et les divers tempéramens, les divers âges, les divers sexes, les divers états des
personnes dont est formé le corps social, &c. &c. ; mais, outre qu’il paroît que
cet instrument a subi quelques changemens qui l’ont rendu un *peù différent de
ce qu’il étoit autrefois, et que nous ne devons rendre compte ici que de nos
propres recherches faites en Égypte, on ne pourroit expliquer toutes ces choses
sans avoir recours à des développemens que n’admet point une simple description.
Ainsi nous passerons sous silence la plupart de ces détails, é trangers à l’état actuel
de la musique en Egypte, pour ne nous occuper uniquement que de ceux qui
se lient nécessairement à notre objet.
Quoique l’e’oud soit du nombre des instrumens dont les Égyptiens font usage,
cependant, en Je comparant avec ceux dont ils se servent le plus habituellement,
on lui trouve une forme si différente de celle des autres, qu’on est naturellement
porté à croire qu’il doit avoir une autre origine, et qu’il n’est pas même
Oriental.
Quelques auteurs Arabes et Persans, qui ont écrit sur la musique et qui ont
parlé de cet instrument, conviennent qu’il leur est venu des Grecs. Les uns veulent
que ce soit Pythagore lui-même, qu’ils qualifient d’émule de Salomon, qui imagina
cet instrument, après qu’il eut fait la découverte des consonnances musicales ;
les autres en rapportent l’invention à Platon. Selon ces derniers, l’e’oud est le
plus parfait de tous les instrumens que ce philosophe inventa, et celui auquel il
s attacha davantage. Platon, disent-ils, excelloit à un tel point dans l’art d’en jouer,
qu il savoit émouvoir, comme il lui plaisoit, le coeur de ceux qui l’écoutoient, et
leur inspirer diverses affections; qu’il pouvoit à son gré exciter ou calmer leurs sens,
selon qu’il varioit les modulations de sa mélodie. Par exemple, lorsqu’il jouoit dans
un certain mode, il faisoit tomber ses auditeurs, malgré eux, dans le sommeil ;
puis, en changeant de ton, il les réveilloit. Aristote, ajoutent-ils, ayant eu connois-
sance de ce fait, et voulant essayer de jouer de même de cet instrument, parvint
bien aussi à endormir les assistans ; mais il ne put les réveiller : c’est pourquoi,
ayant reconnu la supériorité que Platon avoit sur lui, il se rendit son disciple.
Les Orientaux ne manquent point d’anecdotes de ce genre; leurs poëtës et
leurs historiens en citent très-fréquemment de semblables. Si on les en croit, les
meilleurs musiciens Persans ou Arabes avoient tous aussi le talent d’endormir et de
réveiller leur auditoire (1). Dans ces climats brûlans, les sens, côntinuellement
(1) Pour ne pas multiplier les exemples, nous nous »sultan de la maison de Hamadan, sous le khalyfat de
bornerons à rapporter le trait d’histoire suivant, très- » Mouthi, cent vingt-troisième khalyfe des Abbassides. Il
remarquable, qu on lit dans la Bibliothèque Orientale: » vint d’abord à la cour de ce prince, chez lequel il y avoit
« Farabi et Fariabi est le surnom cl A bon - JVassar- »toujours un grand concours de gens de lettres, et il se
» Mohammed. Tarhhani, que les Arabes appellent ordi- » trouva-présent et inconnu à une célèbre dispute qui se
» nairement par excellence al-Fariabi [le Farabien], et » faisoit devant lui. Fariabi, étant entré dans cette assem-
» nous autres al-Farabius, parce qu’il étoit natif de la ville » blée , se tint debout jusqu’à ce que Seif-ed-DouIat lui
» nommée Farab, qui est la même qu’C W . Ce docteur » fit signe de s’asseoir : alors il lui demanda où il lui plai-
» étoit réputé le phoenix de son siècle, le coryphée des » soit qu’il prît sa place. Le prince lui répondit : Là où vous
»philosophes de son temps, et fut surnommé Maallem »vous trouverez le plus commodément. Le docteur inconnu,
» Tsani, c est-à-dire, le second Maître. C ’est de lui qu’A - » sans faire autre cérémonie, alla s'asseoir sur un coin du
» vicenne confesse avoir puisé toute sa science. Fariab, »sofa où étoit assis le sultan. Ce prince, surpris de la
» après avoir fait le pèlerinage de la Mecque, passa à » hardiesse de cet étranger, dit en sa langue maternelle à
» son retour par la Syrie, où régnoit alors Seif-ed-DouIat t » un de ses officiers : Puisque ce Turc est si indiscret, allez
fatigués
fatigués par l’excessive chaleur, font desirer si ardemment le repos, que le sommeil
y est regardé comme un très-grand bonheur : 1 état le plus heureux que Ion
y commisse; est d’être exempt de soucis -et de travail, de végéter en quelque
sorte sans songer à rien. Aussi les Orientaux, et sur-tout les Égyptiens, considèrent
ils comme un mérite fort estimable dans un musicien, celui de .dissipei
leur mélancolie, de les faire rire, de leur procurer un doux sommeil, et de-les.
réveiller agréablement par les.charmes de son art; mais il n’y a rien de plus capable,
suivant eux, de faire ressortir a v e c éclat le talent du musicien, et rien qui puisse
ajouter plus d’énergie à son chant, que l’harmonie de l’e’oud. Les propriétés mer-,
veilleuses des sons de cet instrument l’ont fait choisir par les musiciens Arabes
savans comme l’emblème de l’harmonie de toute la nature, ainsi que les anciens
Égyptiens considéraient la lyre antique de Mercure.
A r t i c l e II.
Du Nom de l’E ’oud.
Le nom Stoud n’est point un nom propre; il y en a peu? à proprement
parler, dans la langue Arabe. Le mot coud (1) signifie toute espeçe de bois en.
général, une machine, un instrument quelconque. Comme nom d’un instrument
de musique, il a passé dans plusieurs langues, et y a été plus ou moins altéré
et rendu méconnoissabie. Les Turcs, en confondant en un seul mot l’article et
le nom syJi el-e’oud [l’e’oud], en ont corrompu l’orthographe, et l’ont écrit et
prononcé k b j laoutali. Les Espagnols, qui, selon toute apparence, reçurent'lé
même mot directement des Sarrasins, en ont moins altéré la prononciation et
l’orthographe dans Lioudo. Le même nom a été écrit par les Italiens leuto et prononcé
■»lui faire une réprimande, et faites-lui en metne temps quit-
» ter la placé qu’il a prise. Fariabi, ayant entendu ce com-
» mandement, dit au sultan : Tout beau., seigneur! celui
» qui commande si légèrement, est sujet a se repentir. Le
» prince, surpris d’entendre ces paroles, lui dit : Entendez~
» vous ma langue ! Fariabi lui repartit: Je l’entends, et
» plusieurs autres. Et entrant sur-le-champ en dispute avec
»les docteurs assemblés, il leur imposa bientôt silence,
»les réduisit à l’écouter et à apprendre de lui beaucoup
» de choses qu’ils nesavoient point. La dispute étant finie,
» Seif-ed-Doulat rendit beaucoup d’honneur à Fariabi,
»et le retint auprès de lui. Pendant que les musiciens
» qu’il avoit fait venir, chantoient, Fariabi se mêla avec
»eux, pt les accompagnant avec un luth qu il prit en.
» main, il se fit admirer du prince, qui lui demanda s il
» n’avoit point quelque pièce de sa composition. 11 tira
» sur-ïe-champ de sa poche une pièce avec toutes ses par-
»ties, qu’il distribua aux musiciens; et continuant à sou-
» tenir leurs voix de son luth, il mit toute l’assemblée en
» si belle humeur, qu’ils se mirent tous à rire à gorge dé-
„ ployée. Après quoi, faisant chanter une autre de ses
»pièces, il les fit tous pleurer, et en dernier lieu, chan-
» tans. Seif-ed-DouIat fut si charmé de la musique et de
» la doctrine de Fariabi, qu’il l’eût voulu toujours avoir
» en sa compagnie : mais ce grand philosophe, qui etoit
» entièrement détaché des choses du mondé, voulut
»quitter la cour, et se mit en chemin pour retourner
» en son pays. 11 prit la route de la Syrie, dans laquelle il
»trouva des voleurs qui l’attaquèrent'comme'il savoit
» très-bien tirer de l’arc, il se mit en défense: mais, une
» flèche des assassins l’ayant blessé, il tomba roide mort.
» On rapporte encore de ce grand homme qu étant ■
»un jour en compagnie avec Saheb-ben-Ebâd, il^prit
» le luth des mains d’un des musiciens ; et ayant joué
» de ces trois manières dont nous avons parlé, lorsque la
»troisième eut endormi les assistans, il écrivit, sur le
»manche du luth dont il s’étoit servi, ces paroles : Fa-
» riab estvenu, et les chagrins se sont dissipés. Saheb, ayant
»lu un jour par hasard ces paroles, fut tout le reste
» de sa vie dans un grand déplaisir de ne 1 avoir pas
»connu; car il s’étoit retiré sans rien dire et sans se
» faire connoître. »
(i) l5u mot i jc e’oud, s’est formé âÇc aououâd, nom
par lequel on désigne celui dont la profession est de