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& Ton collcgue adoptèrent le planque Tepin UJ-'leux
leur avoir tracé ; c’ctoit de captiver I’cCprit des peuples
en aiî'eélant l’extérieur des vertus, & en déployant
tout le farte des talens. Leurs prédcccffcurs
étoient parvenus à avilir la perlonne des rois, qui
ne ibrtoient plus de l’enceinte de leur palais , & h
faire redouter la royauté; ils fcmerent de nouveaux
germes de difeorde etttre les Neurtriens & les Aui-
traliens, dont ils craignoient toujours la rciinion;ils
avoient bien prévu qu’on leur conterteroit à la cour
de Thierri la qualité de princes: ils décrièrent les
mccurs d'Ebroin , fon maire, qui travailloit à raffermir
la puiffance des rois, Sc qui par conlcquent ne
devoit point être aimé. Ils accordèrent aux Aurtraliens
une liberté voifine de la licence , & qui ne pouvoir
manquer tl’être enviée de la part des Neurtriens. Les
feigneurs quittoient à l’cnvi la cour de Thierri, où
regnoit une éternelle difeorde. Pépin & Martin le
croyant fupérieurs en force, déployèrent l’étendard
de la guerre, & menacèrent la Neultrie ; ils le pro-
mettoient l’entiere conquête d'un royaume qui ren-
fermoit dans fon l'ein le germe d’une chute prochaine.
Cette premiere guerre ne leur réulîit cependant
pas ; le génie & la valeur d’Ebroin, maire du palais
de Thierri, firent échouer leurs brigues, ou du
moins retarda le fruit que les Auftrafiens s'en ctoient
promis. Pepin voyolt (es efpérances prcfque détruites;
il avoit perdu une grande bataille, 6c fon collègue,
affiegé dans Laon, avoit été obligé de fe rendre
'k Ebroin, qui le punit comme féditieux. Thierri
, Ibn vainqueur, faifoit des préparatifs pour entrer
en Aurtrafie. Défefpérant de l’arrêter les armes à la
main, il fit artaffmer Ebroin par un feigneur nommé
Hennenfroi. L’hiftoire ne l’accule pas direflement
d’avoir ordonné ce meurtre, mais il ert certain qu’il
l’autorifa par le favorable accueil qu’il fît k Hermen-
froi, qui fut comblé de fes bienfaits. Délivré de ce
rival, auquel il attribuoit le fuccès de la bataille qu’il
avoit perdue, Pepin employa les négociations dont
le feu des guerres avoit retardé l’affivité : un traité
de paix qu’il conclut avec V’^araton ranimalbn efpoir.
Les otages qu’il confentit de donner font une preuve
que l’état de les affaires n’étoit pas avantageux ; &
la paix qu’on lui accordoit dans un tems oii les Allemands
& fous les peuples d’au-delà du Rhin fe ré-
■ voltoient contre la domination Auftrafienne , où
la perte d’une bataille rendoit fa ruine inévitable ,
démontre rintelligence des feigneurs de Neurtrie &
de Varaton lui-même avec cet ambitieux. Les factions
continuoient à la cour de Thierri , Sc la dc-
chiroient avec fureur. Varaton tint une conduite
oppoféc à celle d’Ebroin ; il vouloit fe faire aimer,
il ne put réuflir à l’être. Son minillere pacifique
ne put écarter la haine qui s’attachoit au
trône & à tout ce qui l’approehoit : fa modération
ne fervit qu'à accélérer la chute de fes maîtres.
Sa mort ouvrit la porte à de nouvelles brigues;
fa veuve appuyoit de fon crédit Bertin, fon gendre.
Pepin qui avoit intérêt de l’éloigner, apres n’avoir
fu le gagner, appuya fes concurrens & s’appliqua
à le rendre odieux Sc mcprifable. Les Kirtoriens
nous ont repréfenté ce maire fous les plus odieufes
couleurs ; à les entendre c’étoit un homme d’un extérieur
ignoble , un général fans expérience, un fol-
dat fans courage, un mlniflre fans ame, fans efprit
& fans talens. L’auteur des obfervations fur l’hif-
toire de France, n’a pas craint d’appuyer plufieurs de
çes réflexions fur ce tableau : mais il eft clair qu’il
n’a point été guidé par cette critique judicieufe qui
reieve le mérite de fes ouvrages ; ne s’eft-il pas a])-
perçu qu’il avoit été fait par des mains infîdelles, par
des écrivainsvendusauxP^/7//2. Si l’on en croit les hif-
toriens du tems, fi l’on on croit, dis-je, ces flatteurs,
tous le minilires qui s’oppoferent aux entrepriles des
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Pépin , ne s’attachèrent qu’à faire le malheur des
peuples , & furent moins iemblables à des hommes
qu’à des monrtres, tandis que les Pépin furent des
héros, des faims : mais Thirtoire détruit la flatterie
des panégyrirtes; elle atteile que ces prétendus monrtres
verlerent leur fang pour raffermir la puiffance des
rois que ces prétendus faints précipitèrent du trône;
les fiijets deThierri qui voyoient que le duc d’Aurtrafie
récompenfoit avec magnificence tous ceux qui paf-
foient à fa cour, exigeoient des facrifîces continuels de
la part du monarque, dont le refus le plus légitime ne
manquoit pas d’ être traité d'affreufe tyrannie. Ils s’é-
vadoient furie plus léger prétexte. Pépin dut être cm-
barrartc du nombre prodigieux de mécontens qui fe
rendoient chaque jour autour de lui : il eût fallut des
tréfors inépuifables pour allbuvir la cupidité de ces
transfuges : .lorfqu’il crut qu’il étoit tems déporter
les tempêtes en Neurtrie , U envoya des députes à
Thierri, le fommer de rappeller tous les mccontems,
& de lesfatisfaire : & fur Ion refus, il lui déclara qu’il
marchoit contre lui pour l’y contr:aindre : il étoit en
état de jurtifîcr les menaces ; non feulement fes troupes
étoient grorties d’une infinité de transfuges, il y
avoit encore une infinité de traîtres qui n’étoientrel-
tés dans le camp de Thierri que pour y porter le ravage
avec plus de fuccès : ces perfides avoient donné
des otages à Pépin. Il n’ert donc pas étonnant que la
viefoire le Ibit rangée de fon côté : le maire du palais
(Bertier ) fut tué par des confpirateurs, quelques
jours après la perte d’une bataille fanglante qui fe
donna près de Leucofao : Thierri qui y avoit aflirté
prit la Elite, & ne s’arrêta que quand U fut dans Pa*
ris. Pépin généreux, parce qu’il gagnoit à l’être,,
abandonna à fon armée les dépouilles des vaincus ,
& l'embla ne fe réferver que la gloire des fuccès :
tous les prifonniers faits à la journée de Leucofao,
furent remis en liberté fur leur parole. Cette modération
affeffée lui concilia tous les coeurs , & la
Neurtrie ne lui offrit qu’une conquête ailée. Paris
fut forcé de le recevoir: il y parut dans l’appareil
d’untriomphateiir.IIs’affura delà perfonne deThierr
i, le Ht obferver fans cependant lui faire aucune
violence. Tous ceux des Neurtriens qui s’étoient réfugiés
à fa cour, furent rétablis dans leurs biens-ÔC
leurs dignités ; les privilèges qu’ils avoient ambitionnés
leur furent accordés : mais il fe montra lur-tout
tres-foigneux de ménager les gens d’églife. Pépin zï-
fectoit de ne rien entreprendre fans avoir auparavant
pris le confeil des grands q ui, en revanche, lui accordèrent
tout, excepté le titre de roi: M.de Mably croit
que ce fut par un effet de fa modération qu’il négligea
de le prendre ; mais les François n’étoient pas encore
difpofés à le donner. Charles-Martel qui n’avoit pas
moins de dextéritc,& qui avoir bien plus de talentôc
de génie , le quêta inutilement ; & quoi qu’en dife
l’excellent auteur que j’ai déjà plufieurs fois cité, le
titre de maire de Neurtrie que prit Pépin après fa
viffoire , ne fut point de fon choix , il fut obligé de
s’en contenter. Pépin., c’ert ainfique s’exprime M .de
» Mably, qui s’étoit fait une habitude de fa mo-
» dération, ne fentit peut-être dans le moment qu’il
» en recueilloit le fruit, tout ce qu’il pouvoit fe
» j)romettretle fa viffoire, de l ’attachement des Au-
» rtrafiens , & de la rcconnoiffance inconfidérée des
» François de Neurtrie & de Bourgogne : peut-être
» auffi jugea-t-ilqu’il étoit égal pour les intérêts que
» Thierri fût roi ou moine; l’ambition éclairée fe con-
« tente de l’autorité & néglige des litres qui la ren-
» dent prefque toujours odieufe ou fufpeèe. Pépin
»> lairt'a à Thierri fon nom, fes palais & fon oifive-
» te, & ne prit pour lui que la mairie des deux
») royaumes qu’il avoir délivrés de leur tyran ». L’idée
que préfente ce tableau eft contraire à celui que
nous offre Thirtoire. M, de Mably fcmble vouloir
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coiittfter il Pevin la gloire d’avoir fa proijarer les
événement, & peut s’en fautqiùl n’atmbue an hazard
la conduite de cet homme étonnant. Si Pifia ne
condamna pas Thierri à languir dans l’oblcunie d un
cloître, c'eft qu’il y voyoït encore trop de danger ,
c’ert qu’il étoit retenu par l’exemple encore récent
deCrimoalcIe, & non parce qu’il regardoit la couronne
avec indifférence. Un minirtre qui_ s’étqit fait
déférer le titre de prince , 6i. qui ne paroifi'oit jamais
en public cju’avec le faite de la royauté , ne lera jamais
placé au rang dcselprits modères, llu e r r i ne
doit pas être confondu parmi les princes oifif's tel
que nous le repréfente l’auteur accrédite que jofe
combattre : ce monarque parut toujours à la tete de
fes armées. M. de Mably applaudit encore à la mort
de Bertier qu’il appelle un tyran; mais ctoit-ce un
crime dans ce minirtre de vouloir ramener les grands
fous le joug d’une autorité legitime, quils avoient
prefqu’entiércment fecoué : Pepin , après avoir confié
la garde de Thierri à un nommé Noiberg qui lui
étoit vendu , partit pour fa principauté : là cour
marquoit bien que toute l’autorité croit entre fes
mains. Une evjDcdition qu’il fît au-delà du Rhin, doit
il revint vidlorieux , feivit encore à aftermir fa
piùrtànce & fixa tous les yeux lur lui. Ce fut pour
tranquill.fer les grands, qu’il remit en vigueur les af-
femblées générales d.^;jt on avoit prcfque perdu la
mémoire : les grands qui votoient dans ces aflein-
blées , ne dévoient pas craindre l’abus^ d autorité
, ils durent regarder la mairie avec indifférence ,
elle ne devoit pas leur être bien chere, puifquclle
leur devenoit fuperfluc. Pepin fe garda cependant
bien de rendre ces afiemblées trop fréquentes : il
voulut les faire délirer ; la premiere qu il ordonna fe
tint fous Clovis III , fantôme de royauté qu’il n’avoit
pu fe difpenfer de montrer aux peuples. Une
obfervation importante, c’eft que Pepen n’y parut
pas, il étoit probablement retenu par la crainte de
fe compromettre, il n’eût pu y occuper que la fécondé
place, ÔC il vouloit infenliblement enger en
doute fl la premiere ne lui étoit j)as due : le roie 1er-
vile qu’il fit jouer à Thierii, a.nù qi-i’à Clovis I I , à
Childebert & à Dagobert iU , fait prefumer qu'il
feroit parvenu à le faire croire. Les grands officiers
de la couronne devenoient officiers du prince d Aurtrafie
& du maire de Neurtrie. Pepin on un référendaire
6c de ces fortes d’inîendans appelles dome-
fliques, par raj^poit aux maifons dont on leur con-
fioit le foin. On ne peut cependant s’empêcher de
faire une réflexion fur la brièveté du regne deThierri
6c de fes fucceffeiirs ; depuis la cataitrophe de ce
prince arrivée en 689, jiifqu’au couronucmcni de
Pépin U-bref, il ne s’ert écoulé que 73 ans,ôc pendant
cet intervalle, on voit fix rois : P^-pi-n d’HenJlul
en vit cHfparoître trois dans l’efpace ae yingi-cltux
ans. Thierri mourut dans la vigueur de la g s , nn an
après fa défaite ; Clovis I I , au lortir de l'entanceq
Childebert III ne parvint point à iTige viril : les hi-
rtoriens, dont j’ai fait entrevoir quelle pouvoir être
la trempe, ne s’expliquent point lur le gtiirc de leur
mort ; ils difem bien que Pépin lesfîi ioigueulemcut
obferver, & ne peuvent le jullificr d’avoir trempé
dans plufieurs affartinats : le miniltere , nous dirions
mieux le regne de Pépin, n’offre plus rien à nos obfervations,
linon qu’il vot.lut rendre la principauté
hcreditaire dans fa famille, & perpétuer les fers
dont fes ancêtres, lui-même, avoient chargé les
rois dcNeurti’ie, Ü deftina la principauté d’Auuralie
à Drogon fon aine , 6c la mairie de Neurtrie 6c de
Bourgogne à Gi Imoalde fon cadet ; mais ce qui mon-
tre que la puifiànce étoit fans bornes, c’ert que Gri-
moalde étant mort , il fît pallér la mairie, qui jul-
qu’alors n’avoit été confiée qu’à des hommes murs,
à Théodoalde, jeune enfant, qui avoit à peine fix'
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ans ; ainfi Dagobert, âgé de douze ans, eut un minirtre
plus enfant que lu i, 6c qui devoit le gouverner
fous la tutelle de Pieefrude, veuve de Pépin.
Que peut-on imaginer de plus humiliant, de [ilus
dégradant pour la royauté ? Cet aéfe de ddpoiifme
fut le dernier de fa vie ; il mourut en 714 le 16
décembre. Son l'urnom d’Kerirtal lui fut donné d’un
chateau où il fit fon principal féjoar : outre Drogon
6c Grimoalde qu’il avoit eu de Plertrude, & dont
la mort avoit précédé la fienne, il laiffoit plufieurs
fils naturels. Charles , fîlsd’Alpaide, 6c Chiîdtbran,
dont on ne fait quelle fut la mere : la vciivc PJe-
éfrude, placée à la tête de la régence n’omit rien
pour jurtifîer le choix de fon mari ; eile fit renfermer
dans les prifons de Cologne Charles-Martel
, dont le génie lui faifoit ombrage ; elle prit
alors les rênes du royaume d’Aurtrafie , au nom
de fon arriéré-fils Arnout, fils de Drogon, & envoya
Théodoalde à la tête d’une armée fe fàifir de
la mairie de Neurtrie 6c de Bourgogne : les feigneurs,
attachés à la perfonne de Dagobert, crurent que
c'étoit l’inrtant favorable de lui rendre une partie de
l’autorité : ils lui infpirerent des fentimens dignes de
la nairtance 6c de fon rang , 6c le déterminèrent à
marcher contre Théodoalde 6c contre Plertrude.
Une victoire lui ouvrit les portes de l’Aurtrafie, mais
Charles-zMartel ayant rompu les liens où le retenoit
fa marâtre, les lui ferma prcfqueaiiffitôt. L’Aurtrafie
qui lùpportoir impatiemment le joug d’une femme ,
proclama Charles-Martel, dont les exploits étonnans
effacèrent tous ceux de fa race. « C ’étoitunhomme,
» dit M. de Mably, qui avoit toutes les qualités de
» l’efprit dans le dégrc le plus éminent; fon ambi-
» tion audacieiife, bruyante 6c fans bornes, ne crai-
» gnoit aucun péril : aiifil dur, auffi inflexible en-
» vers fes ennemis, que généreux 6c prodigue pour
» fes amis, il força tout le monde à rechercher fa
» proteêtion : apres avoir dépouillé fa belle-mere &
» fes freres, il regarda la mairie que Dagobert avoit
» conférée à Ramtroi commeune portion defonhé-
» ritage ; il lui fit 1.1 guerre, le défit, & comme fon
» pere, il réunit au titre de prince ou de duc d’Auf-
» trafie Celui de maire de Neurtrie 6c de Bourgogne.
» Pépin avoit été un tyran adroit 6c rufé, Charles-
» Martel ne voulut mériter que l’amitié de fes fol-
» dats, 6c f e fit craindre de tout le rerte : il traita
» les François avec une extrême dureté ; il fit plus,
» il les méprifa : ne trouvant par-tout que des loix
» oubliées ou violées, il mit à leur place fa vo-
» lonté. Sûr d’être le maître tant qu’il auroit une
» armée affeéfionnce à fon fervice, il l’enrichit fans
» fcriipule des dépouill.s du clergé , qui poffé-
» doit la plus grande partie des richeffes de l’état,
» qui fut alors traité comme les Gaulois l’avoient
» été dans le tems de la conquête. Charles-.Martel,
» continue M. de Mab'y , qui nous paroît avoir par-
n fciitement vu cet homme célébré , n’ignoroit pas
» que les Mérouingiens avoient d’abord dû leur
» fortune & enfuite leur décadence à leurs bénéfi-
» ces, il en créa de nouveaux pour fe rendre auffi.
» puiffani qu’eux, mais il leur donna une forme
» toute nouvelle, pour empêcher qu’ils ne caufaf-
» fent la ruine de fes fucceffeurs, les dons que les
» fils de Clovis avoient faits de quelques portions
» de leurs domaines, n’etoient que de purs dons,
» qui n’impofoienc aucuns devoirs particuliers 6c ne
» conféroient aucune qualité dirtinélive : ceux qui
» les recevoient n’étant obligés qu'à une reconnoif-
» fance générale & indéterminée , pouvoient aifé-^
» ment n’en avoir aucune, tandis que les blenfai-
» teurs en exigeoient une trop grande , 6c delà de-
» voient naître des plaintes , des reproches , des
» haines, des injurtices & des révolutions. Lesbéné-
» fices de Charles-Martel furent au contraire ce que