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propi cs ;i faire comprendre comment une penfee,
une image , rcxprcffion d'im fentiment peuvent le
traiibt'ormeron odes. Horace , 1c plus comm ties poètes
lyriques, nous fournira ces exemples.
La oiuicme ode du premier livre fc rccliilt toute
entière cette propülîtlon : I l vaut m ieu x jo u ir du
prêjenr que d e s 'in q u ià e r de L'avenir. Pour en taire une
o d e , le poète parle d'un ton palfionnè à Lcuconoc ;
il ajipliquc cette conlideration générale à la lituation
particulière de cette belle ; il s’exprime avec chaleur
& letnble y prendre l’intérêt le [)ius vit ; enfin il couvre
tour Cela de l’éclat des [dus belles couleurs poé-
riques. La dixième du lecond livre préfentc ces
oblervations tout-;'l-fait communes , que le fa g e ne f e
lu ijj'i n i éblouir p .ir l.i proj'pcrité , ni abattre p ar L'ad-
v à jû c : mais llir ce tond régné le vernis le plus brillant
&: le plus poétique. Le poète s’adrclfe ù un ami
h qui il inculque cette dotlriuc du ton le plus anime
& le plus preluint. D'abord i! l'enveloppe dans une
courte allégorie fort pittorefque ,
Reeîius v iw s , L i a n i , neque altum
Semper urguendo ; neque diun procellas
Cautus ho’ rcj'eis , nimiuni premendo
Litrus iniqiium.
Il exalte enluite du ton le plus pafTionnc une vie
que la modération rend heureufe ; de il ne lui faut
pour cela que deux ou trois traits , mais qui loot de
main de maître,
Aurcam quifqiiis mcdiocriraiern
DiH'^it , tutus caret obJoLc'i
Sordibus tecli.t caret invidenda
Sobrius ailla.
Ces doux ftrophes fiiffiroîent déjà pour faire une ode.
Mais le poète a la convicHon de Ton ami trop à coeur
pour s'arrêter. Il continue donc à décrire les fouets
qui accompagnent la grandeur les dangers qui la
menacent : ce qu’il reprefente par ces deux tableaux
allégoriques,
Soepius vernis agitatur ingens
F in n s : 6^ cclfie graviore caj'u
D e c ld um tu rns : ferinmq ue fummos
Fulgura montes.
Il inflruit par-l;\ fon ami de l’obligation oîi elî le fage
de fe fouvenir de l’inceititade du fort, des variations
duquel la nature nous offre ces images. D'oîi il conclut
que celui qui fouffre actuellement, peutefpérer
des teins plus heureux.
— N o n f l male r.unc , & oLi/n
S ic cric.
Enfin par l’Image gracieufe d’Apollon , qui ne
tient pas toujours fon arc bandé , mais s’amufe quelquefois
à faire réfonner fa lyre , il montre que le
fage n’ell pas toujours livre à des occupations importantes
& pénibles ; 6c il en revient finalement d
l'exhortation d’avoir du courage dans les revers, &
de la prudence dans les fucccs : ce qui fait encore
le lujctd’une courte, mais excellente allégorie.
Rébus angujîis .animofus , atquc
F o rtis appare : fapienter idem
Contrahes vento nirnium fea in d o
Turgida vela.
On voit pleinement dans cet expofé, comment
des idées fort communes peuvent fournir au génie
du poète une ode.
Il faut lire la cinquième ode du premier livre pour
comprendre comment une fimple réprimande que
le pocte fait a une perfonne du fexe fur fon incon-
ilance , devient une très-belle otfe. Horace vouloit
iiniquemeiii dire ; T u es une inçonjîa n te , a u x pièges
O D E (le laquelle je r : me la ife ra i p lu s prendre. L’application
cju’il tait de cette peiilce 6c rextrème vivacité de
rexprelfion en font une ode. « Que viens-tu de cap-
» tiver , Pyrrha ? — Ah ! le malheureux ne fait pas
» coinbicii tu es prête à lui devenir infidcHe. Pour
» m o i] ’ai rompu tes liens, & comme réchappé d’un
» naufrage j’ai iufpendu dans le temple de Neptune
» mes habits encore mouillés en témoignage de ma
» recoiinoiffance ».
Ces exemples montrent comment des idées très-
ordinaires préfentees par une forte paflion 6c revêtues
d’images \dves fe changent en odes. Si quelqu’un
difoit ; a Depuis que Sybaris aime Lydie , il hait le
» grand air é c les exercices du corps ; tel étoit le fils
» deThetis, caché, 6v. » on ne fauroit fi c’eff une
epigramme fatyrique, ou la fimple defcripiion des
bizarres effets de l’amour confulérés d’un oeil philofo-
phiqiie. Mais quand cette confulération infpirc à un
poète de génie, de la paffion 6c du fentiment v i f ;
quand il s’écrie: « Par tous les dieux, ô Lydie, pour-
» quoi prccipltes-tu Sybaris dans l ’abyme de l’in-
>.' fortune ? Pourquoi hait-il le grand air, & c .» } Alors
il prend le fond de \'odc Sc le fondent.
La (impie defeription d’un objet peut devenir une
o d e , quand une vraie paffion & une forte verve s’y
mêlent. C ’ell ainfi que l’o<^<; à Tyndaris n’eff autre
chofe que la peinture, mais tracée avec beaucoup
de pafîion, des agrémens du bien de campagne d’Horace
, qu’il voLidroit partager avec fon bien-aime.
C ’ellainfi encore que des deferiptions poétiques 6c
pleines d’images de l’état Intérieur où la paffion met
quelqu’un , peuvent naître les odes les plus agréables
, les plus tendres, les plus animées, les plus
fubiimes.
En voilà fuffifammcni pour donner de jiiftes notions
de la nature 6c des divers caraéleres de Vode.
Mais il ne faut pas oublier de remarquer ic i , qu’il
exifte des poètes qui quelquefois par art & par contrainte
, ou bienparplaifir, montent leur génie fur
le ton de Vode , 6c entreprennent d’exprimer avec
toutes les apparences de là palïîon & dans une verve
teinte ce qu’ils ne fentent nullement. Mais alors il
arrive aifément que ce qu’ils difent ne s’accorde pas
auffi-bicn avec le ton qu’ils prennent que lorfque le,
fentiment eff réel. Horace même n’a pas pu toujours
deguifer la contrainte : fon oti'é à A grippa,/./, ode 6',
où il parle de fon incapacité , n’eff affurément pas
ferieufe : onfent qu’il ne dit pas ce qu’il penfe. On ne
doitpas s’attendre à trouver dans de femblables odes
la v ie , c’eff-à-diro la chaleur d’imagination 6c de
fentiment qu’ont les odes diûces par une véritable
infpiratlon. Mais comme c’eff la grande propiiétc du
génie poétique de s’embrâfcr facilement, l’art ou
Limitation peuvent approcher quelquefois beaucoup
de la nature,
V o d e effunedes pocfics qui ont le plus de force
6c qui produifent les plus grands effets. Le fentiment
6c la verve font des fiiuarions véritablement conta-
gieufes; 8c ils dominent dans Vode, ce qui la met en
état de pénétrer, de ravir. On a dit des premiers
poètes lyriques, qu’ils ont adouci 6c apprivoife les
hommes encore à clemi-fauvages ; 6cque, bien qu’ils
n’eulTent aucune autorité fur eux , ils les ont entraînés
par la douce violence de leurs chants. V o d e .,
avec le cantique qui en eff une efpece particulière,
l ’emporte fur la plupart des autres ouvrages des
beaux-arts , en ce que fa force fe fait fentir même
aux hommes brutes, au lieu que l’éloquence, la peinture
, 6c généralement tous les arts nés d’un goût
plus épuré , font beaucoup moins populaires.
Il femble à la vérité que Vode fublime s’éloigne
beaucoup du caraétere qui pourroit la rendre capable
d’agir fur la multitude, puifqu’il y a plufieurs
pfeaumes, plufieurs odes de Pindare 6c d’Horace,
O D E dont les plus habiles connoiffeurs ont de la peine à
faifir le fens. Mais nous devons réfléchir que, placés
à une fi grande diffance du tems où ces poélies ont
cto coinpofees , ayant une connoiffance auffi imparfaite
des langues anciennes 6c de tant de chofes au
fait defquelics les poètes étoieni lorfqu’iis ccri-
voien t, nous trouvons parfaitement obfcur aujourd’hui
, ce qui étoit de la derniere clarté pour ceux à
qui les odes des anciens ont été deffuiées. Enfuite ,
il faut auffi mettre une différence entre les odes qui
ont été faites pour des occafions folemnclles 6c pour
un peuple entier , 6c celles qui ne concernent que
quelque partie d’une nation , ou même quelques individus
qui les ont occafionnées 6c y ctoient dircéle-
ment inréreffés. Dans les premières de ces ode s, il y
a effentiellenient une popularité qui les rend intelligibles
; dans les autres, on n’eft au fait qu’autant
qu’on peut s'inffruire de certaines circonftances particulières
de la plupart dcfquelles le tems a détruit
tout velHge.
Mais, de quelque nature que foit une o d e , dès
qu’elle a pour auteur un poète qui tient fa vocation
de la nature même, 6c qui La compofée dans le feu
de l'imagination ou dans la plénitude du fentiment
elle a toujours de l’importance : elle ne fauroit manquer
d’être alors un véritable tableau de la fituation
cl efptit üîi le poète s’eff trouve dans quelque occa-
fion intéreffantc. Cela nous met en état de juger
certainement de l’effet que certaines circonffanccs
remarquables font propres à produire fur des hommes
doués d’un génie diffinguc. Nous apprenons
ainfi à connoître la marche merveilleufe , 6c chaque
application rare des pallions 6c des autres mouve-
mens de l’efprit humain , aufii-bicrv que les effets
iTiuhiphcs, varies, 6c en partie très-extraordinaires
de l’imagination. Cela nous détourne de notre maniéré
accoutumée de juger 6c de fentir , par rapport
aux objets des moeurs & des paffions ; nous devenons
capables de les confidérer fous d’autres points
de vue moins ordinaires. Bien des vérités , qui fans
cela ne nous auroient guere touchés, pénètrent
pour ainfi dire, à la faveur de Vode, lorlqu’elles font
mifes dans un jour lumineux 6c fortifiées par le fen-
liment; elles acquièrent une for^ce toute particulière
qui les fait arriver jufqu’au fond le plus intérieur de
Lame. Bien des objets qui n’auroient été que médiocrement
attrayans pour nous , nous frappent, 6c
tracent au-dedans de nous une empreinte ineffaçab
le , par la vivacité des peintures qu’en fait le poète
lyrique. Bien des fentiinens qui ne nous ctoient encore
que foiblement connus , reçoivent de Vode une
aftivite 6c une efficace qui nous afièéfent puiffam-
ment. Ainfi la poélie lyrique lert en général à donner
à chaque faculté de Lame , un nouvel eilor 6c de
nouvelles forces, qui étendent la fphere de notre
jugement 6c fortifient notre fenlibilité ; 6c c’eff ce
que les effcéflient en plufieurs maniérés difTé-
renies. Ce genre de poème peur donc à bon droit
occuper le premier rang parmi les diverfes produc-
iions^de la poéfie ; 6c l’abondance des bonnes odes
doit être comptée parmi les richdfes les plus pré-
cieufes d’une nation.
Les odes les plus anciennes 6c en même tems les
plus excellentes des anciens peuples , font fans
conneJit celles des Hébreux , dont nous ne faifons
mention ici que pour renvoyer le ledfeur aux diff'er-
tations infiniment effimablcs qu’a publiées fur ce
lujet le céjebre Robert Lowth, de f ie r a poefiHebrao-
fumproeleclioncs acadcmica , (avant qui réunit la pro-
tondeur des connoiff'anccs à la délicateffe du goût.
-es Ciecs poffédoient un grand trclor de poéfies
yiiques, auffi-bien que deious les ouvrages de eoùt
autres efpeces; mais la meilleure partie s'eff per-
ue. Les anciens ont nommé avec éloge neuf princi-
Io n ie IN . ^
O D E 99 pailx potites lyriques Grecs; favolr, A k é c . Sappho
Stjfico rc , H n cm . B a c c h y li.k s , Simon,Je , A km a n \
Anacreon & kin J are . Il ne nous relie qu’un pelit
nombre de Iragmcns des o ,k s des fept premiers Les
recueilscle celles d’Anacréon & de Pindare loin alTez
conliderables, quoique le teins en ait plus détruit
que conlervé. Mais les fiijets des orfo de Pindare qui
e.ultenr, n ont rien d'intérellant pour nous le poète
n y chamani que dos athletes qui avoient remporté
le prix dans les divers jeux de la Grece. On peut
aiilii mettre en ligne de compte les poètes tragiques
Grecs; car dans chaque tragédie, les chants des
choeurs ne font autre chofe que des odes fur le ton le
plus fublime. Ils l emportent même fur toutes les
autres 6>f/w, en ce que les efprits font déjà préparés
au imeux parccqui s’eff paffé fur la fcenc, 6c reçoivent
amfi Limpreffion dans toute fa force. Les’rc-
thcrches les plus cxaâes n’auroient pu fournir de
moyen plus, convenable de faire de Vode le meilleur
ufage poffible , que celui qui a été comme fuggéré
par le hazard dans cette occafion. En effet, quand
on fait comment les choeurs furent ^introduits 6c
confervés dans l’ancienne tragédie , on voit qu’ii
n étoit nullement queffion de ménager une [dace favorable
iiV o d i. Mais la chofe étant une fois faite , on
auroit eu toutes les raifons du monde de conferver
prccieufement 1 ufage des choeurs, oîi Vode e ff, j)our
ainfi dire, fur fon char de triomphe, avec tout Lao-
pareil du théâtre 6c toute la force de la mufique. Il
feroit toujours tems d’y revenir 6c de rendre à nos
tragédies un des plus beaux ornemens dont elles
puilfent être décorées.
Il feroit fort à fouhaiter qu’un homme bien vérité
dans la Imcrature grecque, 6c qui eût les rafens 6c
les qualités de iVI. L o v th , écrivit fur les dift'érentes
grecques, un ouvrage auffi étendu
& aufii fohde que l'eft celui de cet habile homme fur
la pocfie lyrique des Hébreux. Un pareil livre feroit
une lecture bien agréable , 6c en même tems une
inltruéfion bien utile pour ceux qui s’attachent à ce
genre. On ne fauroit concevoir aucune fituation de
Lefprit où le poète puiffe fe trouver quand il entre-
j)rcnd de faire une o d e , qui ne fe rencontre dans les
grecques ; depuis les plus petits objets gracieux
qui jettent 1 ame dans une douce rêverie, julau’à ces
grands objets majeffueux , terribles , fubiimes, qui
bouleveilent Lame, lui inipirent le refpea, lui impriment
la terreur , excitent en elle les paffions les
plus véhémentes , il n’y a rien parmi tous ces objets
que les poètes Grecs n’aient traité, fi l’on veut s’élever
d’Aaacréon jufqu’aux choeurs d’Efchyle. Ce fé-
roii donc ici un champ oii un habile critique pourroit
s’exercer 6c fe faire un grand nom.
Les Romains , à cet égard , comme à tout autre ,
par rapport aux beaux arts , font demeurés fort au-
deffous des Grecs. Horace eff le feul de leurs poètes
lyriques qu’on puiffe mettre à côté de ceux de la
Grece; mais il faut ajouter qu’il en vaut plufieurs
autres ; il favoit accorder fa lyre fur tous les tons,
6c il a manié toutes les efpeces des o d e s, depuis le
fublime de Pindare jufqu’au gracieux d’Anacréon,
6c au paffionnc de Sapho : 6c dans ces efpeces il a eu
les plus grands fucccs.
Les Allemands peuvent jouter avec toutes les
nations en fait de poéfie lyrique. Klopffock , comme
Horace , vaut plufieurs poètes , & léroit en droit de
dire ,
P a roijfe i Na va r ro ls, Maures & Cajlilla ns.
Cet homme, doué du plus rare génie , a donné
tout'à-Ia-fois à fa patrie un Homere 6c un Pindare.
Rien n’égale le vol élevé de celles de fes oies qui roulent
fur des fujeis importans ; rien de plus riant que
N i;