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4 3^ P O E
fut vraiment en Italie que la lumière le répandit:
foit à la faveur du commerce de l’Orient & du voifi-
nage de la Grece,d’où les arts & les lettres paflorent
c\ Venife , & de Venife à Rome & k Florence ; Idit
à caufe de la conlidération plus finguliere que Plfalie
accordoit aux mufes, & du triomphe poétique rétabli
dans Rome, o il, depuis Théodol'e, il étoit aboli ;
foit par l’ineftimable facilité qu’eurent bientôt les
talens de puil'er dans les fources de l’antiquité, dont
les précieux relies avoient été recueillis & dépofes
dans les bibliothèques de Florence & de Rome ; foit
enfin, grace k l’amour éclairé, fmeere & généreux
dont Léon X & les ducs de Florence , les Médicis,
honoroient les lettres.
Mais , quoique l’Italie moderne fu t , k quelques
égards , plus favorable à la poéjîe que l’ancienne
Rome , par la jaloufie &; la rivalité des petits états
qui la compofoient, par la diverfité & la fingularité
des moeurs de fes peuples , par l’importance qu’ils
attachoient aux arts, & la gloire qu’ils avoient inife
à s’effacer l’un l’autre en les faifant fleurir ; les deux
grandes fources de la poé/îc ancienne , l’iiiltoire &
la religion , n’étant plus les mêmes , le génie le rel-
fentit de la féchereffe de l’une & de l’autre; & le
laurier de la poe/îi, après avoir pouffé quelques rameaux
, périt fur ce terroir ingrat.
Dans ritalie moderne, la poèfu , dès fa nalffance,
s’étoit confacrée k la religion ; mais , par un zele
mal entendu , on lui fit donner des fpeèfacles pieu-
fement ridicules , au lieu de l’initier aux cérémonies
religieufes & de l’appeller dans les temples , où elle
auroit produit des hymnes 6c des choeurs fublimes.
L’erreur de toute l’Europe , fut que les myfteres
de la religion pouvoient prendre la place des fpeéfa-
cles profanes. Nous avons fait voir que le merveilleux
de ces myfferes ineffables n’étoit rien moins
que dramatique. C’étoit à la pocjîc lyrique k les
célébrer ; ils étoient réfervés pour elles : car l'clo-
quence & l’harmonie peuvent donner aux idées un
caraftere impofant, augiiffe & fiiblime, auquel
l’imitation ne fauroits’élever. Commentpeindreaux
yeux fur la feene Vin foU pofuit tabcrnaculum fuum,
ou le volavitfuper ptnnas ventorum ?
Il eff donc bien étonnant que l’Iralie ayant mis
tant de magnificence à décorer fes temples, ayant
porté fl loin la pompe de fes fêtes, ayant employé
les peintres , les fculpteurs , les muficiens les plus
célébrés à donner plus d’éclat à fes folemnités, ayant
toléré meme le facrifice le plus cruel de la nature
pour conferver de belles voix, n’ait pas daigné pro-
pofer des prix & le triomphe poétique à qui célé-
breroit dans le plus beau cantique , ou les myfferes
de la f o i , ou les vertus de fes héros.
La langue vulgaire étoit bannie des folemnités de
l’églife ; 6c la naïve fimplicité des hymnes déjà con-
facrées , ne laiffa rien deffrer de plus beau ; peut-
être aufiî que dans les rites on craignit les innovations.
Quoi qu’il en fo it , les arts qui ne parloient
qu’aux fens , furent tous appellés à décorer le culte,
éc le feul qui parloir à l’ame fut dédaigné comme inutile
, ou négligé comme fuperflu.
Dans le profane la poéjie lyrique n’eut pas plus
d’émulation. Les guerres civiles dont l’Italie avoir
été déchirée, les fchifmes, les féditions, les révolutions
fanglantes dont elle venoit d’etre le théâtre ,
l’afcendant & la domination du faim Siege fur tous
les trônes de l’Europe, & les fecouffes que les deux
puiffancesfedonnoient réciproquement & fi fréquemment
l’une à l’autre , auroient offert à de nouveaux
Tyrtées des circonftances favorables pour naître &
pour fe fignaler ; mais ce que j’ai dit de l’ancienne
Rome, je le dis de l’Italie moderne 6c de tout le
rpfte de l’Europe : pour donner de la dignité 6i de
P O E
l’importance au talent du poète, & faire de lui,
comme dans la Grece , un homme public révéré
il eût fallu des peuples auffi férieufement paffionnes
que les Grecs pour les charmes de la poéjîe. O r , foit
que la nature n’eûtpas donné auxltaliens une oreille
auffi délicate 6c une imagination auffi vive , foit que
la inufique ne fût pas encore cnétat d’ajouter au charme
des vers , foit que les circonftances qui décident
le goût, la mode, l’opinion publique , ne fuffent pas
affez favorables, il eff certain qu’un poète lyrique
qui, dans l’Italie ,à la renaiffance des lettres ,& dans
les tems même où elles y ont fleuri, fe feroit érigé en
orateur public , auroit été reçu comme un hlffrion,
d’autant plus ridicule, que l’objet de fes chants auroit
été plus lérieux.
La poeJîe épique fut plus heureufe dans l’Italie
moderne. Elle avoir fait fes premiers cfl’ais en Provence
, vers le onzième llecle ; elle trouva dans l’Italie
une langue plus riche 6z plus mélodieufc , efpece de
latin altéré, affbibli, mais q ui, dans fa corruption,
avou retenu du latin pur un grand nombre de mots,
quelques inverfions 6^ des traces de profocHe. Aux
avantages de cette langue , déjà cultivée par D ante,
Boccace 6c Pétrarque,fe joignoient, en faveur de la
poé/ù épique , l’efpric de fuperffition dont l’Iralie
étoit le centre, les moeurs de la chevalerie qui avoit
étéThéroiIme Gaulois , 6c qui reftoit encore à peindre,
6c rintérêtvif& récent de l’expédition des croi-
fades , fujet héroïque 6c facrc, 6c d’un intérêt à-la-
fois religieux & profane, fujet par-là peut-être unique
dans toute l’hiftolre moderne.
L’Arioffe , dans un poème héroï-comique , le
Taffe, dans UQ poème férieux 6c vraiment épique,
profitèrent de ces avantages , tous deux en hommes
de génie. L’un fe jouant de l’héroifrac 6c de la galanterie
chevalerefque , & fur-tout du merveilleux de
la magie , employa l’imagination la plus brillante 6c
la plus féconde à renchérir fur la folie des romans ;
& par le brillant coloris de fa yPotÿFe, la gaieté qu’il
mêle au récit des aventures de Les héros , la grâce,
la facilité, la variété de fon ffyle, il a fait d’une coin-
pofition infenfée un modèle de poéjîe, d’agrément
êc de goût: l’autre , plus fage & plus févere°au lieu
de fe jouer de l’art, en a fubi les loix 6c vaincu les
difficultés par la force de fon génie. Plus animé que
VEnéide , plus varié que VIliade, 6c d’un intérêt
plus touchant, fi fon poème n’a pas des beautés auffi
lublimes que fes modelés, il en a de plus attrayantes,
& fe foutient à coté d’eux. L’Aiioffe 6c le Taffe
firent donc oublier le Boyardo 6c le Pulci qui leur
avoient ouvert la route ; mais en puifant dans les
nouvelles fources , ils les tarirent pour jamais.
L ’héroïfme chevalerefque n’a qu’un feul caractère
: c’eff de confacrer la valeur au fervice de la foi-
bleffe , de l’innocence 6c de la beauté, & de mettre
la gloire des hommes à défendre celle des femmes. II
fuit de-Ià que lorlque dans un poème j'érieux ou co-
mi(^ue on a fait rompre vingt fois des lances pour les
intérêts de l’amour, les aventures romanefques font
épuifées, 6c qu’on ne peut plus revenir fur cette efpece
d’héroïfme, fans repaflèr fur les mêmes traces ;
6c c’eft ce qui eff arrivé.
- Le merveilleux de la magie, celui de la religion
môme, confidcrés poétiquement, ne font pas des
fources plus abondantes ; & la mythologie a fur l’une
& l’autre des avantages infinis, M e r v e i l l
e u x , Suppl. )
Si l’Italie n’eut que deux poèmes épiques, ce n’cft
donc point parce qu’elle n’eut que deux génies propres
à rcuffir dans ce genre élevé, mais parce qu’un
troifieme après eux auroit trouvé la carrière epui-
fée; & qu’il en eff de l’hiffoire & de la théurgie moderne
, comme de ces terreins fuperficiellement fertiles
que ruinent une ou deux moiffons.
Comme
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Comme l’aOion du poème dramatique ne demande
ni la même importance du coté de levcnement
hifforique, ni les memes reffources du côté du merveilleux
, 6c que les deux grands intérêts de la tragédie
, la compaffion 6i la terreur, naiffent des grandes
c Jamiiés ; illeinble que l’Italie, dans les tems
défaffreuxqui avoient précédé la renaiffance des lettres
, ayant été prel'que lans relâche un théâtre l'an-
qlaritdedif'cordes, de guerres politiques & religieulcs,
étrangères 6c domeftiques, de haines 6c de taèlions,
de féditions, de complots 6c de crimes ; la tragédie,
dans aucun pays, ni dans aucun fiecle, n a dû trouver
un champ plus vaffe 6c plus fécond. De tous les
pays de l’Europe , l’Italie efi pourtant celui ou elle a
eu le moins de fucccs, jufqu’au tems oîi elle y a paru
fécondée |)ar la mulique ; 6c alors mome, ce na
pas été dans l'hilloire moderne qu’elle a jiris fes lu-
jets. Une fingularité f frappante doit avoir fes caufes
dans la nature , 6c les voici.
Point d'effort de génie fans émulation, point de
progrès dans un art fans un concours d’ariiffes animés
à s’effacer les uns les autres. O r , le concours des
poètes dramatiques 6c leur émulation fuppofent des
théâtres élevés à leur gloire, & un peuple nombreux,
paffionné pour leur art, affemble pour les
applaudir. Ce n’eff pas affezqu’un fénat comme celui
de Venii'e, ou qu’un fouverain comme un duc de Florence,
de Mantoiie,deFcrrare, favorife un art tel que
la tragédie, pour en obtenir des fuccès: combien de
pays en Europe où les rois font les frais d’un fuperbe
fpeffacle, où cependant il ne peut naître un poète
pour l’occuper ? C’eft l’enthoufiafme d’une nation entière
qui fert d’aliment au génie , 6c qui fait faire aux
talens mille efforts dont quelques-uns, par intervalle
& de loin à loin , font heureux. Si l’Italie avoii marqué
pour la tragédie , la même paffion qu’elle a pour
la mufique, fi, l'ans avoir, comme la Grece, une ville,
un théâtre , 6c des jours folemnels où elle le fût af-
fcmblée, elle eût fait au moins pour la tragédie , ce
qu’elle a fait depuis pour l’opéra ; fi Rome, Naples,
Milan, Venife 6c Florence à l’eiivi, l’avoient tour-à-
loiir appellée & s’étüient dÜ'puté la gloire défaire
naître, d’honorer, de récompenfer les talens qui auroient
excellé dans ce grand art , l’Italie auroit eu
des poètes tragiques comme elle a eu des muficiens ;
mais encore n’auroient-ils pas pris leurs lujeis dans
THiffoire de leur patrie.
La tragédie ne veut pas feulement des crimes &
des malheurs, elle veut des crimes ennoblis 6c des
malheurs illufties. O r , les perfonnages bons ou médians,
ne font ennoblis que par leurs moeurs ; 6c le
malheur ne nous étonne <|ue dans des hommes defti-
ncs à de grandes profpcrités, (oit par une haute nail-
fance, foit par d’héroïques vertus.
Et dans Thiffoire de Tltalie moderne, combien
peu de ces hommes dont Tame, le génie ou la fortune
annonce de hautes deffinées ? De tant de guerres
intertines, de tant de brigandages, de fureurs, de
forfaits, que rcffe-t-il qu’une imprelfion d’horreur ?
Deux fiecles de calamités & de révolutions ont-ils
lallTé le fouvenir d’un illuffre coupable , ou d’un fait
héroïque ? Des trahifons, des atrocités lâches , des
haines fourdes 6c cruelles , afl'ouvies par des noirceurs,
des etnpoilbnnemcns ou des affafiinats, tout
cela fait une impreffion de douleur pénible & révoltante
, fans aucun mélange de plaifir. L’ame eff flétrie
6c nell point élevée; on compatit comme à une boucherie
de viêfimes humaines que l'on voit malla-
cier; mais ce pathétique n'eff pas celui qui doit rogner
dans la tragédie. In t é r ê t , Suppl.
Ajoutons que, dans la peinture des moeurs tragiques
, il fe mêle fouvent des traits d’une philofo[)hie
politique ou morale, qui contribue grandement à
elever les fentimens par la noblcfiè des maximes ; 6c
Tome ly .
P O E 43 3 que cette partie de Part fuppofe une liberté de pen-
1er que les poètes n’ont jamais eue dans les tems 6c
dans les ]>ays où la fuperffition 6c l’intolérance ont
dominé. C a r , tel eff l’eff'et de la crainte fiir les t-f-
])rits, que non-l'eulcment elle leur ôte la hardioffe
de palïcr les bornes preferites, mais qu’au dedans
même de ces bornes, elle leur interdit la faculté d’agir
avec force 6c frauchife , pareils au voyageur li-
rnide, qui, en voyant à fes côtés deux précipices ef-
frayans, ne va qu’à pas tremblans dans le môme fen-
tier oîi il marcheroit d’un pas ferme s’il ne voyoit
pas le péril.
Ainfi, quoique les moeurs de l’Italie moderne,
comme du refte de l’Europe, permifi'cnt à la tragédie
une imitation plus vraie que ne l'éroit celle des
Grecs ; quoique fur les nouveaux théâtres, les acteurs
de l’un 6c de l’autre fexe, lans malque ni ro-
ihurne , ni porte-voix , ni aucune des monftru'.-ules
exagérations de la feene antique, puffent reprefenter
l’adion théâtrale au naturel ; la tragédie ayant fait
d’inutiles efforts pour s’élever fiir les théâtres d'Italie
, a été obligée de les abandonner, 6c la comédie
elle-même n’y a pas eu un plus heureux fort.
La vanité eff la mere des ridicules, comme l’oifi-
veté eff la mere des vices ; & c’eff le commerce habituel
d’une fociété nombreufe qui met en aefion 6c
en évidence les vices de l’oifiveté 6c les ridicules de
la vanité. Voilà l’école de la comédie : il eff donc
bien aile de voir dans quel pays elle a dit fleurir.
En Italie , ce ne fut ni manque d’oifiveré, ni manque
de vanité, mais ce fut manque de fociété que
la comédie ne trouva point des moeurs favorables
à peindre. Tous les débats de l’amour-propre s’y
réduifirent prefque aux rivalités amoureules ; 6c les
feuls objets du comique furent les artifices & les folies
des amans, l’adreffè des femmes à fe jouer des
hommes, la fourberie des valets, i’inqiiictude, la jaloufie
6c la vigilance trompée des peres, des meres,
des tuteurs 6c des maris. Le comique Italien n’a donc
été qu’un comique d’intrigue ; mais par la conftiui-
tion politique de l’Italie, divifée en petits états malignement
envieux l’an de l'autre, il s’eff joint au
comique d’intrigue un comique de caractère national
; enforte que ce n’eff pas le ridicule de telle efpece
d’hommes, mais le ridicule ou plutôt le ca-
raéfere exagéré de tel peuple, du Vénitien , du Napolitain
, du Florentin qu’on a joué. Il s’enfuit de-là
que du côte des moeurs , toutes les comédies italiennes
fe reflèmblent, 6c ne different que par l’intrigue
ou plutôt par les incidens.
Les Italiens n’ayant donc ni tragédie, ni comédie
réouliere ÔC décente, inventèrent un genre de fpeéla-
cle qui leur tint lieu de l’un 6c de l’autre , 6c qui par
un nouveau plaifir pût fuppléer à ce qui manqiieroit
à leur poejic dramatique. Nous aurons lieu de voir
par quelles caufes ce nouveau genre, favorifé en
Italie, y dut profpérer & fleurir; par quelles caufes
les proiirès en ont été bornés ou ralentis, 6c pourquoi
, s’il n’eff traniplamé , il y touche à fa décadence.
Toyei O pér.\ , Suppl.
Ce que nous avons dit de l’ode ou du poème lyrique
des Grecs , à l’égard de l’ancienne Rome 6c de
ritalle moderne , doit à plus forte ralfon s’entendre
de tout le reffe de l’Europe ; 6c fi dans un pays où
la mufique a pris naiffance, où les peuples lembioient
organlfés pour elle , oîi la langue naturellement flexible
6c fenore a été fi docile au nombre 6c aux modulations
du chant, il ne s’eff pas élevé un feul poète
q u i, à l’exemple des anciens, ait réuni les deux talens',
chanté fes vers, 6c foutenu fa voix par des
accords harmonieux; bien moins encore chez des
peuples où la mufique eff étrangère, & la langue
moins douce 6c moins mélodieufc , un pareil phénomène
dcvoit-il arriver. _
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