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vocation & d'autre occafion d’exercer leur talen
t, que celles qu’ils ont dues à la nature, qui
les a fait penler & fentir plus fortement que les
Autres, & qui les a mis en état d’orner d’images
fenfiWcs, & d’exprimer en vers harmonieux ce
que le noble defir de rendre les autres participans
des avantages dont ils jouiffoient, les folliciroit à
produire au grand jour. Sans contredit les premiers
poètes de chaque nation ont furpaffe leurs coinpa-
triotes par la grandeur du génie &c par la chaleur
du fentiment ; leur entendement leur a dccouvei t
des vérités , &c leur coeur a éprouve des niouve-
mens dont l’importance s’ell fait vivement ientir
à e u x , àc que l’amour qu’ils portoient à ceux au
milieu defquels ils vivoient, les a engagés à répandre
&C à communiquer. En effet, quoique Thidoire
des anciens peuples ne remonte pas jufqu’ü l’époque
où les premiers germes de la raifon & du fentiment
ont commencé à fe développer, on y trouve
pourtant des traces qui indiquent que les plus anciens
poètes de différentes nations ont enfeigné aux hommes
dans leurs vers des réglés 6c des maximes de
conduite qu’ils avoient découvertes , 6c dont ils
fentoient vivement l’importance.
Aufli-tôt que cette première lueur de poéjtc eut
mis les hommes liir la route qui conduit à propo-
fer des vérités utiles fous une enveloppe agréable ,
elle excita leur attention , 6c ils s’apperçurem bien-
tôt qu’outre la mefure 6c la cadence des mots, il
falloir que ces mots préfeniadém des idées intcrel-
fanres , que le feu des penfées animat les expref-
fions , que des images frappantes captivaffeni l’imagination
; en un mot, on inventa 6c l’on perfectionna
lucceffivement le langage poétique. lied probable
que par-tout les premiers effais dans ce genre
ne furent que des vers ilblés, tels que font encore
la plupart de nos proverbes, ou des propodîions
exprimées fuccintement en deux ou trois vers.
Quand l’art eut fait des progrès , on trouva les
moyens d'indruire le peuple par les fables 6c les
allégories : les loix 8c les doéirines religieufes furent
revetues des ornemens poétiques; 6c bientôt des
chanfons guerrières fervirent à fortifier le courage
patriotique. Ce fiirentles mufes feules qui excitèrent
les âmes nobles 8c douées d’un beau génie , à devenir
les cloéleurs 6c les guides de leurs concitoyens:
■ 6c de cette maniéré la poéjïe obtint en quelque ibrte
Fcinpire du genre humain. Phvfieurs nations re-
c;onnurent combien cet art éiolt utile pour produire
des impredîons efficaces fur l’efprit des hommes;
elles accordèrent des prérogatives didinguées
aux perfonnages heureux qui le polî'cdoient : 6c
delà vinrent les devins 6c les bardes.
La véritable hidoire de la p o i fa chez un feul
peuple , feroit incontedablement l'hidoire de ce
meme art chez tous les autres, 6c feroit fans con-
iredit une partie intéreffante de Thidoire univer-
felle du génie humain : mais elle n’exide nulle
part. Tout ce que l’on fait de plus particulier fur
cette hidoire , c’ed ce qui concerne les Grecs. On
peut réduire ce morceau d’hidoire à quatre périodes
principaux qui répondent à autant de formes
différentes lotis lefquelles la poèjit s’ed montrée.
Dans le cours du premier période de tems, fur
lequel il ne nous rede aucune tradition , la poéfic
commençoit à germer imperceptiblement , par des
fentences proverbiales , ou par des démondrations
de quelque padion agitée, qu’on énonçoit d’une
maniéré fort fuccinte , 6c ([u’on chantoit en danfanr.
Ce n’étoit point encore un art : quiconque dans
une compagnie fentoit la force de fon imagination
fe déployer avec un feu extraordinaire , excitoit
les autres à chanter 6c à danfer d’une maniéré fort
irrégulière j6c les refreins lomboient toujours fur
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Tobjet delà paffion. Ils font encore aujourd’hui chez
les fauvages du Canada les premiers edais de la mu-
dque , de la danfe 6c de la poéjcé. Quelques favans
ont eu la pénétration de découvrir dans l’hidoire
que Moïle a donnée des premiers habitans de la
terre , des traces de ces chants informes. Aridote
paroît avoir eu la meme idée de l’origine de l’art,
6c il nomme ( Poetic, c. 4 ) ces premiers effais
àOox'nS'ietsijta.ra. , OU produéfions nées de l’indinél,
fans aucun plan, ni deffein.
11 ed affez vraifemblable que , dès ce tems-Ià,
les tentatives poétiques rentermoientdes indices du
caraûere didérent des trois efpeces principales de
poéjîc lyrique , épique 8c dramatique. Le tombereau
de Théfpis n’ed pas fort éloigne de cette forme
brute de la poéjîe naid'ante : 6c Platon affure cependant
que les premiers effais de la tragédie remontent
bien au-deffusdutems de Thclpis. LapoeJU lyrique
paroît naturellement devoir être la plus ancienne
, puifqu’elle doit fon origine à l’cd'or des pal-
dons tumultueulés. Les rcjouidances que font les
fauvages après quelque heureux lucccs dans les
combats, ont pu aiifli offrir les premieres traces
de la poéjie épique.
A ce premier période , mais probablement au
bout d’un très-long intervalle de tems , en liiccéda
un l'econd , où les poètes nés 6c pouÜ'és parl’inl-
tinéf réfléchirent, 8c les plus penétrans d’entr’eux ,
en oblèrvant la forme 6c l ’efficace des premiers effais,
trouvèrent des regies propres à les pet feâionner ,
6c à les rendre fur-tout plus utiles au peuple qu’ils
fe propofoient de gouvernera leur g r c , dans l’intention
tendre 6c paternelle de leur donner des con-
noiffances, des loix 6c des moeurs. Les poètes de
ce tcms-là paroiffent avoir été des doéleurs , des
légillafeurs , des chefs 6c des condufteurs des peuples.
C’eft alors , ou peut-être un peu plus tard,
qu’ont vécu les premiers poètes qui ont eu de la
réputation parmi les Grecs , 6c dont cette nation
avoit confervé les chants. Orphée chanta la cofmo-
gonieou l’origine du monde , fuivant le fyffêmc de
théologie qu’il avoit appris chez les Egyptiens.
MuféeTon difclple parla dans le ftyle des oracles ,
6c fes obfcLirs hexamètres roulent à-peu-près fur
les mêmes matières. Eumolpe fit des myfferes de
Cérès le fujet d’un poème , où il fit entrer tout ce
que la morale , la politique 6c la religion avoient
alors d’inréreffant. La guerre des Titans, chantée
par Tamyris , ert im ouvrage allégorique fur la
création. Les poètes de ce période ont quelque
conformité avec les prophètes Juifs. Les Grecs con-
ferverent pendant long-temps quelques-unes de ces
poéjîes; maisiln’en eft parvenu aiicunejufqu’à nous.
Le iroifieme période de la poéjîe eff celui oii l’on
commença à la regarder comme un art, dont la pro-
feffion faifoit un erat dans la focicté, 6c appelloit à
im genre de vie particulier ; alors les poètes ou
chantres furent tels en titre d’office : ce tems pourroit
être appelle le terris des bardes. C’étoient des chantres
qu’on appelloit 6c qu’on falarioit pour vivre à la
cour des princes, qui étoient les chefs des petites
fociétés d’alors ; tel étoitPhémius à la cour d’Ulyffe,
6c Demodocus à celle d’Alcinoiis. Ils chantoientdans
les folemnités , tant pour le plaifir que pour l’inftru-
élion des affiffans : leurs chanfons étoient allégoriques
, 6c rouloient fur l’hiftoire des dieux 6c fur les
exploits des héros. Ils paroiffent avoir en mêmetems
été les amis 6c les confeillcrs des grands qui les en-
tretenoient. De pareils chantres ont exiflé , depuis
les tems les plus reculés jufqu’à nos jours , à la cour
des rois d’Ecoffe. C’eft à la fin de ce période, ou du
moins au commencement du luivant, que nous plaçons
Homere.
Le quatrième période commence au tems où la
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forme de oouvernement monarchique ayant été abolie
dans h^plupart des états de la Grece, les hommes
fe trouvèrent dans une plus grande égalité ; 6c il n’y
eut plus de princes qui fiffent venir à leur cour des
bardes ou chantres : alors on cefla de les confidérer
comme exerçant une profeflion particulière,6c ayant
un genre de vie à part. Ceux que leur génie porta
à lapoèfii, devinrent poètes , fans que perfonne les
en requît, 6c probablement fans renoncer à l’état
dans lequel ils fe irouvoient auparavant. On s’appliqua,
comme on le fait encore aujourd’hui, à la
poéfu , ou pour s’amufer, ou par l’effet d’une im-
ptilfion irrcliftible du génie, ou pour fe faire un
nom.
Les poètes de ces tems-Ià peuvent être divilés en
deux claffes. Une partie d’entr’eux fe confacrerent
au fervice de la religion , de la philofophie & de la
jjolitlquc ; l’autre n’eut pour but que de fuivre fon
penchant 6c fon gofit. Ces derniers fonnerent alors
l ’elpece de ceux que nous nommons aujourd’hui
beaux-efprits. Les premiers envifagerent la poéjîe fous
ce point de vue noble , qui la préfence comme faite
pour enfeigner les hommes , 6c les mettre en état
de juger plus fainement que le vulgaire , 6c en
véritables philofophes , des objets qui fe rapportent
aux moeurs 6c à la politique , pour agir en confé-
qucnce, 6c propager les leçons de la raifon 6c la
culture des vertus Ibciales. La fageffe qu’ils avoient
acquife par la réflexion , fut placée dans les poéjîcs
dont ils enrichirent l’univers ; les uns fans aucune
vocation particulière, comme Efope, Solon, Epi-
menide , Simonide, &c. les autres étant invités par
les états à contribuer à l’embelliffement des fêtes publiques
, comme Efchyle, Sophocle, Euripide,
Pindare, &c. Ceux-ci ont porté l’art de la poéjîe au
plus haut degré de perfection. D’autres , qui joi-
gnoient au talent le goût du plaifir , ont fait fervir la
poéjîe à déhiffer l’efprit, à réjouir l’imagination , à
égayciTes fociétés ; tels ont été Anacréon, Alcée ,
Sapho , 6c plufieurs autres. Depuis ce tems , la poéjîe
s’eft offerte , comme Venus , fous l’idee de deux
pei'fonnes , l’une cclefte , l’autre terreftre ; l’une
avec un air majeftueux, l’autre avec des attraits
lédulfans.
Tant que la Grece a joui de fa liberté, 6c que les
beaux génies qu’elle produifoit, onrpudonneiT’eftbr
à leurs idées 6c à leurs fentimens, la poé(îe s’eft lou-
tenue dans ce dégrc d’élévation, qui lui donne la
prééminence fur tous les autres arts. Mais , quand
l’oppreffion de la liberté entraîna celle des généreux
ientimens du citoyen, il fallut bien que la poéjîe perdît
ce qui conftituoit fa principale force. Elle ne put
plus fe propofer pour objet de donner des moeurs 6c
des vertus aux hommes. Le luxe des cours, fous les
iucceffeurs d’Alexandre, amollit les moeurs, 6c rendit
les vertus inutiles, ou même nuiiiblcs. Les princes,
ftir-tout les Prolomées en Egypte, appellerent bien
auprès d’eux les gens d’efprit 6c de mérite, mais non
lur le pied des anciens bardes, ni même comme philofophes
6c pour les confulter,mais feulement comme
des hommes agréables 6c de bonne compagnie. De-là
naquit, pour ainfi dire , une nouvelle efpece de
poètes qui, n’étant plus infpirés, ou par la nature,
comme Anacréon , ou par un noble defir de gloire,
comme Sophocle 6c les contemporains, mais q u i,
fuivant le torrent de la mode , ou voulant plaire aux
grands , ou même par le motif plus bas encore, d’un
vil interet, confacre rent les forces de leur génie aux
differentes efpeces depoéfie auxquelles ils fe crurent
d ailleurs les plus propres. A cette claffe appartiennent
Caüimaque, Tlicocrite, Apollonius 6c plufietirs
autres, dont les écrits font pour la plupart parvenus
jiuqu à nous. Ces poètes reflémbloient donc à ceux
que nous avons tous les jours fous les yeux ; ils n’a-
Torne IF,
P O E 443 voient aucun deffein de procurer l’utilité de leurs
contemporains ; ils ne cherchoient qu’à briller par
leurs talens ; 6c l’on pourroit dire qu’ici commença
1 age d’argent de la poéjîe.
On doit rendre à ces poètes la juftlce , que bien
qu’ils ne fuffent que des imitateurs, ils avoient fort
bien faifi la maniéré des vrais poètes originaux : auffi
les place-t on immédiatement après eux ; 6c ils font
encore aujourd hui propofés pour modèles aux modernes.
Mais , après eux , là.poéjîe Grecque tomba
entièrement en décadence, 6c baifia de plus en plus a
ce qui n’empêche pas que jufqu’au tems des empereurs
Romains,on ne trouve encore des reftes confi-
dérables de fes anciennes beautés.
Cet article deviendroit trop long , fi je voulols y
parcourir les divers âges de la poe% chez les autres
peuples. D ’ailleurs l'on fort 6c fes différentes révolutions,
ayant leur principe dans 1 e génie des hommes,
qui eft généralement le même par-tout, ont affez de
reffemblance. (Jîct article eji tire de la Théorie générale
des beaux arts de M. D E S u l z e r . )
POE TE, ( Arts de la parole.') Ce nom ne doit
pas être donné indifféremment à tous ceux qui font
des vers :
• • • • • Nique enim concludere verfum
Dixeris cj'efatis. Horace, Serrn. I. 4,'
On n’eft pas plus poète pour dire des chofes commu«
nés en vers, qu’on n’eft orateur quand on parle en
converfation. Il faut n’avoir aucune teinture des
connoiffances relatives aux objets du goût , pour
s imaginer que des idées triviales 6c que chacun peut
avoir tous les jours , acquièrent des beautés 6c du
prix lorfqu’on les alfujettit aux regies de la verfifî-
cation ; c’eft plutôt tout le contraire. Un langage
auffi extraordinaire que Peft celui des mufes, demande
ncceffairement des idées ou des fentimens
extraordinaires , qui rendent raifon de ce qu’on ne
s’exprime pas comme de coutume.
Après cela, il ne faut pas placer le caraftere du
poète dans l’art d’orner un difcoiirs par des vers bien
faits & harmonieux ; il confifte dans Part de faire
de vives impreflions fur l’ elprit 8c fur le coeur , en
prenant une route différente de celle du langage ordinaire.
« Arranger des mots 6c des fyllabes confor-
» mément à certaines loix, c’eft, dit Opitz, la moin-
» dre qualité du po'éie. 11 doit être ,
» c’eft-à-dire, abonder en idées fublimes6c en inven-
» rions ingénieufes ; fon efprit doit être capable de
» prendre l’effor le plus é le v é , de faifir ce que les
» objets ont d’intéreffant, 6c de le peindre avec
» force; fans quoi il rampe & fe traîne dans la pouf-
» fiere ». Opitz, fur la poéfie Allemande. Horace
penfoit de même , lorfqu’il ne reconnoiftbit pour
poète que celui :
hi'^enium cui f î t , cul mens divinior , atque os
Magna fonatururn,
Affurément Je langage poétique s’éloigne fi fort
du langage ordinaire , & donne dans un tel enthou-
fiafme, qu’on a eu raifon de l’appeller le langage des
dieux : auffi faut-il qu’il prenne fa fource dans une
forte d’infpiration fecretc, qui n’eft autre chofe que
le génie ou le talent naturel de la poéfie. On a lieu
de croire que la danfe , la mufiqiie, le chant 6c la
poéfie remontent à une fource commune. Ainfi le
meilleur moyen d’arriver à la découverte du génie
poétique , c’eft de nous rappeller l'origine la plus
vraifemblable qu’on piiiffe attribuer à ces differens
arts V e r s , MustQUE,C h a n t , D a n s e ) ,
Nous pourrons en inférer d’où eft né le langage poétique,
6c comment l’on s’eft avifé de mel'urer fes paroles
pour chanter les difeours en chants. Afin de
faifir le lien qui unit ces trois arts des leur naiffance.
K . k k Ij