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430 P O E genic COTTiir[iie , anime par la jaloniie & la malignité
républicaine , dévoie avoir à s'exercer.
Ainll la poi[ic trouva tout diipoic comme pour elle
clans la Grece ; & la nature, la fortune , l’opinion ,
leslüix, les mcwurs, tout s’etoit accordé pour la
favoriler.
U fera bien aifé de voir à ptéfent dans quel autre
pays du monde elle a trouvé plus ou moins de ces
avantages. _ • r*
J’ai déjà dit que chez les Romains elle s etoit tait
une prolbdie modelée fur celle des Grecs ; mais
n’ayant ni la lyre dans la main des poctes pour ƒon-
tenir & animer les vers, ni les memes objets d eloquence
d’enthoufiafme , ni ce niimüere public qui
la confacroit chez les Grecs ; Upoific lyrique ne tut
à Rome qu’une Rérile imitation , louvent froide &:
frivole, prefque jamais iublime. L y r i q u e .
SuppUmitit. ^
La gravité des moeurs romaines s’etoit communiquée
au culte; une maieifé férieufe y régnoit ; la
féverc décence en avoir banni les graces, les plai-
firs, la volupté, la joie. Les jeux à Rome n’éteient
que des exercices militaires, ou que des fpeilades
fan^-ians ; ce n’écoient plus ces folemnités où vingt
peifples venoisnt en foule voir difputer la couronne
olympique. Un pocie qui dans le cirque feroit venu
férieufement célébrer le vainqueur au jeu du clllque
ou de la lutte , auroit excite la rifce des vainqueurs
du monde. Rome étoit trop occupée de grandes
chofes , pour attacher de l’importance à de frivoles
jeux; elle les aimoit comme on aime quelquefois
«ne maîtrellc , partionnement 5^: lans l’eflimer.
Si quelquefois la pocfit\'j\\<\wz célebroit dans Rome
des triomphes ou des vertus, ce n’étoit point le
miniderc d’un homme infpiré par les dieux, ou avoué
par la patrie ; c’étoit le tribut pcrfonnel d’un poète
quifaifoltfa cour, quelquefois l’hommage d’un
complaifant ou d'un flatteur.
On voit donc bien qu’en fuppofant Rome peuplée
de génies faits pour exceller dans cet art, les caufes
morales, qui auroient du les faire éclorre & fe développer
, n’étant pas les mêmes que dans la Grece, ils
n’auroient jamais pris le même accroÙTemcnt.
La poéfu épique trouva dans l’ Italie une partie des
avantages qvi’elle avoit eus dans la Grece ; moins de
variété pourtant, moins d’abondance 6c de richef-
fes, foit dans les deferiptions phyfiques, foit dans la
peinture des moeurs ; mais ce qu’elle eut à regretter
fur-tout, ce fut l’obfcuritc des rems , appelles hcroï-
quis. Les événemens palTés demandent pour être
aorand-s aux yeux de l imaginaiion , nou-feiilcment
une «rande dilbncc, mais une certaine vapeur répandue
dans rintervalle. Quand tout efl bien connu
il n’y a plus rien à feindre. Depuis Niima jurqu’à
Aimufle I’enchainemcnt des faits 6c leur détail étoit
écrft 6c conflgné ; le petit nombre de fables répandues
dans les^annales éroient fans fuite comme fans
importance ; fi le poète eût voulu exagérer les faits
6c leur donner des caufes étonnantes 6c merveiileu-
fes , non-feulement la finccrité de Thifloire , mais la
vue familière des lieux où ces faits ctoient arrivés,
les eùtrcduitsà leur juftevaleur.Comment exagérer
aux yeux de Rome la défaite des Volfques ou celle des
Sabins ? Le feul fujet vraiment épique qu’il fCit pof-
fibie de tirer des premiers tems de Rome , eft celui
que Virgile a pris, parce qu’il efl un des derniers
rameaux de l’hiûoire fabuleufe des Grecs.
Les événemens, dans la fuite, eurent plus de grandeur,
mais de cette grandeur réelle que la vérité
hilloriqiie prefente toute entière, & met au - defliis
de la fiefion. Les guerres puniques, celles d’Afie, celles
d'Epite, d'Efpagne & des Gaules , la guerre civile
et le-mê me, ne laüToicntà la/?oëy?ilur ! hifloireque
ravani<;gv d" rherire les mêmes faits & de peindre
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les riiêmeshommes d’un ftyle plus élevé) phisj^gp..
monieux, plus animé peut-être & plus haut en couleur
; mais ni les caufes, ni les moyens, ni les détails
intéreffans , rien ne pouvoit fe deguifer.
Les aulpices & les préfages pouvoient entrer pour
quelique chofe dans les rcfolutions 6c les événemens;
mafs fi l’on eût vu Neptune fe déclarer en faveur des
Carthaginois, & Mars en faveur des Romains, Venus
en faveur de Céfar, Minerve en faveur de Pompée
, la gravité romaine auroit trouvé puériles ces
vains ornemens de la fable , dans des récits dont
la vérité fimple avoit par elle-même tant d’importance
& de grandeur.
Ainfi, Varius & Polîion n’etoient guère plus libres
dans leurs compofitions que Tite-Live & que
Tacite. On voit même que le jeune Lucain avec tout
le feu de Ton génie, & quoiqu’il eût pris pour fujet
de fon poeme, un événement dont l’importance
fembloit jullifier l’entremilé des dieux, ne les y a
montres que de loin, en philofbphe plus qu’en poète
, comme fpecfateurs, comme juges, mais fans les
engager & fans les faire agir dans la querelle de fes
héros.
Les événemens & les moeurs que nous prefente
rhiftoire Romaine, femblent avoir été plus favorables
à la tragédie ; mais fi l’on confidere que les
moeurs romaines n’étoient rien moins quepaflion-
nées , que le courage & la grandeur d’ame, l’amour
de la gloire 6c de la liberté en étoient les vertus
, que l’orgueil, la cupidité, l’ambition en étoient
les vices , que les exemples de conftance, de géné-
rofité, de dévouement qui nous frappent dans l’hé-
roïfme des Romains, étant des aâes volontaires , ne
pouvoient en faire un objet ni pitoyable ni terrible ,
que les deux caufes de malheur qui dominent l’homme
& qui le rendent véritablement miférable, l’af-
cenclant de la deftinée , ou celui de la paflion, n’entroient
pour rien dans lesfeenes tragiques dont l’hif-
toire Romaine abonde , qu’il étoit même de l’effence
du courage romain, d’oppofer au malheur une froideur
flbique qui dédaignoit la plainte & qui féchoit
les larmes; on reconnoitra que les RéguluS) les Gâtons
, les Porcies étoient propres à élever l’ame, mais
nullement à l’émouvoir ni de terreur ni de pitié.
Qu’on examine les lujets romains les plus forts,
les plus pathétiques ; on peut tirer de ceux de Co-
riolan, de Scévole, de Manlius, de Lucrèce, de
Cclar une ou deux fmiations dignes d’un grand
théâtre ; mais cette continuité d’aélion véhémente
& pathétique des fujers Grecs , où la trouver? Les
fujets Romains ne font grands, ou plutôt leur grandeur
ne fe foutient que par les moeurs , & par les
fentimeos qu’en a tirés Corneille ; & ce n’éloient pas
des moeurs, des fentimens, mais des tableaux peints
à grands traits qu’il falloit fur de grands théâtres
comme ceux de Rome & d’Athenes. T r a g
é d i e , Suppl.
Une feule époque dans Rome fut favorable à la
tragédie : ce fut celle de la tyrannie 6ç de la fervitu-
d e, des délateurs & des proicrits. Alors , fans doute
le tableau de fes calamités auroit attendri P*.otne;
& la foiblefle & l’innocence fugitive dans les dé-
ferts, réfugiée dans les tombeaux, ponrfuivie, arrachée
de ces derniers afyles, traînée aux pieds d’un
monftre couronné, 6c livrée au fer des lideurs, ou
réduite au choix du fupplice ; ce contrafle d’une férocité
& d’une obéiffance également ftupides; cet
abattement inconcevable d'un peuple qui avoit tant
de fois bravé la mort, qui la bravoit encore, & qui
trembloit devant des maîtres an/Ti lâches qu’impérieux
; ce mélange d’un relie d’hcroîfme avec une
balTelîe d’efdavesabrutis;cette chûre épouvantable
de Rome, libre 6c maîtrelTe du inonde, fous le joug
des plus vils des hommes, des plus indignes de
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régner & de vivre , d’un Claude , d’un Caligula, qui
auroient été le rebut des cfclaves s’ils étoient nés
parmi les efclaves ; ces deux extrémités des chofes
humaines, rapprochées fur un théâtre, auroient été
fans doute le tableau le plus pitoyable & le plus ef-
frayantde nos mifcrables de/linces. Mais en faifant
verfer des larmes,elles auroient peut-être fait fonger à
verfer du iang ; Rome , en fe voyant elle-même dans
ce tableau épouvantable, auroit frémi de l’excès de
fes maux ; la honte & l’indignation pouvoient ranimer
fon courage ; & fes opprefleurs n’avoient
garde de lui préfenter le miroir. On voit que fous
Tibere,EmiIius Scaurus, pour avoir fait dire, peut-
être innocemment, dans la tragédie d’Atrée, ces paroles
d’Euripide ; U faut fupporur La fo lk de celui qui
commande : (^Stultitiam imperantis ) fut condamné à
fe donner la mort.
Ainfi, dans les tems de liberté, les moeurs romaines
n’avoient rien de tragique , & dans les tems
de calamité , la tragédie n’etoit plus libre. De-là
vient que fous AuguRe même, le feul tems où la
tragédie fleurit à Rome, la plupart des poètes ne
faifoient qu’imiter les Grecs 6c tranfporter Air le théâtre
Romain les fujets de celui d’Athenes, en obfer-
vant fans doute avec un foin timide d’éviter les allumons.
Les moeurs romaines étoient encore moins propres
à la comédie ; dans les premiers tems elles
étoient fimplcs 6c auReres ; 6c quand la corruption
s’y mit , elles furent encore trop férieufement vi-
cieufes pour être ridicules. Des parafites, des flatteurs
, des fâcheux dcfoeuvrés , curieux, babillards,
étoivnt quelque chofe pour une fatyre,peu pour une
intrigue comique, I! n’y eut de comique fur le théâtre
de Rome, que ce qu’on avoit pris des Grecs , des
valets fourbes, des jeunes gens crédules, inconflans,
prodigues, libertins , des vieillards foupçonneux ,
avares, chagrins, difficiles, grondeurs , des courti-
fannes artificieufes qui ruinoient les peres & trom-
poient les enfans; voilà Plaute 6c Térence, d’après
Menandre 6c Cratinus.
L’impudence d’AriRophane & fes fatyres diffia-
jnantes contre les femmes n’eurent point d’imitateurs
à Rome ; on obferve même qu’Horace, dans
fonépître fur l’art poétique, en indiquant les moeurs
& les caraéleres à peindre , ne dit des femmes que
ces deux mots à propos de la tragédie, auc matwna
potens aut fcdula niitrix, 6c pas un mot à propos du
comique.
Ce n’eR pas que du tems d’Horace les moeurs des
dames Romaines ne fuffent déjà bien dignes de cen-
fure : on peut voir comme il les a peintes ; 6c fous les
empereurs la licence n’eut plus de frein. Mais cette
licence donnoit prife a la fatyre plus qu’à la comédie :
car celle-ci veut fe jouer des caraêteres qu’elle imite:
la frivolité, la folie, la vanité, les travers del’efprit,
les léduclions 6c les mcpriles de l’amour-propre, les
vices les plus méprifables 6c les moins dangereux,
ceux dont l’homme eR plutôt la dupe que la vicHme,
voilà fes objets favoris ; or, les dames Romaines ne
s’amufoieqt pas à être ridicules ; 6c des moeurs frivoles
ne font pas celles que nous a peintes Juvenal,
étoit trop impudent, trop hardi, pour être
^ Ainfi, la tragédie 6c la comédie furent également
étrangères dans Rome ; 6c par la même raifon que le
geme en étoit emprunté , le goût n’en fut jamais fin-
cere. Horace qui accorde aux Romains affez d’amour
6c de talens pour la tragédie,
£ƒ placuit ftbi naiura fublinm & acer ;
N.amjpirat Cragkum fatis , & felichcr audet. Hor.
Horace ne laifle pas de fe plaindre que la jeuneffie
Romaine n etoit fenfiblc qu’au vain plaifir de la
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décoration theatrale. L’ame des chevaliers, dit-il,
avoit palTé de leurs oreilles dans leurs yeux ;
ikrurn eqiiitis quoqtie jeun rnigravit ab aure voluptas
Omnis ad incertos oculos , & gaudia vana. Id.
Encore avolt-on beau donner à la pompe du fpe-
aacle toute la magnificence poffible , l’attention des
Komams ne pouvoit être captivée par des fables qui
leur croient étrangères. Le bruit des cabales du peuple
& des chevaliers pour 6c contre la piece , l’imer-
rompoient à chaque inRant. Lesadeurs élevoient la
VOIX, 6c fupplioiem les fpeRateurs de vouloir bien
entendre encore quelque chofe , mais ils n’ètoicnt
point écoutés. Souvent au milieu de la feene la plua
pathétique, on demandoit un combat d’animaux ou
d’athletes.
• .............................Nam quæ pervincire voces
Evaluerefonum , referunt quem nofira theatra.^
Garganum mugire pûtes nemus , aut mare Tufeum :
Tanto cum jhepitu ludi fpeUantur , & aries ,
Divitiesque pesegrimz , quibus oblitus acîor
Cum Jliiu in fun d , concurrit dextera latves ,
Dixit ^ adhuc aliquid. Nil fane, (f nid placet ergo?
.............................Media inter carmïna pnfcnnt
Aut urfu?n ^ aut pugiles................................... Id.
La comédie ne les attachoit guere davantage, pour
peu qu’elle fût férieufe. On fait que VHécyre de T é rence
fut abandonnée pour des danfeurs de corde 6c
pour des gladiateurs. Enfin l’on vit les pantomines
chafler les comédiens de Rome : tant il eR vrai que
chez les Romains le gout de la poéfe dramatique ne
fut qidun goût de fantaifie, de vanité, d’oRentation ,
un goût léger, capricieux, comme font tous les goûts
faêlices , un plaifir auRî peu fenfible qu’il leur étoic
peu naturel.
Les feuls genres de poéfe qui pouvoient naître &
ftevirir dans Rome, comme analogues à fon génie,
étoient \zpoéfie morale ou philofophique , la poifit
paRorale, l’élégie amoureufe 6c la fatyre ; tout le
reRe y fut tran/jjlanté.
Vers la fin du onzième ficelé, on vit la poéfe commencer
en Provence en langage roman , ou romain
corrompu , comme elle avoit fait dans la Grece par
des chants héroïques 6c fatyriques ; enfuite effayer
le dialogue, 6c vouloir même imiter l’aftion. Plu-
fieurs de ces poètes , appelles troubadours , étoient
bons gentilhommes , quelques-uns princes couronnés
; leplus grand nombre ambuians comme Homere,
vivoient à-peu-près comme lui; ils étoient accueillis
dans les petites cours des ducs 6c des comtes de ce
tems-là, quelquefois même favorifés des dames.
Mais c’en étoit affez pour donner lieu à des gentil-
leffes naïves , non pour exciter le génie à s’élever
fans modèle 6c fans guide , ôc à créer un art qui lui
étoit inconnu. Ainfi la poéfe ^ après avoir été vagabonde
6c accueillie çà 6c là durant l’efpace de deux
cens cinquante ans , fans aucun établiRement fixe ,
fans aucun point de ralliement, aucun objet public
d’émulation 6c d’enthoufiafme, aucun théâtre élevé
à^fa gloire, aucune fête, aucun fpeélacle où elle
pût fe fignaler, abandonna fa nouvelle patrie à la
fin du treizième fiscle; 6c en pafi’ant en Italie, où
comniençoient à renaître les arts, elle y porta l’iifage
de la rime 6c les écrits des troubadours, premiers
modèles des Italiens.
Des univerfites fans nombre fondées dans toute
l’Europe, l’étude des langues Grecque ôc Latine mile
en vigueur, les récompenfes des Ibuverains & les
dignités (le l’églife accordées aux hommes célébrés
parleur favoir 6c par leurs talens , plus que tout cela
l’invention de l’imprimerie , annonçoient la renaif-
fancedes lettres en Europe ; 6c quoique les premiers
rayons de cette aurore euffent éclairé la France, ce