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cxçiTiple !a fable dii Cid : Rodrigue eÜ oblige de
réparer, parla mort du perede la maùrelîe, l’alRont
du lüufflft qu’a reçu le lien ; il n’eSl pas jiollible
d’imaf’inerdans nos moeurs une liuinbon plus cruelle;
& le fort pour accabler deuK amans Icmble avoir
cxjirès combiné cette oppoliîion des intérêts les plus
lenlibRs & des devoirs les plus facrés. Voyons cependant
d’oii nallfent ces combats de l’amour de
h nature ; d’une difpute élevée entre deux couni-
fans , fur une marque d'honneur accordée à l’un préférablement
à l’autre : rien de plus limple ni de plus
familier : le fpedateiir volt naître la querelle , il la
voit s’animer, s’aigrir, le terminer par cette inlulte
qui ne fc lave que dans le lang ; lans avoir loiip-
çonné l’artincedu poète, ille trouve engagé avec les
perl'onnages qu’il aime, clans un aby me de malheurs.
Il en dt ainfii de tous les fujets bien conillcucs , cha-
cue incident vient s’y placer comme de lui-même
dans l’ordre le plus naturel; & lorfqu’on les voir réunis
, on eft confondu de l’efpcce de merveilleux qui
rcUiItede leur enfcmble. Toutefois fi ces incidens
ctoient trop accumulés , chacun d’eux fùt-il amené
naturellcmcm, leur concours pafleroit la croyance:
c’elt ce qu’il fuit éviter avec foin dans la compofition
d’ime fable ; & il me Temble qu’on s’éloigne de plus
en plus de cette regie, en multipliant fur la icene
des incidens mal enchaînés. Paflbns au merveilleux
de la premiere claife.
Le merveilleux hors de la nature n’eft qu’une cx-
tenfion de fes forces & de fes ioix.
En fuivani le f l des idées qui nous viennent, ou
de l’expérience intime de nous-mêmes, ou du dehors,
par la voix des fens, nous nous en fommes fait de
nouvelles ; celles-ci rangées fur le même plan au-
roient dû garder les mômes rapports; mais l’opinion
populaire & l’imagination poétique n’ayant pas toujours
conùihc la raifon , le fyftême des pofTibles
qu’elles ont comme réalifés, n’eR rien moins que
fournis à l’ordre, celui qui l’emploie a befoin de
beaucoup d'adrefle & de ménagement. Nous ne concevons
rien qui fc contrarie; d’un ryTtêmequi implique
en lui-même , l’enfemble ne peut jamais s’arranger
, s’établir dans notre opinion. Mais la poéfie
a la rellburce de ne prendre des fables reçues que
d“s parties détachées & compatibles entr’elles, quoi-
que fouvent peu d’accord avec le fyftême total. J’ai
ditqueleschofes d’opimon commune te pafloient
de vrf'l'-.tiHjrc! tant qu'on ne tailoit que les luppoler
hors de laVahic ; mais on doit (e fouvenir que fi le
pocte les emploie au-dedans , il eft obligé d’y oblér-
ver les mêmes rapports que dans l’ordre des chofes
réelbs. 11 feroit inutile d’alléguer le peu d’harmonie
qu’on a mis, par exemple, dans le fylîôine de la
mythologie ; c’eft au poete à n’employer du fyftême
qu’il adopte, que ce qui, dans Ion cnlemble, a le
caraélere du vrai. ^
Le merveilleux furnaturel eü tantôt une fiction
toute fimple , & tantôt le voile fymbolique & tranf-
parem de la vérité ; mais ce n’eft jamais que l'imitation
exagérée de la nature. Voyons quelle en eft
1’ori‘dne & quel en doit être l’emploi.
La philufophie eft la mere du merveilleux , & la
contemplation de la nature lui en a donné la premiere
idée ; edo vovoit autour d’eile une multitude
de iu -jui -'..,, tans autre caufeque le mouvement qui
lui-même avoil une caufe : elle dit donc , il doit y
avoir au-delàïxau.detTusdeceque je vols, un principe
de force &-d’intelligence. Ce fut l’idée pi imitive
&c oénératrice du merveilleux : la caufe unique &
tmiverfelle agilfant par une loi fimple , étoit pour le
peuple , Sr fi l’on veut pour les fages, une idée trop
vafte de trop peu fenfible ; on ladivifa en une mtiltl,
tude d’idées particulières, dont l’imagination qui
y euttou tfe peindre, fit autant d’agens compofés
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comme nous : de là les dieux , les démons , IcS
génies.
Il fut facile de leur donner des fens plus pnrfiits
que les nôtres, des corps pii'.s agiles, plus Ions
plus grands; tic jufqacs-là le merveilleux ii’écanc
qu’une augmentation de mafie, de torce & de \î-
tené,rcfprit le plus foible put renchérir aÜémenc
fur le génie le plus hardi. La leule regie gênante dans
cette imitation exagérée de la nature, cil la regie
des proportions, encore n’eÜ-il pas mal-ailé de l’ob-
i'erver dans le phyfique. Dès qu'on a franchi les
bornes de nos perceptions, il n’en coûte rien d’élever
le trône de Jupiter , d’appefantir le trident de Neptune
, de donner aux couificrs du loleil, à ceux de
Mars &C de Minerve la vîtefl'e de la penlée. Le 'pere
Bouhours obfcrve que lorfque dans Homere, Poli-
ohême arrache le fommet d’une montagne , l'on ne
trouve point l'on atUon trop étrange, jiarce (jne le
poète a eu foin d’y proportionner la taille b: la force
de ce géant. De même lorfque Jupiter ébranle l’olympe
d'un mouvement do les lûurcils, &c que le
dieu des mers frajipant la terre, fait craindre à celui
des enfers que la lumière des cieux ne pénétré dans
les royaumes l'ombres ; ces acUons indurées lur
l’échelle de la ficlion, fe trouvent dans l’ordre de la
nature par la jullell'e de leurs rapports. Voilà , dit-
on , de grandes idées ; oui, mais c'eft une grandeur
géométrique» à laquelle avec de la matière, du
mouvement êc de Tefpace,on ajoute tant qu’on
veut.
Le mérite de l’exagération, en faifant des hommes
plus grands & plus forts que nature, aiiroit été de
proportionner des âmes à ces corps ; mais c’d là quoi
Homere, & prelque tous ceux qui l’ont fuivi ont
échoué. Je ne connois que le faian du Taflc &c de,
Milton , dont l’ame & le corps foient faits l'un pous,
l’autre. Et comment obferver dans ces compofés
furnaturels la gradation des dl'ences ? Il eft bien aifé
à l'homme d'imaginer des corps plus étendus, moins
foibles, moins fragiles que le fien : la nature lui en
fournit les matériaux 6c les modèles, encore lui eft*.
il échappé bien des abfurdités , même dans le merveilleux
phyfique ; mais combien plus dans le moral f
« L’homme'', du Montagne, ne peut être que ce qu’il
» eft ni imiJgmer que lelon fa portée ». Il a beau
s'évertuer, il ne connoît d’ame que la fierme , il ne
peut donner au cololle qu’ il anime que les facultés ,
l'es l'eniimens, l'es idées, fes paffions , fes vices de
fes venus, ou plutôt celles de ces inclinations, de
ces affections dont il a le germe : voilà pourquoî
rétre parfait, l’être par eflence eft incomprchenfible,'
Avec mes yeux je niefure le firmament ; avec ma
penfée je ne mefure que ma penfee. Que j’efl'ai«
d’imaginer un Dieu, quelqu’elFort que j’emploie à
lui donner une nature excellente, la fagelfe, la feia-
ftbilité , l’élévation de fon ame , ne feront jamais que
le dernier degré de fagefte, de fenfibüité, d’élévation
de la mienne. Je lui attribuerai des l'ens que je
n’ai pas , un fens, par exemple, pour entendre couler
le tems ; un fens pour lire dans la penfée ; un lens
pour prévoir l’avenir, parce qu’on ne m’oblige pas
au détail du méchanifme de ces nouveaux organes :
je le douerai d’une intelligence à laquelle je luppo-
lérai vaguement que rien n’eft caché , d’une force
de d’une fécondité d’aêtion à laquelle il m’eft bien
aifé de feindre que rien ne rélifte ; je l’exempicraî
des füiblelTes de ma nature , de la douleur tk de la
mort, parce que les idées privatives l'ont comme
la couleur noire qui n’a befoin d’aucune clarté ; mais
s’il en faut venir à des idées pofitivcs , par exemple ,
le faire penfer ou fentir, U ne fera clairvoyant ou
fenfible , éloquent ou paffionné , qii’aurant que je
le fuis moi-meme. Un ancien a dit d’Homere , il cil
le feul qui ait vu les dieux ou qui les ait fait voir ;
mais
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mais de bonne-foi les a-t-il entendus ou fait entendre
> On a dit aufli que Jupiter ctoit defeendu fur la
terre pour fe faire voir à Phidias, ou que Phidias
étoit monté au ciel pour voir lupiter. Cette hyperbole
a fa vérité : l’on conçoit comment 1 artifte , par
le caraaere majeftueux qu'il avoir donne a fa ftatue,
pouvoir avoir obtenu cet éloge ; mais le phyfîquo elt
tout pour le ftatuaire , «C n’eft rien pour le pocte,
s’il n’eft d’accord avec le moral : cet accord s i etoit
parfait, feroit la merveille du gerne ; mais .1 elt mutile
d’y prétendre, l’homme n’a que des moyens humains'’
: ill d'iyirtilâ non fuo da ha cßire imitala. ( le
’ î f& ü t même avouer , & je l’ai déjà fiit entendre,
que fi par impoffible il y avoir un gerne capable d ele-
v-r les dieux au-deffus des hommes , il les peindrait
pour lui fetil. S i, par exemple , Homere eut rempli
e voe I de Cicéron : Humana a i dies tranßnla ,iivina
malUm a i no, ; le tableau de l’Iliade ferait lubhme ,
mais il manquerait de fpeaateurs. Nous ne nous
attachons aux êtres furnaturels que par les memes
li-ns qui les attachent à notre nature. Des dieux
d’une fageffe Inaltérable , d’une confiante égalité ,
d’une impalBbilité parfaite nous toucheroient aufli
peu que des ftau.es de marbre. Il faut pour nous in-
iéreffer que Neptune s’irrite , que Venus fe plaigne,
que Mats,Minerve, Junon fe mç entdenos querelles
& fe pafllonnent comme nous. U eft donc impoflible
à tous égards d’imaginer des dieux qui ne foient pas
hommes ; mais ce qui n’eft pas impoflible , c eft de
leur donner plus d’élévation dans les fent.mens, plus
de dignité dans le langage que n ont fait la plupart
des p&tes. Ce que dit Satan au fole.l dans le poeme
de Milton ; ce que Neptune dit aux vents dans 1 Enei-
de , voilà les modèles du merveilleux. La bonne façon
d’employer ces perfonnages eft de les faire agir
beaucoup , & de les faire parler peu. Le dramatique
eftleur c^cueil, aufli les a-t-on prefque bannis de la
travédietle merveilleux n’y eft guere admis qu en
idée & hors de la fable feulement. Si quelquefois on
V a fait voir des fpeeftres , ils ne difent que quelques
roots, Sedifparoiffent à l’inftant. Dans la tragédie
<le Macbeth,après que ce fcélerat a alTamiic Ion ro i,
im fpeâire fe préfentp &c lui dVt ; Tu ne dormiras plus.
Oa oi de plus ftmple & de plus icrr.ble l
^ La grande difficulté eft d employer avec d,.cence
„„merveilleux, qu’il n’eft pas permis d älterer com-
roe celui de la religion. Il eft abfurde & fcandaleux
A d o n n e r aux êtres furnaturels quoi, révéra les
vLes de l’humanité. Si donc , par exemple, on mtro-
dubdans un poème les anges, les faims les perfon-
„ r divines, ce ne doit être qu’en palTant & avec
vrrême réferve • on ne peut tirer de leur entre-
“ “ m r : r t " p a i r i o n „ d l Le Saint Michel de
Raphaël eft l’exemple de ce que ]e veux chie, il
temffe le dragon, mais avec un front inalterable ,
& i l férénité de ce vifage célefte eft l image des
rooeurs qu’oD doit fuivre dans cette efpece de iiierve. b
u “ x aSff., dès que la feene du poeme de Milton eft
'dans’ le ciel fa fiftion devient abliirde 6e ne fait
plus d’illufion. Des efprlts, impaffibles ce purs ne
Seuvém avoir rien de pathétique t le champ note ce
vafte de la fieftion eft donc la mythologie, 1a magie,
ia féerie dont on peut fe jouer à Ion gre.
j “ i dit cme l’impollibilité d’expliquer naturel ejnent
les phénomènes phyhques , a réduit la philofophie
à l’invention du merveilleux t on a fait de
to b e s les caufes fécondés des mtbll.gences aa.ves ,
& ptas ou L in s puilTan.es , félon leurs grades &
leuVs emplois. Les élcmens en ont d e peuples; la
lumière , le feu, l’air Sd’eau ; les vents, es orages,
î^ s les météores ; les bols. les fleuves les campagnes
, les moiffons, les fleurs & les fruits ont eu
leurs divinités particulières ; au heu de cherchei, par
Tomt
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exemple, comment la foudre s’allumolt dans la nue,
& d’où venoient les vagues d’air dont l’impulfion
bouleverfe les flots, on a dit qu’il y avoit un dieu
qui lançoit le tonnerre ; un dieu qui déchaînoil les
vents ; un dieu qui foulevoit les mers. Celte phyfique
, peu fatisfaiiante pour la raifon , flattoitle peuple
amoureux des prodiges ; aufli fut-elle érigée en
culte , 6c après avoir perdu fon autorité, elle con-
ferve encore tous fes charmes.
La morale eut fon merveilleux comme la phyft-
que ; & le feul dogme des peines desrécompenfes
dans l’autre v ie , donna nailTance à une foule de
nouvelles divinités. Il avoit déjà fallu conftruire au-
delà des limites de la nature, un palais pour les dieux
des vivans : on affigna de même un empire aux dieux
des morts, &;des demeures aux manes. Les dieux du
ciel & les dieux des enfers n’étoient que des hommes
plus grands que nature ; leur féjour ne pouvoir être
aufli qu’une image des lieux que nous habitons. On
eut beau vouloir varier ; le ciel & l’enfer n’offrirent
jamais que ce qu’on voyoit fur la terre. L’olympe
fut un palais radieux, le tartareun cachot profond,
l’élifée une campagne riante.
Larmor hic campos ather & lumine vejiît
Purpureo ; folcmque Juum ,Jiia fidera norunc.
( (Eneid. I. VI. )
Le ciel fut embelli par une volupté pure & par
une paix inaltérable. Des concerts, des feftins, des
amours, tout ce qui flatte les fens de l’homme ffit le
partage des immortels. Le calme & l’innocence habitèrent
l’afyle des ombres heureufes ; les fuppiiees
de toute efpece furent infligés aux manes criminels,
mais avec peu d’équité, ce me femble, par Ils poètes
même les plus judicieux. La fiéfion neo fut pas
moins reçue 6c révérée ; & le tartare fut l’effroi des
méchans', comme l’clifée étoit l’efpoîr des juftes. _
Un avantage moins férieux , que la philofophie
tira de ce nouveau fyftême , fut de rendre fenfibles
les idées abftraites, dont elle fit encore des légions
de divinités. La métaphyfique fe jetta dans la fiftion
comme la phylique & la morale. Les v ices, les vertus
, les paffions humaines ne furent plus des notions
vagues. Lafageflè, la juftice, la vérité, l’amitié, la
paix, la concorde, tous ces biens & les maux oppo-
fés ; la beautéjCette colleéUon de tant de traits 6c de
nuances ; fes graces, ces perceptions fl délicates, fi
fugitives ; le rems même, cette abftraéVlon que l’ef-
prit fe fatigue vainement h concevoir, qu’ il ne
peut fe réloudre à ne pas comprendre ; toutes ces
idées faétices 6c compofées de notions primitives,
qu’on a tant de peine à réunir dans une feule perception
, tout cela, dis-je , fut perfonnifîé. Un merveilleux
quifaifoit tomber fous les fens ce qui même
eût échappé à l’intelligence la plus fubtile, ne pou-
voit manquer de faifir, de captiver l’efprit humain;
on ne connut bientôt plus d’autres idées que ces
images allégoriques. Toutes les affeftions de l’ame,
prefque toutes fes perceptions, prirent une forme
fenfible : l’homme fit des hommes de tout; on di-
flingua les idées métaphyfiques aux traits du vifage,
6c chacune d’elle eut un fymbole au lieu d’une définition.
Mais pour réunir plufieurs idées fous une feule
image , on fut fouvent obligé de former des com-
pofes monftrueux , à l’exemple de la nature, dont
les écarts furent pris pour modèles. On lui voyoit
confondre quelquefois dans fes produéfions les formes
6c les facultés des efpeces différentes ; & en imitant
ce mélange , on rendoit fenfibles au premier
coup-d’ceil les rapports de plufieurs idées: c’eft du
moins ainft que les favans ont expliqué ces peintures
fymboliques. Il eft à préfumer en effet que les premiers
hommes qui ont dompté les chevaux ont doimé
U' m
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