même de ces poètes, en tâchant de les imiter ? Il fait
de Pindare un extravagant qui parle fans ceffe de lui ;
il fait d’Horacc , qui eft tout images 6c fentimens ,
un froid 6c fubtll morallfte ; il fait du voluptueux ,
du naïf, du léger Anacréon, un bel efprit quis’étudie .
à dire des gentilleffes.
Si la Motte eft didafiique, il l’eft plus que F.ouf-
feau, 6c il l’eft avec moins d’agrément: s’il s’égare,
c’eft avec un fang froid q.ui rend fon enthoufiafme
rifible : les objets qu’il parcourt ne font liés que par
des que vois-je ? 6c que vois-je encore ? C’eft une galerie
de tableaux, 6c qui pis eft, de tableaux mal peints.
Ce n’eft pas ainfi que l’imagination d’Horace volti-
geoit ; ce n’efl pas même ainfi que s’ég^roit celle de
Pindare. Si l’im ou l’autre abandonnoit fon fujet
principal, il s’attachoit du moins à fonepifode, 6c
ne le jetioit point au hafard fur tout ce qui fe pré-
fentoit à lui.
La Motte n’eft pas plus heureux, lorfqu’il imite
Anacréon ; il avoue lui-même qu’il a été obligé
de fe feindre un amour chimérique , & d’adopter
des moeurs qui n’étoient pas les Tiennes : ce n’étoit
pas le moyen d’imiter celui de tous les poètes anciens
qui avoit le plus de naturel.
Mais avant de paffer à Yode anacréontique, rendons
juftice à Malherbe. C ’eft à lui que Yode eft
redevable des progrès qu’elle a faits parmi nous. Non
feulement il nous a fait fentir le premier de quelle
cadence 6c de quelle harmonie les vers françois
élôient fufceptibles ; mais ce qui me femble plus
précieux encore , il nous a donné des modèles dans
l ’art de varier ik de foutenir les mouvemens de
Yode, d’y répandre la chaleur d’une éloquence véhémente
6c ce défordre apparent des fentimens 6c
des idées qui fait le ftyle paffionné. Lifez les premieres
ftances de Yode qui commence par ces vers :
Que dire^-vous, races fiutures,
Si quelquefiois un vrai dificours
Vous riche les aventures
De nos abominables jours ?
Le ftyle en a vieilli fans doute ; mais pour les
mouvemens de l ’ame, il y a peu de chofes en notre
langue de plus naturel 6c de plus cloquent.
On a raifon de citer avec éloge fon ode à Louis
X I I I ; pleine de verve, riche en images, variée dans
fes mouvemens, elle a cette marche libre 6c fiere
qui convient à Yode héroïque. Seulement je n’aime
pas à voir un poète animer fon roi à la vengeance
contre fes fujets. Les mufes font des divinités bien-
failantes Sc conciliatrices ; il leur appartient d’ap-
privoifer les tigres, 6c non pas de rendre les hommes
cruels.
Ce n’eft pas que Yode ne foit quelquefois guerrière
; mais c’eft la valeur qu’elle inlpire, c’eft le
mépris de la mort , c’eft l’amour de la patrie, de
la liberté, de la gloire ; 6c dans ce genre les chants
Pruffiens font à la fois des modelés d’enthoiiliafme
6c de diieipline. Le poète cloquent qui lésa faits,
& le héros qui prend loin qu’on les chante, ont également
bien connu l’art d’émouvoir les efprits.
Si l’on favoit diriger alnfi tous les genres de poéfie
vers leur objet politique, ce don de féduire 6c
de plaire, d’inftruire & de perfuader, d’exalter l’imagination
, d’attendrir & d’élever l’ame , de dominer
enfin les hommes par l’illufion 6c le plaüir, ne
feroit rien pioiijs qu’un frivole jeu,
O D E 93 Je viens de confidérer Yode dans toute fon étendue
; mais quelquefois réduite à un feul mouvement
de l’ame, elle n’exprime qu’un tableau. Telles font
les odes voluptueufes 6c bachiques dont Anacréon
6c Sapho nous ont laiffé des modèles parfaits.
La naïveté fait l’effence de ce genre ; & celui qui
a dit d’Anacréon que la perfuafion l’accompagne ,
Suada Anacreontem fiequitur, a peint le caradfere du
poète & du poème en même tems.
Après la Fontaine, celui de tous les poètes qui eft
le mieux dans lalituation, 6c qui communique le
plus 1 illufion qu il fe fait à lui même , c’eft à mon
gré Anacréon. Tout ce qu’il peint, il le voit ; il le
voit, dis-je, des yeux de l’ame ; 6c l’image qu’il fait
éclorre eft plus vive que fon objet. Dans fa taffe
a-t-on reprélenté Venus fendant les eaux à la nage ;
le poète enchanté de ce tableau, l’anime ; fon imagination
donne au bas relief la couleur 6c le mouvement
:
Trahit ante corpus un dam ;
Secat indé Jluclus ingens
Roficis dciz quod uniwi
Supereminct papillis ,
Tenero fiubefique collo :
Medio deinde fiulco ,
Quafil lilium implicatum
Violes^ renidet ilia
Placidurn maris per aquor.
Horace, le digne émule de Pindare & d ’.Anacréon,'
a fait le partage des genres de Yode. Il attribue à la
lyre de Pindare les louanges des dieux 6c des héros ;
6c à celle d’Anacréon, le charme des plaifirs, les
artifices de l’amour, fes jaloux iranfports 6c fes
tendres alarmes.
£ t jide Teia
Dices laboraniem in uno
Penelopen vicrearuque Circen,
XJode anacréontique rejette ce que la paffion a de
fmiftre. On peut l’y peindre dans toute fa violence,
mais avec les couleurs de la volupté. Vode de Sapho
que Longin a citée, & que Boileau a fibien rradMiie,
eft le modelé prel'que inimitable d’un amour à la
fois voluptueux 6c brûlant.
Du relie, les tableaux les plus rians de la nature,
les mouvemens les plus ingénus du coeur humain,
l’enjouement, le plaifir, la molleffc , la négligence
de l’avenir, le doux emploi du préfent, les deiiees
d’une vie dégagée d’inquiétudes, l’homme enfin ramené
par la pliilofophie aux jeux de fon enfance ;
voilà les fu;eis que choifit la mule d’Anacréon. Le.
caraêlere & le génie du François lui font favorables :
auffi a-t-elle daigné nous fourire.
Nous avons peu 6'odes anacrcontiques dans le
genre voluptueux , encore moins dans le genre paf-
lionnc ; mais beaucoup dans le genre galant, délicat,
ingénieux 6c tendre. Tout le monde lait par coeur,
celles de M. Bernard.
Tendrefiruit des pleurs de l'aurore., 6cc.
En voici une du même auteur, qui n’eft pas aiilîî
connue , 6c qu’on peut citer à côté de celles d’Anacréon.
Jupiter, prête-moi ta fioudre y
S'écria Licoris un jour :
Donne , que je réduifie en poudre
Le temple où j'a i connu l'arnour,
Alcide , que ne fiuis-je armée
De ta rnafiue & de tes traits ,
Pour venger la terre allarmée
Et punir un dieu que je hais !
i-'i