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>» Ibuvent obfervc les ombres , foit au lever , folt au
» coucher du Ibleil, & je ne les ai vues que bleues ;
» quelquefois d’un bleu fort v if , d’autres fois d’un
>, bleu pâle , d’un bleu foncé, mais conftamment
V bleues , & tous les jours bleues >f.
Voilà le récit de M. de Butfon , fur lequel je remarque
d’abord que, de plus de trente aurores, de
d’autant de foleils couchans qn’il avoit obfervés l’eté
de 1743 & jufques fort avant dans l’automne , il ne
fait mention que de deux feules ombres vertes apper-
çues en juillet, deux jours conlecutils , au coucher
du foleil. Toutes les autres oblervatlons qu il rapporte
n’ont donné que des ombres bleues de différentes
nuances, mais conftamnient bleues. Il eft donc
très-vraifcmblableque \ssombres des corps, lorfque le
foleil elf proche de l’horizon, iont régulièrement &
naturellement bleues , & que ce n’eft que par accident
que cette couleur bleue îé change en verd. On lait
que le verd n’eft qu’un compolé des couleurs bleues
& jaunes. Il fuffit donc pour produire ce changement
accidentel qu’il fe mêle quelque choie de jaune à
Vombn bleue , füit que ce jaune vienne de la couleur
jaunâtre du mur même qui reçoit Yombrs , ou
qu'il tombe des rayons jaunes, de quelque part que
ce Ibit, fur la partie ombrée.
La queûion principale à difeuter revient donc a
favoir pourquoi les ombres du foir & du matin paroif-
fent régulièrement bleues ? Or il eit évident, ce me
femble , que la railon de cette apparence conilante
ne fauroit être tirée de la nature même des ombres.
Elles n’expriment à nos yeux que rabfence de la lu-
mierefolaireinterceptéepardes corps opaques. Mais
l’abfence de la lumière n’eil ni bleue, ni verte ; elle
n’auroit meme point de couleur, fi I uiage n’ctendoit
Ja notion des couleurs jufqu’au noir ; ou plutôt, s’il
y avoit un noir parfait, une ombre complette dans la
nature.Toutes les couleurs, &par conlcquent celles
des ombres auffi, doivent leur être à la lumicre qui
les produit ; nous ne voyons la lumiere elle-
Tnêmc qu’autant qu’elle eiî colorée. C a r , au fond,
le fens de la vue ne reprefente abfolument rien que
des couleurs, & ce n’elf que les diverfes nuances de
ces couleurs qui nous font diftinguer les divers objets
, ou les parties différentes d’un même objet. On
doit donc dire que les ombres , en tant qu’elles font
des ombres^ font vifibles , ôcqu’en tant qu’elles font
vlfibles , ce ne font pas des ombres, mais des couleurs
produites par une certaine quantité de lumière
qui tombe fur l’endroit 011 les rayons direéts du
foleil ont été interceptés par rinterpofnion du corps
opaque \ & puifque les ombres lont vifibles depuis le
lever du foleil jufqu’à fon coucher, on ne fe trompera
pas en difant que les ombres lont conftamment
colorées à toutes les heures du jour. Refte donc à
chercher la raifon pourquoi elles affeclent la couleur
bleue lorfque le foleil elî peu élevé au-deffus de l’horizon,
& que hors de-là elles ont une couleur grife
plus ou moins approchante du noir.
Auffi iong-tems que les cas font les mêmes , les
apparences doivent être aulîi les mêmes : quand donc
celles-ci varient , on ne peut chercher la raifon de
cette variation que dans la diverüté des circonllances
relatives à ces apparences. Voyons en quoi les cir-
conftances peuvent varier ici. D ’abord, à la même
hauteur du foleil au-deffus de l’horizon, foit à fon
lever , foit à fon coucher, les ombres ont la même
couleur bleue. Cela indique que c’ eft le peu d’élévation
du foleil qui infinue à donner cette couleur ,
& non certains degrés de chaleur ou certaine confti-
îution de l’air , puifque ces dernieres circonÜances
font rarement les mêmes le matin & le foir.
Mais quelle différence par rapport aux ombres
peut-on trouver dans les diverl'es hauteurs du foleil
au-deffus de rhçrizon? J’en remarque deux princi-
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pales : l’une, c’eft qu’au lever &:au coucher les ow-
i>Aejfont les plus longues qu’ile(lpollibie,&:qu’elles
vont en décroiffant par degrés julqu’au moment du
paffage du loleil par le méridien ; la fécondé différence
, c’ell que la lumière du foleil eft la plus foible
au moment de fon lever 6i de fon coucher, qu’elle
augmente en force à mcl'ureque cet aftre s’approche
du point du midi.
Il ne paroît pas que la premiere de ces circon-
flances puiffe contribuer à donner aux ombres une
couleur bleue. Que ces ombres loient plus longues ,
& fl l’on veut plus dilatées en un teins , qu’en un
autre , cela ne doit produire qu’une ombre plus
foible , plus délayée , au matin & au foir qu’en plein
midi, mais de là ne fauroit rclulier du bleu. D ’ailleurs
, les ombres verticales ne font pas l'enfible-
mem alongces quand le foleil eff à l’horizon ; elles
ne laiffem pas néanmoins d’être auffi bien colorées
que les ombres horizontales.
La fécondé circonftance ne renferme pas non
plus tout ce qui etl requis pour donner l’apparence
du bleu. Plus la lumière du foleil efi: foible , plus
le comrade entre la partie ombrée & la partie illuminée
d’une muraille blanche ell adouci ; mais
cet adouciffement ne met point de nouvelle couleur
dans ; tout ce qu’il peut, S: ce qu’il
doit naturellement produire, c’eit de laiffer mieux
paroître la couleur qui feroit aduellement dans la
partie ombrée. C’eff ainfi que la lumière affoiblie
du foleil à l'on lever Se à fon coucher iaifi'e paroître
des planètes qui , quoiqu’ elles envoient à midi
la même quantité de rayons fur notre rétine,
n’excitent alors en nous aucune perception fenlîble,
C’ell ainfi encore que l’éclat de la pleine lune nous
empêche d’appercevoir un grand nombre d’étoiles
que nous voyons bien dilHnftemcnt dans fon déclin.
Je conclus de cela que la partie du mur qui eff dans
Nombre doit recevoir réellement des rayons bleus
pendant tout le jour, & que ce n’eli que parce que
l’éclat du jour obfcurcit en nous la fenfation de ces
rayons, qu’ils ne colorent point ïombre auffi long-
tenis que le foleil efl élevé de plufieurs degrés au
deffus de l’horizon; mais qu’à mefure que l’éclat
du foleil s’affoiblit, les rayons bleus commencent à
faire fenfation , non à la vérité dans les endroits illuminés
par la lumière dlreéle du foleil, trop vive
encore pour ne pas offufquer une lueur fi douce,
mais dans les endroits où les rayons immédiats du
foleil ne pénètrent point , & oii nos yeux n’étant
plus frappés de l’éclat d’une vive lumicre , peuvent
fentir une imprefiion plus foible.
Il ne s’agit donc plus de trouver la fource de ces
rayons bleus qui, toujours préfens à notre vue , ne
paroiffent que dans les ombres du matin & dans
celles du foir. Or cette fource fe trouve tout naturellement
dans l’air pur, qui nous paroît lui-même
bleu, & qui par confequent réfléchit les rayons qui
excitent la fenfation de cette couleur préférablement
à tous les autres. Tous les objets à portée de recevoir
les rayons direéls du foleil, font en même
tems expofés à recevoir une quantité plus ou moins
grande de rayons que l’air réfléchit ; & comme
ceux-ci ne font pas ncccffairement interceptes quand
ceux qui viennent immédiatement du foleil le font,
il n’elt pas fiirprenant que la partie qui efi dans
Vombre en puiffe réfléchir quelques-uns vers nous,
& que nous les appercevions auffi-tôt que la lumière
qui les offufquoit s’eff affoiblie julqu’à un certain
dégré.
Il efi bon cependant de fe défier en phyfique
du raifonnement le plus plaufible auffi long-tems
qu’on ne peut pas le vérifier par des expériences
décifives. Le féjour de la ville n’etoit pas propre
à celles que je ibuhaitois de faire pour confiater
mes
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très conjectures; mais j’ai eu dans la fuite occafion
de les vérifier à la campagne: & je vais donner le
précis de caque j’aiobfervé.
Me trouvant en juillet 1764, au village de Bou-
choltz, j’y obfervai en rafe campagne, ôc par un
cieifercin, les ombres projettées fur le papier blanc
de mes tablettes. A fix heures & demie du foir, le
foleil étant encore élevé d’environ quatre degrés ,
onde huit de fes diamètres au defi'us de l horizon, je
remarquai que Vornbre de mon doigt, ou celle des
corps interpofés , qui tomboit fur ce papier, ctoit
encore d’un gris obfcur, tant que je tenois les tablettes
verticalement oppofées au foleil ; mais lorfque
je les couchüis prefque horizontalement, en-
forte que les rayons du foleil les rafoient fort obliquement
, le papier éclairé prenoit une teinte
bleuâtre, & l'ombre qui tomboit fur ce papier pa-
roiffoit d’un beau bleu clair.
Quand l’ccil étoit placé entre le foleil & le papier
horizontal, ce papier, quoiqu’cclairé du foleil,
montroit toujours une teinte bleuâtre ; mais , quand
je tenois mes tablettes ainfi couchées entre le foleil
& l’oe il, je pouvois difiinguer fur chaque point élevé
, produit par les petites inégalités du papier , les
principales couleurs prifmaticjues ; on les apperçoit
de même furies ongles, & fur la peau delà main.
Cette multitude de points colorés de rouge, de
jaune, de verd & de bleu , fait prefque dilparoîire
la couleur propre des objets.
A fix heures & trois quarts , Vomhre commença
d’ être bleue, même lorfque les rayons du foleil
tomboient perpendiculairement fur le papier vertical.
La couleur croit plus vive quand les rayons
tomboient fous une inclinaifon de 45 degrés. Même
à une moindre déclinaifon du papier, j’appercevois
déjà difiinftement que l'ombre bleue avoit une bordure
plus bleue à fon extrémité horizontale qui re-
gardoit le ciel, & une bordure rouge à l’extrémité
horizontale qui étoit tournée vers la terre. Mais,
pour voir ces bordures , il faut que le corps opaque
foit fort proche du papier: plus il en eft voilin ,
plus la bordure rouge efi fenfible ; à la diftance de
trois pouces, toute 'Cambre eft bleue.
A chaque obfervation, après avoir tenu les tablettes
ouvertes contre le ciel, je les tournois vers
la terre qui étoit tapiffée de verdure; je les y tenois
de maniéré que le foleil pCit les éclairer, &
les corps y projetter des ombres ; mais dans cette
pofition, je n’ai jamais pu appercevoir Nombre
bleue ou verte, fous aucune obliquité d’incidcnce
des rayons folaires que ce pût être.
A lépt heures , le loleil paroiffant encore élevé
d’environ deux degrés , les ombres étoient d’un très-
beau bleu, même lorfque les rayons tomboient perpendiculairement
fur le papier. La couleur fembloit
embellir quand le papier récliné du loleil par fa
partie fupérieure embraffoic, pour ainfi dire , depuis
le couchant une amplitude verticale de 45 degrés
au delà du zénith. Cependant je ne dois pas paffer
fous fitence une fingularité à laquelle je ne m’at-
tendois pas, c’eft que, dans ce même tems, un
champ du ciel plus vafte n’étoit pas favorable à la
couleur bleue; & que l'ombre tombant fur les tablettes
tournées horizontablement vers le ciel ,
n’éioit plus colorée , ou que du moins je n’y dc-
mêlois qu’un bleu trcs-folble, & très délayé. Cette
fingularité réfulte lans doute du peu de dilférence
qu’il y a dans cette fituation, quant à la clarté,
entre la partie du papier qui eft éclairée , & celle
qui eft dans Combre. On fait que la quantité de lumière
qui tombe fur un objet diverfement incliné
fuit la raifon du finus de cette inclination. Ainfi,
quand mes tablettes étoient verticales, l’éclat de la
partie éclairée étoit à fon maximum, exprimé par le
Tome ly .
O M B 145 finus réélus ou l’imité; à une inclinaifon de 45 degrés,
cet éclat n’eft plus que l a p a r t i e de l’éclat total.
Dans unefituation précifement horizontale, il feroit
nul, & ion interception ne produiroir par confequent
pas même de Combre. Il n’eft donc pas étrange que
la perception des rayons bleus ne foit prei'que pas
plus ieniîblc fur la partie du papier qui eft dans
Combre, que fur celle qui n’eft plus éclairée du foleil
que très-foiblentent. Ainfi le trop &: le trop peu
d’éclat de la lumière i'olaire produifent, mais par
des raifons différentes, à peu-près un meme effet ;
c’eft de rendre infcnlible dans Combre la lumière
bleue que le ciel y réfléchit.
Il feroit fuperflti de rapporter ici un grand nombre
d’obfervations pareilles à celle dont je viens de
rendre compte. 11 me fuffira de dire qu’elles m’ont
toujours exactement donné le même réiu!t,u; ôc
que je n’en ai fait aucune qui m'ait confirme ma
conjeâure fur la caufe de la couleur bleue des
ombres. Je n’en ai jam-.iis vu de vertes, que lorfque
je faifois tonjber Combre fur un papier jaune , ou fur
un mur jaunâtre; & en général la coukur des ombres
fe modifie fur la couleur du corps qui les reçoit. Je
ne voiidrois pointant pas affurer qu’il n’y ait d’autres
ombres vertes que celles qui paroiffent fur des corps
jaunâtres. Car, fi c’eft fur la même muraille que M.
de Buffon a apperçu au coucher du foleil des ombres
bleues, fept jours après avoir vu ces ombres vertes,
il feroit prouve que la raifon de la couleur verte
n’étoit pas dans la couleur propre de la muraille;
il la faudra chercher dans la couleur du ciel vers le
couchant, q u i, comme M. de Buffon le rapporte,
étoit alors, quoiqu’exempt de nuages, chargé d’un
rideau tranlparent de vapeurs d’un jaune rougeâtre;
la lumière d’un ciel ainli coloré tomboit fur la muraille
, Ôe s’y combinoir avec autant de rayons bleus
que l’expofition du mur lui permetioit d’en recevoir
du refte de l atmolphere; de ce mélange a pu
rélultcr une couleur verte, invifible fur un fond
blanc éclairé par le foleil, & très-fenfible fur la
partie de ce fond que le foleil ri’éclairoi pas. U fe
pourroit encore que le v erd , apperçu par M. de
Buffon , vînt du reflet occafionné par le treillage
qui ifétoic qu’à trois pieds de la muraille. Cette niti-
raille étoit expofée aux rayons du foleil couchant ;
elle réfléchiffoit fans doute ces rayons en tous
iens l'ur la verdure voifine , ÔC cclle-ci les ren-
voyoit peut-être à fon tour colorés de verd fur la
muraille , en y interceptant même une partie de la
lumière du ciel. J’avoue cependant que je n’ai jamais
apperçu ce reflet verd, atujuei je m’atrendois
de la part des arbres voifins d’une muraille blanche
oppofée au foleil couchant.
Au relie les ombres bleues ne font pas préclfé-
ment aftremtes aux heures du lever & du coucher
du loleil. Je les ai oblervces à trois heures après
midi, le T 9 de jui le t , ainli dans la faifon où le fo-
leüale plus de force; mais c’eil que le foleil étoit
enveloppé d’un brouillard très-clair, qui en affoi-
bliffoit la lumière; le ciel entier étoit brouillé ,
la partie la plus claire etoir d’un bleu trouble.
Quand le ciel eft ferein , les ombres commencent
d’êtres bleues lorlque Combre horizontale a huit fois
en longueur, la hauteur du corps qui la produit : ce
qui par les tables des finus indique rélévaiion du
centre du foleil de 7° 8 au - deffus de l’horizon.
Mais, comme cette obfervation pourroit ne pas
convenir également à toutes lesfaifons, je dois ajouter
que c’eft au commencement d’août que je l'ai
faite.
Outre les omhrts colorées dont j’ai parlé jtifqu’ici,
qui font produites par l’interception des rayons di-
refts du foleil, on en peut obferver de femblables,
prefque a toutes les heures du jour, dans tous les