
 
		agréablement  expressive  doit  plaire  le  plus  généralement,  et  que  celle  qui  n’a  
 que  des  beautés  factices  et  de  convention  qui n’expriment  aucun  sentiment,  ne  
 peut  plaire  que  dans  le  pays  où  l’on  est  accoutumé  à  l’entendre.  Nous  avons  
 connu en Egypte des Européens remplis de goût et d'esprit,  qui,  après nous avoir  
 avoue  que, dans  les premières années de leur séjour en ce pays, la musique Arabe  
 eur avoit  cause-un  extrême  déplaisir,  nous  persuadèrent  néanmoins  que  depuis  
 dix-huit a vingt ans  qu’ils y résidoient,  ils  s’y  étoient  accoutumés  au  point  d’en  
 etre  flattes, et  d’y découvrir des  beautés qu’ils auroient été fort éloignés d’y soupçonner  
 auparavant  :  elle  n’est  donc pas  aussi  baroque et  aussi barbare  qu’elle  le  
 paroit  d abord.  * 
 Au  reste,  ce  que  nous  disons  ici  de  l’effet  qu’a produit sur  nous  la  musique  
 Arabe,  et  ce  que nous en  dirons par la  suite,  ne doit  point être regardé  comme  
 un  jugement  que  nous  portons  de  cette musique ; l’ignorance, la mal-adresse  le  
 mauvais gout, la mauvaise qualité de la voix des musiciens, celle du son des instru-  
 mens,  peuvent avoir  contribué  beaucoup à  l’effet  que  nous  avons  ressenti : mais  
 toutes ces choses-la sont  très-distinctes,  ou  plutôt sont  tout le contraire de  l’art 
 Ce  qui  nous  contrarioit  sur-tout  le  plus  dans  le  commencement,  en  entendant  
 chanter  les  musiciens  Égyptiens,  car nous  les  faisions  venir  chaque  jour  
 chez nous, afin  de pouvoir  observer leur musique, c’étoit de ne pouvoir démêler  
 les modulations  des  airs  parmi  les  ornemens multipliés et d’une  bizarrerie  inconcevable  
 dont  ils surchargeoient  leur  chant.  Nous  ne  le  dissimulerons pas,  nous  
 avons  été  plus  d’une  fois  tentés  de  renoncer  au  projet  que  nous avions formé  
 de  connoitre  Ja  musique  Arabe ;  et  nous  n’aurions  pas  tardé  à  le  faire  si  
 comme  il  arrive  assez  souvent  en  pareil  cas ,  le  hasard  ne  fût  venu  à  notre  
 secours  et  neut  fait  réussir  nos  tentatives,  au  moment  même  où  nous  nous  
 y  attendions  le  moins.  Voici  l’expédient  qu’il  nous  fit  découvrir.  Un  de  ces  
 musiciens nous ayant chanté une chanson  qu’un autre nous avoit déjà fait entendre  
 quelques jours  auparavant,  nous  crûmes  en reconnoître  l’air,  et  c’étoit  en  effet  
 le  meme.  Pour  nous  en assurer,  nous lui  fîmes répéter plusieurs fois  le  premier  
 couplet,  phrase  par  phrase,  pour  avoir  la facilité  d’en  noter  le  chant  afin  de  
 pouvoir  ensuite  en  comparer l’air  avec celui  que  nous  avions  cru  reconnoître  
 lorsque nous aurions l’occasion de voir le premier musicien et de lui faire chanter  
 ameme chanson. Dans cette vue, nous nous appliquâmes à noter avec l’exactitude  
 la  plus  scrupuleuse  tout  ce  que  nous  entendîmes. 
 Quand  nous  eûmes  fini,  nous  répétâmes  l’air, au  grand  étonnement  de  celui  
 qui  nous  1 avoir  dicte;  car  il  avoit  eu  toutes les  peines  du monde  à s’y  détermi-  
 ner, regardant comme impossible d’écrire des sons,  et d’apprendre  dans un  quart  
 leure ce  qui,  nous  disoit-d,  exigeoit une  étude  suivie pendant bien des années  
 il le trouva exact, a cela  près quenous ne  l’avions pas rendu avec le même accent  
 le  meme  gout  et  la  même  expression  que  lui;  ce  qu’il  regardoit  comme  une  
 chose  importante :  mais  il  étoit dans  une sorte  d’admiration  de  notre succès  et  
 ne  cessoit  de  repéter  a’gayl  (.)! agayb! [quelle merveille !  quelle merveille !] Il 
 (0  V ffM 'w U  ce mot  est  écrit ici  suivant  la prononciation  viciense  des Égyptiens. 
 ne  pouvoit  concevoir  quelle  figure  nous  avions  pu  donner  aux  sons  différens  
 de  sa  voix  pour  les  reconnoître  et  nous  rappeler  leur  degré  d’élévation  ou  
 d’abaissement,  celui  de  leur  durée  ou  de  leur  vitesse.  Nous  aurions  pu  sur-  
 le-champ  lui  expliquer  tout  cela; mais,  voulant  intéresser  sa  curiosité  dans  les  
 recherches que nous faisions, et l’engager à ne rien négliger pour seconder promptement  
 nos  vues,  nous  lui  promîmes  que,  lorsque  nous  serions  plus  instruits  
 sur  la  musique  Arabe,  nous  lui  ferions,  à  notre  tour,  connoître nos notes  de  
 musique.  Toutefois  il  nous  parut  soupçonner  que  nous  avions  employé  autre  
 chose  que  des  moyens  simples  et naturels,  et  nous  ne  voulûmes  pas  perdre  de  
 temps  à  lui  prouver  le  contraire. 
 Il  publia  ce  lait  avec  une  telle  exagération,  probablement,  que  les gens  du  
 peuplé  s’imaginoient  qu’il  y  avoit  de  la magie;  que  les personnes plus  instruites  
 se  perdoient  en  conjectures  plus  singulières  et  plus ridicules  les  unes  que  les  
 autres ;  que  lès  cheykhs  eux-mêmes  questionnèrent  successivement plusieurs  de  
 nos  collègues sur  la possibilité  de  son  existence,  et  qu’ils  ne  furent entièrement  
 satisfaits  que  lorsqu’ils  eurent  appris  de  nous-mêmes  en  quoi  consistoient  nos  
 moyens pour  exprimer d’un seul  trait,  sur  le  papier,  un son avec les principales  
 modifications  dont  il  est  susceptible. 
 Une  aventure  aussi  inopinée  et  aussi  extraordinaire,  occasionnée  par  un  fait  
 qui nous avoit  semblé,  jusqu’alors,  n’avoir rien  d’étonnant  en  lui-même, et  que  
 nous avions cru connu de tous les peuples  qui ont adopté un système de musique,  
 dès principes et des règles pour la pratique  de  cet art,  nous  porta en  ce moment  
 à  demander  aux  cheykhs  s’ils  n’avoient  jamais  entendu  parler  quil  y  eut  eu  
 des  signes  pour exprimer  les  sons  et noter la musique Arabe ;  ils nous assurèrent  
 unanimement que non. Depuis, nous nous sommes  informés de la même  chose a  
 tous  les  savans  Égyptiens  et  Arabes,  qui  nous  ont  tenu  le  même  langage  que  
 les  cheykhs.  Nous  avons  été  jusqu’à  demander  à  des  négocians Turcs, natifs  de  
 Constantinople  et  qui  habitent  au  Kaire ,  quelques  renseigneniens  sur  l’usage  
 des  notes  de  musique  dans  la pratique  de cet  art;  ils nous  ont  affirmé que  ces  
 notés  n’étoient point admises aujourd’hui  dans  la pratique  ordinaire en leur pays,  
 et  qu’ils  doutoient  même  qu’elles  eussent  jamais  été  d’un  usage  habituel  généralement  
 répandu  en Turquie. Nous  ne pouvons  savoir  jusquà  quel  point  cette  
 dernière  autorité mérite la confiance ; mais  il  est  facile  aux Français  qui  résident  
 à  Constantinople  de  dissiper sur  cé  point  toutes  nos  incertitudes. 
 Constamment  occupés  au  Kaire  de  nos  recherches  sur  la musique, et  ayant  
 des  communications  habituelles  avec  les musiciens  Égyptiens, nous ne  tardâmes  
 pas  à revoir celui  d’entre eux qui, le premier,  nous avoit fait entendre la chanson  
 dont  nous  venons  de parler;  nous  la  lui  fîmes  répéter,  et nous  la  copiâmes  derechef. 
   En  comparant  cette  copie  avec  la  précédente,  nous  trouvâmes  entre  
 elles  des  différences  très-marquées.  Nous fîmes encore  répéter  la meme  chanson  
 à  tous  les autres,  et nous  notâmes  de  nouveau  exactement  le  chant de  chacun.  
 Parmi  toutes  ces  copies  il  ne  s’en  présenta  pas  deux  qui  fussent  parfaitement  
 conformes entre  elles.  En  conséquence, nous  essayâmes  de noter  à  part  tout ce