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154 O P -t par intervalles , laifTe rcfpirer l’ame : volk't les fujets
que chérit la pocTie lyrique, & dont Qiiinault a
fait un fi beau choix.
La pafTion qu’il a préférée, e lî, de toutes , la plus
féconde en images & en fentimens ; celle où le liic-
cedent, avec le plus de naturel, toutes les nuances
de la poélie , & qui rétinit le plus de tableaux rians
6c l'ombres tour-à-tour.
Les fujets de Quinault font fimples, faciles à ex-
pofer , noués & dénoués fans peine. Voyez celui de
Roland : ce héros a tout quitté pour Angélique ;
Angélique le trahit èc l’abandonne pour Médor.
^'üilà l'intrigue de fon pocnie ; un anneau magique
en fait le merveilleux ; une tète de village en fait le
dénouement. Il n’y a pas dix vers qui ne foient en
femimens ou en images. Le fujet d’Armide elf encore
plus limple.
La double intrigue d’Atys & celle de Théfée, ne
font pas moins faciles à démêler ; & tclelf en général
la limplicité des plans de ce poete , qu’on peut les
expofer en deux mots.
A l’égard des détails & du üyle , on vost Quinault
fans celTe occupé à faciliter au miiiicien un récit à
la-fois naturel & mélodieux. Le moyen , par exemple
, de ne pas déclamer avec agrément ces vers des
premieres Icenes d’Ilis ? C’elf Hiérax qui fe plaint
d’Io :
Depuis quunc nymphe inconjlante
A trahi mon amour & m'a manqué de foi y
Ces lieux, jadis f i beaux , riont plus rien qui m'enchante
;
Ce que f aime a changé, tout a changé pour moi,
L'inconfantt tia plus Cempreffenunt extrême
De cet amour naifjant qui répondoii au mien :
Son changement paraît en dépit d'elle-même :
Je ne le connais que trop bien.
Sa bouche quelquefois dit encor qu'elle m’aime ;
Mais fon coeur ni jes yeux ne m'en difent plus rien.
Ce fut dans ces vallons , ou , par mille détours y
Inachus prend plaijîr à prolonger J'on cours ,
Ce fut fur fon charmant rivage
Q^ue fa fille volage
Me promit de rri aimer toujours.
Le fphir fut témoin y L'onde fut attentive ^
Q^uand la nymphe jura de ne changer jamais ;
Mais le léphir léger & l'onde fugitive ,
Ont enfin emporté les fermens quelle a faits.
Et en parlant à la nymphe elle-même, écoutez
comme l'es paroles femblent lolliciter une déclamation
mélodieul'e :
Vous junei_ autrefois que cette onde rébclle
Se feroit vers fa J'ource une route nouvelle ,
Plutôt qu'on ne verroit votre coeur dégagé ;
Voyc^ couler ces flots dans cette vafie plaine :
C’cjl le même penchant qui toujours les entraim.
Leur cours ne change pointy & vous ave^ change.
I O.
Non , je vous aime encor.
H i é r a x .
Quelle froideur extrême !
jneonfiante , efi-ce alnfi quon doit dire quon aime?
I O.
Cefl à ton que vous m'acctff^.
Vous vu toujours vos rivaux méprifés,
H i é r a x .
Le mal de mes rivaux n'égale point ma peine,
La douce illufion d'une ejpéranet vaine
Ne Us fait point tomber du faîte du bonheur :
Aucun d'eux comme moi rCaperdu votre coeur.
O P E On voit encore un exemple plus fenfible de la
vivacité , de l’aifance & du naturel du dialogue lyrique
, dans la feene de Cadmus:
Je vais partir , belle Hermione.
Mais un modèle parfait clans ce genre ell la feene
du cinquième aéle d’Armide :
Arinide y vous m'alU^ quitter y & C .
R e n a u d .
D 'une veine terreur pouve‘^-vous être atteinte ,
Vous qui faites trembler U ténébreux J'éjour !
A R M I D E.
Vous ni apprenez à connaître l'amour ;
L'amour nêapprend et connaître la crainte :
Vous brtilie^ pour La gloire avant que de maimer .*
Vous La cherchieipar-tout d'une ardeur fans égak,
La gloire ejl une rivale
Qui doit toujours nCallarmer,
R e n a u d .
Que f étais infenfé de croire
Qu 'un vain laurier donné par la vicloire
De tous Us biens fut U plus précieux l
Tout l'éclat dont brille la gloircy
Vaut-il un reg.ard de vos yeux?
C ’elf en étudiant ces modèles qu’on fentira ce
que je ne puis définir , le tour élégant & facile, la
précifion, l’aifance , le naturel, la clarté d’un % le
arrondi, cadencé, mélodieux , tel enfin qu’il femble
que le poète ait lui-même écrit en chantant. Et ce
n’eù pas feulement dans les chofes tendres & vo-
liiptueufes que fon vers eft doux & harmonieux; il
fait réunir,quand il le faut,l’élégance avec l’énergie,
môme avec la fublimitc. Prenons pour exemple
le début de Pluton dans Vopéra de Prol'erpine :
Les efforts d'un géant qu’on croyoit accablé y
Ont fait encor frémir le ciel, la terre & l'onde, ‘
Mon empire s'en efi troublé.
Jufqu' au centre du monde
Mon trône en a tremblé.
L'affreux Typhécy avec fa vaine rage ,
Trébuche enfin dans des gouffres fans fonds.
L'éclat du jour ne s'ouvre aucun paffage
Pour pénétrer Us royaumes profonds
Qui me font échus en partage.
Le ciel ne craindra plus que fes fiers ennemis
Se reUvent jamais de leur chiite mortelle ;
Et du monde ébranle par Leur fureur rebelle ,
Les fondemens font affermis.
Il ctoit impolîible , je crois , d’imaginer un plus
digne intérêt pour amener Pluton fur la terre , 6c de
l’exprimer en de plus beaux vers.
Si l’amour efl la palTion favorite de Quinault, ce
n’eR pas la feule qu’il ait exprimée en vers lyriques,
c’eft-à-dire, en vers pleins d’ame & de mouvement.
Ecoutez Cérès au défefpoir apres avoir perdu fa
fille, 6c la flamme à la main , embrâfant les moif-
fons :
J'ai fait U bien de tous. Ma fille efi innocente ,
Et pour toucher les dieux mes voeux font impuiffans ;
J'entendrai fans pitié Us cris des innocens.
Que tout fe reffente
De La fureur que je reffens.
Ecoutez Médufe dans Vopéra de Perfée.
Pallas y la barbare Pallas ,
Fut jaloufe de mes appas ,
E t me rendit affreufe autant que j ’étois belle j
Mais C excès étonnant de la difformité
Dontme punit fa cruauté y
O P E
Fera connoître, en dépit d elle ,
Quel fut l'excès de ma beauté.
Je ne puis trop montrer fa vengeance cruelle.
Ma tête efifiere encor d’avoir pour ornement
Des ferpens dont U fifflemcnt
Excite une frayeur mortelle.
Je porte l'épouvante & la mort en tous lieux ;
Tout J'i change en rocher à mon aj'pecl horribU,
Les traits que Jupiter lance du haut des deux ,
N'ont rien de f i terrible Qu'un regard de mes yeux. ^
Les plus grands dieux du cicly delà terre & de l ont e.
Du Join de fe venger fe repofent fur moi.
Si je perds la douceur d'etre l'amour du monde ,
J'ai U p la ifir nouveau d'en devenir l'effroi.
Boileau a v o it -illu ces vers, lorfqu’en fe moquant
d’un genre dans lequel il s’efforça inutilement
lui-même de rcuffir,il difoit des operas de
Quinault :
Et jufqu à je vous hais, tout s'y dit tendrement.
Avoit-il lu le cinquième aéle éJAtys : .
Ouo\ ! SMgariJc ifi moru ! A,y s 4 fon bonrrau !
QudU vengiana , d dieux ! fnpfhce nouveau!
QiieUes horreurs font comparables
Au x horreurs que je fens!
Dieux cruels , dieux impitoyables ,
N’étes-vous toul-puifjunts
Que pour faire des miférablesh
Quelle force ! quelle harmonie ! quelle incroya-
blct'acillté ! Que ceux qui refuient à la langue fran-
çoife d’être nombreufe & fonore lifent ce poete ,
& Qu’ils décident. Perfonne n’a croifé les vers &
arrondi la période poétique avec tant d’intelligence
& de goût. Mais ce qui lui manque , c’ell la partie
correlpondante au chant périodique & au récitatif
obligé, qui depuis Lully a été porté à un h haut
degré de beauté dans la mufiqtte ualienne. Voyeq_
Ai r , C h a n t , &c. d’iy/d _ ^
Dans les vers lyriques deftincs au rccitatit libre
& fttnple, on doit éviter le double excès d’un ftyle
ou trop diffus ou trop concis. Les vers dont le flyle
cft diffus font lents , pénibles a chanter, (k d’une
expreffion monotone ; les vers d’un llyle coupé par
des repos fréqiiens , obligent le muficien à baler de
même fon ftyle. Cela eft refervé au tumulte des
paffions, & par conféquent au récitatif obligé; car
alors la chaîne des idées eft rompue , & à chaque
inftant il s’élève dans l’ame un mouvement lubit &
nouveau. , . . .
Un ftyle chargé d’épithetes ou de phrafes incidentes
, n’cft pas celui du poète lyrique. Si vous
accumulez ou les tableaux ou les fentimens, le mu-
ficien fe trouve à la gêne, U manque d’efpace ; il
veut tout peindre, il ne peint rien. C e lt dans le
vague qu'il fe plaît : donnez-lui des efquiires , il les
achèvera. Mais laiffez-lui des intervalles. Dans les
beaux vers du début des élémens, voyez comme
chaque image eft détachée par un filence : c’eft
dans ces lilences de la voix que l’harmonie va fe
faire entendre.
Les terns font arrivés. Ceffei trifie cahos.
Paroiffe{ élémens. Dieux, alUi_ leur preferire
Le mouvement & le repos.
Tene^-les renfermés chacun dans fon empire.
CoulciyOndes yCoulei. Vole^y rapides feux.
Voile aiiiré des airs y ernbraffei la nature.
Terre enfante des fruits y couvre-toi de verdure.
Naiffeiy mortels , pour obéir aux dieux.
Si au contraire les fentimens ou les images que
l’on peint font deftinées à former un air d’un dclfm
continu 6c Ample, I’unitc de couleur 6c de ton eft
Tome IV,
O P E 155 cflenticlle au fujet même ; & c’eft le vague de l’ex-
preflîon qui facilitera le chant. Dans le Demophoon
de Métaftafe , Timantc qui frémir de fe trouver le
frere de fon fils, n’exprime fa pitié pour le malheur
de cet enfant qu’en termes vagues; mais la
muflque y fait bien fuppléer.
Mifero pargoletto ,
I l tuo defiin non f a i .
A h ! non g li dite mai
Qual'era i l genitor.
Corne in un ponio , 0 dio î.
T u tto cangio d'afpttto !
V o i fo f ie i l rnio diUno y
V o i f i i t e i l rnio terror.
Pour que l’intelligence fût plus parfaite , on fent
bien qu’il feroit à louhaiter que le poète fût muA-
cien lui-même. Mais s’il ne réunit pas les deux ta-
lens, au moins doit-il avoir celui de preftentir les
effets de la muAque; de voir quelle route^elle aime-
roit à fuivre , A elle étoii livrée à elle-même ; dans
quels moniens elle prefferoit ou ralentiroit fes mou-
vemens; quels nombres 6c quelles inflexions elle
employeroit à exprimer tel fentiment ou telle image
; 6c quel tour d’expreflion lui donne de plus
belles modulations. Tout cela demande une oreille
exercée, 6c de plus un commerce intime, une communication
habituelle du poète avec le mufleien.
Mais peut-être aufiî la nature a-t-elle mis une intelligence
fecrete entre le génie de l’un ôc le genie de
l’autre ; peut-être eft-ce au défaut de cette fympath^
que nos poètes les plus célébrés^ n’ont pas reuüi
dans le genre lyrique. Il eft vrai du moins qu en
voyant la poéfie médiatrice entre la naUire 6c l art,
obligée d’imiter l’une 6c de favorifer 1 autre, e
prendre le langage qui convient le mieux à celiu-ci,
6c qui peint le mieux celle-là, de leur ménager^, en
un mot, tous les moyens de fe rapprocher 6c de s embellir
mutuellement, k talent du poète lyrique, an
plus haut degré, doit paroùre un prodige. Que fera-
ce donc A l’on confidere Vopéra françois comme un
poème où la danfe, la peinture 6c la méchanique
doivent concourir avec la pocAe 6c la muAque a
charmer l’oreille 6c les yeux t Or telle eft I mce hardie
qu’en avoir conçue le fondateur de notre theatre
lyrique ; 6c l’on peut dire qu’en la concevant il a
eu la gloire de la remplir. Vopéra italien avoir commencé
comme le nôtre ; mais par économie, on y
renonça bientôt au merveilleux ( Ly r iq u e ,
Suppl.). Notre ancien théâtre, long-tems avant Qiu-
nault, avoii effayé de donner dans la tragédie le
même genre de Ipeaacle ; mais non-feulement ce
merveilleux étoit déplacé, il ctoit burlefque : on
peut vo'irdans Vartidc BiENSEyVKCE, 5 «^/?/. quel
étoit le langage de l’Aurore , de Venus , de Circe.
Par exemple voici comme on évoquoit ks demons.
.yiiï Be lialy S a ta n & Mild e fa u t ,
Torchebin et, Saucierain , G r ih a iit,
F ra n cip ou la in , Noricot & Graincelle ,
Aftnodcus & toute la fc q a ille .
Cette évocation eft un peu différente de celle-ci.
Sorteidérnonsy f o r u id e la n uit infernale ;
Voye:^ le jo u r p o u r le troubler.
On iuge bien que le langage des démons n’etoit pas
moins différent de celui que Quinault leur a tait
parler.
Godions h f e u l p la ifir des coeurs mfortunés :
Ne fo y o n s pas Jeiils rniferables.
Il eft donc bien certain qifà tous égards Quinault
a été le créateur de ce théâtre ; ^
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