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9^ O D E fon fujet, mais il y revient d’abord. Souvent aiilTi
nous voyons un traniport poétique dont nous avons
peine à deviner l’occalion, de morne qu’à découvrir
îc lien qui unit une foule d’applicafions tout-à-iait
varices; c’ell ce qu’on voit dans la quatrième odt
du troifieme livre d’Horace. Le poète commence
par imiter Calliope , la plus diftinguée des mufcs,
à delccndrc du ciel, & à lui infjnrer un long ciiant,
fur quel ton il lui plaira ; niais il ne laiffe point ap-
percevoir Jiourquoi il forme ce louhair. 11 lui lémble
auiTi-tôî entendre le chant de la mule , qui eii del-
cendue & qui erre dans les j'acrés bocages. Mais il
s’interrompt pour nous raconter comment, dans fon
enfance , s’étant endormi dans un lieu champêtre ,
les pigeons ramiets l’avoient couvert de feuilles ,
pour le mettre à l’abri des ferpens & des bêtes faii-
vages. Cependant il laide entrevoir que c'ed à la
mufe , fa proteélrice , qu’il croit être redevable de
Ce bienfait. Enfuite , tout pénétré de ce ientiment, 51 continue , en reconnoiÜ'ant que les mules le rcu-
nilTent pour le protéger, & que c’ell ce qui lui permet
d’aller tranquillement, tantôt à l’iine, tantôt à
l’autre de fes maiibns de campagne. C ’ed à elles
qu’il prétend être redevable de n’avoir pas péri ù la
bataille de Philippe, & de s’être fondrait à l’arbre
qui fembloit devoir l’écrafer. C ’ed pourquoi il veut
aller avec elles dans les climats les plus éloignés &
les plus redoutables, & . s’enfoncer meme chez les
peuples les plus làuvages. Mais, en un clin d’oe il,
il vient à Céfar, & dit de lu i, qu’après avoir fou-
tenu & terminé les travaux innombrables d’une terrible
guerre , il cherche le repos, & s’enfonce dans
des allées fecrettes avec les mufes qui lui infpire-
ront de plus en plus des fentimens pacifiques. De-là
il faute rapidement à la guerre des Titans , & s’y
arrête long-rems, pour nous enfeigner , à ce qu’il
femble , que , malgré les forces redoutables de ces
audacieux adverfaires , Jupiter foutenii par Pallas ,
remporta aiiement la viéloire lur eux ; ce qui le
conduit à l’importante réflexion ,quela force fansie
•confeil ed: impiiifFante ; au lieu qu’une force médiocre
, fagement dirigée , s’attire la béncdicHon des
dieux, & produit les plus grands effets. Il loue après
cela les dieux, de ce qu’ils détellent toute puUfance
dont les deffeins font injulles , de confirme cette
afiertion , par les peines & les lupplices qu’ils ont
infligés à Briarce aux cent bras, au téméraire Orion ,
à Typhée , à Tyiius fie à Piritholis. Ainfi finit l’oJe,
où l’on a peine à deviner quel objet ou quelle idée
a tant ému le poète, pourquoi il appelle Calliope
avec tant d’ardeur, ôe ce qui lui a fait réunir tant
de points de vue difïcrcns dans une feule & même
o ii. Les interprètes d’Horace fe partagent là-deifus ,
les plus modefles difent qu’ils ne fauroient deviner
i’enigme , tant le plan du poète efl cache & imperceptible.
Je crois cependant que Baxter a faifi, au
moins en bonne partie , ce plan , quoique notre
Geffner, d’ailleurs fi judicieux , tourne faconjeélure
en ridicule ; & comme cela peut répandre du jour
furies théories des énigmatiques , je vais rapporter
ici le fentlment de ce critique Anglois.
Céfar avoit enfin vaincu tous les défenfeurs de
la liberté ; il s’ètoit débarrafTé de fes collègues dans
la tyrannie ; il avoir réuni en lui toute l’autorité.
Horace s’ctolt probablement entretenu avec quelque
ami, Mécene peut-être, en confidence fur la
iiîiiation préfente des affaires; & dans cette conver-
i'alion s’étoit prefentée natureilemem la réflexion,
que cette autorité luprême n’étoit pas encore affermie
fur des fondemens allez folides. Cette idée tou-
choit le poète de la maniéré la pKis v iv e , & l’on ne
Tauroit dilconvenir qu’elle ne fût de la plus grande
importance. Il s’étoit donc mis à réfléchir lùr ce
qui pouYoit procurer à celte auioriié une fùreié
O D E
inaltérable. Il falloit pour cela que Céfar fît fleurir
les arts & honorât les mufes, qui les mettroient fur
la voie de gouverner avec la plus grande douceur ,
de prendre des mefures beaucoup plus réfléchies
& plus folides que celles qu’il avoit jufqu’alors employées.
Soit donc qu’Horace voulût fimplemenc
communiquer ces idées à fon ami , ou qu’il ne fût
pas fâché de les laiffer entrevoir à Céfar même , i!
étoit obligé d’ufer d’une extrême circonfpeftion, &
n’ofoit s’expliquer ouvertement fur de pareils fujets.
Voilà pourquoi il prend d’auffi grands détours ,
lailTant à celui pour qui Vodi étoit deftinée , le foin
d’en deviner le véritable but. Et d’abord l’invocation
à Calliope peut avoir un double fens : on peut
fuppofer que le poète l’appelle à fon fecours pour
\'odi qu’il veut enfanter; mais fon Intention fecrette
efl de l’inviter à venir auprès de Céfar pour le
foutenir de tous les charmes qui accompagnent fes
chants, & pour animer plufieurs poètes à-la-fois à
exalter la gloire & les délices de fon régné. De-là
il voit les prémices de cet heureux teins ; mais, ne
voulant pas en parler trop ouvertement, il faute ,
pour ainli dire, tout d’un coup en arriéré, lans
renoncer pourtant à l’idée princijiale qui l’occupe,
& il raconte comment les mufes l’avoient protégé
dès le berceau, parce qu’il étoit defliné à devenir
poète , & comment elles le protègent encore. C’efl
une efpece d’allégorie , par laquelle il veut donner
à entendre que quiconque ne forme aucune entre-
prife dangereufe , ne commet 6c ne projette aucune
aélion violente , mais ne penfe , comme un poète
rempli d’innocence, qu’à s’amufer, n’inquiérant per-
fonne , ne formant point de prétentions injulles ,
jouit d’une pleine tranquillité , d’un repos affiiré,
C ’efl ce qu’il exprime fort poétiquement, en parlant
de tous les foins que les mules prennent pour
alfurer fon repos. Cela lui ferc à prouver deux alfer-
tions à-la-fois ; l’une, que tout gouvernement qui fe
fait aimer, ellen fûreté; l’autre , que jamais celui qui
e llà la tête du gouvernement, ne doit faire mine
de vouloir ufer de violence contre qui que ce foiu
Sur quoi , il revient tout naturellement , & fans
aucun faut, quoiqu’il paroill'e y en avoir un , à
Céfar, qui fc trouve précifément dans le cas, &
qui s’amul'e aéluellement avec les mufes, dont il ne
peut recevoir que des principes de douceur & des
confeils de modération. Mais il a recours à une nouvelle
allégorie, pour achever de montrer combien
il ell aifé , avec le fecours de la fagelfe 6c de la réflexion,
de fe précautionner contre les delfeins 6c
les efforts d’une puifl'ance féroce 8c redoutable, &
comment il faut s’y prendre pour appaifer des rébellions,
pour faire cdîer d’odieux excès. Enfin if
donne, toujours d’une maniéré enveloppée & allégorique
, le confeil d’intéreffer les dieux en faveur
du nouveau gouvernement, par une adminiflration
équitable & douce , ces êtres immortels déteflant 6c
puniffant toujours toute iniquité 6c toute violence.
Telle paroît avoir été la route que le poète a fuivie,
afin de parler avec circonfpedlion des chofes dan-
gereufes 6c qui tiroient à de grandes conféquences ;
en quoi il reffemble à Solon qui contrefit le fou pour,
donner aux Athéniens un confeil très-utile à l’ctat
qu’il n’auroit pas pu hafarder ouvertement fans
mettre fa vie en danger.
Nous avons confidéré les diverfes efpeces d’odes^
relativement au ton qu’elles prennent 6c au plan
qu’elles fuivent. Il n’y régné pas des différences
moins confidérables par rapport à leur contenu, ou
à la matière fur laquelle le poète travaille. A proprement
parler, Vode n’a point de matière qui lui foit
propre. Toute penfée , foit commune, foit élevée
tout objet, de quelque ordre qu’il foit, peut fervir
de fujet à Vode. H s’agit uniquement de la façon de
U
O D E lepréfenter, do la vivacité , des cxj;îicat;ons extraordinaires
, 6c du degré de lumière dans lequel le
poète le met. Un poète qui, comme Klopflock, ell
rempli d’idées pompeufes, pénétré de fentimens
vifs , pourvu d’une imagination capable de prendre
le plus grand cflbr , un tel poète trouvera de quoi
faire une ode , là ou un autre ne remarquera rien qui
excite fon attention. Quel autre qu’un génie unique
comme cekii-!à auroit pu ch.antcr dans Vode qu’il a
intitulée Spondz^ je ne dirai pas fur un ton aulli ma-
jeflueux, mais feulement furie ton harmonieux de
la lyre, ou furie ton de la flûte? Le véritable poète
lyrique voit un objet qui excite en lui plufieurs imaginations
agréables, ou des réflexions importantes,
ou de vifs Icntiinens; mille autres perfonnes ajiper-
cevroni le même objet avec la même clarté , *& ne
penferont, ni ne fendront quoique ce fuir. C’dlque
la tête du poète efl abondamment remplie de toutes
foroes d’idées q u i, comme la poudre , prennent
ailcmentfeu, ôc ce feu fe communique rapidement
de proche en proche.
Cependant le fujet !e plus ordinaire des odes, auquel
ont coiitumo de s’attacher les poètes qui ne font
pas doués d’un génie extraordinaire, efl:l’cxprelJion
de quelque fentiment paflionné, & principalement
de la joie , de l'admiration & de l’amour. Les deux
premiers de cesfentimensparoiffent avoir été les plus
anciennes occaiions des odes^ comme ils l’ont été du
chant & de la danl'e , q u i, felon toutes les apparences
, ont été lies dans leur origine avec les vers lyriques.
L’homme encore à deini-fauvage exprime,
comme l’adolefcent, ce qu’il fent par des cris 6c des
fauts. Un deuil lolemnd que les hommes dont l’état
approche de celui de nature , témoignent par des
gémiilémens 6c des hurlemens , paroît avoir été en-
lulre l’occafion la plus prochaine des odes ; &; c’efl
par l’imitation de celles que la nature a didées qu’on
cil jiarvenu à en compofer lur les fujets les plus
variés.
Les odes peuvent être divifées en général, relativement
à leur matière, en trois elpeces. Quelques-
unes font dos fuites tie conlidérations ou reflexions;
elles reiflerment des delcriptions paflîonnées ou l’énumération
des caracleres de l’objet de Vode : d'autres
lont des peintures ammees qu’une imagination
ardente crée 6l met fous les yeux ; enfin la troifieme
efpece efl réfervee au fentiment. Mais le plus fou-
vent ces trois efpeces d’objets font réunis & confondus
dans une leule & meme ode. Nous rangeons dans
la premiere efpece les hymnes 6i les cantiques, dont
nous trouvons les plus anciens modèles dans les
livics de Moïfe Sedans les pieaunies. Lçsodes de Pin-
dare peuvent y être jointes, quoiqu’elles aient etc
compofées dans un tour autre eipnt; mais en général
ce ne font que des conlidérations louveramemcnt
poétiques a la louange de certaines perfonnes ou de
certaines choies. Dans de femblables , les poètes
fe montrent comme des hommes doués de dif-
cernement, qui prefentent d’une maniéré pleine de
fentiment leurs obfcrvations & leurs réflexions fur
des objets (le la plus gl-ande importance. La paflion
qui regiic dans ces odes efl i’adiniration , 6c louvent
elles i'ont fort inflrudtives.
Nous mettons au nombre des odes de la fécondé
efpece celles qui roulent fur des deferiptions imagi-
mires, ou fur des peintures réelles de certains objets
tu és du monde vifibie, comme l’ode d’Horace à la fontaine
de Blandufiiim, celle d’Anacréon fur la cigale,
plufieurs autres du même poète. On comprend
comment de pareilles poefies prennent naifiàncc. Le
poete, fortement touché de la beauté de quelque
objet lenfible , s’anime , s’enflamme 6c s’efforce de
bien exprimer par fes chants ce que fon imagination
lui prdente ; quelquefois il n’eft occupé qu’à tracer
fonie ly .
O D E 97 les traits de ce tableau, & par-là il fe nourrit en quelque
lorte du lenlimcnt agréable que l’objet a excité
en lui ; mais , dans d’autres occaiions, ce tableau
excite en lui quelque dcilr , ou le conduit à quelque
doSime morale qu’il ajoute , & dont il fait, pour
ainfi titre, la bordure du tableau. Telle eft l’ode d'Horace
à Sextms , & plufieurs autres du même poète.
L avantage propre à certe efpece d'ode, c’efl l’ex-
treme variété des objets qui font à fa difpofition. Car
la nature en prefente déroutes parts qui frappent nos
lens ; c efl une fource inépuifable, & chacun de ces
objets peut cire , lotis plufieurs points de vu e, l’em-
bleme de quelque vérité morale. Ces odes font les
plus lufccpnblcs de cet eflbr poétique, par I-quel le
poète , après avoir peint fon objet des couleurs les
plus vives , palfe tout-à-coup à quelque application
morale pour l’ordinaire tout-à-fait imprévue, comni“
on en trouve un bel exemple dans Vode de Gleim fur
la fontaine de Schmcrlenbach. On croiroit que le
poète ne penle à autre choie qu’à nous faire bien
connoître tous les agrcmens de cette fontaine ; mais
tout-a-couj) on ell lurpris de la maniéré la plus agréable
de voir qu’il n’a réellement en vue que l’éloge de
fon vin ; car il termine fa defcripiion en dirain ;
Pourtant, ma chere fontaine, je ne prétends pas que tu
te mêles jamais avec mon vin.
La troifieme efpece d’odes ne refpire que le fenti-
ment. II n y a point de paflion qui ne puifl'e conduire
le poète au degré de fentiment nécefiàire pour la
coinpofition d\[üQ ode. Alors il chante , ou l’objet
d un fentiment agréable, en nous y découvrant tout
ce que lui luggerent l’amour, le dclir, la joie , la douleur
; ou bien c’efl l’objet de fon dégoût, de fa haine,
de fa colere , de fon exécration : toutes les couleurs
de ces peintures , c’efl la paflion qui les lui fournit ;
elles font ou douces & tendres, ou enflammées,
lombres , terribles , fuivant l’empreinte que la paf-
lion leur donne de fon caraftere. Si c’efl l’état de fon
propre coeur que le poète dépeint, il y montre de la
joie , du dffir, de la tendreffe , en un mot, lapalEon
qui le domine, fe contentant (eulemem d’indiquer
l’objet qui le met dans cette fituation , ou même de
le laifler deviner. Le plus louvent il parleme ce fonds
de maximes , d'obfervaiions , d’e.vhortations , de
cenfures, d’apoflrophes tendres , gaies, ou menaçantes
6c fulminantes. Ce qu’il y a de doctrinal efl
toujours comme enveloppé dans la palflon , 6c en
porte la hvree. C efl ce qui donne aux vérités un
caiaèteie d autant plus expreflit ; car les efprits que
la paflion agite, font partir des traits de Iiiiniere 6c
de force , propres à opérer la conviclion ; quelquefois
cela donne dans I hyperbole, fuivant que la paf-
fion groflii ou rapetilfe les objets, les offre fous une
face ou fous une autre. Car en général un efpritpaf-
flonné fe reprélcnte tout autrement les objets qii’im
efprit tranquille. Mais quand la paflion met le poète
dans la bonne voie , & lui fait envifager les chofes
fous leur véritable face, le fentiment donneà ladoc-
trine 6ck fes fentcnces une force vièlorieiife : ce font
de vrais axiomes , des dédiions en dernier relfort,,
dont perfonne n’olcroit appeller.
Les odes les plus ordinaires font celles oîi ces trois
efpeces de matières font alternativement affociées.
Le pocte vivement alfefté par chaque objet, y applique
celle des forces de l’ame qui lui convient ; l’entendement,
1 imagination, le léntimentfe fuccedent
ou fe confondent: c’efl dans ces que régné la
plus agréable variété d’idées , d’images & de fentimens
, mais qui font la prodtidion d’un feul & même
objet qu’on éclaire lùccelfivemcnt de dilférens jours,
& qu on prelente d une manière fouveramement in-
terefianre.
On connoîtra encore mieux la nature & le caractère
de Vodc^Vi nous alléguons ici quelques exemples
N