m : ■ ■ '. .. [x;
f ' ' 1 ï l'il
j!l '1
l
.J ; ; î^ l1|:
f l . . ■i ' f |j
■■] Pi
! f
. ^
1' I
^ M 1
Î ' j , 4 1 h
ta ti:.' '1.
liî
; D
■ <
31 ' l':r; 'jh;, ^
; J 1
' a ' Il
Ml ii'
..IW
440 P O E dans un terns oiila malignité n’étant pas encore rafl*
née , l’amour-propre n’a pas encore pris toutes fes
précautions, chacun le tient moins fur fes gardes,
le poète comique trouve par-tout le ridicule à
découvert.
Or du tems de Molière les moeurs avoient encore
cette naïveté imprudente: les états n’éioient pas
confondus , mais ils lendoient à l’être ; c’étoit le
moment des prétentions mal-adroites, des imitations
gauches , des méprifes de la vanité , des duperies de
la lottile , désaffectations ridicules, de toutes les
bévues enfin oii l’amour-propre peut donner.
Une éducation plus cultivée , le lavoir-vi\'re (|ui
eft devenu notre plus lérieuie étude, l’attention fi
recommandée à ne bleffer, ni l’opinion, ni les ufa-
ges , la biculcance des debors, qui du grand monde
a pailé jufqu’au peuple ; les leçons meme que Molière
a données, foit pour laifir & relever les ridicules
d’autrui, foit pour mieux déguifer les fiens, ont
mis la comédie comme en défaut; 6c preique tout
ce qui lui relteroit à peindre lui elt féverement 111-
lerdit.
On permet de donner au théâtre chaque état les
v ice s , les travers, les ridicules qui ne font jias les
fiens ; mais ceux qui lui font propres, on lui en
épargne la peinture , parce qu’ils forment l’ciprit du
corps, 6c qu’un corps elt trop refpeélable pour être
peint au naturel. 11 n’y a que les couriiians & les
procureurs qui fe l'oient livrés de bonne grace &
qu’on n’ait point ménagés. Les médecins eux-memes
feroient peut-être moins patiens aiqourd'hui que du
tems de Moliere ; mais fur leur compte il a tout dit.
Si l’on demande pourquoi nous n’avons plus de
comédie, on peut donc répondre à tous les états,
c’eft que vous ne voulez plus être peints. Si on nous
préfente les moeurs du bas peuple, qui efUe feul qui
le laiffe peindre , le tableau cil de mauvais goût ; 6i
fl l’on prend fes modèles dans une claffe plus élevée ,
cela reffemble trop , rallufion s’en mêle; & il n’eft
point d’état un peu conlîdcrable qui n’air le crédit
d’empêcher qu’on fe moque de lui : chacun veut pouvoir
être tranquillement ridicule &C impunément
vicieux. Cela eft commode pour la fociéié,mais
très-incommode pour le théâtre.
La décence eft une autre gêne pour les poètes
comiques. Une mere veut pouvoir mener fa fille au
fpeftade fans avoir à rougir pour elle fi elle eft innocente
, & fans la voir rougir ft elle ne l’cft pas.
O r , comment expofer à leurs yeux fur la feene les
vices les plus à la mode , & qui donneroient le plus
de jeu à l’intrigue 6c au ridicule }
Des vices condamnés parles loix font cenfés réprimés
par elles ; les citer au théâtre comme impunis
6c les peindre comme plaifans, c’eft en même
tems acculer les loix 6c infulter aux moeurs publiques.
L’adiiliere ne feroit pas affez châtié par le mépris
, ni le libertinage 6c fes honteux effets alfez puni
parle ridicule. Voilà pourquoi on défend à la comédie
d’inftruire inutilement l’innocence 6c d’effaroucher
la pudeur.
En général , 1e caraftere du françoîs, adlif, foiiple,
adroit, lulceptible de vanité 6c d’émulation , que la
concurrence aiguillonne dans une ville comme Paris,
ce génie peu inventif, mais qui s’applique fans relâche
à tout perleftionner, a été la caul'e conftante
des progrès de dans un climat qui nefembloit
pas fait pour elle ; 6c plus elle a eu de difficultés à
vaincre, plus elle mérite de gloire à ceux qui à
travers tant d’obftacles, l’ont élevée à un ft haut
point de fplendeur.
D ’après l’elquilTe que je viens de donner de Phi-
ftoire naturelle de la poefu , on doit fentir combien
on a été injufte en comparant les fiecles 6c leurs pro-
P O E
diifEons, & en jugeant ainfi les hommes. Voulez-
vous apprécier Pinduftrie de deux cultivateurs ? ne
comparez pas feulement les moilfons, mais penftz
au terrem qui les a produites 6c au climat dont
l’influence l’a rendu plus ou moins fécond.
( M. A I^ r m o x t e l . )
Poésie , de La parole^ II eft un art de donner
aux idées 6c aux Icntimens, par le moyen de la parole,
le degré de force le plus convenable aux im-
preftions que l’on veut produire. Cet art eft com-
nnin au poète 6c à l’orateur ; iis s’occupent l’un ÔC
l’autre de la reprefentation des idées 6c des fenii-
mens par le diieours; mais la façon particulière dont
ils tendent à leur bu t, conftitue la différence entre
le poète & l’orateur. L'orateur traite Ion fujet en
homme qui fe polfede , qui confidere , juge 6c fenc
ce qui fe préiénte à lui ; le poète eft affedé plus vivement
par fon o bjet, 11 eft même tellement cn-
iraîné , qu’il tombe dans l’enthouftafme , dans l’ex-
tale , dans des vilions où fon imagination déploie
toutes fes forces. Delà vient qu’il voit les chofes
tout autrement que le refte des hommes ; le paft'é
6c l'avenir lui font préfens ; il parle de ce que fon
imagination lui offre , comme s’il l’appercevoit par
les lens ; la moindreoccaftonexcite dans fon cerveau
une foule d’idées accciloires qui font fur lui des im-
preftlons tout aufti vives que celles qui appartiennent
au lujet principal. Le langage du poète eft par
conféquent plus fenfible ÔC plus abondant que tout
autre ; il mêle aux chofes réelles dont il parle,
quantité de chofes imaginaires , auxquelles il fait
donner l'apparence de la réalité ; il régné moins de
liaifon entre fes idées qu’entre celles de l’orateur.
Cela fait que les matières font traitées d’une maniéré
fort différente , relativement à la forte d’impreftîon
qu’elles font fur l’orateur 6c fur le poète; 6c il en
refaite aulft naturellement une grande différence dans
leurs exprelTions. Le ton d’un orateur, quelque ex-
preftlf, véhément ou pathétique qu’il puiffe être,
eft toujours le ton d’un homme qui fait ce qu’il dit
6c à qui il parle ; au lieu que le ton du poète eft
toujours, lors môme qu’il paroît dans la fituationla
plus calme , marque au coin de l’enthoufiafme : il
compte 6c mefure les mots qu’il emploie , il s’éloigne
du langage ordinaire par une harmonie mufi-
cale qui lui eft propre : en un mot, c’eft le ton d’un
homme qui, étant affefté parfon fujet d’une maniéré
extraordinaire , en parle auffi extraordinairement,
& dont les paroles , lors même que ce font des termes
ordinaires , expriment l’empreinte des mouve-
mens qui fe paffeni au fond de fon ame. L’expref-
fion de l’orateur diffère auffi très-confidcrableinent
de celle du poète. Le premier emprunte ce qu’il dit,
du langage ordinaire des hommes ; il y trouve des
phrafes 6c des tours qui lui fuffifent ; mais il faut au
jjoète des figures 6c des tranfpofttlons inaccoutumées
, des métaphores hardies , des images qui
peignent ce qui n’exifte que dans l’imagination , 6c
qui aflbcient des chofes que la nature n’a jamais
prefentees que féparces.
Après ce qu’on vient de dire, il eft manifefte que
le clifcoursdu poète & celui de l’orateur, doivent
différer entièrement, tant dans la matière que dans
la forme ; auffi l’art de parler fe divife-t-il en deux
branches principales , qui font l’éloquence 6c la
poéfie.
C ’eft dans le génie du poète qu’il faut chercher
le fond de l’art poétique, 6c fes diverfes productions
, ou les clalfes de différentes naiffent,
foit de l’efpece particulière du génie du poète , foie
de la diverfitc desoccafions. Nous parlerons de la
première de ces chofes dans [’ariicle POETE, &nous
avons parlé de l’autre dans l'anicLe Po eme, Suppl.
ainft nous allons nous borner à des conftdérations
eénérates
P O E
générales fur la poefu confidérée comme un art, fur
fon application 6c fur fon efficace.
L ’objet de lapoéfe , ou la matière qu’elle traite ,
eft toute repréfentation de l’ame aft'ez claire pour
être exprimée par le difeours, & aft'ez intéreftante
pour faire des impreffions vives fur l’efprit des
hommes. Cette matière paroît avoir une plus grande
étendue que celle de l’éloquence. Celle-ci eft obligée
de tirer l’intérêt du fujet môme; au lieu que le
poète , par la chaleur du fentiment, par la vivacité
de l’imagination & par le point de vue particulier
oïl il l'ait placer fon fujet, trouve le moyen de rendre
intérelTante la chofe qui paroiffoit la moins propre
à le devenir. Le chant d’un roffignol, ou môme
celui d'un infeéle (témoin l’ode d'Anacréon fur la
cigale ) , peut l’affeéfer tellement, échauffer fon imagination
& fon coeurà un tel degré, qu’il le laiffe
emporter aux plus douces illufions , qu’il s’occupe
délicieufement de la contemplation de fon objet,
tel que l’imagination le lui prefente , 6c qu’ayant
i’art d’exprimer ce qu’il fent par des vers touchans
& harmonieux , il communique à d’autres les len-
fations qu’il éprouve ,& lesmet dans la meme fitua-
tionquelui. C ’eft ainft que le poète affifté par fon
g énie, vient à bout de tirer parti d’un lujet auquel
l’orateur n’oferoit toucher , de le rendre agréable ÔC
abondant: 6c pour ceux qui font tels par eux-mêmes
, il les éleve à un beaucoup plus grand degré
de richeft'e 6c de force, en leur appropriant fes propres
idées, fes imaginations 6c fes feniimens. Il
lêmble qu’il n’y ait rien de ft petit que hpoéfene
pullTe rendre intérelfant, 6c rien de ft grand qu’elle
ne puiffe encore aggrandir. Car,à proprement parler,
le poète ne préfente pas fon objet tel qu’il exifte
dans l’univers , mais comme fon génie fécond le lui
préfente, avec les ornemens que fa belle imagination
y fait joindre, 6c avec tout ce que fon coeur
fenftble y découvre de touchant. Il nous fait plutôt
voir les feenes qui fe palfent au dedans de Inique
celles delà nature. Ainft , pourvu que la tête 6c le
coeur d’un poète foient d’un ordre fuperieur ,1e plus
petit fujet peut lui fournir la matière d’un bel ouvrage
; mais fon choix dépendra toujours de fon
caraâere perfonnel : l’iin prendra un fujet important
& férieux ; l’autre un fujet léger 6c amufant ;
celui-ci préférera le trifte 6c celui-là l’enjoué. Mais ,
en faifant ce choix, fi la prudence 6c la réflexion le
guident , il obfervera d’une maniéré fort clrconf-
pede qui font ceux qui écouteront fes chants. C’en
eft allez que fon imagination ou fon coeur fe trouvent
dans quelque fituation extraordinaire , pour
qu’il aille auffitôt fe placer fur le trépied d’Apollon,
6c s’annoncer à l’univers: fon propre honneur,
auffi bien que ce qu’il doit à la fociété au milieu de
laquelle il v it, règlent fon choix, 6c delà dépendent
laconfidération & la reconnoiftance qu’il s’attire
de la part de fes contemporains & de la pofté-
rité la plus reculée.
Tels font les effets de la poé/ze furie poète. Elle
n’en produit pas de moins coniidérables fur l’efprit
des hommes qui prêtent au poète une oreille attentive
6c fenftble. Si, luivant une ancienne 6c folide
remarque , ce qui part du coeur , va au coeur , le
poète eft maître du coeur des hommes. Non-feulement
les idées 6c les images qu’il emploie portent
l’empreinte d’un coeur fenftble; mais l’expreffion & le
ton de tout ce qu’il dit, le confirment 6c en tranfmet-
tent l’impreffion immédiate. La profondeur imper-
fcrutable du coeur humain , fe montre encore en ce
que fouvent des reprefentations qui fe font très-
fouvent offertes à nous fans produire aucun effet,
acquièrent-, lorfqu’elles .font reproduites, ou ftm-
plement par quelque heureufe application , ou même
par le feul tondes paroles, la force de s’em-
Tome
P O E 4 4 1
parer de notre ame toute entière. Des chanfonsoîi
l’on ne trouve que ce que l’on a déjà penfé ou
éprouvé mille fois fans en être éniu , ne déploient
tout-à-coup une force fi étonnante , que parce
qu’elles attrappent un ton qui ébranle, pour ainft
dire, toutes les cordes de î’ame. Il n’y a aucune
théorie, aucun art , qui puifl'ent nous mettre en
état de donner à des idées quelconques toutel’effi-
cace que nous voudrions qu’elles euffient dans chaque
cas particulier. Maisle poète dont le coeur profondément
fenftble eft pénétré d’un objet, manifefte
fon état intérieur d’une maniéré qui excite en nous
les mêmes fentimens. Entraîné lui-même par une
force irréfiftible , il nous met dans le cas d’en partager
l’effet, Réfifte-t-il avec conftance aux coups
du fort le plus rigoureux , nous nous trouvons en
état de l’imiter. L’amour de la droiture 6c de lajuf-
tice embrâfe-t-ilfon coeur, nous fentons les ardeurs
d e là même flamme. Attend-il la mort avec une
douce allegreflê, nous perdons l’amour de la vie.
Ainfi la poéfie eft un relTort univerfel, toujours capable
de mettre l’ame en mouvement, & d’agir fur
le coeur humain avec une force pareille à celle
qu’on attribue aux enchantemens. Cette mcrveil-^
leufe efficace , elle ne la doit , ni aux fineft'es de
Part, ni aux fubtilités de la critique , c’eft à la fen-
fibüité du poète , 6c au ton naturel mais v if de cette
fenftbüté , c’eft à la maniéré vraie dont il l’exprime,
qu’elle eft due ; c’eft la nature , c’ eft le génie qui
font tout. Parmi les poètes, il femble en effet que
lesplus grandsfoient ceux que la nature a formés
avant que l’art ait pu venir au fecours du génie.
« hzpoèfi populaire 6c purement naturelle , dit
» Montaigne , a des naïvetés & des graces , paroii
» elle fe compare à la principale beauté de la pnéfe
» parfaite felon l’art : comme il fe voit èsvillaneiles
M de Gafeogne 6c aux chanfons qu’on nous rap-
» porte des nations qui n’ont cognoiffance d’aucune
» fcience, ni même d’écriture ». Montaigne , EJJaîs,
L. I . c. ^4.
Un art auffi important mérite d’être dans la
liaifon la plus étroite avec la religion 6c la politique,
La nature humaine eft capable de grandes choies ,
quoique l ’homme en faffe rarement de telles. La
pojfie guidée par la religion & la faine politique ,
peut développer 6c rendre efficace ce principe de
grandeur qu’elle renferme. Si, fuivant l’opinion d’un
des plus grands phllofophes (Ariftot. Ethic. LI. c. 2.),
tous les arts doivent être alfujettis aux principes
6c aux préceptes de la politique ; la poife^ avec
fa foeur l’éloquence, qui font des arts de lapins
haute importance, méritent toute l’attention des
légiftateurs. C’eft auffi ce qui avoir lieu dans les
anciens tems qui ont précédé cette faulTe politique
dont runique but eft d’accommoder Ôc de rapporter
la léglftation à l’avantage des fouverains. Les rois
de Juda avoient à leur cour des prophètes qui étoient
à proprement parler, des poètes nationaux; 6c
plufieurs autres rois ou légiftateurs ont été eux-
mêmes poètes , ou ont protégé des poètes utiles
aux vues de la politique. On fait quel eft le rang
diftingué que les bardes ont tenu chez les anciens
peuples Celtes. Mais aujourd’hui on travaille plutôt
à l’encouragement des arts qui font propres à J’ac-
croilTement du pouvoir des princes & de la riebelîe
des Etats. L’art divin de fléchir à fon gré l’elprit
des hommes , d’y faire naître les idées, 6c d’exciter
dans leur coeur les fentimens les plus propres à donner
à l’ame fa véritable force 6c fa fanté , cet art
tombe entièrement en décadence.
L’origine de la poéfîe doit être immédiatement
cherchée dans la nature de l’homme. Tout peuple
qui a penfé à cultiver fon entendement & à épurer
fes fentimens, a eu fes poètes, qui n’ont eu d’autre
K k k
\ il
iiï