
3’extrémité nord de la mer Rouge aura formé un lac qui se sera depuis desséché par
l’évaporation (i).
Il est difficile, et peut-être même impossible, de fixer l’époque précise de cet
événement; mais.il est certainement bien postérieur au règne d’Adrien: et si l’on
a cru reconnoître les vestiges d’un canal auprès de Soueys, ils ne peuvent appartenir
qu à celui que firent ouvrir les khaiyfes après qu’ils eurent soumis l’Égypte ;
car celui des anciens, celui dont parlent Hérodote, Strabon, Pline, &c. se ter-
minoit à 1 extrémité nord du bassin que je viens de décrire.
Lorsque j’émis le premier cette opinion sur les anciennes limites de la mer
Rouge dans un Mémoire que je lus à l’Institut d’Égypte (z), elle fut assez généralement
combattue par les ingénieurs qui avoient, ainsi que moi, coopéré au
nivellement de l’isthme de Soueys; mais la plupart d’entre eux l’ont adoptée
depuis, et leur suffrage a changé pour moi en certitude ce que je n’avois d’abord
énoncé que comme une probabilité.
Aux preuves que j’ai déduites de la constitution physique de l’isthme de Soueys,
j’ajouterai le témoignage des historiens et des géographes les plus célèbres de
l’antiquité.
Hérodote rapporte (liv. //, chap. j 8 ) que du mont Casius à la mer Erythrée
il y a mille stades, c’est-à-dire, cent mille mètres, en prenant l’évaluation très-
approximative de cent mètres par stade (3).
Le mont Casius étoit, selon Strabon (liv. x v i) , une montagne de sable avancée
dans la mer Méditerranée. L’Itinéraire d’Antonin le place à quarante milles
de Péluse, et c’est précisément à cette distance des ruines de Péluse que l’on
trouve une haute dune de sable qui s’avance dans la mer, où elle forme un petit
cap nommé Ras-el-Kaparonn ; on ne peut pas douter que ce ne soit-là l’ancien
mont Casius : o r , de ce point aux anciennes limites que la mer Rouge a eues,
selon moi, on trouve cent mille métrés; ce qui s’accorde parfaitement avec les
mille stades d’Hérodote.
On objectera peut-être qu’Hérodote dit ailleurs (liv. IV, chap. 41 ) que de la
mer Mediterranee à la mer Erythrée il y a mille stades ou cent mille orgyies; que
cette évaluation du stade en orgyies fait voir qu Hérodote vouloit parler du
stade Olympique, qui equivaloit à-peu-près à cent quatre-vingt-cinq mètres , et
non du stade astronomique de cent mètres, et qu’alors, au lieu de cent mille
métrés entre le mont Casius et le golfe Arabique, il y en avoit cent quatre-
vingt-cinq mille.
Mais cette derniere distance reculeroit de près de soixante mille mètres vers
le sud 1 extremite actuelle de la mer Rouge : cette mer se seroit donc depuis portée
au nord de toute cette quantité, tandis que l’aspect des lieux prouve au contraire
(1) Depuis l’expédition des Portugais dans la mer
Rou g e , sous la conduite de Castro, en 15 4 1 , la baie
de Soueys s’est ensablée considérablement ; et l’on peut
prédire que la mer sera encore repoussée vers le sud.
(2) C e mémoire avoit pour titre : Du Passage de
la mer Rouge par les Israélites, et de quelques autres
miracles rapportés par Moïse. Il a été imprimé, avec
quelques changemens, dans le tome IV des Mémoires
sur l’Egypte.
(3) C et accord de la longueur du petit stade avec
notre division décimale du quart du méridien terrestre,
est une chose remarquable.
qu’elle
qu’elle s’est retirée vers le sud, en abandonnant un vaste bassin ; quelle le rempliroit
de nouveau, si l’on enlevoit seulement quatre à cinq mille mètres cubes de sable,
et qu’alors elle ne se trouverait plus qu’à mille petits stades du mont Casius.
D’un autre côté, l’on est certain qu’Hérodote, dans sa description'de l’Égypte,
s’est toujours servi du petit stade. Est - il vraisemblable. que cet historien ait
employé une autre mesure pour 1 isthme seulement, lorsque la distance qui en
résulte se trouve autant en opposition avec les observations géologiques que 1 autre supposition y est conforme ! Il me semble qu’il n’est pas difficile de concevoir
quHerodote, après avoir donné, dans le second livre de son Histoire, mille
stades pour la largeur de 1 isthme, a pu se tromper sur la nature du stade qu’il
avoit en vue dans ce premier moment, lorsque, venant à parler de nouveau de
cet isthme dans le iv.c livre, il ne fait en quelque sorte que répéter ce qu’il avoit
dit précédemment : il savoit que cette distance étoit de mille stades ; et c’est une
faute d’attention bien facile à commettre, qui lui aura fait égaler cette longueur
à cent mille orgyies. On sait qu Hérodote a commis une erreur à-peu-près semblable,
en comparant la distance de Pise à Athènes avec celle d’Heliopolis à la
Méditerranée. Au reste, toutes ces explications deviennent inutiles, si l’on adopte
cette opinion, qui me paraît fondée, que le petit stade se divisoit, comme le
stade Olympique, en cent parties égales, qui prenoient aussi le nom à’orgyies. Le
témoignage d’Hérodote confirme donc ce que j’ai dit sur les anciennes limites
de la mer Rouge.
Pline nous apprend (liv. vi, chap. 2 / ) que le canal projeté par Sésostris pour
joindre le Nil à la mer Rouge avoit soixante-deux milles (1) de long, et que cetoit
alors la plus courte distance entre le Nil et le golfe Arabique. Il paroît certain
que ce canal étoit dérivé du Nil un peu au-dessus de Bubaste (Hérodote, liv. //_,
chap. p#), où ce fleuve fait effectivement un coude vers l’est: or, de ce point à
1 extrémité du golfe, il y a maintenant en ligne droite quatre-vingt-dix milles,
tandis qu’en suivant les légères sinuosités de la vallée de Saba’h-byâr et s’arrêtant
aux anciennes limites de la mer Rouge, on retrouve les soixante-deux milles de
Pline.
Nous allons encore réunir quelques autres preuves.
La vailee de Saba’h-byâr, appelée Ouâdy par les Arabes, est vers le parallèle
jOrea de 3°° 3 1 IO": son origine est à deux myriamètres environ de Belbeys : sa
irection est de l’ouest à l’est. Le Nil, dans ses grandes crues, y pénètre quelquefois.
Dans tous les temps, on y trouve de l’eau douce, en creusant de douze
a quinze decimetres. Le terrain est de même nature et a le même aspect que celui
de 1 Egypte : mais, comme il est couvert moins souvent par le Ni l , la couche de
terre végétale déposée par ce fleuve a moins d’épaisseur; elle n’a guère que trois
ecimetres. Au-dessous est une argile légère, mêlée de sable. Le canal qui y conduit
les eaux du Nil, est creusé dans une étendue d’environ un myriamètre et demi,
sur e revers du coteau qui borde la vallée au nord; ce qui donne beaucoup de
facilité aux habitans pour la dérivation des eaux nécessaires à la culture : mais il se
(1) Le mille vaut 756 toises, ou
Ê . M . D d