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nécessaires. Ces poissons secs servent à l’approvisionnement des bâtimens. N’est-il
pas remarquable de trouver dans les écrits des anciens (i), que la côte occidentale
de la mer Rouge étoit habitée par des peuples nomades et ichthyophages, et
quil existoit un peuple chélonophage (2), ou mangeur de tortues, qui en em-
pfoyoit les écailles à couvrir ses cabanes! Ainsi donc ces foibles tribus ont
franchi les siècles avec leurs coutumes, leur indépendance, tandis que tant de
nations puissantes ont vu changer totalement leur gouvernement, leurs usages,
et que d’autres n’existent même plus pour nous que dans les annales des historiens.
Mais 1 étonnement que peuvent faire naître ces réflexions , doit cesser
bientôt; la misère, en effet, n’excite point l’envie; les pays fertiles verront de
nouveaux maîtres, et les sables du désert appartiendront encore aux derniers des-
cendans de ses premiers possesseurs.
Il est encore un peuple qui , par sa ressemblance avec les anciens Troglodytes,
mérité que l’on entre ici dans quelques détails sur ses moeurs et ses usages;
ce sont les Abâbdeh, tribu nomade qui occupe les montagnes situées à l’orient
du Ni l , au sud de la vallée de Qoçeyr, pays connu autrefois sous le nom de
Troglodytique.
Cette tribu possède encore plusieurs Villages sur la rive droite du Nil : les principaux
sont, Darâoueh , Cheykh-âmer et Roudesy.
Tous les marchands qui font le commerce de Qbçeyr, donnent aux Abâbdeh
vingt-trois medins par chameau chargé, et une petite mesure (3) de blé, de fèves,
de farine ou d’orge, selon la charge du chameau. Ils prennent aussi en nature le
vingtième des moutons, chèvres, poules, et autres objets d’approvisionnement
de ce genre qui arrivent à Qoçeyr ; le camp qu’ils avoient aux environs de cette
ville, étoit destiné à empêcher toute espèce de fraude de la part des marchands.
Les Abâbdeh, moyennant cette rétribution, sont obligés de veiller à la sûreté
de la route, et d’escorter les caravanes ; mais ils ne répondent pas des acci-
dens, sur-tout de ceux qui peuvent résulter de la rencontre des Arabes Antouny,
qui s’étendent jusqu’aux déserts de l’isthme de Soueys, où on les nomme Houâ-
tât. Il existe depuis un temps immémorial une guerre continuelle entre ces deux
tribus.
A certaines époques, lorsque le blé et les autres denrées données par les marchands
forment des amas considérables au milieu du camp , Je nombre des
Abâbdeh augmente, et l’on procède au partage. Je n’ai pu prendre aucun renseignement
certain sur la manière dont il se fait ; mais comme cette distribution
donne souvent lieu à des rixes, on peut présumer que la bonne foi n’y préside pas
toujours.
Les Abâbdeh ont fort peu de chevaux, et ils ne montent que des dromadaires (4).
Cet animal ne diffère du chameau que par sa taille, qui est beaucoup plus svelte,
■ (0 Ptoléniée, liv. I V ; Strabon, liv. x v i ; Pausanias, Pline rapporte qn on en trouvoit auprès du golfe Perliv.
I ; Diodore de Sicile, liv. x x x m ; Pline, liv. v i . sique.
{—) Diodore de Sicile place les Chelonophages dans (3) Un vingt-quatrième d’ardeb.
de petites îles voisines des cotes de l’.Ethiopie , et (4) Le dromadaire des naturalistes.
et
et par sa légèreté à la course. Les selles dont ils se servent pour leurs dromadaires,
ne ressemblent point à celles qui sont en usage en Égypte ; elles sont formées
de différentes pièces de bois cousues ensemble avec des lanières de cuir. Elles
ne sont point rembounees , et cependant on s y trouve fort commodément,
parce que le bois est creuse de façon a présenter une surface concave qui empêche
que le corps ne porte sur un seul point : par-dessus, on étend assez ordinairement
une peau de mouton. Sur ces selles, on ne se tiént point enfourché
comme à cheval, mais assis, les jambes en avant, posées ou croisées sur lé cou du
dromadaire.
Les Abâbdeh élèvent une quantité considérable de chameaux : ils en vendent,
ils en louent pour les caravanes; et c’est, je crois,' la partie la plus considérable
de leurs revenus. Ils récoltent dans leurs montagnes une grande quantité de séné
et de gomme Arabique; ils y exploitent du natrón, de l’alun, et quelques autres
substances minerales. Si 1 on joint à cela quelques esclaves qu’ils amènent de 1 Abyssinie , 1 on aura une idée des principaux objets que les Abâbdeh viennent
échanger dans les marchés de la haute Égypte contre les grains, les étoffes et les
ustensiles de différens genres dont ils ont besoin.
Les Abâbdeh sont Mahométans; mais le pays qu’ils habitent, et la vie active
quils mènent continuellement, les empêchent de suivre scrupuleusement tous les
préceptes de cette religion.
Ce peuple se glorifie d être guerrier : lorsqu’on demande à un Abâbdeh, Qià
es-tu! il répond, Soldat, avec l’accent de la fierté. Tous ceux à qui j’ai entendu
faire cette question, ont toujours répondu de même.
Les Abâbdeh prétendent pouvoir mettre deux mille hommes sous les armes :
cette évaluation est peut-etre trop forte; on doit au moins le soupçonner,
d après le penchant qu’ont naturellement tous les hommes à exagérer les forces
de leur nation.
Leur manière de voyager leur permet de parcourir un pays désert très-étendu ;
ils font jusqu’à cent lieues en quatre jours : chaque homme, monté sur un dromadaire,
porte avec lui trois outres ; elles sont attachées le long de la selle, l’une
pleine de fèves, l’autre d’eau, et la plus petite de farine. Équipés de la sorte, ils se
réunissent quelquefois, et vont à cent ou cent cinquante lieues à travers le désert,
attaquer une tribu avec laquelle ils sont en guerre, ou attendre le passage d’une
caravane qu’ils veulent piller.
Les Abâbdeh diffèrent entièrement, par leurs moeurs, leur langage, leur costume,
leur constitution physique, des tribus Arabes qui, comme eux, occupent
les deserts qui environnent l’Égypte. Les Arabes sont blancs, se rasent la tête,
portent le turban, sont vêtus, ont des armes à feu, des lances de quatre à cinq
métrés , des sabres très-courbes, &c. Les Abâbdeh sont noirs ; mais leurs traits ont
eaucoup de ressemblance avec ceux des Européens. Us ont les cheveux naturellement
bouclés, mais point laineux; ils les portent assez longs, et ne se couvrent
jamais látete. Us n’ont, pour tout vêtement, qu’un morceau de toile qu’ils attachent
au-dessus des hanches, et qui ne passe pas le milieu des cuisses.
Ê . M . E e