156 O P E 0 « Us beaux vers ^ la danje ^ La mujicjue ,
Varc détromper les y e u x p a r les couleurs ,
L \ irt p lus heureux de féd u ir e les coeurs ,
De cent plaijîrs font un pluifir unique.
La danfe ne peut avoir lieu décemment que dans
des têtes ; elle ell donc eUentiellcment exclue de
Xopéra italien, grave tragique d’un bout à l’autre.
Atilfi les ballets qu’on y a introduits dans les entr’actes
l'ont-ils ablblument détachés du liijet, l'ouvent
même d’un genre contraire ; éc ce n’ell alors qu’un
bizarre ornement.
Dans Xopera t'rançcis, les fêtes doivent tenir à
l’aélion comme incidens au moins vrailomblables ;
& il cd difficile, mais non pas iinpolîible, de les y
amener à propos. 11 ell naturel que les plaifirs , les
amours & les graces prélentent en danlant Enée
les armes doiu Vénus lui fait don ; il ell naturel que
les démons formant un complot tunefto au repos du
monde, expriment leur joie par des mouvemensfu-
rieux bc terribles.
Il y a des danl'es de culte, il y en a de réjoiiif-
fance; les unes Ibnt myllérieui'es , les autres font
analogues au.x moeurs. Les fêtes d’une cour 6c
celles d’un hameau n’ont pas le même caraélere.
Il faut diftinguer en général la danfe qui n’eltque
danle, & celle qui peint une adlion. L’une eft flo-
rlÜ'ante lur notre théâtre; mais l’autre, qui peut
avoir lieu quelquefois, n’a pas été allez cultivée ;
Si il exifle eu Europe un homine de génie qui lui
fait exprimer des tableau.v ravilî'ans. f-^oye^ Panto-
iUlMF, S u p p l.
S'il y a des exemples de fêtes ingénieufement
amenées, il y en a bien plus encore de fêtes placées
mal-à-propos. Ce n’ed pas feulement fur la Icene ,
c’cll dans l’atne des aefeurs & des fpeéfateurs qu’il
faut trouver place à des réjoiiilî’ances.
Dans Xopéra de Callirhoé ^ la défolation régné dans
les murs de Callidon :
Une noire fureur iranfporte les efprlts;
Le f i s infortuné s'arme contre le pere ;
Le pire furieux perce le fein du f i s ;
L 'en ja n t e f immolé dans les bras de f a mere.
Or c’eft dans ce moment que les fatyrcs & les
driades viennent célébrer la fête du dieu Pan ; 6c la
reine, pour confulter le dieu liir les malheurs de
fon peuple, attend que l’on ait bien danfé.
Dans l’aéle fuivant, Callirhoé vient d’annoncer
qu’elle cft la viéiime qui doit être immolée. Son
amant au défefpoir, la laill'e, ôc court lui-même à
l’autel ;
Le bûcher brûle ; & m o lj éteins fa famine impie
Dans U fang du cruel qui veut vous immoler. . . ,
J'attaquerai vos dieux, je briferai leur temple y
Dût leur ruine m'accabler.
Dans ce moment les bergers des coteaux voifins
viennent danfer & chanter dans la plaine, & Callirhoé
airilie à leurs jeux. Il ell évident que fi le
fpeêlateur ell dans l’inquiétude Sc la crainte, ces
fêtes doivent l’importuner; & s’il s’en amufe, c’ ell
qu’il n’ell point ému.
Cette difficulté de placer des fêtes vient de ce que
le lilTii de l’aélion efl trop ferré. Il cfl de l’efTence de
la tragédie que l'aêlion n’aît point de relâche, que
tout y infpire la crainte ou la pillé, & que le danger
ou le malheur des perfonnages intéreflans croiH'e
biredouble de feene en feene. Au contraire, il efl
de l’eflence de Xopéra que l’aêlion n’en foit affligeante
ou terrible que par intervalles, que les palfions
qui l’animent aient des momens de calme & de bonheur
, comme on voit dans les jours d’orage des moments
de férénité. U faut leulement prendre foin
que tout fe paffe comme dans la nature, que l’efpüir
O P E fuccede à la crainte , la peine au plaifir, le plaifir
la peine, avec la même facilité que dans le cours des
chofês do la vie.
Quinault n’a prefque pas une fable qu’on ne put
citer pour modèle de cette variété harmonieufe ;
je me borne à l’exemple de Xopéra XXAlcefe : on y
va voir réduite en pratique la théorie que je viens
d’expofer.
Le théâtre s’ouvre par les nôcesd’AIcefle & d’Ad-
mete, & rallégreflê publique régné autour de ces
heureux époux. Lycomede,rol deScyros, défef-
péré de voir Alcefte au pouvoir de fon rival, feint
de leur donner une fête ; il attire Alcefte fur fon
vaiftêau, 6c l’enleve aux yeux d’Admete & d’Al-
cicle. Le trouble & la douleur prennent la place de
la ]oie. Alcide s’embarque avec Admete pour aller
délivrer Alcefte , & punir fou raviflêur. Lycomede
afliégé dans Scyros, réfille Sc refuiê de rendre fa
captive : l’efl'roi régné durant raftaut. Alcide enfin
brile les portes, la ville d l prife, Alcefte ell délivrée,
& la joie reparoît avec elle. Mais à l’inllanc
la douleur lui fuccede : on ramene Admete mortellement
blelTé ; il eft expirant dans les bras d’Al-
celle. Alors Apollon defeend des cieux; il lui annonce
que fl quelqu’un veut fe dévouer à la mort
pour lui, les deftins conlentent qu’il vive, & l’el-
pérance vient fufpcndre la douleur. Cependant nul
ne le préfente pour mourir à la place d’Admete, Sc
l’on voit l’inllant où il va expirer. Tout-à-coup il
paroit environné de fon peuple, qui célébré fon retour
à la vie. Apollon a promis que les arts éleve-
roient un monument à la gloire de la viflime qui fe
feroit immolée pour lui ; ce monument s’élève, Ô£
dans l’image de celle qui s’eft dévouée à la mort,
Admete reconnoît l'a femme : à l’inllant même tout
le palais retentit de ce cri de douleur ; Alcefe ejî
morte! L’allégreflê fe change en deuil, & Admete
lui-même ne peut fouffrir la vie que le ciel lui rend
à ce prix. Mais vient Alcide, qui lui déclare l’amour
qu’il a pour Alcefte , ôc lui propol'c , s’il veut la lui
céder, d’aller forcer l’enfer à la lui rendre. Admete
y confent, pourvu qu’elle v iv e ; & l’elpoir de revoir
Alcefte fufpend les regrets de fa mort. Plulon
touché du courage & de l’amour d’Alclde, lui permet
de ramener Alcefte à la lumière, & ce triomphe
répand la joie dans tous les coeurs. Mais à peine
Admete a-t-il revu fon epoufe, qu’il fe volt obligé
de la céder, & leurs adieux font mêlés de larmes.
Alcefte tend la main à fon libérateur ; Admete veut
s’éloigner, Alcide l’arrête, & refufe le prix qu’il avoit
demandé.
Non , non , vous ne deve'^pas croire
Qu'un vainqueur des tyrans foit tyran à fon touré
Sur l'enfer ,fur la mort f emporte La vicloire ,
IL ne manquoil p lu s à ma gloire
Que de triompher de l'arnour.
A la place d’une fable ainfi variée, prenez l’intrigue
d’une tragédie dont l’intérêt foit continu , pref-
faiit & rapide ; retranchez en tous les dévcloppe-
mens , toutes les gradations , tous les morceaux
d’éloquence poétique & ferrez les fituaîions de maniéré
qu’elles fe fuccedent fans aucun relâche ; alors
vous aurez une fuite de tableaux 6c de Icenes pathe-
thiques ; rien ne languira , je l’avoue , le fpeélateur
fe fentira remué d’un bout à l’autre de l’aêlion, il
aura un plaifir approchant de celui que lui feroit la
tragédie, mais ce plaifir ne fera pas celui de la mufi-
que. 11 entendra des traits d’harmonie épars & mutiles,
des coups d’archets pleins d’énergie, mais il
n’entendra point de chant. Un tel fpeélacle pourra
plaire dans fa nouveauté , mais à la longue il
paroîtra monotone & trifte , & il laifiera defirer le
charme d’un fpeélacle fait pour enivrer tous les fensj'
O P E
II a etc long-tems d’ufage de divifer Xopér.i en
cinq aêles. Les Italiens l’ont réduit à trois : c’eft un
exemple bon à fuivre. Il feroit à fouhaiter qu’.^r-
mide eût un aéle de moins. Le poète l'éduit par Ion
imagination, a trop prefumé des fecours de la imy
fique , de la danfe, de la peinture 6c de la méchani-
qiie , lorfqu’il a fait un aêle des chevaliers Danois.
i f s ne demandoit peut-être guère plus d’étendue
que le nouvel opéra de Pfiché; car la différence des
climats où la malheureufe lo le voit traînée ne
change pas fa fituation. Si Xopéra eft coupé en trois
aêles, que Pun des trois aêles prélente un grand 6c
magnifique tableau, que chacun des deux autres foit
orné d’une fête, l’intérêt de l’aêUon ne fera fufpendu
que deux fois par la danfe ; on y employera les ta-
Icns d’élite , les reffources de Part ne s’y épuiferont
pas , 6c le public applaudira lui-même au loin qu’on
prendra d’économil'er fes plaifirs. Le raffafier de ce
qu’il aime , ce n’eft pas voidoirPamufer long-tems.
Les décorations de Xopéra font une partie effen-
tielle des plaifirs de la vue; & Pon fent combien
les fujets pris dans le merveilleux font plus favorables
au décorateur 6c au machinifte que les fujets pris
de Philtoire, Le changement de lieu que les poètes
Italiens fe font permis non-feulemenr d’un aétc à
l’autre, mais de Icene en feene & à tout propos,
occafionne des décorations oîi Parchiteêlurc, la peinture
6c la perfpeêlive peuvent éclater avec magnificence
; & la grandeiîr des théâtres d’Italie donne
un champ libre 6c vafte au génie des décorateurs.
Mais des fujets oii tout s’exécute naturellement, ne
fontguerefufceptibles du merveilleux des machines ;
& le paffage d’un lieu à un autre, réduit à la polPibi-
lité phyfique, rétrécit le cercle des décorations.
Dans un poème, quel qu’il foit, fi les evénemens
font conduits par des moyens naturels, le lieu ne
peut changer que par ces moyens meme. Or dans
la nature , le tems , Pefpace & la vîteffe ont des rapports
immuables. Ün peut donner quelque chofe à
la vîteflê ; on peut auftî étendre un peu le tems
fiélif au-delà du réel; mais à cela près le changement
de lieu n’eft permis qu’autant qu’il eft polfi-
ble dans les intervalles donnés. Le poeme épique a
la liberté de franchir l’efpace , parce qu’il a celle de
franchir la duree. Il n’en eft pas de même du poème
dramatique : le tems lui melure l’ efpace , & la nature
le mouvement. Un char, un vaiffeau peut aller
un peu plus ou un peu moins vite; le tems fiétif qu’on
lui donne , peut être un peu plus ou un peu moins
long ; mais cela fe borne à peu de chofe. Ainfi, par
exemple, fi le premier aéle du Régulus de Métallafe
fe paffoità Carthage 6c le fécond à Rome, ce poème
auroit beau être lyrique , cette licence choqueroit
le bon fens.
Mais dans un fpeélacle où le merveilleux régné ,
il y a deux moyens de changer de lieu qui ne font pas
dans la nature. Le premier ell un changement pallif :
c’cll le lieu même qui fe transforme , non par un
accident naturel, comme lorfqu’un palais s’embrâfe
ou qu’un temple s’écroule, mais par un pouvoir fur-
naturel, comme lorfqu’à la place du palais 6c des
jardins d’Armide, paroiffenttout-à-coup un délêrt,
des torrens, des précipices, voilà ce qui ne peut
s’opérer fans le fecours du merveilleux. Le fécond
changement eft aêlif, 6c c’ell dans la vîteflê du paf-
lage qvi’eft le prodige. Ün ne demande pas quel tems
le char de Cybelleemploie à paffer de Sicile en Phry-
p e , & de Phrygic en Sicile ; ni s’il ell poftible que
les dragons d’Armide traverl'ent en un inllant les airs.
Leur viteffe n’a d’autre regie que la penfée qui les
fuit.
Quinault, en formant le projet de réunir tous les
moyens d enchanter les yeux 6c l’orcille, fentit donc
bien qu’il devoit prendre fes fujets dans le lyllcme
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de la fable , ou dans celui de la magie. Par-là il r
dit l'on théâtre fécond en prodiges; il le facilita le paf-
fage de la terre aux deux 6c des deux aux enfers ;
le lüiimit la nature 6c la fiélion ; ouvrit à la tragédie
la cariicrede l’épopée, & réunit les avantages de
1 un 6c de l’autre poème eiuin feul.
Je ne dis pas que le poème lyrique ait toute la
liberté de 1 epopée ; il eft gêné par l’imité du tems.
Mais tout ce qui dans le tems donné lêpallcroit avec
vrmlemblance Iclon Icfyftcmc du merveilleux, fe
paffe en achon lur le théâtre. Du relie , pour juger
du genre qu’a pris notre poète, il ne faut pas lê
borriei à ce qu il a lait : aucun des arts qui dévoient
le leconder, n’etoit au même degré que le fieii • il a .
été obligé de remplir fouverit avec de froids epifo-
des, un tems qu’il eCtt mieux employé , s’il avoù eu
plus de fecours. il ne faut pas même le juger tel que
nous le voyons au théâtre ; 6c fans parler de la mu-
liq iie ,il ferait ridicule de borner Pidee qu’on doit
avoir du fpeélacle de Pe/fée 6c de Pkaëton, à ce
qu’on peut exécuter dans un efpace auHi étroit , 6c.
avec auiTi peu de moyens. Mais qu’on fuppofe la
mufique, la danfe, la décoration , les machines, le
talent des aéleurs, foit pour le chant, l'oit pour l’a-
élion, au même degré que la partie eftêntielle des
poemes d Atis, de Thejée 6c XXArmide, on aura l’idée
de ce fpeélacle tel que je le conçois , 6c tel qu’il
doit être pour remplir l’idée que Quinault lui-même
en avoit conçue.
Depuis ce poète , on afuivi fes traces ; 6c le poème
àtJephtéy celui de D ard anu scq\\.\\ même d’ /j/é,
quoique palloral, peuvent être cites après les fiens ;
mais à une grande diftance ; je ne vois que Caflor &
Pollux qui fe foutienne par la richelTe, à côté des
poèmes de Quinault.
On a imagine depuis un genre XXopéra plus facile,
& qui plaît fur-tout par l'a variété : ce font des aéles
détachés 6c réunis lous un titre commun. La Motte
en a été 1 inventeur. L’£«ro/7ega/arirc en fut l’effai,
6c mérita d’en être le modèle. L’avantage de ces
petits poèmes lyriques, ell de n’exiger qu’une aélion
très-fimple, qui donne un tableau, qui amené une
fête , & qui par le peu d'efpace qu’elle occupe, permet
de raffembler dans un même fpeélacle trois
opéras de genre différens. L’aéle de Coronisy celui de
Pigmalion , celui de Zélindor , font remarquables
dans ce genre. On peut citer auffl comme modèles
l’aéle de la vue dans le ballet des Sens, 6c prel'quc
tout le ballet des Elémens. Le choix des fujets ,
dans ces petits opéras, fe décide par les memes qualités
que dans les grands: des tableaux, des lên-
timens , des images. C ’ell-Ià que feroient infou-
tenables les détails qui ne font pas faits pour le
chant. Les epifodes fur-tout n’y doivent jamais avoir
lieu. Ce poeme , à raifon du peu d’elpace qu’il
occupe, exige moins de diveifité dans les incidens
& dans les peintures ; mais le plus petit tableau doit
avoir un certain mélange d’ombre & de lumière ;
rintrigue la plusfimplea fes gradations; les details
meme ont des nuances qui les font valoir l’un par
l’autre ; 6c en petit comme en grand , il faut concilier
pour j>lalre , l’enlemble 6c la variété.
L'opéra ne s’eft pas borné aux fujets tragiques 8c
merveilleux. La galanterie noble, la paftorale, la
bergerie , le comique , le boufon meme , l'ont embellis
par la mufique, 6c chacun de ces genres a fes
agrémens. Mais l’on fent bien qu’ils ne font faits que
pour occuper un inftant la feene. Les plus animés
l'ont les plus favorables ; le comique fur-tout par fes
mouvemens, fes faillies , fes traits na'ifs , fes peintures
vivantes, donne à la mufique un jeu & un effor
que les Italiens nous ont fait connoître , 6c dont
avant la Serva Padrona l’on ne fe doutoit point en
France, Mais les arts connoiffent ils la différence des
H, r i